Après cinq ans d'expérimentation, il aura donc fallu en attendre la publication des résultats pour que, fugitivement, dans une colonne du Monde de dimanche dernier, puis par un sujet dans le journal de France 2 du jeudi, la presse consacre quelques instants à Lavia. Développement conjoint du Laboratoire Central des Ponts et de l'INRETS, cet étrange institut de recherche public aux missions pléthoriques mais dont, cas unique, aucun des travaux n'est librement accessible, le dispositif testé vise, en rapportant la vitesse d'un véhicule obtenue via GPS à une base des données des limitations, à restreindre celle-ci au maximum autorisé, soit de manière incitative, en prévenant le conducteur de son excès, soit de façon autoritaire, en contrôlant l'alimentation du moteur. Les satellites ne serviront qu'à assurer le repérage spatial des véhicules ; ceux-ci ne permettront en aucun cas, nous prévient-on en caractères gras, de les surveiller. Il est pourtant facile, derrière cette apparente ouverture, de dévoiler les inéluctables conséquences d'un tel système.

Car si Lavia avait comme objectif d'informer le conducteur des limitations de vitesse, ce ne serait qu'un moyen extrêmement complexe et lourdement onéreux de fournir, avec une fiabilité inférieure puisqu'on voit mal comment il pourrait prendre en compte, par exemple, les limitations provisoires découlant des travaux autoroutiers, exactement la même information que les panneaux de la signalisation routière. De la même façon, on aimerait en savoir plus sur cette schizophrénie qui conduirait un automobiliste décidé à ne pas respecter les limitations à enclencher un dispositif précisément destiné à l'en empêcher. Si, donc, son installation est facultative, seuls s'équiperont ceux qui, par crainte pathologique de l'erreur et de la répression, respectent déjà les limites, et n'ont donc nul besoin qu'on les contraigne à le faire.
Lavia, en d'autres termes, et malgré les dénégations de ses concepteurs, n'a de sens que dans une situation unique : si son installation est obligatoire, et si son usage est contraignant. Ou, autrement dit, s'il impose en permanence à tous les véhicules une vitesse maximale conforme à la réglementation. Si l'on raisonne comme un ingénieur des Ponts, donc à l'abri de toute considération autre que technique, la seule utilité du dispositif pourrait alors être de prévenir la récidive de chauffards déjà condamnés ce qui, en outre, vu leur faible nombre, limiterait pour l'essentiel son coût à sa seule base de données des vitesses limites, ce qui, déjà, n'est sans doute pas rien. Mais utiliser le réseau GPS en service pour, comme avec l'expérimentation qui vient de s'achever, piloter vingt véhicules entre Versailles et la porte de Saint-Cloud ne représente pas exactement la même charge que de surveiller l'ensemble du parc sur la France entière, charge qui nécessitera des équipements spécifiques, lequels n'ayant pas, contrairement au GPS, de caractère commercial, seront financés par la communauté. Alors, malgré les affirmations de ses créateurs auxquels on ne demandera sans doute plus leur avis, la généralisation du système aura une conséquence fatale : à cause de ces échanges de données permanents entre véhicules et satellites, Lavia permettra, à tout moment, de connaître la position de n'importe quel conducteur.

Popularisé grâce au Surveiller et punir de Michel Foucault, le panopticon imaginé par Jeremy Bentham construisait un modèle de prison dans laquelle la surveillance, assurée à partir d'une tour centrale disposant d'un accès visuel à toutes les cellules et dont le prisonnier ne pouvait jamais savoir si elle était occupée ou non, s'exerçait de façon permanente par la seule incertitude dans laquelle se trouvait celui-ci d'être surveillé ou pas. Lavia peut, bien sûr, cacher des intentions innoffensives - imposer, par exemple, un dispositif superflu qui n'aura d'autre utilité que de faire travailler les ingénieurs maison et les fournisseurs du cru. Mais dans le scénario noir, il servira au contrôle permanent de citoyens qui seront coupables du seul fait que d'autres, dont rien ne les distingue a priori, dans une situation identique, l'ont effectivement été.
On commence à comprendre pourquoi Lavia n'intéresse guère la presse : son essence totalitaire le réservant aux régimes autoritaires, son existence dans une démocratie même formelle aura toutes les chances, comme le panopticon, de se limiter à la curisioté de laboratoire. Il n'en reste pas moins que, dans cette situation qui est, pour le moment, la sienne, il offre un aperçu terrifiant de ce qu'est, aujourd'hui encore, l'imaginaire social de l'ingénieur des Ponts, pour lequel il n'existe pas d'autre obstacle au remplacement de l'initiative humaine par la décision de la machine que l'impossibilité technique de réaliser celle-ci, et plus encore de celui des autorités qui, réduisant la complexité des situations d'accident à la seule vitesse excessive, vidant même de son sens la notion d'accident en y plaçant une intentionalité, donc un coupable, et fabriquant à partir de cette fiction un dispositif de contrôle mécanique, universel, et bannissant la vie privée de la voie publique, en viennent à déclarer la guerre des étoiles contre les citoyens.