Le résultat de la transaction entre Jean-François Cirelli, président de Gaz de France et son actionnaire principal, l'État, pour fixer le montant de la première hausse en dix-huit mois des tarifs du gaz livré en France aux particuliers a donc mis en alerte la fibre spéculative d'Olivier Bouba-Olga qui a publié toute une série de billets sur la question. En cherchant à expliquer l'écart assez substantiel entre les besoins exprimés par GdF et les 4 % d'augmentation obtenus, lesquels correspondent en gros à dix-huit mois de hausse de l'indice des prix à la consommation, l'économiste poitevin passe en revue diverses hypothèses relatives au déroulement des négociations dont l'une, citant de façon cavalière Daniel Schneidermann qui cite à son tour Olivier Bonnet, lui vaut quelques commentaires acerbes. Mais il savait, bien sûr, en agissant ainsi, provoquer l'émoi des contempteurs acharnés du grand méchant marché.
Ceux-ci développent un argumentaire en effet bien répétitif, criant au scandale face à la hausse d'un bien de première nécessité dont l'augmentation du prix n'a d'autre but que d'engraisser un peu plus les actionnaires de l'entreprise. L'intérêt de la question ne tient pas tant au fait de démonter cet argumentaire, tâche qui, comme on pouvait s'y attendre, se révèle on ne peut plus élémentaire, qu'à celui de rechercher par quel circuit cette espèce de fausse monnaie peut se trouver blanchie, et pourvue du crédit nécessaire à sa circulation. Pour cela, il n'est besoin de rien d'autre que d'un navigateur web, des documents que tout un chacun peut se procurer, ici, et , d'un petit calcul de pourcentages, et de quelques notions de comptabilité.

Pour son exercice 2006, le chiffre d'affaires de Gaz de France atteint donc 27,6 milliards d'euros, et son bénéfice net 2,3 milliards. En prolongeant l'analyse sous la surface des choses, et en plongeant dans le compte de résultats, on remarque d'abord que ses achats lui ont coûté près de 20 milliards, et que le poste consommations externes représente 72 % de ce chiffre d'affaires. GdF n'est pas précisément une entreprise industrielle, mais le distributeur d'un produit livré tel quel, et acheté notamment en Russie et en Algérie. Même si l'essentiel de son approvisionnement passe par des contrats à long terme, le coût de ces achats forme une variable difficile à maîtriser, tant il semble périlleux de compter pour cela sur la mansuétude de Gazprom ou la bonne volonté d'Abdelaziz Bouteflika, et qui influe de manière déterminante sur sa rentabilité. Le résultat net de l'entreprise constitue un autre poste qu'il est intéressant de décomposer. GdF a en effet distribué sous forme de dividendes 1 082 millions d'euros, soit un taux de distribution de 47 %, taux assez confortable mais caractéristique d'une entreprise dont l'activité relève plus de la rente que de l'innovation. Et conformément à la répartition du capital, les actionnaires privés, qui en possèdent 18 %, vont donc toucher 195 millions d'euros. L'État, actionnaire et percepteur, recevra au total 2 213 millions d'euros, dont 1 104 au seul titre de l'impôt sur les résultats, les actionnaires privés 195 millions, soit 9 % de ce que l'État perçoit. J'en connais qui n'hésiteront pas à penser que le scandale se trouve là. J'en connais aussi pour qui 9 %, c'est encore trop.
Sorti des comptes, on doit évoquer un point important : la fourniture de gaz aux particuliers est-elle un service public ? Il faudrait, pour cela, au minimum, que la plus grande partie des foyers français l'utilisent, ou disposent du moins des infrastructures leur permettant de l'utiliser. Or Gaz de France, dans son rapport, précise qu'il dessert en France 10,5 millions de foyers, dont sans doute une portion non négligeable ne l'utilise que pour la cuisine. L'INSEE estimait le nombre total des ménages en 2005 à 26,4 millions. Si tout le monde se chauffe, encore que, de Mouthe à Menton, les besoins diffèrent considérablement, moins de 40 % des foyers français sont donc abonnés au gaz. A quel titre ces français-là devraient-ils bénéficier d'une énergie subventionnée, donc financée en partie par la fraction majoritaire de leurs concitoyens qui n'y ont pas recours, lesquels devront alors, en plus de l'énergie qu'ils utilisent, en partie payer celle qu'ils n'utilisent pas ?

Quand bien même elle répondrait à une quelconque utilité, la réfutation de ce type de discours préremptoire et militant ne présente donc aucune difficulté. Daniel Schneidermann, journaliste critique, se livre pourtant à l'opération inverse. Pourquoi ? Éprouverait-il la même sympathie à l'égard d'Olivier Bonnet si celui-ci n'avait pas, lui aussi, la carte ? Cette carte, en particulier dans l'univers des blogs, ne constitue-t-elle pas au yeux de ceux qui la possèdent, et qui cherchent à se démarquer en permanence de ceux qui ne l'ont pas mais écrivent quand même, un certificat d'authenticité, une garantie qui permet de supposer par défaut que son détenteur a respecté les principes de son métier ? Celle-ci, dès lors, ne permet-elle pas de tenir comme acquis que les écrits ainis produits sont conformes à ces principes, et de se satisfaire du résultat sans avoir à refaire le même travail d'élaboration ? La facilité de publication propre au web, et dont les journalistes dénoncent les conséquences, ne les concerne-t-elle pas ? Quel crédit accorder au journaliste indépendant, donc indépendant d'une rédaction, de correcteurs, et d'un chef, en somme de toute la structure de contrôle qui est aussi là pour lui éviter d'écrire des inepties ? Daniel Schneidermann aurait dû se méfier : même sous une plume de presse, sur les blogs, on peut dire n'importe quoi.