On se doute bien que le monde de va pas s'effondrer du simple fait que DirtyDenys soit resté hors ligne durant quelques jours, tout comme l'on a la faiblesse d'imaginer que la souffrance imposée à ses abonnés, brièvement privés d'une très épisodique dose de méchanceté, n'aura rien eu d'insupportable. Malgré tout, on se sent tenu d'expliquer pourquoi depuis vendredi 13, à 13h00, le serveur ne répond plus, parce que ma connexion Internet est coupée. Or, il est sans doute utile de le rappeler, cette liaison est vitale : car le serveur est dans mon salon.

En fait, l'histoire a commencé quand ma télé est tombée en panne. C'était l'occasion de mettre un terme à la longue histoire du tube cathodique, et de faire son entrée dans l'ère nouvelle de l'écran LCD et de la haute-définition. Puisqu'on disposait du terminal adéquat, autant commander la nouvelle version de la Box, la HD, d'autant que le Fournisseur vous récompensait de ces années de fidélité en la mettant gratuitement à votre disposition. En outre, l'ancienne version semblait difficilement accepter d'être branchée sur une télé moderne, et le faisait savoir par des gels d'images assez systématiques, que l'on résolvait au demeurant sans difficulté par un redémarrage quotidien. C'est ainsi que les choses se sont passées en ce vendredi noir : un plantage ordinaire, un redémarrage de routine, et c'est le drame.
La Box reste figée dans de sa phase d'initialisation, à l'étape du rectangle clignotant ; la documentation vous apprend qu'il s'agit en principe d'un problème d'identification. Pas besoin d'être Palpatine pour imaginer ce qui se passe : le Fournisseur d'accès, pour une série de raisons parmi lesquelles la sécurité n'est vraisemblablement pas la principale, réalise un filtrage des bidules connectés à son réseau sur la base de leurs adresses MAC. Il n'est sans doute pas inutile de rappeler que cette adresse, qui se présente sous la forme d'une série de douze nombres hexadécimaux, identifie de manière unique à peu près tous les appareils qui sont susceptibles d'entrer en communication au travers de n'importe quel type de réseau informatique. Il en existe donc une pour chaque Box, l'ancienne, celle qu'on vient de redémarrer, comme la nouvelle, celle qu'on attend toujours. Très probablement, peut-être lors de l'envoi de la nouvelle Box, effectué en l'espèce dès mardi, peut-être aussi vingt-quatre ou quarante-huit heures plus tard, l'adresse MAC de la nouvelle Box a, dans les bases de données d'authentification du Fournisseur, remplacé celle de l'ancienne. Et puisque c'est le démarrage de la Box qui déclenche la procédure d'authentification, tant que l'ancienne reste branchée, rien ne se passe : le Fournisseur ne prend alors guère de risques en postulant qu'un redémarrage correspondra à la mise en service de la nouvelle Box, laquelle fournira au système l'adresse MAC avec laquelle celui-ci a été mis à jour, qui se trouve précisément être la bonne, et tout ira bien. À condition, bien sûr, que la nouvelle Box soit effectivement parvenue à son destinataire.

Et c'est là que le Transporteur entre en scène. On le connaît bien, le Transporteur, puisqu'on a déjà eu plusieurs fois affaire à lui, et qu'il a toujours employé la même méthode : celle-ci consiste, lorsqu'il livre à un particulier, à d'abord flanquer le bidule dans un camion, à s'apercevoir ensuite que ce client étrange, identifié par une adresse et un état-civil, et pas par une raison sociale, appartient à cette peuplade bizarre qui habite dans un immeuble, immeuble dont la porte est protégée par un code qui lui est inconnu, puisqu'il n'a pas pris la précaution préalable de décrocher son téléphone pour appeler l'individu en question, lequel lui aurait donné ce code sans aucune hésitation, quand bien même il le ferait pour la sixième fois en dix-huit mois. En général, ce n'est pas trop grave : un coup de fil au Transporteur, auquel on fournit les informations nécessaires, généralement suivi, quelques heures plus tard, d'un appel du dépôt de Genneviliers où se trouve le colis, dépôt auquel on donnera aussi les informations nécessaires puisque, visiblement, le coup de fil au numéro générique du Transporteur n'a servi à rien, et tout rentre dans l'ordre : le lendemain, on est livré.
Ce lendemain, c'était vendredi. Vaine attente, nouvelle appel, rendez-vous fixé au lundi, attente inutile. Alors, on a bien essayé de pirater le wi-fi d'un voisin, mais sans succès : les voisins, c'est plus ce que c'était. D'où, mardi matin, la mise en oeuvre du plan B, avec un appel au service technique du Fournisseur, ce qui ne va pas forcément de soi, puisqu'il faut comprendre que le service en question se cache sous l'intitulé : "vous avez un problème avec Windows ?" ; clairement, c'est plus une boîte de geeks. Fort aimable, le technicien confirme l'hypothèse de l'adresse MAC, et accepte de se charger de remettre celle de l'ancienne Box. Naturellement, Murphy étant toujours en pleine forme, une heure après, et sans que le Transporteur ait pris la peine de s'annoncer, la nouvelle Box est livrée ; vite, appeler le technicien du Fournisseur, et lui faire annuler la modification.

La livraison de la première Box avait été prise en charge par le Service Public : dix jours après que le Fournisseur ait annoncé sa disponibilité, ne voyant rien venir, j'était allé au bureau le plus proche du Service. La Box était là, et les employés du Service m'avaient fortement incité à compléter le cahier de doléances qu'ils tenaient à jour, sans doute excédés d'avoir à faire face aux conséquences de l'incurie de leurs collègues des colis. Deux jours après ce déplacement, l'avis de mise à disposition de la Box était dans ma boîte aux lettres. Alors, des ennuis causés par le Transporteur, on tirera une conclusion : dans une entreprise, l'asphyxie bureaucratique ne dépend pas du statut. C'est juste une question de taille.