Comment réprimer en l'absence du texte réglementaire vous y autorisant ? Il faut, à l'évidence, trouver un moyen de faire entrer le délit que l'on invente alors dans un cadre déjà existant, quitte soit à donner à l'infraction des contours sur mesure, soit à distordre légèrement le cadre. Les forces de l'ordre, dont l'imagination en la matière n'est jamais prise en défaut, avaient déjà développé un certain nombre de techniques pour réprimer une infraction que le Code de la route n'a pas prévue, l'interfiles, soit le fait pour un deux-roues, motorisé le plus souvent, de circuler entre deux files de voitures. On connaissait déjà le système de la nasse : sur une autoroute péri-urbaine, à l'heure où l'honnête travailleur, à moto ou en scooter, se rend vers la métropole pour gagner son pain, un motard de la police se place en interfiles, en prenant soin de réduire sa vitesse. Il bloque ainsi, progressivement, une quantité de plus en plus importante de deux-roues. Quand la pêche est jugée satisfaisante, un collègue du ralentisseur se positionne en serre-files, les policiers dirigent leurs prises vers l'aire de service la plus proche, et on verbalise.
Sur le périphérique parisien, la méthode diffère : puisque, légalement, aucune interception n'est nécessaire, et que, en l'absence d'aucune autre preuve, la déclaration du fonctionnaire suffit, les policiers notent la plaque d'immatriculation de leur proie. Celle-ci reçoit ensuite une convocation et apprend, de la bouche d'un OPJ, qu'il lui est reproché, en lieu et place de celle qui n'existe pas, trois infractions d'un coup, typiquement un dépassement par la droite, un non-respect des distances de sécurité qui, en l'espèce, semblent s'entendre dans un sens latéral, et un changement de file non justifié. L'addition se monte, au total, à trois fois 90 euros et six points retirés du permis ce qui, pour le simple fait de s'être trouvé à un endroit déterminé à un moment précis sans mettre qui que ce soit d'autre en danger que, très éventuellement, soi-même, paraît quand même relativement luxueux.

A Tourcoing, c'est le procureur qui entre en scène ; l'histoire que rapporte la Voix du Nord est un petit peu difficile à reconstituer. Il semble que les maires de l'agglomération soient particulièrement soucieux de lutter contre l'abus de ces petits deux-roues motorisés connus sous le vocable de pocket-bikes ; le procureur vient donc, au terme de 48 heures de garde à vue, de mettre en examen un local, au motif qu'il importait et vendait ces engins, vente qui, nous dit la Voix du Nord, s'agissant de véhicules non homologués, est bien évidemment interdite. Le motociste en question, qui n'est pas plus qu'un autre censé ignorer la loi, l'ignorait d'ailleurs d'autant moins que la police avait pris la peine de le prévenir, lui et ses collègues, des conséquences sur leur activité de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, et qui prohibe la commercialisation de ces véhicules.
Sauf que, si l'on suit l'argument de la coordinatrice juridique de la FFMC, qui sait de quoi elle parle, elle, le procureur se fonde sur l'article L 321-1 du Code de la route, inclus dans la loi en question, qui réprime donc lourdement la vente des véhicules qui ne sont plus conformes à leur réception par le service des Mines. Et de réception, pour les pocket-bikes, il n'y a pas et il n'y a jamais eu, pour la bonne raison qu'aucune de ces machines n'est admise à circuler sur la voie publique.
Une pocket-bike, dans les faits, ce n'est pas une moto, ni même un véhicule : une pocket-bike, c'est un jouet. Les pocket-bikes, comme les bien connues Yamaha PW, existent depuis vingt-cinq ans ; destinées aux enfants, elles ne sont utilisables que dans un espace privé, par exemple à l'occasion de ces séances d'initiation au motocross encadrées par des moniteurs, qui offrent aux enfants à la fois une occasion de se salir bien plus efficacement qu'avec une mélée de rugby, et un moyen sans pareil de se faire valoir dans les cours de récréation. Et, bien sûr, contrairement aux balivernes ressassées ici et là, la vente de ces jouets n'est, pour l'heure, en aucun cas interdite : sinon, quelqu'un devrait avoir la bonté de prévenir Yamaha, chez qui l'on ne semble pas être au courant.

On voit l'immense espace ainsi ouvert, d'un seul coup, par notre procureur : en mettant en examen ce motociste, en interprétant très librement cet article L 321-1, il vient d'élargir à tout ce qui roule la portée du Code de la route, et d'annexer tout l'espace privé au domaine public. Désormais, grâce à lui, en bonne logique, est interdite la vente de toutes les motos destinées à la compétition, et par voie de conséquence la compétition elle-même, mais également de tous les jouets comportant deux, trois, quatre roues et un moteur thermique ainsi que, puisque, comme le fait remarquer judicieusement la FFMC, il s'agit bien là de quadricycles à moteur, de certains types de tondeuses à gazon. Alors, comme vont les choses, en attendant la suite, autant être prudent. Un seul mot d'ordre : planquez vos trottinettes.