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ailleurs

, 19:39

Dans la France bien organisée de la reconstruction d'après guerre mondiale et des Trente glorieuses, l’État centralisateur déployait son action grâce à diverses structures, chacune propriétaire d'un petit bout de problème, chacune dotée d'une compétence thématique précise, chacune, au fond, pièce d'un ensemble global à peu près cohérent, relativement efficace, et attaché aux réalités du terrain. Ainsi, pour tenter de développer autre chose que la seule capitale, une Délégation à l'aménagement du territoire vit le jour en 1963. Le ministère de l’Équipement, qui gérait alors, via ses directions départementales et leurs subdivisions, un maillage territorial étroit, disposait quant à lui de ses propres bureaux d'études, avec huit centres régionaux et une structure spécifiquement urbaine, le CERTU. Fusionnées, absorbées, dissoutes lors du toilettage intégral des années 2000, ces structures, et d'autres telles le SETRA, le service d'étude des routes et autoroutes, ont disparu, leurs restes étant éparpillés ici dans un Commissariat, là dans le CEREMA.
Malgré tout, l'activité perdure. L'Observatoire des territoires, rattaché au commissariat éponyme, vient ainsi de publier un document qui, sur la thématique très fréquentée des déplacements domicile-travail, mérite largement d'être commenté tant il se distingue, sur plusieurs plans, des publications routinières que l'on trouve ici ou .

S'ouvrant sur un aperçu à l'échelle européenne aussi court qu'intéressant, le rapport a comme première vertu de s'appuyer sur un corpus d'études méconnues. Depuis des décennies, les agents des organismes fusionnés aujourd'hui au sein du CEREMA réalisent, selon des modalités proches de l'étude périodique sur les déplacements de l'INSEE, des enquêtes s'intéressant aux déplacements des ménages dans nombre de zones urbaines. La base de données ainsi constituée souffre de défauts exposés dans le rapport, puisqu'elle s'étant sur un intervalle temporel assez large, et qu'elle manque d'exhaustivité, ne couvrant que 60 % de la population nationale. Il n'empêche : avec plus de 250 000 ménages retenus, elle offre une précision, et une robustesse, bien supérieures à l'enquête périodique de l'INSEE, laquelle ne recense que 21 000 ménages.

Il devient alors possible de décomposer de multiples manières la question des déplacements quotidiens. Assez souvent, les autorités vont à l'essentiel, et on caricaturera à peine en affirmant qu'elles ne s'intéressent guère qu'au mode, et à la durée, du transport des résidants de l’Île-de-France dans le trajet aller-retour quotidien qui leur permet de travailler dans la capitale. Le poids de la région, l'importance des effectifs concernés justifient certes un traitement spécial, et le rapport de l'observatoire n'y échappe pas, notant comme d'autres le temps particulièrement élevé perdu dans les déplacements, et l'importance des transports en commun. Mais il ne se contente pas de cette forme de programme minimum, et, en comparant les trajets en termes de kilomètres parcourus avec, d'un côté, l'Île-de-France et, de l'autre, le reste du pays, montre à quel point l'usage de l'automobile reste totalement dominant.
Si importante que soit la part des transports en commun dans la région capitale, elle reste un peu inférieure à celle de l'automobile. Et les utilisateurs de deux-roues motorisés qui, tradition du CERTU oblige, n'ont pas été oubliés dans l'affaire, parcourent quatre fois plus de kilomètres que les cyclistes. Ailleurs, tout change : la part des deux-roues, à moteur ou pas, passe du marginal à l'anecdotique, le recours à la marche se réduit tout en restant significatif, et l'automobile écrase tout.

Mais l'intérêt essentiel du document se trouve sans nul doute dans l'analyse détaillée qu'il propose de la mobilité rapportée aux catégories sociales. Ainsi, après les artisans et commerçants, les ouvriers fournissent le plus gros contingent d'automobilistes, et plus encore en Île-de-France que dans le reste du pays, et cela parce que leurs trajets s'effectuent essentiellement de banlieue à banlieue, alors que les réseaux de transports sont majoritairement concentriques. Les distinctions sociales associées aux déplacements se trouvent remarquablement résumées dans un graphique reproduit sur la page 25 du rapport, lequel associe, en fonction de la zone de résidence, habitats et emplois, et illustre les mouvements des uns vers les autres. En majorité, les actifs parisiens sont des cadres qui travaillent pour moitié sur place, et profitent donc de trajets très courts, pour moitié en banlieue. Les employés, la seconde catégorie la plus fournie, viennent principalement de banlieue. La capitale compte peu d'emplois ouvriers, et très peu de résidants appartenant à cette catégorie. Et là encore, Paris relève de l'exception : alors que, du fait de sa surface ridicule, on constate une énorme disproportion démographique entre la capitale et sa banlieue, la situation se révèle ailleurs bien plus équilibrée, avec une répartition équitable des habitants entre ville-centre et périphérie, et une structure sociale beaucoup moins concentrée, où emplois comme résidences des ouvriers sont distribués à peu près à égalité entre le centre et la banlieue, et même si le centre draine massivement des employés venus des alentours.

