En apparence, il ne s'agit que d'un banal ajustement de tarifs publics, au demeurant prévu depuis longtemps, qui, donc, n'a rien pour susciter l'intérêt en dehors du cercle des acteurs qui s'y trouvent directement intéressés, et, de fait, reste inaperçu même du strict censeur des vices publics et des vertus privées. Pourtant, dans ce monde où la corruption des valeurs morales gagne chaque jour un peu de terrain, l'affaire faisait les gros titres des Échos ce mercredi, avant d'être reprise et commentée dans le Monde le lendemain. C'est que sa matière en apparence aride, s'abreuvant à l'inépuisable terreau de la cupidité humaine, jette une lumière violente sur les pratiques douteuses des parangons de vertu de l'économie verte.

Traditionnellement, les débuts d'années sont propices aux changements tarifaires. Comme l'écrivaient les Échos la semaine dernière, celui-là s'est pourtant fait désespérément attendre. Il s'agissait de fixer les tarifs de rachat de l'électricité générée par la filière photovoltaïque. Rappelons que cette technologie n'a jamais eu d'autre objectif que de produire du courant en convertissant des photons en électrons pour le seul usage d'installations isolées, éloignées de tout réseau de distribution. En raison de la propriété annexe selon laquelle cette conversion ne produit ni bruit ni rejets, elle s'est trouvée, en quelque sorte à son corps défendant, recevoir un label de vertu écologique et, par là-même, être promue au rang des solutions nouvelles dans le secteur de la production d'énergie. Or, cette élection s'accompagne d'une considérable subvention publique laquelle, en la matière, est d'autant plus importante que le coût de production du kw/h solaire est hors de prix, en gros dix fois plus élevé que son équivalent nucléaire. Au demeurant, ce n'est pas tant le montant de la subvention qui pose problème, puisque l'on sait à quel point l'État se montre généreux avec l'argent des clients d'EDF, que ses effets pervers. Comme le notent, une fois de plus, les pointilleux comptables de la Commission de Régulation de l'Énergie dont l'État, malheureusement, est contraint de recueillir un avis qui, en l'espèce, se montre particulièrement saignant, la rentabilité d'installations qui ne sont jamais que des placements sans risque, puisque l'État garantit leur revenu, ne connaît aucun équivalent sur le marché, au point de générer de monstrueux effets d'aubaine. Et c'est l'ampleur même de ces effets, la ruée des investisseurs potentiels dans les dernières heures avant la baisse des tarifs garantis, qui va contraindre l'action publique.

La décision rendue le 13 janvier se traduisait bien par la baisse attendue des subventions, même si celle-ci se trouvera fortement modulée, et parfois annulée, en fonction de la catégorie d'installations concernées. Mais elle comprenait, en dernière minute, une décision surprise : faute d'avoir demandé à être raccordés au réseau avant le 11 janvier, tous les projets présentés après le 1er novembre 2009 sont annulés, et se trouvent donc exclus des conditions plus favorables pourtant en vigueur au moment de leur dépôt. C'est que, comme le précisent les Échos, la ruée finale des investisseurs potentiels avant diminution des avantages n'a d'autre rapport avec celle qu'ont connue les concessionnaires automobiles que leur principe identique. De 5 000 dossiers de tarifs préférentiels déposés chaque mois auprès d'EDF, un régime moyen qui paraît déjà énorme, on était passé, en décembre, à 3 000 par jour. Les Échos calculent que, si ces demandes portant sur un prix garanti durant vingt ans avaient été honorées, le surcoût total pour la collectivité aurait atteint 56 milliards d'euros, et conduit à une hausse de 10 % de la facture électrique des abonnés. En annulant ces demandes, et d'un simple jeu d'écritures, l'État recouvre ainsi une somme grossièrement équivalente au double du montant du grand Emprunt avant même que celui-ci ne soit lancé.
Naturellement, cette intervention énergique provoque l'irritation des marchands de soleil et, en première ligne, des agriculteurs. Rompus à l'exercice, ceux-ci s'activent, cherchant à récupérer les subventions perdues, d'autant plus précieuses qu'elles possédaient l'aval bruxellois. Et, pour une fois, grande distribution et monde agricole adoptent une ligne commune. Le Monde relaie ainsi la fureur d'un "propriétaire d'entrepôts et de supermarchés" ayant déposé pas moins de 80 projets d'installations photovoltaïques. L'assemblée des Chambres d'agriculture diffuse, quant à elle, un communiqué indigné dans lequel elle fustige la décision publique, s'insurgeant à la fois contre la baisse des tarifs, et contre une annulation qui vient ruiner les efforts, et les attentes, de ces vertueux agriculteurs qui n'avaient d'autre objectif que de "développer les énergies renouvelables dans leur exploitation". Mais l'État tient bon. Il faut dire que, comme le remarquait la Commission, pour profiter de tarifs plus rémunérateurs lorsque les panneaux photovoltaïques sont posés sur des bâtiments neufs, certains exploitants envisageaient de construire des hangars sans aucune utilité économique. En d'autres termes, le montant des subventions était suffisamment élevé pour justifier d'ériger une construction sans objet productif, seulement destinée à recueillir des photons, et des deniers publics.

L'État, pour une fois, a donc préféré le bien public, et sacrifié le clientélisme : adieu vaches, watts, électrons, silice. Mais la démesure de ces excès, en dehors de confirmer bien des analyses économiques et sociologiques, ne montre pas seulement à quel point la Commission, organe régulateur, joue son rôle : elle vient confirmer au-delà des espérances ces spéculations à peine vieilles d'un an. Plus qu'aucune autre énergie propre, l'économie de la filière photovoltaïque, pour l'heure, et en dépit de son potentiel considérable, relève du pur parasitisme. Que celui-ci prenne trop d'ampleur, et, si on ne l'éradique pas avant, l'arbre meurt. Mais l'intervention publique, d'une certaine façon, se montre dommageable : car en son absence, les consommateurs auraient pu éprouver à domicile, en recevant leur facture d'électricité, le vrai prix de la vertu. Nul doute, dès lors, qu'elle serait devenue bien moins désirable.