L'OPA de Mittal Steel sur Arcelor offre la rare occasion de dévoiler, une fois franchis les rideaux de fumée qui obscurcissent l'analyse, le fonctionnement d'un pouvoir généralement occulté, et de permettre d'étalonner l'écart qui sépare celui-ci du mode opératoire formel qu'il présente habituellement comme seul valide.

Avec un flottant, c'est à dire une portion du capital librement échangeable sur les marchés, de l'ordre de 85 % du total, le destin de l'offre Mittal, en apparence, dépend entièrement du choix des actionnaires ; pour une société mondiale comme Arcelor, ceux qui prennent les décisions n'ont évidemment rien à voir avec le stéréotype du retraité dévoreur de petits fours aux assemblées générales. L'essentiel de ce capital se trouve administré par les gérants professionnels de la multitude de fonds qui possèdent des actions Arcelor, parfaitement, dans la limite des informations publiées par la direction du groupe, en mesure de faire un choix rationnel et informé puisque, après tout, c'est leur métier. Et pour l'instant, il semble bien qu'ils n'aient rien d'autre à objecter à l'offre Mittal que son prix, comme toujours, trop bas.

Si, de plus, on prend en compte l'avis des salariés, traditionnel argument d'un pouvoir politique qui parle en permanence à leur place, et qui, pour ceux qui ont déjà testé Mittal, semble, globalement, positif, si l'on se souvient de la toute récente OPA hostile d'Arcelor sur Dofasco, dans laquelle le canadien, après un refus initial et une contre-attaque lancée par Thyssen Krupp, finit par recommander à ses actionnaires de souscrire à une offre Arcelor devenue financièrement la plus intéressante, si l'on analyse, comme on l'a déjà fait, la logique industrielle et commerciale du rapprochement, on finit par se trouver à court de justifications à opposer à celui-ci.
Il semble bien, alors, que l'activisme dont, selon la rumeur du marché, et elle seule, l'état-major d'Arcelor fasse preuve pour résister à l'envahisseur, ne puisse s'expliquer autrement que par le fait que, dans notre monde, celui que nous voulons seul connaître, une entreprise de polytechnicien ne saurait se vendre à un nouveau riche indien. Pour cela, la direction paraît prête à à faire feu de toute poutrelle, en procédant à des acquisitions d'occasion qui, elles, pour le coup, ne répondent à aucun projet industriel, et, dans le rapport de force où se trouve aujourd'hui Arcelor, risquent de s'effectuer à un coût excessif sauf si, bien sûr, dans le cas de la fusion postulée avec Eramet, l'État sait oublier son intérêt d'actionnaire au profit de celui, supérieur, de la nation. On paraît, en tout cas, tout près de franchir la ligne rouge rappelée par l'AMF ; et, à force d'allumer partout des contre-feux, on finira bien par faire flamber toute la baraque.