Noter que la hiérarchie spatiale est avant tout une hiérarchie sociale relève à l’évidence du truisme. Il en va de même avec la constatation selon laquelle, qu'il s'agisse des lieux d'habitation ou d'emploi, les contraintes s'empilent en raison inverse du capital, financier, culturel et social dont disposent les citoyens. Et, comme le rappelle le rapport, ces contraintes pèsent plus encore sur les femmes qui doivent le plus souvent, à côté de leurs activités professionnelles, gérer les tâches domestiques et familiales. Bien à l'abri dans ses paisibles quartiers centraux, on peut se donner le beau rôle, et jouer les donneurs de leçons perché sur son vélo. Mais pour la majorité, en province, en périphérie, il n'existe pas d'autre moyen de résoudre les problèmes chaque fois spécifiques des trajets quotidiens que le recours à un véhicule individuel à moteur thermique, lequel se trouve être, presque toujours, une automobile. Déclarer la guerre à ce mode de déplacement ne résoudra rien. Mais on peut toujours rêver de la voiture volante.

tribune

, 19:17

Un évident consensus se dégage pour voir en l'affaire Dreyfus sinon la naissance, du moins la consolidation d'une figure devenue depuis familière, celle de l'intellectuel, et plus précisément de son moyen d'expression favori, la tribune où il prend position sur un sujet qui, en principe, agite les foules. Ce mode d'action est devenu si fréquent, et si banal, qu’il nourrit une abondante littérature sociologique. Et puisque les sociologues sont coutumiers de l'exercice, leur fonction publique essentielle revenant, au fond, à fournir un diagnostic sur le monde social tel qu'il est, il était inévitable qu'ils produisent, dans une logique plus étroitement épistémologique, nombre de textes analysant cette pratique. Ainsi Nathalie Heinich, sociologue spécialiste des mondes de l'art, a-t-elle publié en 2002 un article dans lequel elle pose des distinctions pertinentes entre les diverses modalités d'intervention, plus ou moins étroites, plus ou moins légitimes, des chercheurs, et dans lequel elle défend, envers et contre tous, l'impératif de neutralité axiologique. Cet article ouvrira un riche débat, duquel on se contentera de retenir la contribution, toujours très claire, d'Erik Neveu, politiste spécialiste de la presse et des mouvements sociaux.

Équipé de ce petit bagage conceptuel, on va s'aventurer sur un terrain au premier abord dépourvu de danger, et s'intéresser à une intervention récente, L'objet, modeste, ne se retrouve pas en première page d'un quotidien dit de référence, mais plus obscurément sur des supports variés dans la presse francophone. Cette tribune en forme d'appel s'ouvre avec le rituel "nous" qui signale les prises de positions collectives, celles des sauveteurs d'ours polaires, des défenseurs de la noble profession d'expert-comptable, des promoteurs d'une vie saine, rurale et bien de chez nous. Le texte, très court, a malgré tout été rédigé par une vingtaine de signataires, ce qui laisse présumer des débats passionnés et des compromis durement négociés. Ces rédacteurs, de plus, généralement liés d'assez près aux sciences dures, partagent une même caractéristique, un relatif anonymat qui les situe à l'opposé des porteurs professionnels de paroles diverses, bons clients des débats télévisés et habitués des pages opinion des quotidiens. Autant dire que, en se limitant à ces quelques propriétés, on peine à percevoir quelle genre d’indignation un tel texte pourrait bien susciter.
Alors, si indignation, très circonscrite au demeurant, il y a, c'est qu'il se lance, sans souci des conséquences, à l'assaut de deux bastions.

Car cette tribune a une cible précise : une certaine forme de journalisme scientifique, qui, plutôt que de faire son travail lequel, en l'espèce, en plus d'informer le grand public de nouveautés significatives, doit clarifier des choses complexes qui ne sont pas à la portée du commun des mortels, préfère se mettre au service d'un nombre délimité de causes, et va alors picorer dans telle ou telle étude scientifique les résultats qui l'arrange, tout en négligeant ce qui pourrait invalider ses convictions voire même, précise la tribune, attribuer cette production de données qu'il ne veut pas connaître aux manœuvres obscures de quelque lobby.
La cible essentielle de cette attaque n'aura eu aucune peine à se reconnaître, puisque, dans ce grand quotidien du soir qui avait refusé d'accueillir le texte, une réaction vient d'être publiée dans un cadre qui ne doit rien au hasard, celui d'une rubrique qui a comme raison d'être de trancher les polémiques, et de dire la vérité. Cette réaction mérite quelques commentaires, tant elle ne fait, par la manière même dont elle s'applique à contourner les critiques, que les confirmer. Elle réduit d'abord le collectif ouvert des signataires soutenant l'appel aux seuls scientifiques qui l'ont rédigé, limitant ainsi sa portée et, donc, sa légitimité. Elle transforme ensuite l'accessoire, les sujets polémiques pris comme exemple par la tribune, en essentiel, analysant chacun d'un d'eux, jugeant celui-ci acquis, et celui-là contestable. Se contenter de cette énumération n'est qu'une manière d'éviter soigneusement de répondre sur le fond, un tour de passe-passe de joueur de bonneteau qui trompe le naïf en le faisant regarder ailleurs.

Mais au-delà de sa cible essentielle, cette tribune a entraîné des dégâts collatéraux, et provoqué un sévère rappel à l'ordre venu des gardiens d'une chapelle du grand temple épistémologique. Car en défendant l'aptitude de la science à produire des connaissances fiables ce qui, il faut bien l'admettre, représente un strict programme minimum, ses auteurs ont plongé la tête la première dans un nid de vipères. Sans le vouloir, ils se sont retrouvés en terrain hostile, sur le domaine de la sociologie des controverses initié par, et rassemblé autour de, Bruno Latour avec sa remise en cause relativiste du mode de fonctionnement des sciences dures. Partisans d'une mode d'élaboration de la science qu'ils qualifient, comme tant de choses de nos jours, de citoyen, mode illustré par des travaux comme celui que l'on a évoqué ici, les tenants de cette approche cèdent trop souvent à une furieuse compulsion qui consiste à dévaloriser les opposants qu'ils se sont donnés en les stigmatisant sous l'étiquette de scientistes.

