Œuvre des Ateliers Monique Labbé, agence plutôt spécialisée dans la commande publique, le centre de tri des déchets renouvelables de Clichy-Batignolles avait été inauguré en 2019. Il se composait pour l'essentiel d'une structure en bois abritant une chaîne de traitement largement automatisée qui récupérait les papiers, cartons et plastiques jetés par les citoyens dans les conteneurs ad hoc, les triait, et les compressait avant d'en faire des balles envoyées au recyclage. Le 7 avril dernier, un incendie s'est déclaré dans
l'usine, et a progressé au point de la détruire
en quasi-totalité, ne laissant debout qu'une partie de bâtiment, en béton.
La semaine précédente, à Lille, le bois était impliqué dans un autre sinistre. En 2017, le cabinet Béal & Blanckaert y a
livré City'Zen, programme composite réunissant des bureaux, trois étages d'appartements et, sur le toit, dix maisons à deux niveaux avec des façades en bois. Le 3 avril, un feu a ravagé quelques-uns de ces pavillons. Tout cela évoque un souvenir, celui du sinistre survenu dans un immeuble à l'aspect banal, à Draguignan, en 2019. La façade et les balcons, en bois, y ont été intégralement détruits. La prompte réaction des habitants, qui ont tous évacué à temps, a là
aussi permis d'éviter les victimes.
Ce qui frappe le profane face à des situations de ce genre, c'est leur caractère irréversible : on a l'impression que l'on atteint
rapidement un point où il ne reste plus rien d'autre à faire que d'attendre que tout ait brûlé, ces moments où faire la part du feu,
c'est lui laisser prendre tout ce qui est en bois.
L’incendie, évidemment, est un risque quotidien, qui frappe n'importe quel type de construction, parfois avec des conséquences dramatiques. Et si un sinistre vire au désastre c'est souvent parce que, pour des raisons variées mais avant tout budgétaires, un maître
d’œuvre a utilisé un matériau inadapté parce que dangereux, et potentiellement mortel. Prenant appui sur la catastrophe de la Grenfell tower, à Londres, qui a tué 72 personnes en 2017, Reuters publie une de ses remarquables infographies, laquelle explique comment une méthode particulière d'isolation par l'extérieur, des panneaux d'aluminium associés à une feuille de polyéthylène, peut, en quelques dizaines de minutes, transformer un ordinaire feu domestique en incendie qui va ravager toute une façade, et asphyxier les habitants du fait de ses émanations
toxiques.
On le constate, dans tous les cas cités par Reuters seul le revêtement était en cause, et, malgré la violence du feu, la structure des immeubles, qu'on imagine en béton, a parfaitement résisté. Dans le pays qui a, de Louis Vicat à Eugène Freyssinet, à peu près tout inventé du béton moderne et des bonnes manières de l''utiliser, ordinairement, et au moins depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, c'est majoritairement ce matériau que l'on emploie pour édifier des immeubles collectifs. Qu'est-ce qui, fondamentalement, justifie de passer à autre chose ?
L'excès de confort, peut-être. L'entrée dans une ère étrange où les valeurs s'inversent et où, parce qu'il faut impérativement faire du
neuf, ne serait-ce que par souci de distinction, pour justifier et son existence et les subventions que l'on reçoit, on présente comme
inédits des procédés anciens, mais abandonnés, pour des raisons sans doute excellentes mais que l'on ne veut en aucun cas connaître.
L'époque est donc au bois et, loin des traditionnels chalets montagnards, en plus d'usages assez nouveaux et objectivement
intéressants, comme la construction modulaire, le bois fait son retour en ville, avec des projets de plus en plus ambitieux.
On a presque l'impression de se retrouver quelques siècles en arrière, à l'époque où les villes et leurs bourgeois participaient
au grand concours de celui qui bâtirait la cathédrale la plus haute, à ceci près que le rôle du maître d'ouvrage revient aujourd'hui à
des promoteurs. Woodeum,
grand spécialiste de la chose, vient ainsi de livrer à Lyon, au quartier de la Confluence, une tour de 16 étages ; la structure est en bois lamellé collé et, par une sorte de ruse de l'histoire, la façade en modules de béton.
L'innovation à rebours se déploie sans connaître de limites. Il ne suffit plus de construire en bois : à titre d'isolant, on rembourre les murs de paille. Dans un autre registre, on assiste à la réhabilitation de techniques campagnardes oubliées, autour de diverses formules utilisant la terre crue. Et même Herzog & De Meuron s'y collent. Pourtant, depuis plus de 2000 ans, et pour fabriquer des ouvrages qui résistent aux millénaires, la tradition locale a préféré utiliser une variante cuite au four de la terre crue qui s'appelle la brique. Car ce matériau pose quand même question quand à sa durabilité, et sa résistance aux intempéries. Célèbre pour ses impressionnantes mosquées, et en dépit de son climat désertique, Tombouctou conserve son patrimoine grâce à un entretien annuel fourni par la main d’œuvre gratuite d'une quantité de fidèles compétents. Un tel modèle semble difficilement adaptable à nos latitudes.
Cette volonté de disqualifier la modernité, laquelle, dans l'art de bâtir, s'identifie au béton, passe sans doute un peu vite à la fois sur les raisons pas forcément mauvaises qui ont permis à celui-ci de s'imposer, et sur les doutes que l'on peut raisonnablement nourrir quant aux avantages de techniques alternatives, techniques dont la redécouverte subite ne doit pas faire oublier que l'on s'en est fort bien passé durant des décennies. Et, se souvenant de la Grenfell tower, on aura tendance à trouver un petit peu inquiétant l'argument selon lequel le bois ne présente aucun risque face à l'incendie, pourvu qu'il soit correctement mis en œuvre, que les dispositifs d'extinction fonctionnent comme prévu, et que les pompiers interviennent à temps.