C'est le genre de panneau que l'on ne remarque pas, habitué que l'on est à ces affichages réglementaires des procédures d'évacuation en cas d'incendie et autres instructions comminatoires de venir avec un bonnet tout en laissant son caleçon au vestiaire. Sans doute apposé depuis peu dans un recoin, à côté de la caisse de la piscine municipale, celui-ci comporte deux indications distinctes. L'une d'elles reprend une apparence familière : avec ses bandes horizontales en forme d'escalier dont les couleurs progressent du vert au rouge, et dont la largeur augmente à mesure que, passant du A au G, on se rapproche dangereusement de l'enfer du gaspillage, elle rappelle ces messages synthétiques qui informent l'acheteur potentiel de la consommation d'énergie de sa future machine à laver. L'autre, adoptant le même principe, colore ses bandes d'un délicieux ton lavande à la densité variable. Il s'agit, on l'aura deviné, du résultat d'un diagnostic de performance énergétique désormais, pour le plus grand bien des organismes de certification, obligatoire pour tous les bâtiments publics. Évidemment, on ne mesure pas ici le dramatique impact écologique du séchage du linge : l'échelle arc-en-ciel donne, en Kwh par m² et par an, l'estimation de consommation en énergie du bâtiment. Quant à la classification lavande, elle évalue ses émissions de gaz à effet de serre, pour la même période et avec la même unité de surface, mais en kg d'équivalent CO2. Or, malgré tous les efforts des architectes qui, à quelques détails d'exécution près, ont fort bien et fort intelligemment procédé à la récente rénovation d'un bâtiment vieux de quarante ans, les performances énergétiques de la piscine de Clichy-la-Garenne se révèlent totalement désastreuses, en particulier sa consommation d'énergie qui, avec ses 866 Kwh/m².an, explose le plancher fixé à 510 Kwh, ce qui, en fait de notes, se traduit pour cet infortuné équipement public par un infamant double G. C'est que, on aura beau multiplier les sacrifices aux dieux de l'isolation et au paradis des normes HQE, on n'empêchera jamais une piscine de rester ce qu'elle est : une piscine.

Et, au même titre que les patinoires, les piscines municipales font partie de ces bâtiments dont l'objectif premier est de défier la nature en recréant des conditions climatiques particulières et uniformes, sans rapport avec la situation locale et sans qu'il soit tenu aucun compte des conditions extérieures. Ici, le climat artificiel se doit, au minimum, de se conformer aux normes méditerranéennes : l'eau comme l'air ne s'y conçoivent pas en dessous de 25°. Après tout, il faut bien ça pour accueillir une population de gens, été comme hiver, à peu près dénudés. Comme, d'autre part, ceux-ci ne sont pas troglodytes, ils nagent le plus souvent en pleine lumière, sous de très larges baies vitrées avec, le cas échéant, un puissant éclairage d'appoint. La piscine de Clichy, de plus, dispose de trois bassins : celui des sportifs, élevés à la dure et qui se satisfont de leurs 25°, celui où les marmots barbottent dans une eau qui atteint réglementairement les 32°, faute de quoi leurs parents traîneraient sans nul doute la Mairie devant les tribunaux, celui, enfin, de la fosse à plongeon, ou de ce qu'il en reste. Privée de l'appendice indispensable à son fonctionnement, dotée d'un plancher mobile ménageant le plus souvent une profondeur d'un mètre vingt, celle-ci joue désormais le rôle de bassin d'initiation intermédiaire. Mais les quatre mètres cinquante d'eau sont toujours là et, compte tenu de la nature physique du fluide, il faut bien la chauffer en totalité, quant bien même on ne s'en servirait qu'au quart. On le comprend, toutes les conditions se trouvent réunies à la fois pour exiger une consommation d'énergie maximale, et pour faire en sorte qu'une bonne partie de celle-ci se disperse inutilement et sans remède possible dans l'atmosphère. Ce qui, bien sûr, ne peut que poser un cruel dilemme au bon citoyen, conscient de ses responsabilités devant le monde, et la société.
Car, en venant tous les samedis matins entretenir son capital musculaire, celui-ci ne fait que se conformer aux ordres venus d'en haut, qui lui commandent d'exercer une activité physique régulière tout en ayant par ailleurs soin de consommer sa ration quotidienne de fruits et légumes. Aussi, le voilà prêt à maudire ce jour où, faisant la queue à la caisse derrière les marmots, il prit conscience des déplorables conséquences écologiques de son attitude citoyenne. Certes, il peut toujours se consoler en rappelant que son sport, se pratiquant dans un milieu dense, associe dépense musculaire et faible consommation d'oxygène. Ne s'essoufflant pas, il rejette donc bien moins de CO2 que ces inconscients cumulards du sport du dimanche, à la fois, et sans aucune vergogne, adeptes de la bicyclette et de la course de fond. Il n'empêche : cette mince consolation ne saurait le soulager du poids de sa faute. Alors, n'hésitons plus, et faisons, l'hiver venu, aussi bien que les vertueux scandinaves, ou les fort peu recommandables russes : un trou dans la glace, et tous à l'eau.