Parfois, au cours de ces errances qui conduisent de lien en lien, on tombe sur un réceptacle de choses rares. Ici, une collection de vidéos retraçant la légende du post-punk rennais et, en particulier, des bribes d'un programme consacré à Philippe Pascale, l'un des derniers avatars de la carrière tortueuse de Philippe Pascal. Une image vacillante, sans doute issue d'un enregistrement en VHS, un son souvent saturé jusqu'à l'inaudible, un ultime fragment qui prend brutalement fin après la diffusion d'un extrait de Querelle, le dernier film de Rainer Werner Fassbinder. Revoir ces morceaux vieux de vingt-cinq ans et chercher à en savoir plus vous place un peu dans la position de l'archéologue, tentant de reconstituer l'histoire d'une civilisation en mettant au jour une tombe, trois squelettes, et de rares ornements.

On démarre avec les quelques indices fournis par le générique. Une rapide recherche suffit à identifier l'objet, une émission produite en 1993 par Béatrice Soulé pour la SEPT, cet astre fantastique qui diffusait alors ses dernières lumières avant de finir englouti dans le trou noir d'ARTE. Présentée par Alain Maneval, elle se singularise d'abord par son dispositif : dans un volumineux espace entièrement peint en blanc, charpente comprise, une unique caméra montée sur une grue dont le grand débattement autorise les mouvements d'appareil les plus complexes permet de réaliser ces plans-séquences maniéristes dont même le cinéma, tout occupé qu'il est aujourd'hui à dérouler le fil de son imposture réaliste, a perdu le secret. Sur le plancher, le groupe ; dans une mezzanine, à l’écart, un canapé accueille les invités, Philippe Pascal et Pascale Le Berre, à côté du présentateur, tandis qu'un écran permet de diffuser quelques extraits, de concerts, d'archives, de films. Ici, tout ce qui n'est pas blanc est noir, et la complexité de la machinerie ne sert qu'à mettre en valeur la rigueur de la mise en scène, son élégance, son exigence, et sa nudité.

En archéologue, il faut bien reconnaître que l'on trouve là le témoignage d'un monde disparu, celui où l'on pouvait encore s'offrir une certaine forme de luxe. Prendre le temps d'une journée de tournage avec un dispositif à la mise en œuvre complexe, consacrer une heure de programme à des invités seulement appréciés d'un cercle restreint de connaisseurs, diffuser le tout sur des canaux confidentiels : il est moins question ici de coût, puisqu'une telle émission ne doit pas revenir plus cher qu'un ordinaire talk-show, que d'une ambition esthétique, d'une audace inventive, du courage d'un parti-pris. Aujourd'hui, l'uniformité commande, et chaque captation de concert donne l’impression que le réalisateur finira pendu aux cintres s'il a l’audace de faire un plan durant plus de trois secondes, tandis que, en fait d'expérimentations, ARTE se satisfait pleinement de la demi-heure hebdomadaire du paresseux Tracks lequel, au moins lorsqu'il est produit par la ZDF, déroule à l'infini un catalogue complaisant de weirdos du monde entier.

S'il est illusoire d'espérer retrouver aujourd'hui la singularité de la SEPT, au moins pourrait-on revoir ses programmes autrement qu'en explorant le web à la recherche de traces. Il faudrait, pour cela, au milieu de la profusion des canaux numériques qui ne servent à rien d'autre qu'à faire tourner en boucle les trente même films, que l'un d'entre eux soit affecté à une mission qui relèverait authentiquement du service public. L'INA pourtant, l'organisme le plus adapté à cette tâche, ne semble pas préoccupé par autre chose que la monétisation des archives dont il a la garde.
Le lent assoupissement de cette partie du monde, la fermeture de la perspective entraînent, inévitablement, une revalorisation d'un passé fantasmé, et des efforts sans doute malhabiles pour recréer ce que, par malheur, l'on n'a pas connu. Et si, aujourd'hui, un si grand nombre de jeunes gens tiennent absolument à s'habiller tout en noir, qui viendrait le leur reprocher ?