La sentence recouvrait depuis si longtemps les murs de l'usine d'Issoire que l'on en vient à s'interroger sur la pertinence de commenter la liquidation judiciaire de Voxan, qui signe la fin du parcours pour le seul constructeur français de motos. Pourtant, ce seul énoncé mérite déjà quelques précisions. Non pas tant à cause de cet ultime recours déposé par un repreneur encore plus hypothétique que tous ceux qui l'on précédé, si nombreux qu'une page de MotoMag.com ne suffit pas à tous les citer, que pour préciser un peu cette qualification de constructeur de motos. Car notre pays, avec un MBK ou un Peugeot qui, comme par un fait exprès, abandonne au même moment le terme de motocycles pour devenir Peugeot Scooters, possède toujours une certaine capacité à produire des motocycles, dont la cylindrée, quand bien-même leur motorisation serait italienne, atteint les 500 cm³. On connaît aussi, avec Scorpa ou Sherco, des spécialistes dont, d'ailleurs, le parcours industriel n'est pas exempt d'embûches. Filiale de Yamaha, MBK fabrique par ailleurs des produits pour la maison-mère, comme la XT660. Il ne suffit pourtant pas qu'une définition administrative vous range dans la catégorie des motocycles, et pas même dans celle des MTT qui englobe les plus de 125 cm³, pour transformer un ordinaire scooter, ou une élitiste moto de trial, en cet engin unique et incomparable qui, sans risquer de perdre la face, permet seul à son propriétaire d'écumer les Joe's Bars de l'hexagone. De nos jours, une moto se doit de développer une cylindrée au moins égale à 500 cm³, de correspondre à un nombre limité de canons esthétiques, de posséder une histoire, et d'offrir quelque chose que les autres n'ont pas. Voxan n'a pas vécu assez longtemps pour satisfaire à ces deux dernières conditions.

Cela n'a au demeurant rien de bien étonnant. Car une des caractéristiques singulière de ce pays tient au fait que, au moins depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, il n'a jamais possédé de constructeurs de motos. Évidemment, une telle affirmation ne peut que scandaliser ces amateurs de petites vieilles qui se consacrent sans compter à restaurer les engins les plus rares. Pourtant, un regard plus neutre permet de dresser un bilan réaliste : essentiellement composée de dérivés de produits d'avant-guerre et limitée à des machines utilitaires dont la cylindrée ne dépassait pas 350 cm³, la production nationale disparaîtra totalement, et en très peu de temps, au début des années 1960. La seule grosse cylindrée alors commercialisée, par Ratier, historique fabricant d'hélices aéronautiques, était propulsée grâce au stock de moteurs BMW abandonnés en France à la fin de l'occupation par les autorités allemandes : on a connu plus novateur comme démarche industrielle. Le fort développement du cyclomoteur permit par ailleurs aux survivants, Motobécane et Peugeot, de maintenir une production de deux-roues motorisés d'une ampleur considérable, puisque les ventes annuelles dépassèrent le million d'unités. Mais la moto française était morte, et les tentatives de résurrection qui se succédèrent assez régulièrement après le redémarrage du marché en 1970, la 350 Motobécane, copiant à son tour les trois cylindres deux-temps japonais, l'ésotérique BFG et son moteur Citroën, relevèrent de l'illusion. En général, entretenir l'illusion coûte cher, et ne mène nulle part.

Voxan, avant d'allonger la liste des échecs, représenta, parmi toutes ces tentatives, le projet le plus solide, le plus pertinent, et le plus durable. Il n'est, alors, finalement pas si déplacé de s'intéresser aux causes de son échec. Ayant appris des erreurs de BFG, les fondateurs de l'entreprise avaient bien compris que, pour construire une vraie moto, il leur faudrait à la fois développer une partie cycle originale, et fabriquer un moteur de moto. Le choix du bicylindre en V, architecture à la fois emblématique de l'univers motard, et bien moins complexe que les quatre cylindres japonais ou bavarois, s'imposait. Mais ce choix, d'autres, en Italie, les Ducati, Moto Guzzi, Aprilia ou Moto Morini, qui renaîtra de cendres à peine éteintes en 1999, l'avaient fait parfois des décennies plus tôt, et Voxan se trouvait donc contraint de concurrencer, avec une machine du même type, des marques autrement plus prestigieuses et bien mieux implantées. Dès lors, les arguments du constructeur français, un cadre original, une stricte adhésion à des normes esthétiques peu courantes, telles le scrambler ou le café racer, et, plus encore, sa nationalité qui faisait de l'acquisition d'une Voxan un geste patriotique, échouèrent à entraîner l'adhésion des foules, et l'histoire de l'entreprise, qui livra ses premiers café racer en mai 2000, ne sera plus qu'un long calvaire, puisque la société déposa son bilan pour la première fois en octobre 2001.
Voilà sans doute la principale leçon à retenir de l'affaire : Voxan montre comment, à coup de promesses, de subventions, de dévouement et d'illusions, on peut maintenir en vie une industrie en coma dépassé pendant près d'une décennie, et combien, de façon stérile, on brûle ainsi du capital. Difficile de ne pas comparer cet échec à l'éclatant succès de Triumph, l'historique marque britannique relancée sur le marché en 1991 après dix ans d'interruption, par un investisseur qui, à la fois, apportera les capitaux nécessaires à une entreprise qui ne deviendra rentable que dix ans plus tard, et saura rationaliser une production appuyée sur une architecture moteur trois cylindres que la marque est à peu près seule à commercialiser. Pourtant, il existe en France une histoire industrielle comparable à celle de Triumph, celle d'un ancien et prestigieux fabricant de motocyclettes dont le nom était tombé en déshérence pendant les années noires de la décennie 1960 mais qui a su, a partir des années 1980 et grâce à un produit nouveau, reconquérir des parts de marché et assurer sa pérennité commerciale et financière : Peugeot Scooters. Mais de Voxan, il ne restera bientôt qu'une usine vide, un club d'utilisateurs qui vivra encore de longues années, une initiative maladroite qui n'aurait sans doute jamais dû voir le jour, et la cible des sarcasmes de petits malins qui, indubitablement, connaissent le milieu, et en ont entre les jambes.