Dans la maison de fous, deux clans d'aliénés s'affrontent. Installés du côté droit de la salle commune, les droitiers sont les plus nombreux. En raison de cet avantage, ils décident seuls des règles qui s'imposent à tout l'établissement. Pour combattre le fléau qui frappe depuis trente ans les jeunes générations, ils ont imaginé une solution miracle : le CPE. Il savent pourtant bien que ce dispositif sera quasiment inutile, de la même façon qu'ils n'ignorent rien de la seule solution efficace, qui, partout ailleurs, a fait ses preuves : réduire la part de la fonction publique dans la dépense publique. Mais, s'ils agissaient ainsi, ils risqueraient de réveiller le Dragon aux colères dévastatrices lequel, inquiet du maintien de ses prérogatives, ne dort que d'un oeil. D'autre part, ils croient en la vertu de la loi comme moyen d'organiser le fonctionnement de la société : ce sont donc les fous du droit. Leur chef, de plus, souffre d'une pathologie particulière, mais relativement répandue : il se prend pour Napoléon. Du coup, comme Siegfried ou Saint Georges, il ne détesterait pas, seul à seul, défier le Dragon. Les droitiers, pusillanimes, l'en empêchent.

Les gauches, de l'autre côté de la salle, sont moins nombreux, ce qui, au cours des vingt-cinq dernières années, ne leur est pas arrivé très souvent. Du coup, ils cherchent à récupérer le pouvoir de faire les règles avant même la prochaine votation, prévue l'an prochain. Ils comptent pour cela sur la force de frappe des cohortes juvéniles, qui mènent contre le CPE un combat sans objet et désormais sans objectif. Et, puisque ces cohortes sont en grande partie composées de lycéens, lesquels sont généralement mineurs, les gauches soutiennent que la loi doit dépendre de la volonté d'un peuple qui n'a pas encore le droit de vote. En fait, ils se croient, eux, en 1789 : les gauches sont possédés du verbe.

Fatigué, proche de la vieillesse, le médecin-chef, malgré sa longue expérience de la psychopathologie des foules, observe cette agitation, incrédule, impuissant, trop occupé à contrarier les tentatives des jeunes internes qui convoitent son poste. Pour résoudre la crise, il a promulgué le CPE en demandant qu'il reste lettre morte, ce qu'il ne devrait pas faire puisque les Sages l'on validé, mais qu'il peut se permettre en raison d'une obscure règle de la loi fondamentale, en attendant qu'il soit rejugé par le conclave des fous ; par sécurité, il a fait en sorte qu'aucune tablette estampée CPE ne quitte l'imprimerie, ce qui, d'ailleurs, n'a strictement aucune importance puisque celles-ci n'ont rien d'obligatoire. Avec le génie qui lui est propre, le médecin-chef a ainsi trouvé à la crise une solution tellement complexe et contradictoire que, puisque personne n'y comprend rien, tout le monde peut s'en satisfaire.
Si tout cela était sérieux, ce serait sans doute assez grave : heureusement, il ne s'agissait que d'une farce, qui n'avait d'autre ambition que de faire rire le monde entier.