Les questions que soulèvent les commentaires critiques méritent parfois une longue réponse : en l'espèce, il s'agit de s'interroger sur le déploiement d'une technique originale, le Wi-Fi, et sur cette nocivité que lui prêtent des acteurs dont on a montré qu'ils partageaient des caractéristiques sociales particulières, qui verrait l'INSEE les classer dans les catégories intellectuelles intermédiaires et supérieures. Or, la pire manière de traiter cette question, celle qu'adopte le représentant de l'AFSSET dans le sujet de journal télévisé qui constitua le fait générateur de ce premier billet, est d'invoquer la peur que suscite l'introduction d'une technologie nouvelle. Car si le Wi-Fi est une application neuve, la technologie qu'il utilise, celle des ondes radio, est vieille de plus d'un siècle, et a recours à l'électromagnétisme, phénomène omniprésent dans l'environnement naturel, et fortement amplifié avec l'installation des premiers réseaux électriques, dont les câbles, partout, et en permanence, rayonnent.
Le fait étant donc aussi fatal qu'ancien, on peut postuler que l'on n'a pas attendu le XXI ème siècle pour s'inquiéter de ses éventuels effets sur la santé. Et puisque l'on peut supposer que ces champs radioélectriques seront d'autant plus intenses que leur source d'émission sera puissante, il paraîtra logique de s'intéresser d'abord au milieu professionnel, et donc de commencer ses recherches du côté de la médecine du travail. On ne sera donc pas étonné de trouver sur le site de l'INRS, l'institut de recherche spécialiste des maladies professionnelles et de la sécurité au travail, à peu près tout ce dont on a besoin : un dossier sur les champs électromagnétiques donnant, entre autres, les valeurs limites auxquelles on peut exposer des êtres humains, et, mieux encore, le compte-rendu d'un colloque tenu à Nîmes en 1997, et s'intéressant exactement à notre objet, les effets biomédicaux des champs électromagnétiques.
Première étudiée, la maladie d'André, cette hypersensibilité électromagnétique, d'autant plus rebelle à l'analyse que ses symptômes sont décrits comme aspécifiques et dénués de signes objectifs, y est qualifiée de symptomatologie subjective : à n'en pas douter, voilà un qualificatif autrement plus noble que celui d'hypocondrie. Le même document donne une liste des installations à surveiller, transformateurs, fours, cuves d'électrolyse, radars, qui partagent toutes, à l'exception de la dernière, cette même caractéristique de ne pas avoir comme but premier l'émission d'ondes. Mais les puissances énormes de ces équipements génèrent fatalement des perturbations électromagnétiques de tous ordres, et c'est en raison de cette puissance que l'on s'en inquiète : paradoxalement, ils s'agit donc essentiellement d'un problème de courants forts, et pas de ces courants faibles où l'énergie émise ne sert qu'à moduler un signal.

On peut d'ailleurs essayer de raisonner en termes de puissance. Celle d'une installation Wi-Fi domestique est réglementairement limitée à une PIRE de 100mW, et c'est l'ARCEP qui la contrôle. L'autorité de régulation des télécoms n'a pas ici de rôle sanitaire, même si, consciente de ses responsabilités sociales, elle s'est fendue d'une étude commandée à Supélec : sa préoccupation, en restreignant la puissance, est de limiter les interférences entre réseaux. L'étude de Supélec, qui a testé un certain nombre de bidules Wi-Fi, relève, dans le pire des cas, une puissance absorbée par le corps humain dix fois inférieure à la norme ; encore les conditions de cette mesure-là sont-elles intéressantes, puisqu'elle est effectuée à dix centimètres de la source. En d'autres termes, elle implique d'une part des conditions particulières, comme celle de chérir suffisamment son ordinateur portable pour l'installer sur ses genoux et, d'autre part, elle ne concerne que l'utilisateur lui-même, la faible puissance de l'émission faisant, dès qu'on s'éloigne de la source, rapidement disparaître son champ électromagnétique dans le bruit ambiant.
Il sera donc très difficile aux malades du Wi-Fi de trouver le moindre argument rationnel pour soutenir leurs thèses, lesquelles seront d'autant plus difficiles à défendre qu'ils risquent de trouver dans leur propre camp, celui de cette sensibilité écologiste de gauche, de redoutables adversaires. La même famille politique abrite en effet ces bandits du Wi-Fi, FONeros et autres adeptes du Wi-Fi libre, ces gens qui montent sur les toits pour défier l'ARCEP en augmentant la puissance de leurs émetteurs à l'aide d'antennes bricolées avec une boîte de café Malongo. Le combat sera d'autant plus intéressant à suivre qu'il commence à peine, et vient tout juste d'atteindre l'arène des media grand public. On ne prendra donc pas de pari sur le succès d'une revendication qui à la fois s'appuie sur un nombre infime de militants, qui attaque donc aussi frontalement qu'involontairement les intérêts d'autres militants plus nombreux et mieux implantés, et qui ne peut avancer comme arguments que la subjectivité d'une galerie de personnages aux idiosyncrasies aussi pathétiques que pittoresques. Pourtant, dès ce soir, France 3 remet le couvert. Sous la plume de Sylvie Kerviel, le supplément télévisé du Monde de samedi relatait ainsi le calvaire que s'impose une électro-hypersensible, dont l'appartement est blindé, fenêtres comprises, de feuilles d'aluminium et de couvertures de survie. Ça risque d'être grand. D'autant, écrit Sylvie Kerviel, qu'elle ne craint pas tant la lumière, que les ondes : surtout, faut pas lui dire que la lumière, c'est des ondes.