Sans la vigilance de l'indispensable @niceorimmorally, on n'aurait vraisemblablement rien su du décès de Philippe Pascal. L'histoire commence, il est vrai, voilà bien longtemps, après la déflagration punk, dans la voie ouverte par les Pistols, celle d'une destruction extraordinairement créatrice. Déchirant les boursouflures des mégalomanes grotesques qui envahissaient alors les ondes et les scènes, en Allemagne, en Belgique, en France, dans toute l'Europe, des dizaines de jeunes gens ont monté des groupes pour produire des choses neuves, et modernes. Très jeunes, très beaux, très chics, très froids, très sombres, un peu naïfs, un peu grandiloquents, les membres de Marquis de Sade se sont lancés dans une aventure qui, pour eux comme pour tant d'autres, n'a duré que quelques années. Après la séparation, Philippe Pascal a poursuivi sa route avec Marc Seberg, un peu plus de légèreté, et le paradoxal optimisme de cette époque intense que l'on appelle les années 1980.

Assombrie par la progression du SIDA, marquée par ce chômage des moins de vingt-six ans qui, en très peu d'années, avait atteint un niveau inédit et gagné sa place parmi les douloureux problèmes que, l'air grave, le front plissé, l’État se doit de résoudre, en l'espèce par l'invention du traitement social du chômage des jeunes, lequel traitement se poursuit de nos jours, la période n'avait rien de ce paradis d’insouciance qu'une certaine légende rose, et une mémoire parfois intéressée et de plus en plus défaillante, tend à présenter aujourd’hui. Sans doute en partie à cause de cela, parce qu'elle arrivait dans un monde un peu désemparé, tout juste après la fin des Trente glorieuses, parce qu'elle coïncidait aussi avec des progrès décisifs dans l'univers informatique, elle reste malgré tout comme un immense moment d'expérimentation, lorsque tous ceux que la création intéressaient, du petit banlieusard à l'architecte installé, ont fabriqué quelque chose de radicalement neuf, avec, pour les plus fortunés, l'aide de machines nouvelles, et véritablement héroïques. Alors, les britanniques de Quantel ont produit le Mirage, cet engin qui coûtait des sommes astronomiques, dont l'électronique occupait une armoire entière, et qui ne servait qu'à manipuler une unique image vidéo. Une image, et pas deux, ce qui explique que, pour simuler l’élément manquant, on se soit contenté d'une représentation en fil de fer.

À peu près tout ce qui a cours aujourd'hui en matière de numérique a été inventé alors : depuis, on a juste amélioré les outils, et rendu dérisoirement simple, et accessible à tous, ce qui exigeait autrefois des jours de calcul. Tout cela, à la fin, avec le milieu des années 1990, le retour des hippies, l'envahissement de moins en moins résistible des bonnes sœurs et des donneurs de leçons, a progressivement disparu, fondu dans la banalité, et la facilité. Peut-être par regret d'avoir trop tôt arrêté et manqué quelque chose, Philippe Pascal et Frank Darcel avaient ressuscité Marquis de Sade. Comparons ce titre d'un sympathique duo electro-pop d'aujourd'hui, et ce morceau bien plus ancien d'une formation du même genre, et posons la question : en trente-cinq ans, quoi de neuf ?