génération 4
Si le pouvoir n'aime rien tant que de se mettre en scène, ses dramaturgies, dont la pauvreté en dit long sur l'estime qu'il porte à ses spectateurs-électeurs, lui valent souvent des bordées de sarcasmes. L'image de Norbert Röttgen, ministre fédéral de l'environnement, de la protection de la nature et de la sûreté nucléaire quittant tout guilleret la chancellerie à vélo, en ce grand soir d'un dimanche historique durant lequel, au bout d'une réunion de treize heures, l'Allemagne s'est choisi un avenir sans électronucléaire, a ainsi excité les critiques, guère abusés par la démonstration et dont les plus pointilleux noteront à quel point son vélo, acquis l'an dernier, ne semble que bien rarement utilisé. Mais, après tout, il n'y avait sans doute pas de meilleure occasion de l'exhiber que cet instant où sa charge perd la dernière de ses attributions, et pas de message plus pertinent à adresser à ces citoyens allemands qui paraissent unanimes dans leur détestation de l'atome que de leur montrer que l'énergie, désormais, ce serait à eux de la produire. L'ennui, dans l'affaire, c'est que les conséquences de cet abandon déborderont largement des frontières fédérales.
Et pour commencer, une confirmation : Kyoto, c'est foutu. Les nobles déclarations, les vertueux engagements, et les pauvres efforts des pays riches en matière de réduction d'émissions carbonées ne compensaient déjà pas l'essor des pays émergents, essor à cause duquel un chinois émet désormais autant qu'un français. L'abandon de l’électronucléaire, grâce auquel un allemand émet à peine moitié plus qu'un français, va profiter aux deux grandes spécialités locales, le charbon, et le lignite. Mais qu'on se rassure : c'est du charbon propre, enfin, un peu moins sale, et cet horrible dioxyde de carbone, on va l'incarcérer dans un enfer spécialement conçu pour lui. Évidemment, on ne sait pas vraiment combien de temps il y restera. D'ailleurs, pour rassurer les sceptiques, Vatenfall, l'électricien suédois, particulièrement riche de projets, et pas avare de rejets, montre qu'il sait faire face à ses responsabilités : il a ainsi construit sur l'Elbe le plus grand escalier à poissons d'Europe.
En bonne logique, cette décision remet aussi en cause la participation allemande, au travers d'Euratom, au développement de la génération 4. Un gouffre sépare en effet les technologies du monde contemporain, sorties des laboratoires de la recherche fondamentale, l'énergie nucléaire ou photovoltaïque, l'électrochimie, la biologie des carburants, des techniques classiques et médiévales, en particulier celles qui utilisent le vent. Car, de ce côté-là, puisque l'on n'est pas près de découvrir un moyen de concentrer celui-ci autrement qu'en tirant profit de situations géographiques particulières, aucune révolution n'est possible : quelles que soient les prétentions des producteurs d'éoliennes, leur effort de recherche n'apportera que des optimisations marginales à un processus de production qui n'a pas varié au fil du temps, et qui ne changera jamais. À l'inverse, concevoir et produire de nouvelles filières de réacteurs nucléaires qui résoudront tous les inconvénients des premiers modèles, c'est l'objectif de la génération IV, considérable programme de recherche transnational qui explore les pistes les plus diverses, avec comme élément commun d'apporter une solution aux problèmes qui font que la technologie actuelle ne peut être que transitoire, la sûreté, la production de déchets à vie longue, l'épuisement des ressources en
uranium.
