Tenir un blog, cet exercice d'une vérité toute relative, n'interdit pas de préserver une certaine dose d'honnêteté intellectuelle, qui implique donc, le cas échéant, de reconnaître s'être trompé. En juillet dernier, le retour de l'Irak dans le grand concert des nations pétrolières avait valeur de coup d'essai, le gouvernement ne proposant à l'exploitation qu'une petite partie de ses ressources, et un seul champ majeur, attribué à BP et au chinois CNPC. L'échec notable de la procédure, l'impossibilité de trouver un accord sur les rémunérations des exploitants, fixées par les irakiens à un niveau inférieur à deux dollars du baril, pouvait s'analyser comme première étape d'un processus d'apprentissage, celui des conditions du marché, celui aussi de la valeur réelle, dans un pays cumulant les handicaps, d'une richesse minérale certes extrêmement convoitée, mais qui ne saurait toutefois être exploitée à n'importe quel prix. La logique aurait donc voulu que, lors de la seconde étape tenue le week-end dernier et qui donnait accès à une bien plus considérable quantité de ressources potentielles, l'accord se fasse sur des prix un petit peu plus élevés. Mais il n'en a rien été. Salué comme un succès par son organisateur, cet appel d'offres qui a vu plétore de candidats et, en conséquence, surenchère à la baisse, se traduit par des rémunérations tellement faibles que, même chez Reuters, on a tendance à les interpréter à l'envers, comme des redevances versées à l'Etat irakien, et qui s'étagent entre 1,15 et 1,40 dollar du fût. On a beau ne pas être spécialiste, on a du mal à voir, à un tel niveau, comment diable il est possible de gagner sa vie. Mais peut-être que, comme toujours, celui-ci se cache dans les détails, et dans les non-dits.

De prime abord, chacun trouve un perdant à sa porte. Ainsi en est-il de Total, reparti presque bredouille de ces territoires qui l'ont vu naître. Mais les majors américaines ne font guère mieux, laissant à la seule ExxonMobil le bénéfice d'avoir été sélectionnée lors du premier appel. Si BP et Shell trouvent chacune à s'implanter dans un territoire qui a été britannique, la liste complète des adjudications montre à quel point les gagnants appartiennent tous à la même catégorie : bien que, d'une manière générale, elles ne soient plus inconnues, ces entreprises, souvent des sociétés publiques, viennent des pays émergents. On trouve ainsi aux premières places la malaisienne Petronas, les russes Gazprom et Lukoil, le chinois CNPC. On retrouve aussi, autour de Mossoul, un nouveau venu, l'angolais Sonangol, seul candidat pour les zones vraiment risquées, et, d'ailleurs, historiquement, doté d'une riche expérience des situations tendues, seul aussi à obtenir des rémunérations qui, bien qu'inférieures à ses attentes, vont bien au delà du dollar et quelques dont devront en principe ses contenter ses infortunés concurrents.

En somme, globalement, les réserves sont abondantes, de bonne qualité et faciles à exploiter, la rémunération dérisoire, les engagements, en matière d'investissements comme de production, impossibles à tenir, et la situation politique et réglementaire guère plus stable que six mois plus tôt. De plus, les heureux gagnants verseront pour chaque champ un droit d'entrée qui varie entre 100 et 200 millions de dollars. D'expérience, on imagine assez facilement la destination de ces rétributions. On imagine aussi ce qu'il adviendra de l'océan de liquidités qui inondera le pays, une fois les barils extraits. Certes, toutes ces bizarreries peuvent sans doute se justifier par la prime dont doivent s'acquitter les nouveaux entrants sur un marché déjà plus que mûr, et pour lequel l'Irak représente très probablement la dernière grosse occasion d'accéder en grande quantité aux ressources qu'il propose. Mais le niveau déraisonnable de la prime en question, produit d'une surenchère que, à l'image de Total, les majors, qui en avaient les moyens, ont refusé de suivre, incite à spéculer sur la manière dont, tous novices qu'ils soient, les compétiteurs réussiront à empêcher la transformation de l'or noir en plomb.
Leur première stratégie consistera certainement à réduire autant que possible la taille comme le coût des investissements. Sans doute, par exemple, espèrent-ils se défausser sur des sous-traitants qui, à leur tour, accepteraient d'essorer leurs marges. Pour les ouvriers de ces chantiers, aussi bien que pour les populations alentours, la vie sera difficile. Peut-être sont ils aussi prêts à consentir quelques pertes, gages de bénéfices lointains. Mais, à l'évidence, leur stratégie essentielle est ailleurs, par exemple dans les clauses en petits caractères qui figurent sans nul doute en bas de leurs contrats, mais dont, tant qu'elles ne serviront pas, on ne saura rien. Dans sa pertinente conclusion, le journaliste de Reuters rappelle que rien de définitif ne sera signé, et aucun investissement entrepris, avant les élections du mois de mars, et que, appuyées sur des positions désormais acquises, les compagnies disposeront alors de quoi forcer, dans l'ombre, une renégociation. Comme pour tous les marchés de dupes, l'avenir apportera la réponse à la question fondamentale : qui trompe qui ? Et il se pourrait que ce ne soit pas celui qu'on croit, et que la conclusion n'ait besoin que de quelques mois pour se manifester.