Affrontant ainsi deux catégories d’adversaires aguerris, organisés, et rompus aux polémiques, les auteurs de la tribune paraissent bien démunis. Il ne forment en effet qu'une coalition lacunaire, regroupement de quelques individus privé d'assise institutionnelle. Pourtant, ils tirent leur force d'un point commun : au travers de divers canaux, les blogs, Twitter, YouTube, qui délaissent les dispositifs de publication traditionnels, nombre d'entre eux consacrent une partie de leur temps à rendre leur domaine de recherche ou d'expertise accessible aux profanes. Chacun dans sa spécialité, ils rendent ainsi le service que l'on attend d'un journaliste scientifique, fournir une interprétation valide, éclairée et accessible de phénomènes, et de technologies, redoutablement complexes. Ici, comme souvent, la manière la plus économique de faire tomber les bastilles consiste à les contourner.

cinétique

, 19:30

Un personnage secondaire d'un roman d'Heinrich Böll, bourgeoise âgée, rhénane francophile et francophone, affirmait ne rien lire d'autre dans les journaux que les pages locales. Sans prétendre s’astreindre à la même discipline, on se doit de constater que l'on y trouve des informations qui, a priori, ne sont reprises nulle part ailleurs, et méritent pourtant que l'on s'y attarde. Ainsi en est-il de cet article accessible sur le site en ligne du Parisien, lequel, au premier abord, ne fait que relater, sur le mode de l'exercice imposé, l'une de ces rituelles opérations de sécurité routière dans lesquelles la Préfecture de police, ici par la voix du préfet en personne, livre une fois de plus un dernier avertissement avant poursuites.
Elle comporte pourtant un élément étonnant puisque, répondant au journaliste du Parisien, Bruno Jouvence, commandant de police et chargé de la sécurité routière à la préfecture, précise que  : "L’an dernier" - en 2017, donc - "sur 13 piétons tués à Paris, trois l’ont été lors d’un choc avec un vélo." Provenant d'un fonctionnaire on ne peut mieux placé pour savoir exactement ce dont il parle, une telle affirmation n'en demeure pas moins surprenante.

Car la grandeur physique qui importe en matière d'accident de la circulation routière n'est pas tant la vitesse que l'énergie cinétique, d'où la gravité démesurée des accidents impliquant des camions. Autant dire que, à l'opposé, la bicyclette, le plus léger des véhicules autorisés à circuler sur la route, modeste auxiliaire qui se contente le plus souvent d'emporter un seul individu lequel, malgré quelques exceptions, a tout intérêt à rester aussi svelte que possible tout en se déplaçant à des vitesses réduites et généralement inférieures ou égales à 20 km/h, possède une énergie cinétique très faible. Aussi, quand bien même il entrerait en collision avec un piéton, il ne devrait pas lui causer de dommages considérables. Ainsi, à l'échelon national, le bilan des accidents de la route, pendant les quelques années où il a présenté une matrice mettant en regard les coupables et les victimes, ne recensait guère chaque année qu'un ou deux accidents mortels dans lesquels un piéton était tué par un cycliste. En Île-de-France, la DRIEA publie, elle, un bilan qui détaille ce genre de situation : en l'espèce, le seul cas avéré datait de 2014. Aussi attendait-on avec impatience l'édition 2017 de ce document, seule en mesure de confirmer les propos recueillis par le Parisien, et qui vient tout juste d'être publiée.

En 2017, nous apprend-elle, six piétons ont été tués dans des collisions avec des cyclistes, et seulement cinq avec les utilisateurs de deux-roues motorisés. Pour le dire autrement, en Île-de-France, les piétons victimes d'accidents mortels ont plus souvent été tués par des cyclistes que par des cyclomotoristes ou des motocyclistes. Une anomalie si radicale, quand bien même elle reste statistiquement peu significative, mérite bien quelques réflexions. Hélas, les données réellement pertinentes restant soigneusement protégées de la curiosité publique dans les placards des administrations concernées, celles-ci appartiendront pour l'essentiel au registre de la spéculation

Une partie de la gravité de ces accidents s'explique probablement par une caractéristique essentielle de la mortalité des piétons, l'âge : à Paris, en 2017, douze des treize piétons tués étaient âgés de plus de 65 ans. On peut fort bien supposer que les piétons victimes d'accidents causés par des cyclistes ont atteint un âge encore plus avancé, comme l'illustre cet acte impardonnable survenu voilà vingt ans : leur très grande vulnérabilité implique alors que le moindre choc puisse être fatal. Or, compte tenu du vieillissement de la population, un tel facteur va prendre de plus en plus d'importance.
Le succès de ce mode de déplacement récemment réintroduit dans les rues des villes, et la politique qui favorise fortement son développement en multipliant les aménagements tant physiques que réglementaires, entraîne sans doute aussi des effets de composition. On croise ainsi de plus en plus de vélos à assistance électrique susceptibles d'atteindre sans efforts violents leur vitesse limite, 25 km/h, ou bien des livreurs à vélo, vigoureux jeunes gens fort mal payés pour lesquels chaque seconde vaut, sinon de l'or, du moins quelques centimes, et qui, pour cela, prennent, et font courir aux autres, tous les risques. La banalisation d'autres pratiques, comme la circulation illégale sur les trottoirs, contribue sans doute elle aussi à cette dangerosité accrue des cyclistes envers les piétons.

