vanités
On donc peut trouver plus grotesque que ces belles âmes inquiètes, qui assurent leur salut en échangeant un voyage au Cambodge contre cet arbre qu'un négociant astucieux se chargera de planter pour elles, et qui leur permettra, à défaut d'échapper au ridicule, de rester carbone-neutre. Plus conformiste que l'installation d'éoliennes dans un pays qui, au coeur de ses montagnes, regorge de ressources hydroélectriques, mais manque de vent. Plus pitoyables que ces adeptes du commerce équitable, ravis d'avoir leurs pauvres et, donc, farouchement attachés au maintien de leurs protégés dans la dépendance, comme le montraient les Econoclastes. Voire, même si cela semble impossible, aussi con que leur néerlandais cacaophobe.
Kristin Halvorsen, social-démocrate, ministre de l'Economie du gouvernement norvégien vient d'annoncer que le fonds
d'épargne public, qui gère ces ressources issues de l'exploitation des hydrocarbures que l'État norvégien met de côté pour permettre à ses citoyens de continuer à vivre tranquillement de leurs rentes même lorsque la source de celles-ci sera tarie, avait soldé la totalité de sa participation dans Rio Tinto, un des trois géants mondiaux du minerai de fer. La raison n'en est pas ordinairement financière mais, nous dit-on, éthique : les gestionnaires du fonds considèrent comme inacceptables pour l'environnement les conditions d'exploitation de la mine de Grasberg, située dans la partie indonésienne de la Nouvelle-Guinée, et dans laquelle l'entreprise possède une participation minoritaire ; Rio Tinto, bien sûr, proteste. Pour l'aider à prendre plus aisément conscience de sa faute, Il faudrait sans doute que l'État norvégien prenne la peine de lui expliquer comment exploiter la plus grande mine d'or du monde, et la troisième plus importante mine de cuivre, sans pour autant causer de dégâts environnementaux. Mais la société n'aura pas à se justifier plus avant : la situation politique très spéciale qui règne en Irian Jaya n'intéresse visiblement pas les norvégiens. Quant à ces actions de Rio Tinto, elles auront trouvé preneur sans difficulté, l'entreprise étant depuis quelques mois l'objet d'une OPA lancée par son concurrent et compatriote, BHP-Billiton. Si celle-ci réussit, le nouvel ensemble pourra constituer un superbe duopole avec le brésilien Vale do Rio Doce, les deux entreprises contrôlant de l'ordre de 70 % du marché du minerai de fer. Pour l'instant, cela ne semble guère inquiéter que les sidérurgistes.
L'éthique norvégienne ne se cantonne d'ailleurs pas à l'environnement, le fonds refusant d'investir dans les
entreprises qui participent à certaines activités coupables, la production d'armes nucléaires par exemple.
Cela semble de prime abord anodin, mais le conduit à récuser des sociétés comme EADS, Thales, ou Safran. Alors, on souhaiterait voir cette logique de l'éthique poussée un peu plus loin. Que l'État norvégien veille scrupuleusement à ce que l'acier employé par ses chantiers navals ne contienne pas un gramme de fer Rio Tinto. Qu'il interdise à ses ressortissants de voyager en Airbus, tout comme en Boeing, d'ailleurs. Qu'il cloue au sol les flottes d'Eurocopter, hélicoptères équipés de turbines Safran, qui assurent la logistique des installations pétrolières en mer du Nord. Mais
hélas, la bonne conscience devient subitement bien moins désirable dès lors qu'elle implique quelques
privations.
Malheureusement, il n'est pas dans l'habitus des grandes compagnies de faire des vagues. On aurait souhaité, à la place de sa réponse lénifiante, que Rio Tinto se montre un tant soit peu pugnace. Et compare, par exemple, les dégâts que cause la mine indonésienne avec ceux qu'ont produits ces dizaines d'années d'exploitation du pétrole et du gaz en mer du Nord, lesquelles font à la fois la richesse de la Norvège et de son fonds d'investissement, et la placent en très mauvaise position lorsqu'il s'agit de donner des leçons environnementalistes à qui que ce soit. La tartufferie propre à tout investissement éthique, ou l'on se donne le beau rôle à peu de frais dans une situation spécifique, sans plus se priver par ailleurs, se double ici d'un degré d'hypocrisie assez exceptionnel. Il semble que, dans l'Europe du Nord protestante, ce genre de vanités soit devenu bien banal ; l'éthique protestante, de nos jours, se trouve fort éloignée du capitalisme.
Commentaires
Non l'esprit du capitalisme n'a pas changé,n'en déplaise à Weber, ce que tu décris ce n'est qu'une orientation du discours et c'est d'ailleurs un sujet classique pour étudiant: l'entreprise citoyenne?
La réponse toujours aussi classique: l'entreprise doit faire du profit et développer une communication éthique.
Apparemment la Norvège applique avec un certain talent ce principe.
Thales ?! Ca c'est abusé : le seul rapport avec l'armement, c'est une tourelle de mitrailleuse à monter sur navire de guerre (oui, un gros machin), et c'est tout ! (ou alors c'est qu'on peut tuer du monde en balançant des radios de 25kg, mais ce n'est pas recommandé) Et s'ils comptent trouver une entreprise sans rapport aucun avec le militaire, ils n'ont plus qu'à vivre dans une caverne... (une éco-caverne, pardon :) )
Palpatine, une fois de plus, tu as lu trop vite. Le fonds norvégien refuse d'investir non pas dans le matériel militaire en général, mais dans les armes considérées comme particulièrement immorales, genre bombes à fragmentation ou armes nucléaires. On n'est pas loin du concept d'armes de destruction massives de l'ami George.
SNECMA Propulsion Solide, la division de Safran qui fabrique les propulseurs à poudre d'Ariane 5, possède avec la SNPE un GIE, G2P, qui produit les moteurs des missiles ballistiques français. Donc, Safran fait des armes nucléaires et, à ce titre, compte au nombre des sociétés récusées par les norvégiens. A tous les coups, c'est Thales qui s'occupe de l'électronique.
Formidable démonstration, s'il en était besoin, que cette stratégie ne vise qu'à se donner le beau rôle sans rien coûter à personne, puisque je doute que l'argent norvégien soit indispensable à quelque entreprise que ce soit.