On militerait volontiers pour une reconnaissance officielle de l'intérêt public des blogs, quels qu'ils soient, tant il devient de plus en plus inévitable de compter sur eux, donc en priorité sur soi-même, pour faire à sa place la travail que la presse juge inutile de faire. La récente clôture du débat déjà oublié consacré à la politique énergétique offre ainsi l'occasion d'une petite note qui illustrera à quoi, aujourd'hui encore, peuvent bien servir les blogs. Cette laborieuse négociation, comme le rappelle le site web qui lui est consacré, devait suivre une feuille de route simple, et classique : chercher comment réduire les émissions de gaz à effet de serre et la dépendance énergétique, améliorer la compétitivité et créer des emplois, et, enfin, maîtriser le prix de l'énergie. Et si l'AFP analyse bien en ces termes les résultats de la concertation, et les oppositions irréductibles que, sans surprise, elle met au jour, personne pour rappeler, comme d'autres l'ont fait depuis longtemps que, compte tenu de la situation si particulière de la France, le meilleur moyen de remplir ces objectifs consiste à poursuivre telle quelle la politique inaugurée dans les années 1970. On notera au passage que, dans l'après 1973, la sécurité d'approvisionnement compta au nombre des raisons qui conduisirent au choix de l'électronucléaire, et que, avec des sources d'énergies à la production imprévisible, cette sécurité serait nécessairement dégradée puisque, avec elles, augmentera la dépendance aux combustibles fossiles importés.
Pour confirmer cette évidence, une publication du Ministère suffit. Ce document, simple, détaillé, bien illustré même si ses concepteurs n'ont pas appris à reproduire correctement une carte, montre en particulier à quel point l'objet essentiel du débat, la génération de dioxyde de carbone par les centrales électriques, a chuté en France à partir de 1980. Le web fournit par ailleurs, comme par exemple avec le site de l'EIA, des statistiques précises sur le facteur qui compte, les émissions par habitant. Avec 5,733 tonnes par tête en 2011, la France fait ainsi, à égalité avec la Suède, seulement dépassée par la Suisse, partie du trio des plus économes parmi les pays européens les plus développés. Par charité, on taira le bilan désastreux de l'Allemagne, avec ses centrales au lignite : mais même le vertueux Danemark et ses champs éoliens, démontrant par l'absurde à quel point ceux-ci ne résolvent rien, fait, avec 8,439 tonnes, très nettement moins bien. Mais établir la géographie d'un gaz qui ignore les frontières et colonise la haute atmosphère implique d'utiliser une échelle plus large, et de tenir compte de la chronologie. En 1990, un Français émettait 6,312 tonnes de dioxyde de carbone, un Chinois 1,896 ; aujourd'hui, ils génèrent respectivement 5,733 tonnes, et 6,520, et rien pour l'instant ne contredit la tendance. Alors, à moins d'atomiser la Chine en recouvrant son territoire de centrales électronucléaires, ce débat national reste purement futile, puisque tout ce qui serait gagné dans un des pays les plus exemplaires du monde développé en matière d’émissions de GES sera de toute façon dépensé par des passagers clandestins vingt fois plus nombreux, dont le nombre croît à mesure du développement de l'Asie, et maintenant de l'Afrique, et qui disposent de l'avantage supplémentaire de ne s'être engagés à rien.

Transformer la solution en problème et récuser les bonnes manières de poser celui-ci vide donc le débat de tout contenu factuel : en conséquence, seul compte son importance symbolique, qui en fait un parfait exemple de la politique publique en action telle qu’elle s'exerce aujourd’hui ou, plus précisément, de la performance scénique ennuyeuse et convenue à laquelle celle-ci se limite désormais, et de la façon dont en rend compte la presse grand public.
Côté politique, on retrouve sans surprise les deux dimensions auxquelles se réduit désormais l'action de l’État, le catalogue, et le plan. Le catalogue, obligatoirement long et diversifié, où l'on entremêlera avec élégance mesures utiles mais pas financées, comme la rénovation des bâtiments, et mécanismes routiniers, qui prévoient des sacrifices supplémentaires au totem éolien, le plan, qui explose tout les délais connus puisque l'avenir avec lequel il prend rendez-vous n'arrivera pas avant 2050. Quant à la presse, pour qui, au fond, tout cela était organisé, elle reprendra, unanime et fidèle au camp qu'elle a choisi depuis longtemps, la stigmatisation du grand méchant MEDEF. Ici, on se doit de signaler la magnifique performance du porte-parole de France Nature Environnement, interrogé sur France 3 par un comparse qui, bizarrement, se présentait pourtant comme journaliste. On passera sur l'assimilation entre modes de production intermittents et centrales électriques classiques, coup habituel qui élimine la question du facteur de charge, pour retenir la façon dont le porte-parole balaye l'argument patronal, la perte de compétitivité induite par la hausse des prix de l'électricité, en prenant l’exemple de l'industrie allemande, supposée supporter sans broncher des coûts bien supérieurs. Sauf que l'industrie allemande ne profite pas seulement, comme la française, de tarifs préférentiels ; elle a droit à une foule d'exonérations, dans ce pays où le consentement des gros consommateurs industriels a été acheté par des mesures qui pèsent sur la population. Alors, si vous cherchez un beau parleur capable de mentir comme un chirurgien esthétique avec l’aplomb d'un ministre du Budget s'exprimant devant l'Assemblée, France Nature Environnement a ce qu'il vous faut.
En fait, l'enseignement de ces mois de procédures tient tout entier dans la radicalisation de l'affrontement entre ceux qui veulent à tout prix leur musée vivant recouvrant l'ensemble du territoire national, et ceux qui cherchent encore à préserver les quelques investissements qui, pour leur malheur, s'y trouvent toujours. Aussi, alors que certains, comme l'INRA, ont lâchement cédé face à la pression de l'action illégale, et définitivement renoncé, il faut saluer la résistance du MEDEF. Voilà le syndicat patronal, gardien de ses seuls intérêts et plutôt amateur de compromis discrets, contraint, face à la défaillance de l’État, de monter en première ligne. Face au radicalisme des entreprises de morale qui ne sauraient accepter le moindre compromis, il fallait bien que, un jour, se dresse un acteur de la société civile : il est plutôt surprenant, et passablement ironique, de voir le MEDEF endosser ce costume, et devenir, en quelque sorte, le dernier défenseur de l'intérêt général.