Certains se souviendront sans doute de la brillante démonstration d'Edith Cresson, cette amie sincère du peuple japonais, alors ministre du Commerce extérieur, faisant des tours de manège dans la cour de son ministère en juin 1983 au guidon du premier scooter commercialisé par Peugeot depuis trente ans. Alors, déjà, toujours, il s'agissait de vanter les performances d'une industrie française certes en pleine débacle mais prête à lancer une contre-attaque d'autant plus courageuse qu'elle se déroulerait sur un terrain entièrement aux mains d'un ennemi alors japonais, et donc déjà asiatique. Ce terrain, celui du vélomoteur et de la moto, lui avait pourtant été abandonné depuis bien longtemps, puisque, si l'on excepte l'éphémère et pathétique 350 Motobécane, l'industrie locale s'était depuis les années cinquante contentée de produire des cyclomoteurs, la monture de l'adolescent en cours d'émancipation aussi bien que de l'OS en voie de disparition. Hélas, par prudence, perfidie, ou ignorance, les conseillers d'Edith Cresson s'étaient bien gardés de lui préciser qu'elle se trouvait en fait au guidon d'un scooter Honda, construit au Japon, importé tel quel et simplement revêtu sur place de la marque, et de l'insigne, au lion.

Pourtant, ce Honda acclimaté marquait, économiquement, un inattendu retour des choses. Le scooter, cette machine inventée par Piaggio à la toute fin de la seconde guerre mondiale, passée de mode durant les années soixante-dix, copiée dans le monde entier et en dernier lieu au Japon où elle retrouva sa fonction de véhicule utilitaire bon marché et peu encombrant, faisait à présent le trajet inverse. Importés d'abord, construits sous licence ensuite avant de donner finalement naissance à une gamme autochtone, les scooters de Peugeot Motocycles, exactement comme les motos du coréen Hyosung qui ressemblent comme des cousines de province aux Suzuki dont elles s'inspirent, montrent que cette pratique qui consiste à bâtir une industrie en copiant au départ un produit étranger n'est pas réservée aux pays émergents. Ainsi Peugeot, au même titre que cette anonyme galaxie de constructeurs chinois, mais dix ans plus tôt, a-t-il progressivement développé une gamme de plus en plus large, même si elle ne comportait guère que des cylindrées inférieures à 125 cm³. Aujourd'hui, profitant de l'énorme croissance du deux-roues motorisé urbain que l'on connaît depuis une dizaine d'années, le constructeur, sur la base de son Satelis, aborde, en lançant maintenant une version 500 cm³, le monde des grands ; symboliquement, le moment est décisif.

Car même sous emballage plastique et avec un moteur Piaggio, il s'agit là, si l'on ne tient pas compte de ces tentatives aussi répétées qu'infructeuses de ressusciter une industrie locale de la moto, et qui avortent généralement après avoir produit au mieux quelques centaines d'exemplaires, de la première machine d'aussi forte cylindrée à voir le jour en France depuis cinquante ans. Or, une 500, quelle que soit sa configuration, c'est une moto : le T-Max qui est un petit peu, si l'on ose se permettre une pensée aussi sacrilège, la 750 four de ce début de XXIème siècle, en apporte la preuve, avec son club, ses concentrations, et même ses compétitions, soit tout ce qui, sociologiquement, caractérise le motard, par opposition à l'usage purement utilitaire, socialement seul légitime, du deux-roues motorisé.
Le retour de Peugeot, archétype de l'austère, dans le monde du plaisir coupable, avec la commercialisation de ces scooters dont les propriétaires auront au moins été motards en passant leur permis, apporte au monde motard français une pièce désespérément absente, celle d'un constructeur local totalement introduit dans tous les recoins de l'appareil d'État ; bourgeois dehors, moto dedans, ce nouveau Satelis est un cheval de Troie.