Il serait évidemment fort intéressant d'en savoir plus : à cette interrogation, les autorités seules sont en mesure de répondre. Il reste, dès lors, à imaginer la suite, en prenant comme modèle le royaume que tous les cyclistes envient, les Pays-Bas. Là, l'usage universel du vélo a de lourdes conséquences en matière d'accidents. Le détail restant malheureusement réservé aux seuls néerlandophones, on se contentera de la vision sommaire qu'apporte le rapport annuel de l'International Transport Forum, dans sa section qui traite des Pays-Bas. Dans ce pays où, comme dans bien d'autres, la mortalité routière ne baisse plus depuis 2010, les automobilistes et leurs passagers représentaient, en 2016, 41 % des tués sur les routes, et les cyclistes, 30 %. Mais le rôle de ces derniers apparaît encore plus nettement si l'on s'intéresse aux seuls blessés hospitalisés, puisque deux tiers d'entre eux sont des cyclistes, victimes en majorité d'accidents n'impliquant pas de véhicules motorisés. Le nombre de ces blessés atteint en conséquence, depuis 1993, année où ceux-ci ont été comptabilisés pour la première fois, un plus haut historique.
Servilement repris par les politiques, l'argument sanitaire essentiel des activistes pro-vélo se résume en ce slogan selon lequel le principal danger de la bicyclette serait de ne pas en faire. Un propos aussi sommaire peut faire illusion tant que la pratique reste faible : son accroissement, sa diversification montrent que le risque qui l'accompagne ne concerne pas seulement ceux qui, après tout, l'ont choisi, mais, de plus en plus, et de plus en plus grièvement, les piétons, ces usagers vulnérables qui n'ont rien demandé, et espéraient au moins circuler paisiblement sur les trottoirs, ces espaces censés leur être réservés. Que leur situation se dégrade encore plus, et on voit mal pourquoi il en irait autrement, et il sera évidemment très intéressant d'observer les réactions, dans les discours, et dans les actes, des parties concernées et, en première ligne, des pouvoirs publics.

jaunes

, 19:13

La très longue histoire des révoltes fiscales françaises, auxquelles Charles Tilly consacre une large place dans son ouvrage classique, La France conteste, connaît donc aujourd'hui un épisode inédit, qui fait intervenir de nouveaux acteurs avec, en termes de mobilisation, si l'on regarde les choses avec une petite connaissance de l'analyse des mouvements sociaux, un succès impressionnant. Car, même dans un pays où, plus que beaucoup d'autres en Europe, la revendication échappe rarement au détour de la rue, convaincre autant d'individus de passer de la récrimination à l'action, de la protestation verbale à l'occupation du terrain, ne va pas de soi, et d'autant moins lorsque, comme c'est ici le cas, l'initiative cumule les handicaps.

Celle-ci, en effet, se singularise d'abord par son absence de structuration préalable, puisqu'aucune organisation revendicative établie, syndicale ou autre, ne participe à la préparation de l'événement. Plus encore, elle devra se passer du soutien des quelques spécialistes du mode d'action envisagé, occupation de points stratégiques sur le réseau routier ou ralentissement de la circulation sur les grands axes. Coutumières de ce genre de répertoire ni les organisations de camionneurs, ni la fédération des motards grognons ne participeront en tant que telles au mouvement. Enfin, elle devra, en un temps très bref, rassembler suffisamment de volontaires pour faire de la journée inauguratrice de la contestation un succès.
Quand bien même il ne s'agissait au départ que d'y consacrer son samedi, réussir à mobiliser aussi rapidement autant d'anonymes relève de l'exploit. Sans doute, d'ailleurs, une analyse ethnographique de la mobilisation relèverait-elle nombre de socialisations préalables, comme autrefois chez les fondateurs de la FFMC, souvent venus des moto-clubs pirates. Au moins, pour réconforter l'analyste désemparé devant tant d'infractions aux théories de l'action collective, ce mouvement naît-il grâce à l'indispensable élément déclencheur, seul en mesure de cristalliser un mécontentement latent. En l'espèce, il s'agit de cette brutale hausse du prix des carburants qui fait suite à une longue phase de repli des prix du pétrole, hausse amplifiée par une taxation présentée comme vertueuse, laquelle permet à son tour de désigner le coupable le plus universel puisque responsable par défaut de tous les maux, l’État.
Confus, désorganisé, contradictoire, ce mouvement rappelle dans son mode d'action jusqu'au-boutiste, majoritairement illégal et potentiellement violent, dans sa composition sociale, dans son répertoire d'action, dans sa géographie même, ces protestations d'ouvriers bloquant leurs usines, lesquelles constituent souvent le seul employeur industriel d'une ville isolée, tout en menaçant, faute d'accéder à leurs revendications impossibles à satisfaire, de tout faire sauter. Sauf que les protestataires du week-end ne sont plus quelques centaines mais, au pic de la mobilisation et selon la police, 280 000.

La pire des politiques, pour un pouvoir confronté à une telle opposition, massive, brutale, aux développements imprévisibles, et dont on peut mesurer l'efficacité en dénombrant les ronds-points bloqués, les camions immobilisés, les zones commerciales désertées serait de faire le dos rond, d'attendre que ça se tasse tout en laissant la police, ici et là, rétablir provisoirement l'ordre, de compter sur l'offensive précoce du général hiver pour renvoyer les occupants dans leurs foyers. C'est pourtant bien ainsi que, pour l'heure, il réagit.

