C'est à la profondeur des racines du marronnier que l'on reconnaît un blog mûr ; et, puisque l'auteur de celui-ci doit bien confesser mener, à temps tout à fait partiel, une existence étudiante extrêmement attardée, il lui faut bien évoquer l'événement récurrent en cours, de plus en plus fréquent et de moins en moins prévisible, la grève. Toutefois, celle qui a débuté voici près d'un mois collectionne les singularités. Étant menée par les universitaires eux-mêmes, elle possède comme première vertu de ne pas mécontenter Eolas puisque, ici, on a bel et bien affaire à un arrêt de travail d'une catégorie professionnelle, lequel arrêt, à Paris 8 du moins, a été décidé en plein intersemestre, période où l'on peut encore moins qu'à l'accoutumée compter sur les étudiants puisque, faute de cours, ils ne sont pas là. Un geste, en somme, gratuit, donc d'autant plus méritoire. On comprend alors que, pour peu que l'on trouve ennuyeux de participer à des manifestations qui se déroulent à pied, et inconvenant d'organiser celles-ci au coeur de l'hiver, cette grève-là paraisse singulièrement inconsistante : nul besoin de bloquer quoi que ce soit, et d'empêcher qui que ce soit d'accéder aux salles de cours, puisque la retenue se pratique à la source, et directement par les enseignants. Faute de chaises mobilisées, et d'étudiants pour les empiler, les locaux, de l'UFR en particulier, sont presque déserts. Le service minimum du programme de remplacement semble bien mal assuré, la salle réquisitionnée pour l'occasion restant vide, avec ses tables garnies de copies de textes tous accessibles sur le Net. Dans l'amphi du rez-de-chaussée, un semblant d'AG regroupe une cinquantaine de personnes, et aucune tête connue à l'exception de l'ATER autrichien, en train de parfaire sa culture des moeurs locales, et, assise au premier rang, de la vieille militante LCR qui ne se pardonnerait jamais d'en avoir raté une seule. Quant au programme lui-même, il ne fait que confirmer la percutante analyse d'Aymeric.

Plus que jamais, tout se déroule ailleurs. En l'espèce, le conflit ne présente d'autre originalité que, la pression de la rue y étant secondaire, le destin du décret en cause ait été scellé lorsque les présidents d'université, ceux au profit desquels la réforme avait été conçue, ont pris leur distances, rejoignant alors, bien qu'un peu tard, les rangs, et reconstituant la communauté. Reste quand même une question : pourquoi maintenant ? On l'a dit, la période, hivernale et d'intersemestre, semble bien mal choisie, alors même que l'objet de la discorde, la LRU, a été voté voilà plus d'un an, et qu'il paraît bien inapproprié d'invoquer, comme Gizmo, la torpeur estivale pour justifier l'absence de réaction des enseignants, puisque l'on sait fort bien que c'est toujours ainsi que les choses importantes se passent. Sans doute l'échec d'une contestation des étudiants qui fut d'autant moins virulente que, au fond, la LRU ne les concerne guère, et que le terrain avait été au préalable déminé auprès de leurs organisations explique-t-elle que, faute de petits soldats, il ait bien fallu que les universitaires montent en première ligne pour défendre leurs intérêts, ce qu'ils ont fait à la parution du décret. Mais sans doute aussi, comme dans bien des actions collectives, faut-il prendre en compte un fait générateur, de ces opérations à portée symbolique qui crystallisent des tensions latentes, et permettent à des acteurs qui ont bien peu en commun, à l'exception d'un cadre règlementaire largement partagé, de s'unir contre un ennemi commun. Ici, le détonateur, c'est le discours présidentiel du 22 janvier.

Incapable de résister à la jouissance qu'éprouve le chef de bande devenu prince, ce qui, désormais, lui offre le privilège de faire la leçon aux notables, le populiste berlusconien multiplie, ainsi, les séances d'humiliation publiques. Nombreux sont ceux qui ont décompté ses cibles, banquiers, patrons, magistrats. A priori, seul Hady Ba a proposé un parallèle avec un discours bien antérieur, prononcé à Dakar là aussi devant des universitaires, et dont le contenu ahurissant avait, alors, provoqué bien peu de réactions dans nos contrées septentrionales. À ces certitudes méprisantes, il n'est rien d'autre à opposer qu'une réalité qui s'exprime en des termes qu'il est en mesure de comprendre. Cette Afrique sub-saharienne incapable de sortir de sa séculaire et misérable routine suscite de plus en plus l'intérêt des investisseurs, et la convoitise de la Chine. Avec l'Afrique du Sud, elle dispose d'une tête de pont bien ancrée dans le monde moderne, et appréciée des gestionnaires de fonds. Le Burkina, aujourd'hui premier producteur de coton africain, est passé devant l'Égypte, avec sa célèbre fibre chère au vieux motard. Il risque, il est vrai, de perdre l'estime du monde civilisé : jusque là contraint au bio faute d'intrants, il s'est, pour faire face à la pression de son principal concurrent, les subventions aux cotonniers américain, converti au transgénique.
Mais d'un regard superficiel lancé sur le monde universitaire français, on retire l'impression que la seule stratégie d'adaptation interne universellement mise en oeuvre dans les années récentes a consisté à maintenir constant le volume d'activité, en attirant par la gratuité des formations des étudiants du monde entier qui venaient compenser le déficit démographique national. Sur le long terme, on s'en sort pas comme ça.