On le sait depuis Vauban, l'art de la fortification urbaine ne se conçoit pas sans un catalogue d'ouvrages d'art aux noms paradoxalement poétiques, demi-lune, courtine, contrescarpe. Dans nos cités modernes, on le sait depuis Delanoë, l'envahisseur est banlieusard, invidualiste, et autopropulsé. Et si les petites cités se contentent, si l'on peut dire, de faire preuve d'une inépuisable créativité en matière de ralentisseurs, la capitale, elle, forte des inépuisables capacités financières de ses riches citoyens, a pu recréer un réseau de fortifications aujourd'hui sans équivalent en Europe.

La dernière addition au catalogue étonne par sa simplicité : un simple plot, un petit terre-plein central placé sur un carrefour, dont la fonction officielle est d'offrir un refuge aux piétons, histoire, sans doute, de les aider à commettre l'infraction au code de la route la plus massive et la moins réprimée, la traversée irréguliére de la chaussée grâce à laquelle, si l'on se fie aux anémiques statistiques municipales, 15 des 22 piétons tués à Paris en 2003 peuvent, si l'on ose dire, fièrement revendiquer le fait de n'avoir été victimes que de leur propre stupidité.
En réalité, on le devine immédiatement, cet ouvrage d'art n'a d'autre but que de réduire à une voie unique la circulation automobile, histoire de la rendre, cette fois-ci, pour de bon, physiquement impossible, et de contraindre les toujours innombrables récalcitrants à venir en bus, ou, de préférence, à rester chez eux.

L'amusant, dans l'affaire, est que cette politique du piéton-roi sacrifie l'autre favori municipal, le cycliste, pris dans un trafic auquel, malgré le développement de voies spécifiques, il ne saurait totalement échapper, et victime, plus que tout autre usager, de l'agressivité insolente du piéton. Il est vrai qu'il n'a que ce qu'il mérite : le constat relatif à l'usage urbain de la bicyclette dressé fin 2003 par l'Institut français de l'environnement se révèle à ce titre, singulièrement accablant, relevant à la fois une chute vertigineuse de l'utilisation du vélo entre 1975 et 1995, avec, depuis, dans quelques cas, un rétablissement incertain, et, dans la capitale, un usage totalement anecdotique, puisqu'il représente moins de 2 % des déplacements, ce qui place Paris, en compagnie de Lyon, Toulon et Marseille, tout au fond du gruppetto. Tant d'efforts déployés, tant d'argent investi pour un si maigre résultat : on comprend qu'à la fin, on abandonne.