Dans un geste souverain qui confirme que l'on avait bien affaire à des états généraux, le Président vient donc de clore en séance solennelle, avec comme invités de marque le président de la Commission européenne et un prix Nobel de la Paix tout frais, ces quatre mois de débats consacrés à l'environnement. A l'heure du bilan, l'allégresse, pour peu que l'on néglige les éternels mécontents et les insatisfaits professionnels, est unanime ; on peut y succomber, tant que l'on se contente de ne se payer que de mots. Mais si l'on s'intéresse au bilan des mesures promises, en endossant la défroque haïssable du comptable avec sa manie de raisonner en dépenses et recettes, la situation se révèle un peu moins idyllique.

Ainsi, l'État prévoit de lancer dans les douze ans qui viennent la construction de 2000 km de lignes ferroviaires à grande vitesse, les LGV. Si l'on retient un coût du kilomètre de 20 millions d'euros, plutôt dans le bas de la fourchette des projets en cours, le financement de cette seule mesure coûtera 40 milliards d'euros. Dans un ordre d'idées comparable on peut, sur la base d'un coût du kW raccordé de 8 euros, se demander combien il faudrait débourser pour fournir avec une installation photovoltaïque une puissance équivalente aux 1 650 MW du projet EPR de Flamanville. Les 13 milliards d'euros qui résultent d'un calcul de coin de table délaissent la question cruciale du facteur de charge, la quantité moyenne d'énergie produite, qui dépend de la technologie utilisée et se montre bien meilleur pour le nucléaire. Et le coût prévisionnel de Flamanville 3 n'est que de 3,3 milliards d'euros.
Un autre ligne du bilan s'intéressera aux coûts cachés et effets pervers des décisions prises. Par exemple, on nous promet le bannissement des ampoules à incandescence d'ici 2010. On peut pourtant parier que, compte tenu des avantages économiques propres à cette technologie, celles-ci auront déjà été remplacées, lorsque cela est physiquement possible, par leurs équivalents en basse tension. Mais le volume plus important de ces équipements interdit de les utiliser dans certains types de luminaires : il faudra donc renouveler ceux-ci, et mettre Tolomeo à la ferraille. Et Tolomeo n'est qu'un exemple ; mon réfrigérateur aussi s'illumine avec une ampoule à incandescence, et, si je ne peux plus y recourir, j'aurai le choix entre le noir, et la casse.

Enfin, il faudrait estimer les pertes de recettes induites par ces mesures. Avant Grenelle, entre les fauchages désormais nocturnes et clandestins, et la destruction des expériences de laboratoire, la recherche et les applications du génie génétique se trouvaient déjà fort mal en point. En revenant sur l'autorisation de planter la seule semence transgénique actuellement autorisée, en confirmant donc le choix d'une direction diamétralement opposée à celle que suivent les autres grandes puissances agricoles, l'État fait un pari à haut risque, celui de l'échec commercial de cet immense domaine de recherche qui vient à peine de s'ouvrir. A court terme, on incite donc les acteurs qui, comme Limagrain, s'obstinent à investir dans ce secteur, à aller chercher ailleurs ce qu'on leur interdit de trouver ici. A long terme, on vient peut-être de perdre toute chance de conquérir une position significative dans une technologie qui conditionnera une fraction importante de l'activité économique future.

L'alliance pour l'avenir de la planète entre l'activisme écologiste et la droite, ces deux forces a priori diamétralement opposées, ne paraît contre nature que dans une analyse superficielle. Ce qui les réunit n'est pas la conséquence de cette brutale conversion de la majorité à l'écologie, dont parlent les journaux, et où le nouveau croyant croit d'autant plus fort qu'il doit faire oublier son passé de mécréant. En réalité, avec Grenelle, la réunion de ces deux tendances manifeste leurs affinités intimes, et consacre le grand retour du Plan. On retrouve dans les deux camps la même foi en l'efficacité du dirigisme, la même façon de préférer les contraintes aux incitations, et un mépris identique, caractéristique de la haute fonction publique aussi bien que des laboratoires écologistes, pour ces triviales questions de financement. Le regard levé sur les perspectives futures ne saurait condescendre à prendre en compte le bas du bilan.
Pourtant, un reste d'habileté politique transparaît dans les décisions prises. Parmi les avancées du sommet, on annonce par exemple un grand chantier d'isolation thermique du bâti ancien. Opportunément, on oublie de mentionner les réhabilitations entreprises depuis longtemps dans le parc social, ou les crédits d'impôts accordés depuis trente ans aux propriétaires. À l'époque, il n'était question que de réduire les importations de fioul ; aujourd'hui, de diminuer les émissions de dioxyde de carbone. Étrangement, il s'agit exactement de la même chose. On notera aussi que la mesure la plus spectaculaire et la plus inutile, celle qui aurait si bien conforté le malthusianisme écologiste, la réduction de la vitesse sur route, est passée à la trappe. Je me suis donc trompé. Nicolas Sarkozy est décidément très fort.