On expérimente ainsi, en particulier en Inde, et pour des raisons politiques et économiques, un combustible inusité,
le thorium. Toshiba envisage la production en série de petits réacteurs à neutrons rapides, qui pourraient fonctionner sans maintenance durant trente ans. Tandis que l'Europe réfléchit, le CNRS et le CEA suivent aussi la piste du thorium et des neutrons rapides ; et, en collaboration avec AREVA, le Commissariat
travaille sur Astrid, un prototype de réacteur à neutrons rapides qui bénéficie d'un crédit d'un milliard d'euros. Les avantages attendus, une efficacité dans l'emploi des ressources qui assurerait, au niveau actuellement connu, plusieurs milliers d'années de fonctionnement, une sécurité passive, une production de déchets dont les plus dangereux retrouveraient un niveau de radioactivité naturelle au bout de trois siècles, justifient que l'on s'engage dans un effort auquel l'Allemagne, avec ses électriciens et ses universités, participait, et qu'elle devrait donc abandonner, puisqu'elle a décrété que ces recherches n'avaient pas d'avenir. Elles ne sont, il est vrai, pas près d'aboutir et mieux vaut, de toute façon, prendre son temps : on sait très bien ce qui adviendrait aux lointains descendants de Super Phénix si les marchands de peur réussissaient à publiciser leur existence. Mais, après les dix,
vingt ans ou trente ans nécessaires à leur développement et à leur industrialisation, ils arriveront sans doute dans un écosystème qui aura fondamentalement changé.
Car la décision allemande a comme conséquence immédiate, comme l'écrivait Nicolas Barré, de transformer le plus gros consommateur d'électricité européen en très encombrant passager clandestin du nucléaire national. Pour l'instant, tout va bien, puisque les centrales d'EDF sont de nouveau disponibles, et qu'elles permettent d'exporter à profusion. Certes, on s'inquiète un peu pour l'hiver, lorsque la production sera détournée de cette noble fonction d'entraide internationale pour chauffer les HLM. Mais l'épreuve de vérité pourrait survenir plus tôt, pour peu que les conditions météorologiques se maintiennent. Le déficit pluviométrique affecte déjà la production hydroélectrique, et pourrait, si la situation empire, contraindre à arrêter plusieurs tranches nucléaires. La forte chaleur, l'anticyclone qui réduit les éoliennes au silence, l'arrêt brutal du nucléaire allemand, toutes ces paramètres fragilisent un réseau qui n'attend plus qu'un coup de foudre pour s'effondrer, dans une réaction en chaîne qui s'étendra à l'Europe entière. Finalement, loin de faire le jeu électoraliste des écologistes, la chancelière a peut-être, en fait, tenté le coup de la politique du pire, et choisi la thérapie de choc. C'est courageux.
Commentaires
bizarre, le risque de voir le carbone stocké s'échapper est évoqué mais pas celui des fuites des déchets nucléaires et l'impact potentiel que ça aurait sur les nappes phréatiques dans 300, 1400, 3219 ans..
tout comme il n'est rien dit sur le fait qu'en cas d'accident nucléaire, les opérateurs ne sont assurés qu'à hauteur de quelques millions maxi quand les dégâts se chiffrent à bien plus.
rien non plus sur le coût du démantèlement et de surveillance des déchets radioactifs.
idem sur l'épuisement des ressources qui doit nous inciter à réaliser de grosses économies d'énergie.
Effectivement, c'est un cycliste dangereux qu'on voit sortir de son ministère. Costard noir, pas de gilet jaune, pas d'éclairage: bonne recette pour se faire écraser! Heureusement d'ailleurs qu'il y a les TVs pour le voir sortir, parce que vu le peu d'éclairage public, il ne saurait pas où il va.
Le problème de la Génération IV et plus particulièrement des RNRs, c'est aussi leur prix. Superphénix a été arrêté en partie à cause de ça. Il faut dire qu'à l'époque la chute du communisme avait rendu disponibles les stocks d'uranium de l'ex-URSS.
@le gloppeur: c'est vrai que la surveillance des déchets de la combustion ne coûte rien, vu qu'on rejette tout dans l'atmosphère actuellement. Certains se plaignent d'un réchauffement de ce fait, mais on a vu que c'était pour la forme.
Quant à l'épuisement des ressources, c'est aussi un des espoirs du nucléaire: avec des RNRs, on dispose de cycles permettant de tenir des milliers d'années avec les réserves prouvées d'uranium et de thorium.
Portrait du passager clandestin en pied (et en chopine) : http://opignon.manu-xyz.com/2011053...
Autre délicieux paradoxe de la situation allemande. Les déchets nucléaires vitrifiés reviennent à une radioactivité de celle de l'uranium tirée des mines au bout de 100 000 ans contre 250 000 ans sans traitement.
