le chouchou des filles
À l'égard de ce cinéma populaire hindi généralement connu sous le sobriquet de Bollywood, on peut rencontrer deux catégories d'attitudes ethnocentriques, également détestables. Le snobisme ignorant du kitschissime, de ces jeunes urbains confits dans l'apparence et le superficiel, qui trouveront là, en ridiculisant le cinéma des pauvres, matière à se rassurer sur le maintien de leur supériorité intellectuelle, et la sévérité du militant, l'analyste d'opérette, le vieil adepte de l'opium des peuples, qui refusera de voir autre chose, dans ce cinéma à la thématique socialement très traditionnelle et qui ne montre rien d'autre que la vie rêvée des riches, que la machine à abrutir les masses dans sa version locale.
Rien ne dit, pourtant, que ces attitudes soient majoritaires : à rebours de ces clichés, transparents à force de minceur, qui postulent l'écrasement de toute diversité de création par la puissance commerciale des fictions américaines, tout un univers d'images, cinématographiques, mais aussi dessinées, intellectuelles dans la lignée du classique cinéma japonais d'exportation, aussi bien que populaires, du kung-fu aux mangas, alimente un flux jamais tari de l'Asie vers l'Europe, au sein duquel ce cinéma indien ne représente, par son origine géographique comme par la spécificité de son genre, qu'une nouvelle déclinaison.
Encore celle-ci, inscrite dans cette histoire du mélodrame qui, de Douglas Sirk à Rainer Werner Fassbinder, a produit des oeuvres mémorables, puisant sans retenue dans ce pot commun de la fiction cinématographique, qui remonte aux frères Lumière, et dans la comédie musicale américaine en particulier, abusant de la virtuosité technique des grands mouvements d'appareils et des numéros dansés en polychromie, n'offre-t-elle pas grand'chose d'obscur aux yeux occidentaux.
Commercial, populaire, destiné à un public souvent analphabète, ce cinéma ne demande à son spectateur rien d'autre, comme autrefois les films de Jacques Demy, que d'accepter le postulat de sa naïveté. Les filles, qui ont l'âme sensible, ne s'y sont pas trompées, elles qui ne ratent pas une occasion de chanter les louanges de Shah Rukh Khan. France 4, après Arte, succombe aussi : ce soir, à une heure décente qui permettra de rester jusqu'au bout de la durée réglementaire de trois heures, l'autre chaîne intéressante de la TNT diffuse Devdas, et donne ainsi même au vieux misanthrope l'occasion d'un plaisir régressif.
Commentaires
Evidemment, c'était trop beau ; à cette heure-ci, c'est en VF. Grotesque. Bravo France 4.
ben moi j'ai juste un pb qui n'a rien à voir avec le coté Kitch ou un quelconque snobisme : c'est la musique que je trouve insupportable.
Un peu comme le raï ou Youssou N'dour, la musique indienne ça me rend hystérique, ce qui pour regarder un film n'est pas hyper pratique ;-)
Evidemment, ne pas aimer la musique d'une comédie musicale, c'est relativement rédhibitoire.
On peut avoir des quantités de bonnes raisons de ne pas aimer ceci ou cela : il s'agit d'une décision individuelle, qui ne me concerne en aucun cas. Ce qui m'intéresse, là comme ailleurs, ce sont les comportements collectifs.
Comme chez Hélène : un billet, c'est une opinion ; cent commentaires, c'est un matériau sociologique.
ok ok j'irai commenter ailleurs alors ;-)
Sirk, Fassbinder, Demy - j'ajouterais Wenders, parfois - c'est beaucoup de comparaisons pour les films de Bombay qui sont réellement du degré zéro de l'écriture. Aucune naïveté par ailleurs : si la thèse de l'opium du peuple est un peu usée - disons, jusqu'à la corde - il n'en reste pas moins que ces films rapportent beaucoup d'argent à leurs producteurs et aux acteurs qui sont adulés en Inde (les chanteurs/chanteuses aussi puisqu'en général les acteurs sont doublés) ; pas plus de naïveté dans le scénario, qui est en écrasante majorité une nième permutation de la même histoire. Certes, le cinéma indien vise parfois un tout petit peu plus haut (je ne parle évidemment pas des Ray ou autres qui n'ont aucun succès là-bas), genre Mahabaratha pourtant bien ancré dans d'autres traditions artistiques ; malheureusement, le résultat est alors lamentable, boursouflé, prétentieux.
Il n'y a rien d'autre dans mon billet que ce qui s'y trouve, et donc notamment pas de ce snobisme relativiste qui mettrait sur un pied d'égalité les produits anonymes du cinéma commercial indien et les films de Douglas Sirk ou Jacques Demy.
Quant à la naïveté, il s'agit bien de celle de ces histoires, et de leur public, fut-il occidental et diplômé : justement à cause de cela, à cause de ces mises en scènes comme autrefois, avec ces plans à la grue ou depuis les cintres qui rappellent, et pas par hasard, Bubsy Berkeley, ces films sont autrement plus regardables que l'actuel tout-venant de la production hollywodienne, avec ces explosions à tout-va et ces plans qui ne dépassent jamais 3"10, faute de quoi le réalisateur est viré.