l'origine des semences
Dans ce dernier rebondissement qui dépose une pierre noire de plus sur le long calvaire des OGM, le freudien verra à coup sûr la marque de l'acte manqué. Mais l'amateur de sociologie politique s'intéressera plutôt à cette sorte d'inversion du rapport de forces, où la majorité se retrouve, en partie par sa faute, en partie à cause de l'activisme du clan d'en face où se conjuguent convictions et effet d'aubaine, en minorité. C'est que, sur cette question comme sur toutes celles qui ont trait à l'environnement en général, la droite n'a jamais été aux commandes : toutes ses actions se sont limitées à tenter de contenir les incendies allumés par d'autres. Et le jeu dure depuis si longtemps que plus personne ne pose une question pourtant fondamentale : à quel titre la représentation nationale s'occupe-t-elle de légiférer sur les OGM ?
L'ennui avec les sociologues, c'est qu'ils cherchent toujours des raisons qui ne sont jamais celles des autres, et que l'évidence qui s'impose à tous leur semble être le meilleur moyen de dissimuler des choses intéressantes. Après tout, avec les OGM dont il est, ici comme ailleurs, question, c'est à dire, dans une démarche radicalement réductionniste typique de l'activisme écologiste, les semences commercialisées et produites par génie génétique, et seulement elles, le législateur s'occupe de quelque chose qui, en principe, devrait à peine l'intéresser. Il va en effet s'immiscer dans une transaction commerciale entre deux acteurs, un semencier et un agriculteur, agissant dans un cadre réglementaire préexistant, le code du commerce par exemple, transaction qui, exécutée selon les règles, devrait, puisque l'on ne vit pas sous un régime d'économie administrée, ne le concerner en rien. L'objection inévitablement soulevée à cet instant du raisonnement porte sur la dangerosité supposée, et considérée comme incontrôlable, des semences en question, et aux innocentes victimes qu'elles feraient alors, consommateurs à leur insu d'aliments toxiques : on retombe ainsi sur une question de santé publique, que le législateur se doit de trancher. Pourtant, le même législateur ne se préoccupe nullement de l'intérieur de mes poumons, où il trouverait, non pas cette fumée de tabac aujourd'hui proscrite même en absorption passive, mais bien ces particules fines produites par un parc automobile majoritairement composé de véhicules diesel, particules très peu surveillées, qui salissent mes fenêtres au point d'en rendre le nettoyage illusoire, et qui risquent de s'accumuler longtemps, la construction du boulevard urbain promise depuis trente ans et qui doit dévier le trafic de transit rejoignant l'A15 risquant de ne jamais voir le jour et cela, bien sûr, pour d'irréprochables raisons écologiques. Et mon voisin ne s'est jamais soucié ni de ma santé, ni de mon avis, au moment de choisir ce moteur diesel qui n'a d'autre vertu que de lui faire économiser de moins en moins d'euros lors du remplissage de son réservoir : pourtant, il menace ma santé bien plus gravement qu'un agriculteur dont la production génétiquement déviante sera étiquetée comme telle. Pourquoi, alors, s'inquiéter d'une dangerosité imaginaire et anecdotique, tout en recouvrant un danger massif et réel du voile d'une indifférence qui relève de la négligence ? Bien sûr, comme toutes les fois où celle-ci est correctement formulée, poser la question, c'est y répondre.
Dans un article tiré de son mémoire de DEA et paru dans l'excellent Politix en 2001, et qui présente l'avantage annexe de
montrer combien, en dix ans, certains enjeux ont évolué, Olivier Baisnée explicite la stratégie offensive et opportuniste que Greenpeace a mise en oeuvre, avec un plein succès, en 1997, pour transformer en problème politique national l'usine de retraitement de La Hague, qui existait depuis trente ans sans que personne ne s'y intéresse, et dont les rejets de produits radioactifs diminuaient régulièrement. Et le rôle du politique, avec l'arrivée au pouvoir de Lionel Jospin et de la première ministre de l'écologie Verte, Dominique Voynet, qui ouvrira une porte restée hermétiquement close lors des législatures précédentes, fussent-elles socialistes, sera primordial, puisque la bienveillance du pouvoir justifiera qu'une multinationale écologiste encore peu active, sinon sur le territoire métropolitain, du moins autour de problèmes strictement locaux, consacre le temps, les effectifs et les budgets nécessaires afin de, pour reprendre les termes d'Olivier Baisnée, publiciser le risque nucléaire.
Avec la forte concurrence qui règne parmi la multitude des candidats potentiels au rôle de scandale écologique national, l'heureux gagnant devra satisfaire à un certain nombre de critères. Il en est ainsi
de la Hague comme des OGM, même si, dans le second cas, le rôle moteur dans la popularisation d'un sujet comme toujours extrêmement technique sera tenu par des moustachus bien de chez nous, plutôt que par des bonshommes blancs en combinaison de peintre. Et dans les deux cas, la droite et, plus généralement, l'appareil du pouvoir technocratique qui continue à lui être associé, occupera la position de l'accusé, donc du coupable. Le retard accumulé, l'avance prise par les autres la condamnent à toujours rester sur la défensive, donc, faute de légtimité, à courir le risque paradoxal de voir chacun de ses mouvements n'apparaître que comme purement opportuniste. Et ce n'est pas avec un joker
qui participe au jeu d'un façon très personnelle et avec ses propres règles, ni en repeignant en vert le site du Ministère des transports que l'illégitimité de la droite à traiter de ces questions va s'atténuer.
