la fille du pasteur
Trop souvent, le recours à ces comparaisons internationales pourtant si riches d'enseignements succombe face à la barrière des langues : la pratique unique de l'anglais condamne à ne prendre en considération que les exemples britanniques ou américains, dont l'emploi est devenu si universel qu'il masque presque totalement, en particulier pour le cas des États-Unis, son manque de pertinence. L'Allemagne, a contrario, avec laquelle l'économie française vit pourtant en étroite interdépendance, reste sur ce plan largement ignorée.
La récente arrivée au pouvoir d'Angela Merkel offre cependant l'occasion d'un petit portrait croisé avec Ségolène Royal, la nouvelle chancelière partageant avec la candidate socialiste bien d'autres traits communs que leur sexe : nées à moins d'un an d'intervalle, en juillet 1954 pour la première, septembre 1953 pour la seconde, d'origines sociales
comparables puisqu'Angela Merkel est la fille d'un pasteur, elle se distinguent moins par leur niveau d'études que par la nature de celles-ci puisque, vivant en Allemagne de l'Est bien que née à Hambourg, Angela Merkel est docteur en physique et n'entamera sa carrière politique qu'après la
chute du Mur, devenant porte-parole adjointe au gouvernement de Lothar de Maizière, avant d'adhérer à la CDU au mois
d'août 1990.
Dans le premier gouvernement de l'Allemagne réunifiée, avec son parrain, Helmut Kohl, à la chancellerie, elle occupera entre 1991 et 1994 le poste
de ministre des Femmes et de la Jeunesse puis, après la réélection d'Helmut Kohl, celui de ministre de l'Environnement. Sa carrière, en somme, ne se distingue de celle de Ségolène Royal que par l'ordre inverse selon lequel cette dernière a occupé les mêmes postes : ministre de l'Environnement en 1992-1993 puis, dans les gouvernements de Lionel Jospin, d'abord durant trois ans, de 1997 à 2000, ministre
déléguée à l'Enseignement scolaire, ensuite, de mars 2000 à mai 2002, ministre déléguée à la Famille et à l'Enfance.
Le scandale de la caisse noire de la CDU renvoya le parti dans l'opposition, et fit tomber quelques têtes, à commencer par celle d'Helmut Kohl. Angela Markel, sa protégée, sa "petite fille", la provinciale d'ex-RDA dont on moquait la coiffure et les tenues, et qui ne serait donc, comme Ségolène Royal, à double titre pas une vraie femme, puisqu'elle ne sait pas s'habiller et qu'elle refuse d'admettre que les vraies femmes doivent se contenter de savoir s'habiller, occupait alors la position-clé de Secrétaire générale de la CDU. Et l'échec de son principal concurrent, le redoutable Edmund Stoiber, chef incontesté du parti-frère bavarois CSU et qui vaut bien à lui seul tous les éléphants du PS, aux élections générales de 2002 lui laissa le champ libre pour devenir, en mai 2005, la candidate officielle de la droite au poste de chancelier. Comme on le sait, les élections anticipées de septembre 2005 apportèrent un résultat inconfortable, avec une coalition CDU-SPD grâce à laquelle la chancelière dirige un cabinet comprenant des membres de l'Internationale socialiste. Sur quel programme fut-elle élue ?
Un tournant, une rupture : une réforme fiscale comportant notamment une hausse de 3 % du taux ordinaire de la TVA et une baisse de l'impôt sur les sociétés, un contrôle plus strict du système d'indemnisation du chômage, une réforme de l'assurance maladie renforçant la concurrence entre caisses publiques et privées, toutes mesures venant à la suite de celles qui coûtèrent son poste à son prédécesseur Gerhard Schroeder, durcissement des conditions d'attribution des indemnités de chômage et allongement progressif de l'âge de la retraite jusqu'à 67 ans, et qui montrent que l'Allemagne, enfin, a pris le train de l'aggiornamento. Anémique depuis des années, avec un piteux 0,9 % en 2005, la croissance allemande a atteint 2,7 % en 2006, la consommation ne semble pour l'instant pas souffrir d'une hausse de TVA en partie absorbée dans les marges des entreprises, la progression de la productivité, comme le précisait l'édition de vendredi des Echos, dépasse pour la première fois depuis 1998 la référence américaine, et, plus que jamais, le pays, avec ses 80 millions d'habitants, occupe la place du premier exportateur mondial. En somme, terme à terme, l'opposé exact de la situation française.
