Sur la toile, on joue les araignées. Tout le monde s'amuse à épier ses logs, attendant que l'inconscient innocent tombe dans le piège, jouant entre copains à celui qui pourra exhiber la requête la plus insolite, la plus indéchiffrable, ou la plus cochonne. Parfois, la relation s'inverse et on se voit exposé en objet de foire : ayant remarqué mon article sur le pétrole tchadien, un anonyme rédacteur du Rezo l'a lié là, et Dirtydenys se retrouve ainsi deux lignes sous Guillermo, coincé bien malgré lui et en fort mauvaise compagnie entre Altermonde-le village et Greenpeace France. Résultat : 90 passants-gobeurs dans la soirée, et pas un commentateur. Au moins, on échappe au verbiage préremptoire du donneur de leçons, à l'inverse d'un M LeChieur lequel, envers cette détestable engeance, se montre infiniment trop bon.

Et, de temps à autre, on remonte dans ses filets des prises plus intéressantes. Romuald, qui officie dans le but de réconcilier éleveurs ovins et écologistes réintroducteurs d'espèces disparues, et qui, donc, bélier têtu, n'a peur de rien, garde un coup de corne en réserve pour Jean Lassalle. Il propose donc un petit condensé des billets consacrés à l'excentrique pyrénéen, et cite au sujet du mien « une longue phrase peu adaptée au web, mais bien tournée ». Merci, Romuald, comme dirait passetathesedabord, je suis très touché. Et, même si je ne partage pas ton amour de la ruralité, sache que je ne t'en veux pas : pour un bélier noir, tu fais déjà preuve d'une étonnante pénétration, et je suis du genre à presque tout pardonner à un lecteur du Génie des Alpages. Mais, pour ce qui concerne les châtaigniers, tu te dois de rendre à Paul Celan ce qui n'appartient à personne d'autre.

Du coup, une sensation troublante nait : Romuald croit-il à l'existence de Denys Bergrave ? C'est que, voyez-vous, celui-ci naquit d'un concours de circonstances puisque, dans ma pratique qui consiste à doter chacun de mes nombreux systèmes d'un utilisateur spécifique, sinon c'est le foutoir, Denys Bergrave tient fictivement les commandes de ma SuSE coutumière, et s'est donc trouvé bombardé via Dotclear à l'administration de Dirtydenys. On aurait aussi bien pu avoir affaire à David Bergovitch. Mais celui-là signe, donc il est ; et Google, en le citant aux côtés de Saint-Just Bergrave, pédologue guyanais, et de la famille Bergrave recensée à Dunkerque en 1826, lui décerne cet acte de naissance virtuelle qui, puisque l'on a affaire là à un capharnaüm de signes parfois générés par des automates auquel seule l'intelligence du questionneur peut donner un sens et que, dans l'immense majorité des cas, on n'aura jamais l'occasion d'associer in vivo un nom et l'humain qui éventuellement le porte, fait, en première analyse, autorité.
Alors, avec l'aide des robots, cet involontaire hétéronyme en vient à concurrencer l'individu réel dans la mesure où, avec le système de classement produit par les critères de recherche, il dispose sur lui d'un avantage déterminant : on compte un unique Denys Bergrave dont je suis seul à savoir qu'il n'existe pas, mais quantité de Denis Berger qui, tous sauf un, ont l'inconvenance de ne pas être moi.