Tout le monde ne partagera sans doute pas l'opinion selon laquelle le principal effet pratique de l'utilisation objectivement significative d'Internet dans les campagnes électorales encore en cours sera d'avoir fourni à quelques-uns l'occasion de bien s'amuser à la République des Blogs. Car si, de l'appareil au militant, on a passé de longues heures à détailler son argumentaire ou à essayer de convaincre son voisin virtuel, rien ne dit, tant la démarche qui consiste à saisir une url dans son navigateur nécessite un peu plus de conviction que le simple fait de mettre dans sa poche le tract que l'on vous tend, que ces heures n'aient pas été perdues à évangéliser des convaincus. La nouveauté tiendrait plutôt à l'apparition de nouvelles formes d'importuns qui, même s'ils agissent eux aussi à l'abri d'un anonymat dont ils seraient surpris d'apprendre à quel point il peut se révéler illusoire, se distinguent à mon sens assez significativement des trolleurs vieux comme Usenet pour qu'on puisse les classer en deux catégories spécifiques.

La première, relativement spécialisée et, espérons-le, éphémère, regroupe ceux que le Parti Socialiste a virtuellement recrutés en tant que "colleurs d'affiches du web", chargés qu'ils étaient, comme dans la vraie vie, non pas tant de fournir un quelconque argument, que de recouvrir immédiatement, avant même que la colle ne soit sèche, les arguments de l'adversaire, l'important n'étant pas tant de donner quelle que chose à lire que d'empêcher qu'on puisse lire ce qu'avait écrit l'autre. On a vu ainsi fleurir un peu partout et même, à la stupéfaction générale, ici, ces paragraphes conciencieusement recopiés d'un blog à l'autre, sans que l'auteur de la manipulation fasse le moindre effort pour assurer un semblant de cohérence entre ce qu'il copiait et le billet qu'il faisait de la sorte semblant de commenter. Naturellement, cette pollution qui ne pouvait avoir d'effet que contre-productif, qui se révèlait aussi efficace que de greffer une fleur séchée sur un rosier en espérant obtenir une variété nouvelle, est immédiatement partie à la poubelle, mais le fait que, au minimum, quelques sympathisants du Parti Socialiste et, pour autant qu'on ait pu, assez superficiellement, en juger, de lui seul, se soient permis de jouer les vandales, appliquant une stratégie décidée au plus haut niveau même si, comme d'autres, dans ce parti parti battu, elle l'a été dans l'improvisation et le chacun-dans-son-coin, constitue une charge de plus dans ce dossier qu'instruit Authueil.

Même si la seconde catégorie ne relève pas explicitement du militantisme, elle s'est, comme une mauvaise herbe, récemment enracinée sur ces blogs politiques lorsque ceux-ci, au-delà du cercle des fidèles lecteurs et contributeurs, ont, en raison de l'attention que leur a accordée la grande presse, touché le public bien plus large des quotidiens et des hebdomadaires. Et ceux qui polluaient conscienceusement les blogs des publications auxquels ils sont abonnés sont venus faire la même chose sur des blogs qui vivent fort bien sans eux, en conservant cette attitude caractéristique du client qui, puisqu'il paye, se sent autorisé à exiger que ce qu'il achète corresponde rigoureusement à ce qu'il en attend et qui, si les journalistes auxquels il s'adresse montrent une détestable tendance à ne pas obéir à ses ordres, brandit immédiatement la menace du désabonnement.
S'appliquant à un contenu mis gratuitement à la disposition de tous et ne requérant la participation de personne, pas même d'un lecteur occasionnel, on imagine à quel point une action du même ordre, qui en l'espèce n'aurait d'autre effet que de faire perdre un lecteur dont on se passerait bien volontiers, peut semer la terreur dans la blogosphère, puisqu'elle se limite à produire des commentaires aussi imbéciles que celui-ci, trouvé chez Jules. Pourtant, ce vandalisme peut authentiquement entraîner des effets néfastes, et c'est en tout cas par celui-ci que chez Econoclaste on explique la fermeture du blog de François Dubet. Cette analyse semble malgré tout un peu courte, tant ce blog, ouvert fin février sur la plate-forme d'un hebdomadaire, alimenté irrégulièrement et fermé début mai, donnait l'impression que son auteur avait, en le créant, plus cédé à une amicale pression qu'à une conviction profonde. Il n'empêche : il est toujours regrettable de se laisser envahir par la mauvaise herbe, et, dans l'intelloblogosphère, face aux renforcements incessants des économistes, le retrait d'un universitaire aussi éminent et respecté que François Dubet ne va pas conforter la position des sociologues.