Pour un peu, à force de le guetter au mauvais endroit, on l'aurait raté. Voilà en effet quelque jours que le bilan 2008 de la sécurité routière et de l'accidentologie à Paris que la Préfecture de police établit désormais en avril et pour la seconde fois a été rendu public. Dans le but louable de faciliter la tâche du lecteur aussi bien que du téléchargeur, la Préfecture a toutefois changé sa place dans l'arborescence de son site web, et l'a éclaté en six fichiers différents. Il s'agit malgré tout d'un document du plus haut intérêt, dont l'exploitation ne pourra se faire dans le cadre étroit d'un unique billet. Et, cela n'étonnera personne,  on s'intéressera d'abord aux deux-roues, mais, pour changer, à tous les deux-roues, propulsion animale comprise. C'est qu'on n'a guère le choix.
Car il faut bien avoir en tête les obstacles que l'on rencontre en cherchant à produire une analyse un tant soit peu sociologique de données qui, pour l'essentiel, se résument à des tableaux chiffrés pour lesquels, au moment de choisir les éléments à publier, la Préfecture a privilégié la lisibilité au détriment de la pertinence. Or, bien en amont, l'information initiale, celle que les services de police recueillent plus ou moins bien en remplissant les fiches obligatoirement renseignées pour chaque accident corporel sera, nécessairement, infiniment plus précise, bien plus abondante, et comprendra ces données cruciales, âge, sexe, profession, qui disparaissent dans le bilan préfectoral. Il s'agira donc, dans la mesure du possible, à partir de ce qu'on nous présente, d'en retrouver des bribes. C'est que, en fait, quelques-unes de ces données sont toujours là : mais, éclatées en tableaux distincts, regroupées en catégories souvent contestables qui, notamment, mélangent quatre types de véhicules différents sous un même qualificatif de "deux-roues", elles nécessiteront un important travail de reconstitution grâce auquel, derrière ce dont on dispose, on se représentera ce qui nous fait défaut. Essayons.

Pour simplifier, il ne sera ici question que d'accidents mortels ; avec 51 tués, on retrouve, après le bilan exceptionnellement favorable de 2007 où l'on en avait dénombré 37, une tendance de fond globalement stable depuis 2003, année où 54 morts ont été comptabilisés. En d'autres termes, et au passage, on cherchera en vain une amélioration significative de l'accidentalité depuis l'élection à la Mairie de Bertrand Delanoë, le nombre de blessés hospitalisés plus de 24 heures, soit 827 personnes, étant même le plus élevé de la décennie. Ces morts, pour l'essentiel, sont des piétons. De 17 en 2007, on passe en 2008 à 29 tués, soit une hausse, qui reste aussi significative qu'impressionnante, de 70 %. Il n'est pas dit, pour autant, que l'esthète du café-racer soit dans le vrai, en postulant que, par là même, le fanion de la stigmatisation et de la répression passera des motards aux piétons : faute de faire référence au document principal, il se montre sans doute bien trop optimiste
Car pour la Préfecture, les méchants sont toujours là, au même endroit, avec leur moteur, leurs bruits, leurs odeurs et, même, leur verre de trop. En effet, écrit-elle " 8 des 15 usagers de deux-roues motorisés tués étaient sous l'effet de l'alcool ou de stupéfiants ". Seulement, voilà : elle regroupe, dans cette catégorie unique, trois types de véhicules distincts qui correspondent à des populations bien spécifiques. Les cyclomoteurs, utilitaires limités en vitesse et interdits de périphérique, sont employés par des adolescents, des livreurs de pizza, des réparateurs d'ascenseurs, des agents d'entretien et des adultes souvent d'âge mûr, aux faibles revenus et dépourvus de permis de conduire ; le scooter 125 cm³ est devenu la monture de l'automobiliste ayant arbitré comme il convient entre rapidité et sécurité. Les cylindrées supérieures restent, sauf exception, réservées aux motards, les seuls, les vrais, les purs, ceux avec le permis A. On rappellera au passage, que, nulle part en Europe, sauf en Irlande, on ne confond cyclomotoristes et motocyclistes dans les bilans d'accidentalité : la Préfecture, elle, le fait. Or, il se trouve que, dans ses tableaux, elle ouvre une piste qui permet d'en savoir un peu plus sur ceux qui jugent que, d'origine, un deux-roues est bien trop stable, et que l'alcool reste le meilleur moyen de combattre cet inconvénient. L'analyse des facteurs générateurs d'accidents est en effet la seule portion du document où la Préfecture distingue ces différentes catégories. Et chez les cyclomotoristes, l'alcool représente, avec 144 accidents corporels sur 1948, le deuxième facteur par ordre d'importance ; pour les 125, on ne comptabilise plus que 71 cas sur 1710 accidents. Enfin, pour les motards, la fréquence devient suffisamment faible pour ne plus apparaître dans un tableau qui comporte huit facteurs. On ne risque pas grand chose en pariant que, pour l'essentiel, ces huit tués sont des cyclomotoristes avec, peut-être, deux ou trois scooteristes et, sans doute, aucun motard. L'alcoolisme, on le sait, est social : la Préfecture, comme toujours avec l'accidentologie, cette science d'État qui met une boîte à outils de disciplines scientifiques au service de la répression, nie cette dimension essentielle. Et c'est bien malgré elle qu'elle livre ces indices qui permettent de la retrouver.

A contrario, sur ce boulevard périphérique interdit aux cyclomoteurs, on compte un seul tué, contre deux l'année précédente ; sans doute vaudrait-il mieux utiliser ici le chiffre des blessés, un indicateur plus significatif. Mais le fait que, pour toutes les catégories, les données 2008 soient rigoureusement identiques à celles de 2007 laisse suspecter que la Préfecture s'y est légèrement emmêlé les tableaux. Un nombre de tués stable, dont on a vu par ailleurs ce qu'il devait à la confusion que la Préfecture entretient entre cyclomoteurs et motocycles, une quantité de blessés en forte augmentation, mais dont la croissance suit sans doute celle du parc, presque deux fois moins de tués chez les deux-roues motorisés que chez les piétons, et, bien que la pratique connaisse un fort développement, presque deux fois moins qu'en 2006 où l'on en dénombrait 27 : voilà qui devrait calmer les pulsions répressives, d'autant que le texte de la Préfecture, dans une avancée conceptuelle fondamentale, couvre piétons, cyclistes, cyclomotoristes et motocyclistes du même parapluie qualificatif " d'usagers vulnérables " ce qui, malgré l'évidence, n'allait pas de soi. Pourtant, dans la partie répression du bilan, elle annonce la couleur, et détaille le menu : pour les cyclistes, on sera gentil, et l'on se contentera de leur rappeler que " le respect des règles du code de la route constitue la meilleure garantie pour leur intégrité physique ". Pour les motorisés, c'est contrôle, sanction, développement de la verbalisation à la volée et encore plus de travail pour la CJ.
Il semble, selon Moto-Net, que ce programme d'action soit désormais pleinement partagé par la DISR. Sans doute le magazine en ligne a-t-il toujours été à la pointe du combat ; mais s'il a raison, il s'agit là d'une déclaration de guerre. Préparons nos munitions.