C'est que le gouvernement avait un plan, celui, dit-il, de réussir la transition énergétique, qu'il présente comme une espèce d'obligation sacrée, une lutte pour que cette fin de l'histoire-là soit enfin définitive, plan assorti de promesses, de petits cadeaux et de jolies images. Et, affirme-t-il, il s'en tiendra fermement à sa feuille de route. Or, ironiquement, la justification essentielle de ce plan, l'impérieuse diminution des émissions de dioxyde de carbone se trouve, dans le cas particulier d'un des pays les plus vertueux de l'OCDE, simplement, vaine. On l'a déjà dit, lorsqu'on ne représente même plus 1% des émissions mondiales de CO2, les efforts ne sont plus à faire ici, mais chez les voisins. S'il existe une technologie à abandonner aussi tôt que possible, c'est le charbon et pas le diesel. Et si le levier de la fiscalité conserve un intérêt, c'est pour inciter à l'économie face à la diminution des ressources en général et du pétrole en particulier, diminution inévitable mais ni linéaire ni programmable. Un effort à poursuivre sur le long terme, des paliers faibles et progressifs, une politique stable, une visibilité permettant à chacun de faire ses arbitrages sans craindre d'être pris au dépourvu par les caprices des puissants, en somme exactement le contraire de la politique actuelle qui joue d'un côté la conversion à marche forcée vers ce mirage du tout-électrique qui pour l'heure vit essentiellement de subventions, et de l'autre la fin du moteur thermique, illusion aussi impraticable que socialement dommageable du fait de ses multiples effets de composition, lesquels toucheront massivement et de façon répétée les plus faibles.
Mais sans doute est-il bien plus facile de contraindre ses propres citoyens que les entreprises de son premier partenaire européen, lesquelles profitent sans complexe de tarifs préférentiels sur une électricité sale. Prêtes à renoncer au principal atout énergétique du pays au nom d'on ne sait quel fétichisme de la promesse à tenir, fût-elle absurde, les politiques menées en France depuis vingt ans méprisent la réalité, qu'elle soit technique, économique ou sociale. Avec cette révolte aussi soudaine qu'inédite, la réalité a commencé à se venger

avionneur

, 19:23

Le décès de Serge Dassault, mort à la tâche à l'âge respectable de quatre-vingt treize ans, s'accompagne de commentaires souvent peu amènes, pointant pour l'essentiel les petits soucis judiciaires qui ont perturbé sa tardive et modeste carrière politique, réduisant son rôle à celui d'un héritier de la fortune paternelle et, accessoirement, stigmatisant par principe son activité à la tête de Dassault Aviation. Car quand bien même elle tirerait aujourd'hui l'essentiel de ses revenus de la production d'avions d'affaires, l'entreprise conserve une activité plus ancienne, et plus cyclique, qui la voit poursuivre le développement cette longue lignée d'avions de chasse qui a fait sa célébrité : pour certains, cela suffit à ranger son président dans la détestable catégorie de ces gens promis à un cercle particulier de l'enfer, et qu'ils qualifient sans détours de marchands de canons.

Incontestablement, Serge Dassault n'était pas un homme du XXIème siècle. De fait, sa carrière professionnelle, entamée en 1951 après avoir fait l'X et Sup'Aéro, se confond avec l'histoire de cette industrie de l'air et de l'espace qui reste l'un des rares avantages compétitifs dont ce pays dispose encore aujourd'hui. Pourtant, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, après cinq ans d'occupation, il ne restait rien d'un secteur qui n'avait jamais brillé par son inventivité, et ne disposait alors que de maigres atouts, la disparition de ses concurrents italien et germanique, les quelques ingénieurs allemands laissés de côté par les soviétiques et les américains. En d'autres termes, sa fortune actuelle doit tout aux choix fait dans ces années 1950 et 1960, fruits à la fois d'expérimentations invraisemblablement risquées, et de décisions politiques et techniques qui se sont, souvent bien plus tard, révélées, dans tous les sens du terme, payantes. Ces choix, par ailleurs, avaient comme point commun de constituer autant de paris, allant souvent contre les doctrines en vigueur, ce qui, au fond, dans un environnement compétitif qui se passe très bien de lui, représente pour un outsider sa seule chance de succès.
Pour Dassault, dont les affaires avaient modestement repris après guerre grâce à un petit avion de transport, l'instant décisif viendra avec la conception d'un chasseur bi-sonique bien plus polyvalent que ses adversaires britanniques ou américains, à l'époque où l'on attendait simplement d'un intercepteur qu'il lance à haute altitude un unique missile chargé d'abattre un seul bombardier stratégique soviétique, cahier des charges fort peu réaliste et pour le moins restreint. La diffusion intercontinentale du Mirage III générera un capital technique et symbolique dont, aujourd'hui encore, l’entreprise, en partie, vit. Pourtant, la diversification viendra assez vite, avec d'abord le développement de l'aviation d'affaires, puis la création de filiales répondant à des besoins annexes.
Ainsi, le département électronique interne, concevant d'abord des radars embarqués, puis ensuite un tas d'autres choses, deviendra en 1962 une société distincte dont Serge Dassault prendra ensuite la tête. Et en 1981, autour de CATIA, le logiciel de CAO maison, Dassault Systèmes verra le jour avec, précisent Les Échos, un effectif de cinq ingénieurs. Aujourd'hui, l'entreprise n'est pas seulement le premier acteur mondial du secteur : dans un domaine qui a si souvent bénéficié de l'attention étouffante et inconstante de l’État, qui a vu tant de projets grandioses s'effondrer sans qu'aucune leçon ne soit tirée de leur échec, elle reste le seul éditeur français de logiciels de dimension internationale.

