Aujourd'hui donc, par l'exercice d'une discipline librement choisie qui la conduit à adhérer aux exigences d'une loi qui n'existe pas encore, France Télévisions aligne ses créneaux publicitaires sur ceux de ses collègues germaniques ARD et ZDF, chez qui la publicité disparaît des écrans à partir de 20h00. On peut parier qu'elle n'espère pas du gouvernement qu'il compense le manque à gagner ainsi créé par un alignement d'un autre ordre, le montant de la redevance locale ayant fort peu de chances de seulement s'approcher de celui qu'acquittent les citoyens allemands. Mais cette première intervention lourde de l'actuel président dans le fonctionnement du système télévisé dont l'État s'occupe appelle deux séries de remarques, par lesquelles on s'interrogera d'abord sur les positions de ceux qui, justement, n'ont pas eu la parole même s'ils sont directement concernés, puisque leur destin professionnel et social dépend de la télévision publique comme employeur et commanditaire.

Ainsi, les pourfendeurs de la dictature de l'Audimat, à l'image de Pascal Thomas s'exprimant dans le Monde de samedi d'une manière un petit peu plus nuancée que ne le laisse penser la phrase exhibée en exergue à son entretien, s'inquièteront peu d'une diminution des ressources des chaînes. Leur cahier des charges restant identique, il leur faudra en effet produire autant à moindre coût tout en n'ayant plus à se conformer à des objectifs commerciaux, donc ouvrir leurs grilles à ces programmes que Pascal Thomas appelle de ses voeux, et dont les auteurs acceptent cet arbitrage qui a toujours fait vivre le cinéma indépendant, dans lequel ils échangeront moins de moyens contre plus de liberté. Rien ne dit, pourtant, que Pascal Thomas ait raison. Car cette télévision affranchie des obligations d'audience existe depuis longtemps, d'abord avec l'exemple singulier d'Arte, puis plus récemment avec la floraison des chaînes de la TNT. Dans un cas comme dans l'autre, un regard désengagé ne peut pourtant, au-delà de différences souvent tactiques et factices, ignorer le spectacle accablant de leur commun conformisme.
C'est que la télévision, dans son ensemble, constitue ce qu'un sociologue en voie d'oubli appelait un champ, un univers social relativement clos et autonome dans lequel les acteurs, cherchant à améliorer leur situation sociale et leur position hiérachique, s'affrontent dans un jeu qui n'a de sens que pour eux. Que l'audience des chaînes de la TNT reste confidentielle ne les empêche pas de singer servilement leurs ainées, TF1 ou M6, et pas seulement parce que certaines d'entre elles sont leurs filiales. C'est qu'elles jouent, toutes, même Direct 8 qui désormais ne vaut plus guère que par la rediffusion à l'usage des très jeunes générations de l'immortel et inégalable Starsky & Hutch, ce qui ne relève quand même pas d'une gigantesque ambition, le même rôle de pépinière, d'entrée dans la carrière de journaliste, d'animateur ou de producteur de ces nouveaux venus qui, tous, rêvent d'autant plus de devenir un jour calife à la place du calife que les positions des actuels potentats, ne serait-ce que pour de triviales raisons biologiques, s'effritent un peu plus chaque jour, et n'ont d'autre stratégie pour arriver à leurs fins que la plate imitation de leurs modèles. Telle est la logique du champ, où l'on n'a aucun besoin de contrainte commerciale pour se conformer de la façon la plus étroite à cette manière d'être, cet habitus, dans laquelle on investit en espérant bien en tirer, un jour, profit.

La manière, aussi, est intéressante. Sans trop remonter dans le temps, on peut s'attacher à rechercher ce qu'il peut y avoir d'original dans la façon dont le pouvoir actuel décide à sa place de ce qui convient, au delà de la seule télévison publique, à l'ensemble d'un secteur économique qui dépend très étroitement des rares commandes d'une quantité relativement infime de diffuseurs. L'essentiel ayant été accompli lors du premier septennat de François Mitterrand, il n'est d'abord plus possible de modifier la situation autrement qu'à la marge. Avec la création de Canal +, François Mitterand réussissait l'exploit de stériliser un appareil technique aussi vital que, à l'époque, rare, un réseau de diffusion, hertzien en l'occurrence, de détourner vers une chaîne à péage à l'audience confidentielle des ressources qui, ailleurs, ont permis le développement du câble, et, en la confiant à André Rousselet, un de ses plus indéfectibles soutiens, de s'en assurer le contrôle tout en passant pour un modèle d'ouverture et de modernité. En privatisant TF1, le gouvernement de Jacques Chirac barrait une autre route, celle du développement de la télévision privée, et inaugurait la voie des petits cadeaux aux vieux amis, que Nicolas Sarkozy emprunte à son tour : ainsi, les deux tendances se retrouvaient dans une commune politique malthusienne qui, en organisant le sous-développement du secteur, facilitait son contrôle. Cette réforme-là ressemble donc, dans son inspiration, ses modalités ou son déroulement, comme une petite dernière à celles qui l'ont précédée. Seul change la manière, l'autoritarisme vainement gaullien, le mépris des formes et du parlement qui, avec cette mise en oeuvre par anticipation, vire au grandiose, l'absence presque pathétique d'habileté politique, l'incapacité totale à voiler si peu que ce soit des intentions qui, du coup, n'ont plus rien de caché, tout ce qui, de fait, est à la fois parfaitement superficiel, et profondément sarkozyen.