je me suis senti menacé, j'ai fauché
La façon dont, prenant appui sur leur faiblesse même, un groupe extrêmement réduit d'activistes totalement déterminés a réussi, par une argumentation extraordinairement simpliste, à imposer à l'ensemble du corps social son analyse de réalités techniques fortement complexes et qui, sans leur intervention, n'auraient pas franchi le cercle des experts, forme un des spectacles les plus fascinants qui soient aujourd'hui donnés à l'observateur. En prononçant la relaxe des faucheurs du maïs Monsanto, le tribunal correctionnel d'Orléans, faisant ainsi droit à leur argument fondé sur l'état de nécessité, ajoute donc la justice de première instance à la liste des convaincus.
L'intérêt, bien sûr, est à peine juridique, ce saut quantique de la notion très peu usitée et très étroitement délimitée d'état de nécessité ayant toutes les chances de se trouver invalidé en appel, mais sociologique, dans cette barrière socialement construite par laquelle les activistes séparent le bon grain naturel de l'ivraie génétiquement modifiée, comme ce dirigeant de la Confédération Paysanne qui se prononçait contre "l'artificialité dans l'agriculture".
Cette position, de la part d'un paysan, paraît fort courageuse mais un peu suicidaire, puisqu'elle contredit la notion même d'agriculture, laquelle est par définition exclusivement artificielle. Ainsi en est-il en particulier du maïs, une plante qui n'existe pas dans la nature et dont le secret des origines génétiques s'est perdu avec la destruction des civilisations pré-colombiennes. On comprend mal, alors, de quelle contamination, pour reprendre le terme, si lourd de sens et si pertinemment sélectionné, des activistes, la nature pourrait bien se trouver ici victime. Les faucheurs visent en fait, en traçant cette limite entre les manipulations génétiques autorisées, par sélections et hybridations, et celles qui sont interdites, à coups de pipette, à prendre le contrôle du lieu stratégique, la frontière, à faire avaliser, au besoin par la justice, comme seules légitimes leurs propres pratiques agricoles, et à décider, en détruisant les essais en plein champ, de retarder, pour le temps qu'il leur plaira et qui a toutes les chances de ne jamais prendre fin, l'apparition du grain maudit dans l'espace public.
Commentaires
Je viens de chez Eolas... J'adôôôre votre titre!
très juste, tout cela, très juste...
On pourra simplement objecter qu'il est sans doute aussi simpliste d'opposer les "pratiques génétiques autorisées [...] sélections et hybridations" et les "pipettes" de l'autre.
Car quand la pipette est maniée par un Monsanto ou un consort, qui lui associe d'un côté la puissance financière (qui permet de faire à peu près n'importe quoi) et de l'autre l'obligation de maximiser le retour sur investissement (pour les bénéfices de ses actionnaires), j'avoue que j'ai du mal à me persuader que ces manipulations génétiques ne sont après tout que la version moderne de ce que faisaient les paysans dans leur champs.
Tiens, pour rester dans l'agriculture, prenons le tabac : ca a commencé gentiment dans des champs, et ca finit quelques siècles plus tard avec Philip Morris qui ajoute plus de 4000 produits chimiques différents dans le produit des récoltes (il y a 50 ans, ils disaient encore que c'était pour "améliorer le produit", "pour le bien du consommateur")
Alors, pour une fois qu'on se donne un délai supplémentaire avant de peut-être faire une connerie, on va pas non plus se plaindre, non ?