Entre Clémenceau et cygnes morts, certaines de ces informations qui, d'ordinaire, n'éprouveraient pas de difficultés à remonter jusqu'à la capitale se trouvent bloquées en chemin, confinées à la presse régionale, et à peine recyclées par les journaux de France 3 : tel fut, jeudi et vendredi dernier, le destin de l'avis négatif que les pilotes des bombardiers d'eau de la Sécurité Civile tentèrent d'exprimer au ministère de l'Intérieur, contre l'acquisition des Dash8, qui n'ont de Bombardier que le nom de son actuel constructeur canadien. Si l'on en juge par le brevet de bonne conduite délivré à l'appareil lors du bilan de campagne établi pour l'année 2005, leur initiative arrive un peu tard, et leurs arguments risquent de sembler bien ésotériques.

Comment en effet faire comprendre qu'ils préfèrent le Grumman Tracker, qui vola pour la première fois en 1952, au Dash 8, plus jeune de trente ans ? La capacité d'emport de l'appareil canadien, qui s'exprime en tonnes ou en litres, en une unité compréhensible donc par n'importe quel collégien, et qui garantit l'apparence d'une grande efficacité avec un faible coût de fonctionnement, produit un argumentaire exactement adapté aux exigences de l'administration, à la façon dont elle pense, décide, et gère d'une manière dont, en l'espèce, personne ne peut concevoir qu'elle ne soit pas optimale. Les pilotes, en face, avec leur vieille carcasse de Tracker conçue pour la lutte anti-sous-marine à partir des porte-avions américains, apparaîtront comme la caricature des hommes de terrain, nostalgiques de leurs jeunes années au sein de l'Aéronavale, trop proches de la retraite pour faire l'investissement nécessaire à l'acquisition d'une nouvelle qualification.
Pourtant si, une fois équipé de propulseurs modernes, le Tracker se révèle idéal pour une mission où il doit combattre les feux au plus près, c'est parce que sa nature d'avion embarqué, et sa destination de bombardier anti-sous-marins l'ont dotées d'une structure très robuste, qui lui permet ces évolutions, ces piqués et ces ressources, interdites à un avion de ligne comme le Dash 8, lequel vole en ligne droite et à altitude constante en essayant de secouer le moins possible ce qu'il a à l'intérieur. Derrière leurs allures communes de bimoteurs se cachent, d'une façon bien trop subtile pour être compréhensible du non-technicien et que seuls les petits caractères de la fiche technique, le domaine de vol, la résistance de la structure, ces choses, au fond, radicalement étrangères à la culture de l'ENA, dévoilent, deux machines aussi différentes qu'un autobus, et un blindé transport de troupes.

La résistance des pilotes, qui leur permit naguère de rejeter le Fokker F 27, autre avion de transport régional qui n'avait même pas l'excuse d'être moderne, et dont seulement deux exemplaires furent acquis, sera, au travers de leurs syndicats, sans doute le meilleur moyen de traduire, au sens propre, leur opposition en des termes compréhensibles par leur tutelle ; faute de quoi, l'histoire risque de se terminer par une rencontre plus brutale que prévue avec le terrain, et avec deux hommes à bord.