Ce vote utile dans lequel Jean-Marie Le Pen comme Dominique Voynet veulent voir la cause unique de leur déroute électorale l'était pourtant d'autant moins que, avec seulement douze candidats contre seize au premier tour de 2002, et une seule représentante de la gauche démocratique contre trois, celle-ci ne courait aucun risque d'être écartée du second tour. Avec une quantité assez normale de postulants, un corps électoral aux effectifs inégalés et une participation d'un niveau presque historique, ce scrutin fournit en fait, si l'on fait l'hypothèse que plus l'abstention est élevée, plus les militants, votants par définition, pèsent sur les résultats, l'image la plus exacte possible du peuple aux urnes. En d'autres termes, avec ces élections, le peuple dans son ensemble a fait son choix, a apporté la légitimité la plus haute à ceux qu'il a choisi, et le discrédit le plus fort aux éliminés du premier tour parmi lesquels, à côté des chasseurs-pêcheurs de Frédéric Nihous, une autre candidate de la campagne, Dominique Voynet, souffre, par rapport au premier tour de 2002, du plus considérable recul.
Avec Noël Mamère, les Verts avaient en effet obtenu 1 495 724 voix en 2002 ; en 2007, Dominique Voynet n'en recueille plus que 576 758 ; naturellement, pour comprendre une telle désaffection, on ne saurait se contenter de l'explication du sens commun, qui verrait la banalisation de la thématique écologique entraîner la fin d'un parti uniquement fondé sur celle-ci. Car les Verts, sur ce qui n'est que le principal champ de leur idéologie, ne sont pas l'écologie, mais bien une interprétation dont leur activisme incessant, et leurs tentatives pour la faire légitimer, elle et elle seule, ont voulu faire oublier que, loin d'être générale, elle était extrêmement particulière ; et c'est bien cette interprétation-là, l'expérience aidant, qui vient de connaître un désaveu massif.

Pour simplifier la démonstration, intéressons-nous à un unique problème : l'augmentation de la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre. On sait que les Verts l'attribuent essentiellement à l'abus du combustible fossile, charbon et pétrole, et proposent d'en limiter de manière drastique l'emploi. De multiples solutions sont proposées, qui, toutes, impliquent un mode de vie profondément différent, et dont aucune ne mise sur autre chose que ce qui existe déjà. Or, de toute façon, puisque les stocks s'épuisent et qu'ils ne peuvent être renouvelés, il faudra bien apprendre à vivre sans pétrole ; rien ne dit pourtant qu'une société sans pétrole doive être significativement différente de celle que nous connaissons aujourd'hui. A ce titre, la position des Verts à l'égard des carburants d'origine végétale se manifeste par leur incapacité à imaginer que l'on puisse employer autre chose pour cela que les produits agricoles actuels, comme si le fait de nourrir un moteur avec une huile de qualité alimentaire formait une condition primordiale à son bien-être. Pourtant, la nécessité de remplacer le pétrole dans toutes ses utilisations va inévitablement générer des solutions qui n'auront rien à voir avec celles qui existent aujourd'hui, tout en étant, puisqu'elles sont dès le départ conçues pour ça, bien plus efficaces, comme, parmi tant d'autres, la production de carburant à partir de la matière grasse du phytoplancton que propose Bio Fuels Systems. La chimie puise l'essentiel de ses matières premières dans le seul pétrole parce que, même aujourd'hui, celui-ci reste abondant, et que c'est donc sur cette base que l'on a développé les processus actuels : il lui faudra, pour se reconvertir au végétal, quelques dizaines d'années. On peut parier qu'elle y arrivera.

Rien de plus caractéristique des Verts que leur opposition à ITER, au principe que ce prototype de réacteur à fusion ne marchera pas, alors qu'il est justement destiné à voir si ça peut marcher : le meilleur moyen d'imposer leur vues consiste précisément à faire en sorte d'interdire le développement de tout moyen d'échapper à l'avenir tel qu'ils veulent qu'il soit. Les Verts se contentent de proclamer, et d'imposer par ce seul jeu des tractations d'appareil auquel les contraint leur insignifiante force électorale, leurs solutions malthusiennes comme seules possibles. En cela, ils se conforment entièrement à leur habitus rigoriste, cherchant le salut dans la modération forcée, imposant le repentir pour les débordements passés, sanctifiant comme seul acceptable le monde dans l'état qui était le sien avant la révolution industrielle.
L'univers des Verts est celui du monde fini, de la terre plate, de la vertueuse autarcie d'une unité d'habitation rurale, autosuffisante et autorecyclante. Leur déroute électorale, qui leur permet de compter exactement les maigres troupes qui composent leurs rangs, le cinglant désaveu qu'elle implique de la part du peuple souverain et qui fait que, à gauche, l'on courtise désormais Bayrou et plus Voynet, ne les empêchera sans doute pas de continuer leur croisade. Mais désormais sans importance, si pas sans influence, leur pouvoir perdu hier en Allemagne, aujourd'hui en France, les écarte du jeu politique. Les multiples acteurs qui cherchent et développent les technologies de l'après-pétrole s'en porteront sans doute d'autant mieux, même si le stérile activisme des Verts n'aurait jamais empêché le monde de tourner.