munich à Ratisbonne
Où sont-elles, ces foules musulmanes en colère, exprimant dans le langage gestuel qui leur est propre, simple et clair, la légitime indignation de l'humilié ? Dans les images d'agences de presse, celles pour lesquelles se joue habituellement ce spectacle, on aperçoit, à Bassorah, cadrés avec ce plan moyen qui dit tout par ce qu'il cherche à cacher, quelques dizaines d'hommes jeunes incendiant une sorte de porte-manteau habillé d'une tunique et surmonté d'une baudruche censée représenter une tête, mannequin dans lequel, pour voir là ce pape dont on prétend brûler l'effigie, il faut plus que de l'imagination et de la bonne volonté : il faut de la bêtise. En Inde, quelques hommes plus mûrs se livrent, privilège de l'âge, à une manifestation plus pacifique ; à Ankara, sous une large banderole, étrangement coupés à hauteur de buste, on distingue une douzaine de têtes de patriarches turcs, à Qom, quelques centaines de personnes qui défilent, à bonne distance l'une de l'autre, sans que l'on sache vraiment pourquoi puisqu'il semble que, dans le fond, on aperçoive un cercueil. Il est à peine besoin de comparer avec d'autres images de foules musulmanes, celles du gigantesque pèlerinage de La Mecque ou de la participation massive des Irakiens aux fêtes chiites pour constater à quel point on ne se trouve même pas là dans l'insignifiant : on est dans le rien.
Ce n'est donc pas la rue qui parle, et même pas dans les attentats en Palestine ou en Somalie, dont les causes sont tout sauf conjoncturelles : le jeu auquel on assiste, et qui se reproduit régulièrement dès que l'on a trouvé à la fois un nouveau prétexte et oublié les causes de la fureur précédente, relève de l'affrontement symbolique, exprime la concurrence entres ces divers leaders d'un monde islamique totalement désuni, où la surenchère verbale sera d'autant plus vive que l'on sera plus éloigné du centre et ressemble, si l'on ose dire, à une sorte de bizutage improvisé du nouveau venu.
L'intérêt de la chose ne se trouve donc pas tant là que dans les réactions totalement munichoises que l'on découvre dans la presse, grande, petite, ou télévisée, comme chez certains politiques parmi lesquels, si l'on en juge d'après la dépêche de celle par qui le scandale est arrivé, les députés italiens semblent presque seuls à faire preuve de fermeté. Pourtant, l'insignifiance du prétexte fournissait une magnifique occasion d'enfoncer un coin, de ne pas laisser, une fois de plus, les musulmans modérés lutter seuls contre les salafistes, de démonter le mécanisme de cette indignation machinale, de dévoiler les procédés par lequels et les raisons pour lesquelles responsables politiques et chefs religieux instrumentalisent leur propre foi pour anesthésier les foules, et de prouver comment et pourquoi on ne confond pas islam et islamisme.
Au lieu de cela, sur les blogs, les bénédictologues, plutôt que d'abandonner la théologie à la faculté, préfèrent tenter une
interprétation qui risque bien de finir par réveiller le sexe des anges. Pourtant, ils paraissent manquer un point essentiel, puisque ce pape qui semble plus
préoccupé d'intellectualisme que d'aller aux quatre coins du monde embrasser le sol des aéroports, se trouve surtout coupable d'avoir prononcé un mot que l'on ne risquait guère d'entendre dans la bouche de son prédécesseur, lui qui s'entendait comme larrons en foire avec ses copains conservateurs, toutes confessions confondues : raison.
Commentaires
précisemment, j'avoues être déçu de ne pas savoir ce qu'en pensent les musulmans. Certes, on a pas beaucoup de foules en colère, mais quelques avis, plus ou moins critiques. Je me suis rendu compte à ce propos à quel point mon dernier billet sur "internet et la démocratie" était à côté de la plaque: peut-être parce que je ne pratique pas assez la "blogosphère", je n'ai pas trouvé de blog de musulman qui commente le discours en question. A l'époque de la guerre du golfe, "mon" vendeur de Kebab ne manifestait pas dans la rue, continuait à servir aimablement, mais m'expliquait que l'Irak allait gagner et que c'était bien fait pour leur gueule (aux US). Qu'est-ce qu'il pense du pape aujourd'hui, je n'en sais rien: j'ai déménagé. Par exemple, tu parles des musulmans modérés, mais pour les quelques uns que j'ai entendu, ils étaient plus nombreux à critiquer B16 (sans forcément demander des excuses, etc.) qu'à le féliciter. Je ne suis pas sûr qu'ils aient eu le sentiment que cette histoire permettait de différencier islam et islamisme. L'approche de Koz, qui consiste à coller au texte et à en oublier le contexte (et le fait qu'un discours est toujours ambigüe, rempli d'implicites: le prendre "au pied de la lettre" ne garantit pas qu'on en révèle la vérité) me semble être précisemment celle qui n'a pas été suivie par ces musulmans modérés, en tout cas pas par tous. Mais quoi qu'il en soit et quoi qu'on puisse penser du fameux discours (qui sera oublié dans 15 jours) j'ai pas trouvé plus de bloggueurs musulmans que de foule en colère et c'est bien dommage...
En fait, il existe au moins un blogueur francophone vivant dans un pays musulman, le Maroc en l'occurrence : ibn kafka, "juriste en liberté surveillée", qui intervient de temps en temps sur le blogs juridiques français, notamment chez Jules ; son commentaire est ici :
www.blog.ma/obiterdicta/i...
Mais il me semble appartenir à la catégorie de comptoir des intellectuels tiers-mondistes revanchards, et c'est pas un type très sympathique, en fait. Je préfère largement Douda, elle aussi d'origine marocaine même si elle vit en France, mais c'est vraiment pas le même genre : lettres-a-mon-roumi.blogs...
ou Loula, plus familiale, également marocaine et encore plus loin :
lescarnetsdeloula.blogspo...
ou bien Houssein, informaticien tunisien et québécois, fréquent intervenant chez Embruns :
houblog.net/
Et le moins que l'on puisse dire des trois derniers, c'est que Benoit XVI, ça les passionne pas ; et j'aurais tendance à penser que cette situation est assez générale.
Donc, ça fait quatre liens : de quoi faire le tour de la terre.