Commentaires
Fréquentant régulièrement ce blog je me souviens des intérogations relevées sur la légitimité du "Grenelle de l'Environnement" et particulièrement de la représentativité des associations issues de la société civile. Il était noté que la seule légitimité démocratique revenait à la représentation nationale ointe de l'onction du suffrage uniiversel.
Je suis donc pour le moins surpris de voir aujourd'hui le rôle de ladite assemblée contesté en la matière puisque nous apprenons qu'elle devrait à peine s'intéresser aux OGM...et celà au lendemain du jour où la représentation nationale vient d'adopter une motion disant, en parfait accord avec l'auteur de ce blog, qu'il n'y avait pas matière à légiférer en l'état puisque tel est l'objet de la question préalable soulévée par le député communiste.
Outre la question de fond, je me demande si Denys est toujours de bonne foi.
Dans notre société moderne où les réglementations s'immiscent partout, plus que cette immixtion de l'état dans des affaires qui pourraient rester de l'ordre du privé, c'est bien le problème du 2 poids, 2 mesures qui pose problème avec les OGMs.
Les semenciers qui vendent des OGMs visent plutôt la clientèle qui utilise des produits chimiques pour traiter ses champs. Or je constate que la réglementation en la matière est nettement plus légère: un produit une fois autorisé fait l'objet de très peu de contrôle dans son usage. L'état a même énormément de mal à faire retirer de la circulation des produits dont on sait qu'ils sont véritablement dangereux comme le chlordécone.
Dans le cas des OGMs, l'agriculteur doit déclarer où il va planter, respecter des distances de sécurité, assumer les conséquences d'une éventuelle contamination. La comparaison avec l'usage des produits chimiques est pour le moins étonnante car dans ce cas on ne lui demande ... rien. Alors même que ce sont des objets concurrents et qu'on devrait chercher quel est le moins nocif des 2. Mais non, on compare à une situation assez illusoire où un champ serait laissé sans aucun traitement...
Alors là, Vincent, ça te va bien de jouer les naïfs. Non, ce que j'écris aujourd'hui n'entre pas en contradiction avec ce que j'avais dit hier, puisqu'on se trouve dans deux ordres différents, le concret et le spéculatif, et deux moments distincts, en aval, et en amont. Bien sûr que le parlement légifère sur les OGM : il y est contraint, ne serait-ce par l'obligation de transposer cette directive européenne qui, comme d'habitude, s'est faite attendre bien au delà du raisonnable. Et mieux vaut un parlementaire qu'un activiste, en espérant que, faute d'avoir plus de voix, un Jean-Yves Le Déaut ait plus d'influence qu'une Marie-Christine Blandin.
N'empêche que cette question n'est pas venue naturellement à l'ordre du jour. Après tout, ces OGM interdits ont été autorisés voilà dix ans, et ce n'est pas la pantalonnade du Comité de Préfiguration à la Haute Autorité truc qui permet de justifier ce revirement. Et comme le remarque Proteos, la différence de traitement entre le contrôle qui s'exercera sur ces semences dont personne n'a prouvé la nocivité, et l'usage incontrôlé de produits phytosanitaires effectivement dangereux mais, comme toujours, uniquement pour ceux qui sont quotidiennement en contact avec eux, les agriculteurs, est significative.
On est donc intégralement dans le construit social, dont il convient d'expliquer comment il se constitue, pourquoi, et comment cette question-là a été choisie au milieu de tant d'autres : profitons-en donc pour jeter un oeil sur la littérature sociologique consacrée au sujet, et généreusement disponible en accès libre grâce à Persée : outre Olivier Baisnée, Sylvie Ollitraut est spécialiste des mouvements écologistes, avec des articles ici, là, et là.
Dans une société en pleine mutation, pas étonnant que les OGM émeuvent. Tous les génomes mutent aujourd'hui, y compris le socialiste qui vient d'intégrer la séquence libérale. Les distances de sécurité n'étaient pas respectées à droite, ouverture, elle ne le sont plus à gauche, ouverture inverse... Bayrou ne sait plus qui est à sa droite, qui est à sa gauche.
Nous non plus.
Le seul point sur lequel je jouais le naïf était de soutenir que le texte était refusé, il est voté depuis hier et donc tout est rentré dans l'ordre.
Il n'en reste pas moins que je garde un sentiment désagrable de cet épisode qui voit un choix de société, qui dépasse de simples considérations commerciales, réglé comme une simple question de pouvoir au sein de la majorité.
Mon opposition aux ogm est bien plus lié aux questions de brévetabilité du vivant qu'à un quelconque risque sanitaire, au demeurant non-exclu, et ce point là n'est curieusement jamais abordé.
C'est vrai que le "brevet sur le vivant", l'appropriation pour les siècles des siècles par une odieuse multinationale du patrimoine génétique légué par Dame Nature, ça fait peur. Sauf que, d'une part, tu sais très bien que ces siècles-là durent vingt ans, et que, de l'autre, Dame Nature n'est qu'une fiction : agriculture et naturel sont mutuellement exclusifs, et ce vivant-là est purement artificiel.
On peut s'amuser comme des fous à semer des graines de moutarde japonaise dans son jardin, mais les agriculteurs, eux, se fournissent chez des semenciers qui développent des quantités de variétés spécifiques, et brevetées, même sans OGM : voir, une fois de plus, Maïsadour, producteur landais de semences hybrides au matériau breveté, semences qu'il est fortement déconseillé de replanter, mais qui ne contiennent pas la trace d'un OGM.