Le temps faisant, lentement, mais inexorablement, son œuvre, arrive le moment où l'évidence s'impose : on ne sera pas éternellement en mesure de grimper ses cinq étages d'un pas léger. Il faut donc se résoudre à déménager vers des cieux plus cléments, et avec ascenseur, quitter ce vieil appartement acquis voilà fort, fort longtemps, et le mettre en vente. Mais on a dépassé la triste époque où un sordide marchand de biens vous fourguait un truc grossièrement rafraîchi de quelques coups de pinceau, et pourtant quasi inhabitable. Aujourd'hui, l’État-cerbère monte la garde et impose de réaliser une foultitude de contrôles avant d'avoir le droit de mettre son bien sur le marché. Le plus connu, le plus redouté, le diagnostic de performance énergétique alias DPE va estimer la consommation en énergie du logement et les émissions de gaz à effet de serre qui en découlent, avant de vous donner une note. Or, il se trouve que l'on dispose, grâce à un compteur Linky, de vingt-quatre mois d'un historique exact de la consommation de la seule énergie employée, l'électricité. De façon remarquablement régulière celle-ci s'élève à 100 kWh par m² et par an, ce qui garantit une bonne note, un B voire, au pire, un C. On attend donc sans grosse inquiétude le verdict. Et là, c'est le drame.
Le certificateur retient une consommation de 427 kWh/m²/an. À 1,4 % près, vous voilà pourvu de la pire note, un G, et relégué dans la catégorie infamante de ces passoires thermiques qu'une presse hétéronome stigmatise à coup de reportages dramatiques, de murs suintants d'humidité, de moisissures incontrôlables et de fenêtres vermoulues.

On veut bien prendre cet écart énorme entre la consommation constatée et le chiffre généré par le logiciel du diagnostiqueur comme un brevet de sobriété, mais quand même, au-delà des petites négligences de l'homme de l'art, qui jouent, mais à la marge, comment l'expliquer ? Une note récente du Conseil d'Analyse Économique, qui s'intéresse précisément à ce sujet, a suscité un certain intérêt. Elle s'appuie pourtant sur des données dépourvues de représentativité, issues du fichier clients d'une unique banque mutualiste, et procède à une répartition bizarre des logements, puisque deux tiers de l'échantillon observé se retrouvent rangés dans une seule classe. Malgré tout, l'étude constate à quel point le DPE, qui sous-estime la consommation énergétique des logements les plus sobres, et surestime de façon impressionnante celle des plus mal notés, n'entretient qu'un lointain rapport avec la réalité.

Comprendre une telle distorsion implique une connaissance fine de la méthodologie employée, laquelle n'est pas accessible au profane. On se contentera de discuter une seule notion, fondamentale, l'énergie primaire. L'électricité étant nécessairement produite à partir d'une autre énergie, du charbon ou du gaz par exemple, on considère qu'il est bien moins efficient de se chauffer à l'électricité qu'avec une énergie dite primaire. Le DPE pénalise donc cet usage, en lui affectant un coefficient multiplicateur de 2,3. Sauf que dans un pays à l'électricité décarbonée, une telle notion est vide de sens : l'énergie primaire, ici, c'est la gravité, le vent, le soleil, ou l'uranium. Et sauf à se chauffer aux déchets nucléaires, ces sources ne sont utilisables qu'une fois converties en électricité. Pourquoi donc maintenir cette fiction ? Parce que le DPE est bifide : d'un côté, il note la consommation énergétique, de l'autre, la production de gaz à effet de serre. Avec une électricité décarbonée, un logement dit tout électrique sera nécessairement bien classé selon le second critère. Il faut donc trouver un moyen de dégrader le premier. Car telle est la fonction du DPE : faire en sorte qu'au moins une des deux notes soit mauvaise, de façon à contraindre le propriétaire d'un logement ancien à le rénover.
En l'espèce, quelles sont les améliorations suggérées ? Refaire l'isolation, et installer une pompe à chaleur. Une pompe à chaleur, au dernier étage d'un immeuble datant des années 1930. Sans balcon ni terrasse, évidemment. Le diagnostiqueur estime l'investissement total à 20 000 euros. Supposons, ce qui paraît déjà bien optimiste, que ces travaux permettent d'économiser 200 euros par an : sans même se préoccuper d'actualisation ou de dépréciation des équipements, rentabiliser un tel investissement prendrait un siècle.

Voilà dix ans, deux spécialistes de l'Atelier parisien d'urbanisme on conduit en terrain neutre, la Belgique, une remarquable étude qui analyse très précisément les options de rénovation du bâti bruxellois ancien. Les connaisseurs savent que celui-ci est souvent constitué d'une formation spécifique, la rue composée de maisons familiales mitoyennes, étroites, hautes de deux ou trois étages et donnant sur un petit jardin. Catalogue de pratiques pas forcément bonnes, le rapport détaille les mauvaises manières de rénover un logement, expose les conséquences d'une isolation posée en ignorant les contraintes d'un bâti ancien qui risque fortement d'en souffrir, et insiste pour maintenir une durée d'amortissement raisonnable des investissements : "Le niveau d’exigence énergétique porté sur la rénovation doit être a minima la recherche d’un optimum économique et non celui du meilleur niveau de performance." En résumé, il plaide pour le pragmatisme.

La voix de la raison, en somme. Autant dire qu'elle n'a aucune chance de perturber le mode de raisonnement qui a conduit à faire du DPE, outil d'abord purement indicatif, puis contraignant, puis imposant aux propriétaires-bailleurs une mise aux normes de leur logement faute de quoi ils n'auront plus le droit de le louer, une arme qui se retourne aujourd'hui contre ses concepteurs. Il est de bonne logique technocratique de chercher à atteindre une cible tout en affirmant en viser une autre, en considérant les individus placés dans la ligne de mire comme absolument passifs, et incapables de mettre en œuvre une stratégie leur permettant d'éviter la flèche. Or, plutôt que de consentir à des investissements coûteux à la rentabilité aléatoire, les propriétaires cibles du DPE ont préféré retirer leur logement du marché locatif pour le mettre en vente, ou plus simplement le laisser vide dans l'attente de jours meilleurs. Survenant parallèlement à l'effondrement des mises en chantier, leur réaction a entraîné une contraction du marché de l'immobilier locatif devenue, en peu de mois, insoutenable. La réalité finissant toujours par avoir raison, elle va imposer aux pouvoirs publics une capitulation qui prendra la forme d'une profonde révision des critères du DPE. En attendant, la crise continue et, comme toujours, les plus démunis en sont les principales victimes.