Au fond, la question n'est même pas de débattre du coût ni du financement des promesses électorales des candidats à la présidentielle. La nature clientéliste du système semble si profondément incorporée dans les habitus que personne n'attend d'un candidat autre chose qu'un programme d'achat de votes, qu'un catalogue détaillé de distribution de petits cadeaux dont tout le monde sait pourtant qu'on ne les recevra jamais. A contrario, l'exemple allemand montre que l'on peut, sans drames si pas sans difficultés, mais avec du courage et du pragmatisme, réaliser les quelques changements dont les derniers pays à les refuser, l'Italie et surtout la France, ont pourtant, comme les autres, vitalement besoin. Et sans doute Ségolène Royal, cet idéal-type du système français de production des élites politiques, dont la principale vertu reste d'avoir réussi à éliminer ses concurrents, pourra-t-elle moins que d'autres suivre la voie d'Angela Merkel. Pourtant, ici comme ailleurs, l'aggiornamento se produira. Plus il sera tardif, plus il sera brutal. Aujourd'hui, comme toujours, on rase gratis. Demain, on amputera, et ça sera très cher.
Commentaires
Juste deux petits points pour relativiser les termes de la comparaison, car comme chacun sait "comparaison n'est pas raison"!
1. Il est difficile de mettre sur le même plan les régimes sociaux allemand et français; pour les retraites, par exemple, le régime allemand a pour objectif un taux de remplacement de 70% du salaire moyen standard pour une carrière de 45 années, et est basé sur le seul premier pilier (régimes de retraites dits « de base », pris en charge par l'Etat). On est loin du taux de recouvrement constaté en France, qui est de l'ordre de 58%, hors régimes complémentaires. Sur ce point l'Allemagne a en effet du souci à se faire, compte tenu par ailleurs d'une démographie plus défavorable qu'en France. Ce qui ne veut pas dire qu'on aura pas, à terme un problème en France; mais ce problème est probablement moins pressant qu'en Allemagne.
2. Pour ce qui concerne le rebond de la croissance allemande en 2006, il est vraisemblablement tiré par la forte hausse de la vente d'automobiles, en anticipation de la hausse de la TVA; les récents éléments de conjoncture connus font apparaître une baisse de ces ventes en janvier, dans un contexte de consommation, hors auto, atone depuis fin 2005. Seules les exportations allemandes semblent pouvoir maintenir un différentiel de croissance avec la France dont le système productif est sinistré (forte augmentation des délocalisations depuis fin 2004) alors que la production manufacturière allemande se porte comme un charme (effet haut de game favorable aux exportations dans la zone euro).
Tout ça pour dire que rapport à la politique économique, faut quand même faire gaffe à être prudent dans c'qu'on cause, et que si gouverner c'est prévoir, prévoir c'est pas forcément fastoche... sauf au Balto, bien sûr!
Objections valables, mon cher ; comme quoi on ne tient pas que des propos de comptoir au Balto.
Cela dit, si je m'avance un peu sur le rebond de la croissance allemande, qui succède en effet à des années de dépression de la consommation intérieure, ce n'est pas l'essentiel : l'essentiel c'est qu'il y a là-bas une classe politique qui, certes, avec des années de retard, a finalement osé préférer les réformes douloureuses au confort de sa carrière et de la dette publique.
