En 2019, un nouvel acronyme a rejoint l'arsenal déjà extraordinairement riche dont dispose la puissance publique, ZFE-m.
Il désigne une nouvelle façon de fractionner le territoire, en y découpant des zones, urbaines, où les organismes ad hoc mesurent un
niveau moyen de polluants - particules fines et oxydes d'azote - supérieur à un certain seuil, et où, en conséquence, en fonction de
l'âge de leur véhicule et des normes antipollution auxquelles il répond, la circulation des motocyclistes et automobilistes va être
contrôlée, et, éventuellement, interdite. Les modalités de mise en œuvre de cette mesure et sa justification qui découle,
inévitablement, d'un impératif majeur de santé publique, se trouvent détaillés sur le site gouvernemental, tandis que l'Atelier parisien d'urbanisme, structure d'études
urbaines opérant sur la première métropole concernée, le Grand Paris, publiait en mars 2021 une remarquable étude sur les restrictions qui allaient ainsi, progressivement, entrer en vigueur, et sur leurs effets économiques et sociaux.
Il n'était dès lors pas bien compliqué d'imaginer, voire d'estimer précisément, les conséquences d'un interdit qui allait frapper avant tout les foyers équipés de véhicules motorisés âgés, et usés, foyers les plus pauvres, résidants des lieux les plus périphériques, donc les moins bien desservis par les transports en commun, et les frapper d'autant plus que le dispositif était conçu pour s'étendre rapidement à des catégories de plus en plus larges d’usagers. Comment expliquer alors que ce soit maintenant, et seulement maintenant, bien que la mesure soit en vigueur dans la ville de Paris depuis juillet 2017, et dans sa métropole depuis juillet 2019, que les ZFE provoquent un
embrasement général, lequel génère de l'agitation jusque dans les commissions
de l'Assemblée Nationale ?
Sans doute, pour l'essentiel, parce qu'à partir de 2025 les restrictions s'appliquent à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants. En conséquence, le nombre de collectivités concernées passe de onze à quarante-cinq. Mais, derrière la soudaine et tragique découverte d'une infortune qui, désormais, ne frappe plus seulement les parisiens et les lyonnais, on assiste à un conflit qui s'organise autour de la traditionnelle fracture capitale/province ou plutôt, pour parler moderne, métropoles/territoires, un conflit qui a comme particularité que chacune des parties avance de mauvais arguments.
Côté victimes on hurle à l'injustice, en affirmant que cette brave petite Twingo qui rend encore bien des services même si elle va bientôt doubler le cap des vingt ans ne pollue presque pas puisqu'elle consomme très peu ou, du moins, génère beaucoup moins de dioxyde de carbone qu'une grosse berline neuve, par définition exempte de restrictions. Sauf que les ZFE ne s'intéressent pas aux gaz à effet de serre mais aux polluants, nocifs pour la santé. Et si les émissions de CO2 dépendent de la consommation de carburant, donc de la taille du véhicule, les polluants, eux, sont liés à son âge. Les dernières normes automobiles, Euro 6b, imposent pour les moteurs à essence des émissions d'oxydes d'azote inférieures à 60 mg/km. Une étude de l'ADEME datant de 2005 mesurait les émissions de motocycles et cyclomoteurs de l'époque et relevait, sur les plus anciens, des quantités d'oxydes d'azote de l’ordre de 300 mg/km, y compris sur les cyclomoteurs. En matière de polluants, ce n'est pas la cylindrée qui compte.
Dans l'autre camp, l'argumentaire gouvernemental, avancé sans grande conviction, fatigué et fatiguant à force de toujours recourir aux
mêmes justifications, n'a d'effet que sur les convaincus. On va laisser de côté l'épouvantail des décès prématurés, déjà maintes fois démembré, pour s'intéresser au rôle des polluants produits par les moteurs thermiques. On a longtemps considéré que le danger
principal provenait des particules fines, classées en deux catégories selon leur diamètre, PM10 de 10 microns, PM2,5 de 2,5
microns. Après tout, elles sont responsables du dernier dépassement du seuil d'alerte à la pollution en Île-de-France, en 2019. Depuis,
la baisse des émissions dues aux automobiles en général, et au diesel en particulier, s'est poursuivie, au point qu'elles ne jouent
plus qu'un rôle marginal. L’expérience naturelle dérivée du confinement de mars-avril 2020 a contraint Airparif, l'agence francilienne
chargée de surveiller la qualité de l'air, à admettre ce fait. Désormais les oxydes d'azote, effectivement issus pour
l'essentiel de moteurs thermiques, occupent la place du principal suspect.
Sauf que le texte gouvernemental cité plus haut comporte un lien vers un magnifique tableau qui expose, agglomération par agglomération et de 2019 à 2023, les niveaux moyens relevés de ces polluants. Et en 2023, en dehors de l'étrange cas de Montpellier, deux métropoles seulement, Paris et Lyon, dépassent encore, marginalement, la limite de 40 µg/m³, seule à avoir valeur légale. En d'autres termes, les pouvoirs publics avouent : l'extension des ZFE ne produira aucun effet positif, et la stratégie du fil de l'eau, le renouvellement progressif du parc par des véhicules récents, permettra, sans drame, en peu d'années, un retour dans les clous.
Au fond, à qui peut bien profiter cette extension ? On comprend l'intérêt, dans les fiefs de l'aristocratie rose verte, Paris, Lyon, Bordeaux, Strasbourg, d'alimenter avec une justification de santé publique leur croisade contre les déplacements motorisés. Mais il faut aussi prendre en compte le rôle des agences sanitaires, menacées dans leur existence même par la disparition progressive de leur objet d'étude, et de leur raison d'être, la pollution de l'air, et engagées en conséquence dans l'exploration effrénée de l'infiniment petit, à la recherche de quelque chose qui puisse maintenir leur activité. À Paris, au delà des PM2,5, Airparif s'est lancée dans la chasse aux particules ultra-fines, celles qu'on mesure en nanomètres. D'une certaine façon, son équivalent lyonnais a trouvé mieux. Profitant du succès public de cette merveilleuse invention, les polluants éternels, Atmo Rhône-Alpes dispose d'un budget pour étudier la concentration de PFAS dans l'air. Ici, l'unité de mesure pertinente est le picogramme. Un picogramme, un millième de milliardième de gramme.
La terreur sourde associée au souvenir de l'épisode des gilets jaunes devrait peser bien plus lourd que ces intérêts épars et catégoriels. Un puissant moteur de la contestation tient au fait que les contraintes de la ZFE vont maintenant atteindre une quantité significative d'agglomérations moyennes. Or celles-ci ont comme spécificité qu'on y est moins riche que dans les métropoles, que la voiture individuelle, contrairement à Paris ou à Lyon, y reste un mode de déplacement indispensable, et que nombre de ménages n'ont d'autre choix que de continuer à utiliser un véhicule plus tout neuf, mais encore correct. Les élus locaux, toujours ravis de satisfaire leurs électeurs tout en jouant les protecteurs contre les excès de l'administration parisienne, réagissent : à Montpellier, on conteste ; dans le Pays Basque, on suspend. À Aix-Marseille, on hésite encore. Quel ministre aura enfin le courage du retour à la raison ?