Ne rien retenir de cette aventure revient à considérer le monde d'aujourd'hui comme donné, existant tel qu'il est par la volonté d'on ne veut savoir quel bon ou mauvais génie, alors qu'il est le fruit d'une histoire complexe et de contingences variées. Telle est, sans doute, la propriété de la jeunesse, et de l'ignorance. Un peu comme avec le plan que suivent toutes les bibliographies de personnages politiques dans Wikipédia, lesquelles détaillent successivement la formation de l'individu en question, sa carrière d'élu, et ses ennuis judiciaires réels ou supposés, tout se passe comme si seule comptait désormais une sentence morale décidée par des gens qui n'ont aucune autorité pour la rendre, ce dont ils se passent fort bien, tout en produisant des jugements privés de pertinence, ce qui ne doit guère les gêner. Ainsi, mettre en œuvre l'automatisme qui propulse Serge Dassault dans le clan des marchands d'armes ne présente aucune difficulté. S'interroger sur le destin des chars Leclerc, produits dans les arsenaux d’État, vendus aux Émirats arabes unis et engagés par ceux-ci dans les combats urbains de la guerre civile au Yémen serait sans doute, moralement, plus utile mais, techniquement, plus complexe et, narcissiquement, moins rémunérateur.
L'époque n'est certes plus à l'homo faber. Mais l'héritier sera bien plus le donneur de leçons qui vit dans ce monde efficace et confortable, mais pas indestructible, auquel il n'a nullement contribué, conçu et reconstruit après la Seconde guerre mondiale par les ingénieurs des grands corps techniques et qui, au nom de sa vaniteuse morale d'instituteur, s'emploie quotidiennement à le démolir sans rien avoir à mettre à sa place.

rageux

, 19:24

Parmi tant d'autres points significatifs, le récent jugement dans lequel le Tribunal administratif de Paris annule la décision du Conseil de Paris fermant à la circulation des véhicules motorisés la section centrale de la voie Georges Pompidou, sur les quais de la rive droite de la Seine, offre à l'observateur averti l'occasion d'une petite spéculation. On peut en effet lire ce jugement à l'envers, en ce qu'il retrace le cheminement d'une décision politique vers sa traduction réglementaire, et la commande faite à l'administration municipale de trouver de quoi fonder en droit une décision déjà prise. Ce n'est pas faire injure à cette administration que de constater qu’elle a échoué, d'autant que l'on ne prend guère de risque à parier qu’elle avait prévenu sa hiérarchie de la légèreté de ses motifs, et du risque encouru si, d'aventure, un grincheux venait à contester cette fermeture devant la justice administrative.

Aussi la réaction virulente de la municipalité parisienne recèle-t-elle un véritable potentiel comique, avec ce long cri d'indignation dans lequel elle mobilise toutes les ressources de son arsenal rhétorique, tout en démontrant une fois de plus son incomparable dextérité dans l'art raffiné du bonneteau statistique. Faute de place, on se contentera de commenter deux points de cet argumentaire, avec d'abord ce qui a trait à la pollution atmosphérique. Au passage, on remarquera que la Mairie fait ici preuve d'une rare sollicitude à l'égard de sa banlieue, puisqu'elle ne fait aucune distinction entre Parisiens et Franciliens, les données d'Airparif auxquelles elle se réfère couvrant toute l’Île-de-France. Il faudra un esprit singulièrement mesquin pour faire remarquer que le seul territoire municipal jouit d'une qualité de l'air systématiquement meilleure que celle de la région dans son ensemble.

Cette réponse à une décision de justice détaillée sur dix-sept pages pourrait difficilement adopter un format plus opposé. On se retrouve face à une série de vignettes exposant un court slogan et un chiffre choc, renvoyant en annexe à une page complémentaire qui fonctionne exactement de la même manière. Il s'agit moins, en somme, d'argumenter, que de fournir à ses troupes de quoi nourrir leur activité sur un célèbre réseau social. Malgré tout, on relève un lien qui pointe vers le site d'Airparif, la seule autorité en la matière, et en l'espèce vers le bilan 2015 de l’association.
Trois millions de Franciliens, nous dit la Mairie, respirent un air pollué : on se demande donc d'où sort ce chiffre puisque, en première analyse, Airparif n'en compte que la moitié. Il se trouve, de plus, que ce rapport, on l'a analysé lors de sa publication, voilà bientôt deux ans. Dans l'éventail des polluants contrôlés, le chiffre choisi pour faire peur fait référence au dioxyde d'azote, une substance qui n'a plus déclenché d'alerte à la pollution à Paris depuis vingt-et-un ans, et plus précisément au dépassement de la valeur limite annuelle, qu'aucune métropole européenne ne respecte. Il aurait été plus pertinent, et plus honnête sans doute, de s'en tenir aux particules fines, dernier polluant vraiment problématique. Hélas, nous dit Airparif, elles n'affectent plus aujourd'hui que 300 000 Franciliens, ce qui, immédiatement, devient bien moins spectaculaire.
Étrangement, la Mairie a par ailleurs choisi d'ignorer l'édition 2016 du même rapport, pourtant publiée en juin dernier. Il est vrai que, dans celle-ci, la quantité de Franciliens soumis à ces excès particulaires est tombée à 200 000.

Mais si la Mairie réagit avec une vigueur un peu inquiétante à, il semble utile de le rappeler, une décision de justice, c'est sans doute à cause des considérants 14 à 17 du Tribunal administratif, lesquels mettent en pièces la notion supposée justifier scientifiquement son action, l'évaporation. Entre autres méchancetés, le tribunal fait un peu d’épistémologie, rappelant qu'une collection de cas particuliers ne saurait suffire à fonder un concept scientifique, un peu de statistique, jugeant qu'un écart de un à quatre entre trafic estimé et comptabilisé était quand même un poil excessif, et un peu de géographie, considérant que limiter l'étude d'impact à une zone centrée sur la voie en question et large de 200 mètres ne permettait pas de pleinement apprécier les effets d'une mesure qui s'exercent jusqu'à l'échelon régional.

