Le génie du capitalisme consiste à faire argent de tout, et même d'un gaz qui, bien que vendu à la tonne, n'en reste pas moins inerte, inodore, et largement dépourvu d'usages industriels : le dioxyde de carbone, CO² de son petit nom. Avec l'entrée en vigueur du protocole de Kyoto, la Commission européenne a mis en place un système de quotas d'émissions, suivant une procédure détaillée dans ce dossier du Temps, et où chaque État membre se voit fixer un objectif en matière d'émissions de gaz à effet de serre, donc en particulier de CO², objectif qu'il se doit ensuite de répartir entre ses principaux pollueurs. Comme le rappelle Jean-Marc Jancovici, et puisque certaines entreprises pourront, en fonction de leur activité industrielle propre, disposer de droits en trop là où d'autres, pour les mêmes raisons, pollueront plus que permis, une telle procédure peut avantageusement recourir à un échange marchand de droits sur l'air, qui, fonctionnant sur le principe bancaire de la chambre de compensation, permettra d'équilibrer excédents et déficits. Et puisque ces certificats d'émission ont un prix, il devient possible de spéculer sur l'évolution de celui-ci ; on voit donc, depuis peu, s'ouvrir des bourses spécialisées, au sens propre pour une fois, dans l'échange de promesses en l'air.

Introduits sur le marché en avril 2005 autour des 20 euros, les permis d'émission côtés sur ICE Futures, montés comme une montgolfière jusqu'aux 31 euros qu'ils atteignirent le 19 avril se sont, en une semaine, totalement dégonflés, redescendant, le 27 avril, à 13,70 euros, soit une chute hebdomadaire de 56 %. Six États européens, dont la France et les Pays-Bas, viennent en effet d'annoncer, dans leur lutte contre les gaz à effet de serre, des résultats supérieurs aux attentes ; la réduction des émissions faisant craindre un excédent de l'offre de permis, les cours chutent, provoquant, en plus de la déroute des spéculateurs, de sérieux dégâts collatéraux.
Car certaines entreprises, dans le domaine de l'énergie par exemple, construisaient une partie de leur richesse sur ces actifs si volatils ; en première ligne, on trouve une fois de plus la malheureuse Rhodia, qui espérait se refaire une santé par les gaz, en vendant les crédits d'émission dont elle disposait grâce à ses investissements en Corée et au Brésil, et voit désormais ses espoirs s'envoler en fumée, tandis que le cours de son action perd près de 17 % sur la semaine. Et pendant ce temps, les marchands de vent se portent comme un charme.