Et sur la démographie des retraites, je ne m'en fais pas trop : si on n'a plus assez d'enfants, on pourra toujours compter sur ceux que les autres font avec une surabondance qui a cependant tendance à se réduire. D'autre part, je ne vois pas en quoi la relativement forte natalité française des années récentes pourra aider à payer les retraites de 2012, voire de 2020, à moins de mettre les gosses au travail à 6 ans. J'ai plutôt l'impression qu'ils vont constituer une charge pour les vingt ans qui viennent.
Il est bon, de temps en temps, de s'aventurer sur les chemins hasardeux de l'opinion, pourvu qu'ils soient balisés par le marquage des faits; ainsi, concernant le douloureux problème du financement des retraites, sujet auquel - étant d'un âge qui me permet d'en espérer les bienfaits d'ici une dizaine d'années si Dieu et la Croissance me prètent vie -j'attache la plus grande importance, j'écrivais, en septembre dernier, chez des amis chics et radicaux, ceci :
"En 2005 les seules entreprises du CAC40 ont connu une croissance de leurs bénéfices de plus de 50% sur 2004, pour un montant global de 86 milliards d'euros (résultats à mars 2006, hors GdF). Il s'agit bien entendu des résultats nets, après impôts, amortissements, etc. Donc de la bonne grosse thune toute chaude prête à être distribuée avec, bien entendu une priorité accordée aux dividendes et aux rachats d’actions.
De son côté le déficit des régimes de retraites (général + fonction publique) prévu par le Budget pour 2020 est de 43 milliards d'euros. Les mesures prévues par la réforme de 2003 pour combler ces bénéfices sont , classiquement, l'augmentation du montant des cotisations et l'allongement de leur durée. Avec le souci majeur de ne pas augmenter, au global, les prélèvements obligatoires (diminition envisagée des cotisations chômage... et de l'indemnisation).
Pour ce qui concerne les régimes spéciaux , les subventions d'équilibre versées en 2005 par l'Etat se sont élevées à environ 3,4 milliards d'euros (source Sénat) ... soit, si on osait, pour rire, un prélèvement obligatoire supplémentaire de 4% des résultats des seules entreprises du CAC40."
Du coup je suis bien d'accord qu'on a bien besoin d'une classe politique courageuse en France, même si nous pouvons en apprécier différemment les effets escomptés et/ou espérés!
PS: j'apprends à l'instant même qu'en 2006, les groupes du CAC 40 ont reversé 40 milliards d'euros à leurs actionnaires ( abonnes.lemonde.fr/web/ar... ). Comme quoi...
Ah, c'est curieux, les données de Thomson Financial (canadiens et privés, mais en principe assez sérieux) publiées dans les Echos d'aujourd'hui donnent 20,8 milliards de dividendes versés par les sociétés du CAC 40 en 2005, 25,5 en 2006, et une prévison de 31,6 en 2007. Moi, je veux bien que tout le monde profite des bénéfices des entreprises, et les retraités d'abord, mais à condition qu'ils acceptent de voir le montant de leurs retraites divisés par cinq lorsque les profits suivent cette pente, comme en 2001, 2002, 2003. Oui, c'est pas si loin, et on a la mémoire un peu sélective, là, patron.
De plus, la collectivité profite déjà sans risque de ces résultats, par le biais des impôts qui restent significativement plus élevés que les dividendes. Pour toucher plus, il faut risquer un peu, et ça s'appelle le capitalisme. Et imposer une fiscalité significativement plus forte que celle des pays comparables à des entreprises qui n'ont plus guère de français que leur siège social, c'est un bon moyen de les inciter à en finir avec cette particularité.
Moi j'travaille plutôt avec Factiva (Reuters/DJ), et ils sont encore plus sérieux ! Celà dit, lisons peu mais lisons bien: Les Echos évoquent 31,6 Mds € versés en 2007 au titre de 2006. Et il ne s'agit que de dividendes, auxquels il faut rajouter 7,9 Mds € de rachats d'actions. On arrive donc aux 40 Mds évoqués par Le Monde, qui pratique volontiers l'arrondi généreux!