Et c'est bien là que se situe l'enjeu fondamental de l'affaire, dont l'importance déborde largement du territoire concerné, et ne saurait être réduite au combat entre une capitale de gauche et une région de droite. Installée sur une emprise qui, comme le rappelle le Tribunal, reste toujours la propriété du port autonome de Paris même s'il n'en a plus l'usage, la voie Georges Pompidou assurait une liaison directe entre banlieues ouest et est, et réduisait la capitale à un simple rôle de transit. En d'autres termes, elle lui imposait une servitude dont bénéficiaient essentiellement des banlieusards. D'une manière qui vient d'être déclarée illégale, la Mairie a donc décidé de couper cette liaison. L'évaporation du trafic, cette notion quasi-magique, moralisatrice, puisqu'elle dénie aux usagers motorisés de la voirie leur droit légitime à l'employer, et autoritaire, puisqu'elle leur laisse la charge de se débrouiller autrement et d'aller n'importe où, mais pas ici, se présente ainsi telle qu'elle est, un abus de pouvoir. Qui se soucie, après tout, de la manière dont vont se comporter ces banlieusards, qui trouveront sûrement un moyen de passer. Par les égouts, au besoin.
Plus aristocratique que jamais, la municipalité parisienne livre ainsi sa conception du rôle d'une ville située au centre d'une métropole mais bien décidée à s'affranchir de toutes les contraintes qui accompagnent nécessairement sa position géographique, aussi bien que son insertion dans un espace politique et économique plus vaste. Illustré de magnifiques clichés opposant, littéralement, le jour à la nuit, l'argumentaire municipal confirme si besoin était le destin qui attend, sinon toute la capitale, du moins ses arrondissements centraux, celui d'être le réceptacle à touristes d'une ville-musée, construite et gérée dans le mépris le plus complet de tout le reste, y compris le simple respect de l’État de droit.

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, 19:33

À un léger détail près, on pourrait s'épargner la peine de commenter ce récent Comité interministériel de sécurité routière, et se contenter de recycler le billet écrit voilà plus de deux ans, lorsque cette cérémonie s'était tenue pour la dernière fois. Car, du Premier ministre au ton sévère dénonçant une situation inacceptable au menu détaillant l'habituel catalogue de vingt mesures, des appels à une mobilisation citoyenne déjà cent fois lancés et effectifs dès 1984 avec l'initiative REAGIR de Pierre Mayet au serpent de mer ici incarné par l'éthylotest anti-démarrage, on cherchera en vain dans ce programme la trace d'un semblant d'originalité. Franchement, ça lasse. Le cumul d'inepties dépassant significativement celui de la session précédente, on en vient à plaindre sincèrement les fonctionnaires de la DSCR, qui ont sûrement payé de longues nuits sans sommeil leur chasse aussi désespérée qu'infructueuse aux idées neuves. Par simple charité, on retiendra malgré tout l'attention accordée aux piétons, et en particulier la verbalisation des refus de priorité dont ils sont victimes, et on se réjouira, en tant que motard, d'être enfin autorisé à allumer ses feux antibrouillard quand la visibilité est mauvaise, un équipement dont, malgré des décennies de pratique, on ignorait totalement l'existence.

Mais il y a un symbole, et d'importance. Pour la première fois en quarante ans, puisque la limitation des vitesses aujourd'hui en vigueur sur le réseau secondaire hors agglomérations date de 1974, l’État s'attaque à l'immuable, et réduit de 10 km/h la vitesse autorisée. Tout, dans cette décision, mérite analyse, tant elle est caractéristique de la façon dont la puissance publique décide et agit, de la manière dont elle se justifie et, même, de ce à quoi elle croit.

Depuis peu, la mécanique simpliste de la sécurité routière affronte un obstacle : la courbe de la mortalité, son but, sa fierté, son unique preuve d'efficacité, ne baisse plus. Pour les automobilistes en particulier, elle aurait même retrouvé une légère hausse. Un simple coup d’œil sur les données publiées par les principaux pays européens montre pourtant une tendance partout à peu près identique  : une baisse de moins en moins marquée de la mortalité routière au fil du temps, qui débouche sur un plateau à partir de 2010, avec parfois de légères hausses comme pour ce pays qui vaut comme un modèle de vertu, la Suède. En d'autres termes et en première analyse, si on atteint, ici et ailleurs, une limite, c'est celle d'une politique conduite à l'identique depuis quarante ans. Alors, il ne serait pas superflu, en particulier pour un pouvoir tout neuf, de prendre le temps de la réflexion.
Mais en ce début d'année, sans même attendre les quelques semaines nécessaires à la consolidation du bilan 2017, on agit. On le fait en prenant comme justification une expérience menée sur quelques tronçons de route, dont la validité semble douteuse, et dont les conclusions restent secrètes. On le fait en s'aidant de cet univers para-scientifique aussi rassurant que fictif qu'on appelle l'accidentologie, avec ses lois éternelles puisque mathématiques, lesquelles s'appuient sur de courtes expériences naturelles conduites à la fin des années 1970 dans un seul pays, et sur les véhicules d'alors. On le fait, enfin, en allant au plus court et au plus conforme, et en évitant surtout de s’intéresser au détail. En refusant de voir le conducteur tel qu'il est, un individu par définition adulte, formé plus ou moins bien, plus ou moins expérimenté et apte à réfléchir avant d'agir, en ayant choisi de le surveiller grâce à des automates, on a fermé toutes les pistes, sauf celle que l'on emprunte en resserrant la ceinture d'un cran.