Les déchets à haute radioactivité (5%) en sortie de centrale sont constitués de plutonium, recyclés en MOX, qui serviront dans le cycle classique d'Uranium 235/Plutonium 239, de produits de fission et d'actinides mineurs (ou transuraniens, ceux qui sont les plus pénibles). Le reste (95%) est de l'uranium dont la radioactivité est très proche de celui tirés des mines.
Avec la Génération IV, on peut consommer les actinides mineurs (cela a été prouvé expérimentalement avec Phénix qui a bien fonctionné mais il reste des défis pour l'utiliser dans des réacteurs commerciaux) ce qui nous laisse avec des produits de fission dont la radioactivité au bout de 300 ans revient à celle de l'uranium exploité dans les mines.
En sortant définitivement du nucléaire, l'Allemagne se prive d'une énergie abordable et à production fixe à grande disponibilité et paradoxalement (j'y vient !) de tous moyens de se débarrasser des déchets à longue vie avec la prochaine génération
Il est important de noter que, désormais, les critiques contre le plan viennent des Ländern ainsi que de la base électorale du parti de Markel, sans compter les groupes exploitants du nucléaire se retrouvant avec des arrêts intempestifs de leurs installations et une taxe importante sur l'uranium utilisé ; taxe instaurée lors de la prolongation de 10 ans des centrales en fin d'année dernière...
La "mise en veille" de plusieurs centrales nucléaires n'est peut-être pas pour rien : si les ennuis s'accumulent et la dure réalité budgétaire (elle arrivera, même en Allemagne) et d'approvisionnement frappe, alors une porte de sortie aura été laissée ouverte.
De toute façon les compagnies allemandes sont en train d'investir à l'étranger dans les centrales nucléaires : Pays-Bas (prise de participation à 30% dans la future centrale, l'autre pays qui s'y lance), en Suède, en Bulgarie et au Royaume-Uni où le gouvernement a le projet de couvrir à 40% l'électricité par ce moyen (voir les billets de George Monbiot). Seul Siemens s'en écarte, et encore après des dispositions juridiques suite à son retrait d'Areva.
L'histoire n'est pas finie.
@Proteos il n'est pas question de nier l'effet de serre ou notre responsabilité dans son intensité. on devrait s'attacher à réduire nos émissions de GES et le risque nucléaire, pas l'un ou l'autre mais les deux. sinon, pourquoi faudrait-il choisir entre l'effet de serre et le risque nucléaire ?
si on insiste souvent sur le coût de la gestion des déchets radioactifs, c'est peut-être parce qu'ils ont une durée de vie beaucoup plus longue que, par exemple, les gaz à effet de serre (en supposant que la biosphère conserve sa capacité à les recycler. c'est mal parti.)
Pourquoi doit-on choisir entre le risque climatique et le risque nucléaire?
Pour un ensemble de raisons parfois très terre-a-terre.
1/ le coût: l'électricité nucléaire est à un prix sensiblement égal à celle produite à l'aide du charbon même si on inclut le prix de la démolition des centrales et du stockage à long terme des déchets radioactifs ultimes (et entre nous mettre des fûts au fond d'une mine ça ne coûte pas si cher)
2/ la faisabilité: il est nettement plus commode de placer quelques dizaines de réacteurs nucléaires produisant de l'électricité en permanence sur le territoire que des milliers de sources renouvelables produisant par intermittence et de façon décorrélée de la consommation
3/ l'imperfection des renouvelables: les renouvelables ont besoin de combustibles fossiles pour pallier leur intermittence.
4/ le besoin croissant d'électricité: si on veut se passer de combustibles fossiles, il va falloir diminuer leur usage aussi ailleurs que dans la production d'électricité... Ce qui fait qu'on devra les remplacer par autre chose: l'électricité
5/ la taille du défi de diminuer suffisamment l'usage de combustibles fossiles: se passer du nucléaire rend les choses encore plus difficiles!
6/ la faiblesse du fameux risque nucléaire surtout comparé à la réalité du risque climatique. Finalement, le nucléaire a tué bien moins de gens que l'usage du charbon!
Voilà déjà 6 raisons...