Pour une fois, l'intérêt de l'article se situe dans ses commentaires, même si la manière dont Éric Mettout, directeur adjoint de la rédaction de l'Express justifie la baisse de la limitation de vitesse sur le périphérique parisien et, plus encore, l'adversaire contre lequel il la justifie, méritent qu'on s'y arrête un moment.
Adoptant la rhétorique de ceux qui affirment n'avoir absolument rien contre, puisque, d'ailleurs, ils en sont, mais malgré tout, le journaliste reproche à la FFMC son opposition systématique à tout ce que l’État produit en matière de sécurité routière, prenant en exemple les effets qu'il juge déjà acquis de cette diminution de 10 km/h de la vitesse autorisée sur le boulevard le plus fréquenté du pays. Alors, certes, on peut légitimer douter que cette mesure ait la moindre influence en matière de sécurité : voie de type autoroutier, sans carrefour et à sens unique, le périphérique connaît déjà, par rapport à son trafic, une accidentalité très faible. De plus, le bilan 2010 de la Préfecture, dernier à comporter ce genre de détail, montrait que les usagers vulnérables, les motocyclistes, y représentaient 85 % des blessés hospitalisés. Diminuer significativement ce dernier facteur en baissant la seule limitation de vitesse imposerait de la porter, par exemple, à 30 km/h.

Mais développer une critique de cet ordre impliquerait de prendre l'article de l'Express pour ce qu'il n'est pas, une analyse rationnelle et argumentée d'une situation précise. Or, en fait, on a affaire ici à un billet d'humeur, ainsi que l'on qualifie les propos de comptoir lorsque leurs auteurs sont payés pour les tenir et, dans le genre, il s'agit d'un assez grand moment. Il adopte ainsi un style aussi familier que révélateur, celui que les gens vraiment cool prennent pour se mettre à la portée d'un public aux capacités intellectuelles limitées, celui, aussi, où se lit la conscience aigüe qu'a son auteur d'une distance sociale aussi évidente qu'irrémédiable. Le style donne le ton, celui de la leçon que les lettrés consentent, quand ils sont de bonne humeur, à administrer aux ignorants. Quant au contenu, il révèle deux éléments tout autant caractéristiques, l'ethnocentrisme, et l'hétéronomie.
Car on le devine assez vite, contrairement à ses affirmations, l'auteur ne parle pas en motard, mais en automobiliste : de son point de vue dominant, il peut donc fustiger ces motards qui ne se plient pas aux obligations imposées aux autres, le contrôle technique en particulier. Journaliste, il suit par ailleurs, quand il parle de sécurité routière, de même que ses confrères et ainsi que Dominique Marchetti l'a montré, la ligne de la plus stricte hétéronomie, reprenant mot à mot les arguments et justifications de la politique publique, sans se permettre la plus mince critique, sans émettre le moindre doute puisque, bien sûr, là comme ailleurs, les politiques qui la fabriquent n'ont d'autre objectif que le bien public.

Mettant ainsi le pied dans un nid de militants plutôt déterminés et souvent fort compétents, à l'image de Marco, qui ne signe pas le droit de réponse de la FFMC, mais que l'on peut reconnaître à son rituel et républicain salut et fraternité, il se trouve vite ramené à son ignorance d'un problème que son attitude méprisante ne suffit pas à masquer. Aussi contre-attaque-t-il en puisant dans le répertoire le plus mécanique, stigmatisant l'argumentaire de la FFMC en lui accolant un gros mot, complotiste. On ne reviendra pas sur cette notion, déjà analysée ailleurs. Mais brandir pour la réfuter la théorie du complot, ce pur artefact journalistique, revient à affirmer que les politiques n'ont pas, comme disent les politistes, d'hidden agenda, ce programme clandestin par lequel ils parviennent, au bout d'un certain nombre d'itérations, à imposer un état de fait qui, brutalement présenté tel quel dès le départ, aurait sans doute suscité de vives réactions dans la population. Et c'est aussi une manière d'affirmer que le journalisme politique ordinaire, avec ses connivences, ses petits secrets partagés, ses révélations planifiées, constitue une activité nécessaire et suffisante à la manifestation de toute la vérité. Or, en l'espèce, la politique restrictive de la municipalité parisienne que la FFMC, en reprenant un de ses termes favoris, qualifie de motophobe, n'a plus rien de secret puisqu'elle s'expose, justifications incluses, dans ce plan de déplacements municipal que le rédacteur de l'Express n'a visiblement pas lu.
Mais l'argument de l'affrontement se situe ailleurs, lorsque Marco récuse le paternalisme de son adversaire, sa façon méprisante de s'adresser à ces excités bas du plafond aux capacités mentales tout juste suffisantes pour leur permettre de manipuler leur poignée de gaz. Sa manière de juger ceux dont il prétend partager le destin, son recours aux pires stéréotypes de la bonne conscience effrayée par les hordes pétaradantes en dit long sur sa conception de son métier, de son rôle, de l'univers social qui est le sien et de son attitude à l'égard de ceux qui n'en font pas partie. La FFMC n'existe pas pour défendre des intérêts corporatistes, mais pour revendiquer que les motards soient traités en adultes, et à égalité de droits avec les autres usagers vulnérables, et manifester contre ces préjugés essentialistes dont le billet du journaliste de l'Express fournit une liste à peu près complète. Alors, Parisiennes et Parisiens, de Rivoli et d'ailleurs, le 1er février, après dix-huit mois d'absence, la FFMC revient dans la rue. Enfin.