Elle ferait presque pitié, cette pleine page de publicité parue dans l'édition du Monde datée des 23 et 24 janvier, et dans laquelle, interpelant les puissants en prenant l'opinion publique à témoin selon la formule aussi archaïque que dévaluée de la lettre ouverte, l'Association de l'Industrie Photovoltaïque Française se désolait de son triste sort. Leur filière qui, disent-ils, en seulement quatre ans, a "créé des dizaines d'usines sur le sol français", cette filière qui réclame d'énormes investissements qu'elle est tout prête à consentir avec désormais comme objectif de conquérir le monde entier, garantie de perspectives inépuisables, cette filière ne peut plus attendre. Bien humblement, mais publiquement et fermement, elle demande donc aux représentants de l’État d'en finir avec ce qui ne peut être que caprice, bouderie sans conséquence, et de mettre fin à ce moratoire qui suspend durant quatre mois le développement de toute nouvelle installation photovoltaïque, à l'exception du marché de l'habitat, et de les délivrer ainsi d'une insupportable angoisse. Le texte, court, frappe surtout par la désolante pauvreté de son argumentaire et, même, disons-le, par sa bêtise : les arguments les plus triviaux, ceux par exemple du chantage à l'emploi ou du nationalisme économique, y côtoient les comparaisons les plus infondées, lesquelles placent les coupeurs de silicium a parité avec l'industrie aéronautique, noyant le tout dans ce langage aux accents gaulliens glorifiant le capitaine d'industrie, armé de son seul courage, mais pourvu d'une farouche détermination à gagner la "course mondiale à la performance". À lire cet éloge des boutiquiers de la France profonde, qui défendent avec de très grands mots la petite rente qui leur permet une bien modeste prospérité, on finirait presque par croire que le passage de Christian Estrosi au ministère de l'industrie a laissé des traces.

Mais rien, bien sûr, dans ce texte, ne fait référence à une actualité plus brûlante que ce moratoire et cette concertation conduite en parallèle pour quelques jours encore et au sujet de laquelle, écrivait La Tribune le 26 janvier, les nouvelles sont mauvaises. Le gouvernement s'obstine en effet à ne pas accepter plus que ce à quoi il s'était déjà engagé, ce qui ne fait pas l'affaire d'industriels dont les capacités de production excèdent déjà largement le quota annuel de 500 MW qui leur a été accordé. Aucune allusion, notamment, à la décision du Conseil d’État attendue pour le 28 janvier, lequel devait statuer sur la demande posée en référé par ces mêmes industriels, et qui visait à faire suspendre le décret de suspension. Or, il se trouve que le Conseil était à l'heure, mais que sa décision n'a guère été l'objet d'une publicité plus large que celle qu'il lui a lui-même accordée, la grande presse en particulier ne trouvant aucun intérêt à en faire état. Il est vrai que c'est assez simple : prudent et sans doute expérimenté, le rédacteur de la loi qui, en février 2000, encourageait le développement du photovoltaïque en accordant à cette technologie des garanties outrageusement avantageuses, s'était réservé une porte de sortie sous la forme d'un article 10. Celui-ci permettait au gouvernement de suspendre, par décret, et pour une période maximale de dix ans, les avantages accordées à la filière. Une seule condition était posée : que le rythme de développement des installations photovoltaïques dépasse significativement le plan de marche établi par le gouvernement. Comme tel était bien le cas, comme, de plus, le Conseil se doit d'arbitrer entre deux maux, le préjudice que le moratoire causerait à l'industrie, et celui dont seraient victimes les usagers qui supportent seuls la charge de financer la filière, et qu'il préfère l'intérêt général au particulier, il décide de rejeter le recours des marchands de silice. Ce qui suscite inévitablement quelques réflexions.

Car ce marché de l'électricité photovoltaïque possède décidément, au delà de cette volonté paradoxale d'implanter en centre ville une technologie qui ne peut trouver de justification économique ailleurs que dans un isolement qui rendrait prohibitif son raccordement au réseau, de bien étranges propriétés. Il mélange en effet libéralisme et dirigisme, initiative individuelle et régulation publique. Permettre à un petit nombre de privilégiés d'accéder aux largesses de la commande publique n'était pas pour déplaire à un État qui dispose d'une très longue expérience en la matière, surtout si, de plus, on peut ainsi encourager l'industrie nationale sans craindre la censure de Bruxelles. Encore fallait-il garder le contrôle de la chose, de manière à éviter de regrettables débordements. Malheureusement, cet objectif facilement accessible à l'époque des grands commis de l’État et de leurs projets décennaux réservés aux géants du BTP, de l'armement, du nucléaire ou du ferroviaire, par définition très peu nombreux et dirigés par des gens du même monde, ne tient plus à l'époque des énergies vertes qui possèdent des caractéristiques diamétralement opposées, puisque, en raison de leur nature même et de l'idéologie qu'elles incarnent, elles conduisent à implanter en de multiples endroits quantité d'installations légères, restreintes par exemple à la toiture d'un hangar. Les acteurs, en conséquence, en très peu de temps, affluent, et arrivent d'autant plus nombreux que beaucoup d'entre eux, promoteurs immobiliers ou simples installateurs, ne rencontrent pas de barrières à l'entrée, et ne sont donc soumis à aucune espèce de contrôle dans un marché dont la puissance publique détermine seule la taille. S'ils se regroupent en syndicats professionnels, comme l'AIPF, ce n'est certainement pas pour s'imposer une discipline interne qui n'aurait, de toute façon, aucune chance d'être respectée. Et la bousculade produit une catastrophe, contraignant l’État à d'abord intervenir en urgence, puis à modifier ensuite les règles du jeu au détriment des couvreurs de cristaux, pour préserver un intérêt public confirmé depuis en Conseil d’État. Et comme toute bonne histoire, celle-ci comporte une morale, et une leçon : le sable, ce matériau aléatoire, reste bien trop fluide, sa trajectoire se révèle bien trop erratique, pour produire autre chose que des chimères. L’État lui préfèrera donc les parcs éoliens en mer, bien plus gros, bien moins nombreux, et promus par des entrepreneurs de toute confiance.