Quant au reste ce n'était, de ma part, qu'une opinion très générale, et du coup très Baltesque, qui trouve son ancrage dans des lectures malsaines et les boissons fortes, opinion qui tend à trouver qu'il y a probablement du gras à chercher (et à trouver) du côté de la création de valeur pour l'actionnaire qui bien souvent d'ailleurs (cf. Fidelity) représente des ...retraités!
Mais bon, on tomberait dans l'économie politique, dont je professe ailleurs que c'est une religion dont l'économie est le Dieu, et ce n'est point ici le lieu de dissertations théologiques!
Rien à voir, mais Baptiste Coulmont annonce sur son blog la disponibilité en ligne la collection des Actes de la recherche en sciences sociales, de 1975 à 2003, sur Persée, le portail où les agrégés font du HTML : www.persee.fr/listIssues....
De fascinantes heures de lecture en perspective.
La vache!... Juste pour rigoler j'ai recherché "Bourdieu"... 397 réponses... Feignant! même pas foutu de pondre 400 articles!
Bonjour messieurs,
J’avoue être impressionné par vos réflexions et analyses. Je n’ai pas vos références et mon regard ne peut donc être aussi étayé que le votre.
Toute fois si je comprends bien, d’un coté nous avons des entreprises du cac40 qui affichent des records et de l’autre ceux qui convoitent, jalousent ou pensent que la redistribution doit servir à tous et pas uniquement aux actionnaires. IS, taxe sur les dividendes, ou autres artifices étatiques.
Comment servir l’égalité sans taxer ou freiner les résultats de la liberté ?
Comment faire coïncider, dans un marché mondial, les intérêts du capital et ceux des pauvres bougres comme moi ?
Les règles du capitalisme n’ont pas vraiment changées. Nous pouvons acheter moins cher de la fleur fraîche importée de Chine. Le terrain de jeu est plus grand, les manufactures du siècle dernier ont changés de main, elles n’appartiennent plus au patron du coin de la rue, mais à quelques fonds de pensions mandatés par les inconnus qui peuplent notre sphère.
La pression des employés ne peut donc plus être physique. Brûler des pneus permet de faire de la fumé, mais pour communiquer il y a plus moderne.
Que me reste-t-il, à moi employé de base, pour faire pression, à moi qui boit des sodas alcoolisés pensés par quelques ingénieux pros du marketing outre-atlantique, fabriqué dans je ne sais quelle usine exploitant une main d’œuvre pas cher, et dont la solde fini dans les poches d’un inconnu que le mite m’aide à pensé qu’il est bien portant, qu’il aime les gros cigares, roule dans une grosse voiture et qui a tout ce dont je rêve bien entendu (le salaud).
Dois-je donc rêver de décroissance, d’une économie plus solidaire, plus altruiste ?
Je crois que je vais arrêter de rêver le jour pour me consacrer à d’autres lectures que Picsou ou Pif.
Pour moi Bourdieu est un inconnu et 397 articles sont bien assez nombreux.
Bon si je suis flou, brouillon, c’est sûrement par je le suis aussi Denys.
Je vous salut.
Pour les autres lectures, on peut conseiller de commencer par une analyse faite voici dix ans et qui ne doit pas avoir beaucoup vielli, et qui est l'oeuvre de Pierre-Noêl Giraud
Des profits de 40 milliards d'euros divisés par 5, ça serait déjà pas mal, comme beurre supplémentaire dans les retraites.
Vous savez, moi aussi j'écoute les libéraux. Chez les libéraux, sur BFM par exemple. Comme ils sont entre eux, ils se lâchent.
Récemment, j'ai entendu l'hallucinante Sophie de Menthon déclarer :
"De toutes manières, il y a tellement d'argent, en ce moment...qu'en faire d'autre, sinon le placer en Bourse ?"
En effet. Qu'en faire d'autre ?
On ne va pas se laisser emmerder par la justice sociale, tout de même.
Ce serait du communisme.
Allez, bonnes réformes nécessaires. (Vous avez parlé de Bad-Godesberg ? Non ? Vous devriez).