Un personnage secondaire du Persepolis de Marjane Sartapi, récit autobiographique qui commence quelques années avant la révolution islamique iranienne, avoue son désespoir en découvrant que le directeur de l'hôpital dont dépend la survie de son mari cardiaque se trouve être un ancien laveur de carreaux, lequel n'a donc d'autre qualité à occuper cette fonction que sa foi, et sa fidélité au nouveau régime. En première analyse, la particularité des membres de la Convention citoyenne pour le climat qui vient de rendre ses conclusions ne réside pas tant dans leur compétence a priori pour traiter des problèmes qui leur ont été soumis que dans un mode de sélection présenté, lui, comme démocratique.
Leur rapport, pourtant, s'ouvre par une double dissimulation. L'élection des 150 participants aux débats n'a en effet pas été abandonnée au seul hasard : une première sélection aléatoire a permis de recruter des volontaires, lesquels ont ensuite été tirés au sort pour constituer un échantillon représentatif conforme à la classique méthode des quotas. Qui a accepté d'en être, qui a refusé, combien sont-ils, quelles sont leurs particularités ? Comme d'habitude, on ne le saura pas, mais on peut parier que les participants avaient chacun de bonnes raisons de s'embarquer dans une procédure contraignante, une manière de session d'assises qui durerait neuf mois : les spécialistes de la démocratie participative ont depuis longtemps montré à quel point celle-ci était peu représentative. Ne rien connaître d'eux que leur prénom et, dans de rare cas, leur nom, tout ignorer de leur parcours professionnel, de leur métier, de leurs engagements et de leurs convictions, à l'heure on l'on attend désormais de chaque chercheur intervenant publiquement une déclaration d'intérêts détaillée pose à tout le moins un sérieux problème. Alors que le savoir devient suspect, l'innocence viendrait ici du tirage au sort, et d'une forme de virginité face aux questions à traiter, un peu comme lorsque l'on envoie le dernier né sous la table pour désigner l'ordre dans lequel seront distribuées les parts du gâteau des rois.

L'innocence, et l'ignorance. On est frappé de constater, en consultant ce rapport traitant pourtant de matières techniques et complexes, l'absence de toute référence à quelque littérature scientifique que ce soit. Pas d'état des lieux, pas de rappel historique, pas de rétrospective d'une action publique qui commence pourtant avec le fameux décret impérial sur les établissements insalubres et dangereux datant de 1810, pas de mention des énormes progrès accomplis depuis et dont peut par exemple témoigner le CITEPA, créé voilà presque soixante ans. On évolue en pleine fiction, dans une fiction révolutionnaire qui voudrait que le peuple, fort de son honnêteté et de son bon sens, soit mieux à même de trouver la solution que les scientifiques qui étudient la question depuis des décennies, dans un système d'inversion des valeurs où sept semaines de séminaire valent plus que huit ans d'études supérieures.

En d'autre termes, on se trouve face à un simulacre. Fort logiquement, le contenu du rapport se révèle purement hétéronome. On pourrait s'amuser, en l'analysant en détail, en relevant la plus ou moins grande technicité des rédactions, les styles propres à telle ou telle partie, les rares références à tel ou tel organisme et en particulier à l'ADEME, à imaginer qui a bien plus tenir, dans les faits, la plume. Le bréviaire ainsi constitué, qui dépasse très largement l'objectif initial de s'intéresser aux seuls gaz à effet de serre, se présente en tout cas comme un copier-coller du programme de n'importe quelle municipalité verte, Grenoble, au hasard. Il constitue une forme de vulgate de ce que tout un chacun croit savoir sur la question, catalogue de prénotions, de préjugés et de lieux communs. À titre d'exemple, et faute de pouvoir traiter l'ensemble, on va s'intéresser à une proposition spécifique.
Page 87 figure un objectif déjà passé à la trappe au seul prétexte de son danger pour l'attractivité du pays, celui de prélever 4 % des dividendes versés par les entreprises lorsque leur montant dépasse 10 millions d'euros. Mais un peu plus loin pourtant, dans le cadre de la "transcription légistique" qui accompagne chaque mesure, la réalité reprend les choses en mains : cette proposition reviendrait à réinstaurer la fameuse taxe de 3 % votée en 2015, censurée par la CJUE et déclarée ensuite inconstitutionnelle. Dommage de ne pas avoir ajouté que cette initiative si pertinente avait coûté dix milliards d'euros au Trésor, ce qui aurait permis de rappeler aux participants que leurs décisions ont des conséquences. Parfois, pourtant, une inspiration surgit : page 219, on propose de moduler la taxation des véhicules polluants en fonction de leur poids. C'est pas bête ; hélas, la convention a totalement oublié cet engin cinq fois moins encombrant, cinq fois plus léger et deux fois plus sobre qu'une automobile moyenne, et dont se satisfont nombre de navetteurs sans pourtant en tirer la moindre gratification, fût-elle symbolique.

On voit ainsi les limites d'un exercice qui vient s'insérer dans un environnement technique et juridique que les participants, non spécialistes par définition, ignorent. Sauf à déclarer l'écologisme dans un seul pays, on voit d'ailleurs mal l'intérêt de la chose alors que, en particulier grâce à cette énergie que la convention fait, avec un plein succès, tout pour ignorer, la France appartient au club des plus vertueux en matière d'émissions de gaz à effet de serre. Évoluant dans les limites étroites du monde qui leur est connu, travaillant selon un principe de consensus nécessairement conformiste, il était inévitable que les participants en viennent à réinventer la roue, avec le risque, parfois, que celle-ci soit carrée. Renforcer, accompagner, favoriser, développer, inciter : les termes qui reviennent de façon récurrente dans les propositions, leur traduction juridique qui se limite presque toujours à amender des textes existants montre combien l'exercice s'est révélé futile. Finalement, le meilleur argument contre la démocratie participative, c'est de réunir 150 individus sans qualité pour leur demander d'imaginer le futur.