Honnêtement, il faut avouer que l'on n'a pas dépouillé la presse germanique pour savoir si la récente initiative du WWF orchestrée par l'agence de relations publiques Dederichs Reinecke & Partners a connu outre Rhin quelque succès. En France, et sauf peut-être pour les initiés, il faut s'en remettre à Linuxfr pour apprendre de quoi il s'agit. Sous l'astucieuse devise "Save as WWF, Save a Tree", la branche allemande de l'organisation de défense animale promeut un nouveau format de fichier applicable aux documents textes, un cousin du PDF développé par Adobe et désormais dans le domaine public. En plus de son nom et de son logo vert, ce format se distingue de son devancier par une unique propriété : avec lui, l'impression du document en question est impossible. L'objectif, bien sûr, c'est de sauver les arbres, ceux qui sont irrémédiablement broyés par les féroces mâchoires de la déforestation et qui, laminés, déchiquetés, réduits en une bouillie nauséabonde, finissent dans ces rames de papier A4 avalées ensuite, en quantité industrielle et, souvent, sans autre destination que la corbeille, par les imprimantes de la mondialisation bureaucratique. Les mauvais esprits ne manqueront pas de remarquer que l'étude qui justifie la démarche de l'organisation écologiste, et qui dénonce le gaspillage de papier auxquels se livrent ceux qui n'acceptent de lire un courrier électronique qu'après qu'il ait été imprimé, a été conduite en 2005 pour le compte de Lexmark, le fabricant d'imprimantes qui, certainement, compte parmi les chauds partisans de l'initiative. Retourner ses propres armes contre l'adversaire, voilà sans nul doute un comportement digne de la guerre révolutionnaire qu'il faut mener pour enrayer l'extermination des eucalyptus. Mais, en raison même de son caractère anecdotique, cette initiative mineure en dit long sur les représentations du concurrent de Greenpeace.

Car, de longue date, l'interdiction d'imprimer figure parmi les propriétés de sécurité du format PDF, avec comme objectif premier d'éviter la modification et la diffusion de documents sur lesquels l'auteur souhaite, de manière sans doute un peu illusoire, garder un certain contrôle. Ces restrictions sont, par exemple, accessibles dans les options qu'offre un logiciel libre comme OpenOffice.org. Nul besoin, en d'autres termes, pour obtenir le résultat souhaité par le WWF, d'inventer quoi que ce soit ; il suffit d'adopter et de promouvoir le logiciel libre, et sa démarche qui consiste à traiter l'utilisateur en adulte, et à mettre à sa disposition tous les éléments nécessaires à son éducation. Le WWF, a l'opposé, a choisi comme moyen d'action la contrainte seule, dans sa forme la plus brutale, mais aussi la plus élémentaire. Pas la peine d'apprendre, pas même besoin de penser : un automatisme, un de ces fameux gestes simples qui font fortune dans les étroits créneaux publicitaires d'après journal télévisé, et la planète est sauvée. Au WWF, on refuse d'enseigner aux hommes la bonne manière de pêcher : ils sont déjà infiniment trop nombreux à savoir comment faire. On préfère les nourrir d'une bouillie instantanée, prête à servir ; on préfère promouvoir la servitude, et contraindre leurs comportements, tant on se refuse à croire qu'ils soient pourvus d'intellects, et capables d'un peu plus de discernement que cet animal que, de tout façon, on préfère.

Au même titre que le bien connu PDFCreator, la chose se présente sous la forme d'un programme qui, pour l'heure, n'existe que pour Mac OS X et qui crée une imprimante virtuelle, qu'il faudra sélectionner au moment de procéder à l'impression du document voulu, de façon à obtenir ce fameux fichier au format .wwf, interdit d'impression. Ce qui, nécessairement, ouvre deux pistes de réflexion fécondes, bien que distinctes. On le constate, la manœuvre est contre-intuitive : pour choisir de ne pas imprimer, il faut d'abord décider d'imprimer. Il faut, aussi, connaître ce que peu de gens savent, cette manipulation certes simple et à la portée de tous, de ceux, du moins, dont les administrateurs système n'ont pas interdit de modifier l'imprimante par défaut, qui consiste précisément à changer celle-ci. Ce fait de savoir, cette capacité de décider, cette nécessité d'apprendre que l'on refuse au destinataire du document, on l'accorde donc à son auteur. Et ce que l'on peut deviner derrière cette apparente contradiction, c'est une partition sociale où l'on trouve, d'un côté, les bons, les militants, les aristocrates, seuls producteurs et diffuseurs de bonne parole, et de l'autre la masse, les consommateurs, ceux que l'on désespère d'éduquer et que l'on ne cherche désormais plus, par tous les moyens, qu'à contraindre. L'application, de plus, n'existe pour l'heure que pour Mac OS X, un choix, en première analyse, surprenant, la part de marché globale de ce système ne dépassant guère les 5 %. Mais Windows, qui anime 90 % des PC de la planète, c'est le système du vulgaire. Les distingués adhérents et sympathisants du WWF, journalistes, publicitaires, enseignants, universitaires, artistes, professions libérales tournent, eux, sur Mac OS X, et c'est pour eux, et contre les autres, que l'application est conçue. La réputation d'Apple, discret champion du logiciel fermé, idole planétaire chez les jeunes modérément technophiles et, dès lors, plus grosse, ou à peu près, capitalisation boursière mondiale comme petite boîte sympa et alternative demeure décidément, et en particulier chez ceux qui ne veulent rien savoir de ce qui pourrait les gêner, indestructible.
En plus du bon et du brut, l'initiative du WWF définit aussi un truand, l'industrie papetière au compte de laquelle le communiqué de presse porte la responsabilité de la déforestation. Faire comme si la plus renouvelable des ressources était inexorablement condamnée représente sans doute une de plus troublantes apories du raisonnement écologiste. Or, dans les pays développés, gros consommateurs de papier, la forêt se porte on ne peut mieux. Et ailleurs, le défrichage a comme objet de convertir les forêts en terres agricoles, et constitue donc une opération par définition contraire aux intérêts des papetiers puisqu'elle les prive définitivement de leur matière première. Alors, avec cette initiative dérisoire, cette innovation illusoire, cette justification mensongère, on a l'impression, en fait, quel le WWF se moque du monde, et de la planète entière.