Pourtant, la sécurité routière, avec son appareil statistique qui n'est jamais qu'une grosse machine à réduire drastiquement la complexité infinie d'un réel, par définition, accidentel, et à homogénéiser ce qui n'est qu'exception, offre malgré tout, dans ses bilans annuels, matière à réflexion. Ceux-ci montrent, par exemple, que la mortalité des automobilistes découle pour moitié d'accidents impliquant des véhicules seuls. C'est le cas de la surmortalité des jeunes adultes les samedi et dimanche, tôt le matin, ce phénomène que l'on appelait autrefois à Bruxelles la saturday night fever, qui conjugue alcoolisation prononcée et vitesse très supérieure aux limites. Dans des situations de cet ordre, on a du mal à se représenter l'efficacité de la nouvelle règle.
Mais, plus encore, il se pourrait qu'elle se montre contre-productive. Car elle va avoir un effet inédit et négligé, celui d'annuler la différence de vitesse dont bénéficiaient les usagers par rapport aux conducteurs d'un véhicule auquel la politique de sécurité routière ne s'est jamais intéressée, le poids-lourd. En 2016 nous dit le bilan de l'ONISR, 1 760 automobilistes sont décédés dans un peu plus de 46 000 accidents. Moins de 3 000 accidents ont impliqué des poids-lourds  ; pourtant, 493 personnes ont été tuées dans de telles circonstances, dont 438 n'étaient pas dans la cabine du camion. L'énergie cinétique ne met pas seulement en jeu la vitesse, mais aussi la masse ; et le véhicule le plus massif se montre bien plus dangereux que tous les autres. Dans la nouvelle configuration mise en place sur les routes secondaires, il ne sera même plus possible de s'éloigner légalement de ce danger. Qu'est-ce qui pourrait mal se passer ?

Cette première incursion du nouveau gouvernement sur un terrain neuf vaut comme une forme de renoncement : face à un problème à la fois complexe et secondaire, on choisit la solution simple, celle du conservatisme. Et l'affaire présente surtout un intérêt politique, avec la vigueur étonnante de l'engagement du Premier ministre. On avait pris l'habitude de voir la sécurité routière comme une sorte de cause occasionnelle, mise en avant au début des années 2000 lorsque la forte baisse de la mortalité valait comme preuve d'efficacité de l'action publique, et apportait une rémunération politique. Lisible dans la périodicité de plus en plus lacunaire des CISR, la stabilisation des années 2010 avait ensuite incité les politiques à se montrer bien plus discrets. Il y a sans doute, dans cet engagement, un peu d'imprudence. Et, si jamais le bilan 2018 ne montre pas ces 150 vies d’automobilistes sauvées sur les routes secondaires, il y aura des comptes à rendre. En attendant, on se permettra de conclure en apportant sa contribution à l'édifice commun par une modeste question. On dénombre en France environ 2,8 millions de motocyclistes, dont un peu plus de 600 sont tués chaque année sur les routes. En Espagne, on recense de l'ordre de 2,8 millions de motocyclistes. Chaque année, un peu plus de 300 sont tués sur les routes. Pourquoi ?

lehman moment

, 19:35

Anticipons un brin. La semaine prochaine, tenant compte de la position unanime des organismes chargés de veiller sur la santé publique, la Commission européenne refusera de prendre la décision qui, pourtant, s'impose, prolonger pour dix ans l'autorisation donnée aux agriculteurs d'utiliser l'herbicide le plus répandu sur la planète, le glyphosate. L'organe de décision de l'Union choisira sans doute, comme souvent, d'en faire le moins possible. Et l'on ne saurait lui donner tort tant, dans cette énième réinterprétation du mélodrame de l'Union divisée, la Commission joue encore une fois le rôle ingrat du brave type, volontariste, sincère, mais un peu simplet, qui veut à tout prix réconcilier les familles divisées. La dernière ayant impérativement lieu le 15 décembre, il ne lui reste plus beaucoup de temps pour mettre en place l'un de ces fameux compromis qui ont fait sa réputation, lequel se traduira sans doute par une reconduction a minima, pour une période de trois à cinq ans.
Donnée pour la première fois en 2002, traitant d'un sujet accessible à un nombre limité de spécialistes, la pièce a pourtant connu un énorme succès public. Une pétition réclamant l'interdiction du glyphosate a ainsi obtenu le soutien de plus d'un million de citoyens européens. On espère que, en accord avec leurs nobles principes, les signataires auront la décence de se procurer une binette, et de mettre leur force de travail à la disposition de ces agriculteurs qu'ils souhaitent priver de leur herbicide préféré. N'ayant qu'une appétence limitée pour le ridicule, et face à un domaine dont on ignore tout, on se gardera bien de prendre un quelconque parti. On se contentera d'analyser brièvement la mécanique qui a produit pareil résultat, en s'appuyant sur des éléments facilement accessibles.

Et son fonctionnement peut se résumer de la façon la plus simple, puisqu'il tient en une unique phrase, reprise à l'envie par la presse grand public, y compris dans un pays peu concerné par les décisions de l'Union européenne : " l'Organisation Mondiale de la Santé a classé le glyphosate comme cancérogène, il faut donc l'interdire." Or, il se trouve que cette assertion, dans sa prémisse, est fausse, et, dans sa conclusion, dépourvue de sens. Et pour s'en convaincre, il n'est nul besoin de chercher des preuves au-delà de celles que fournit l'OMS elle-même.

Dans un court document destiné au grand public, l’organisation explique sa méthode, distinguant deux notions souvent confondues, danger, et risque. Avant qu'une substance ne soit mise sur le marché, l'OMS, ou l'une des agences spécialisées qui lui sont associées comme le CIRC, procède à une classification préalable qui tente, sur la base de la littérature disponible, d'estimer s'il y a des raisons de penser que le produit en question présente un danger pour les êtres humains. En ce qui concerne plus particulièrement le cancer, on voit que l'agence ne chôme pas et que, sur les 1003 suspects examinés à ce jour, un seul a, sous réserves, été mis hors de cause.
On conçoit qu'une procédure qui ne trouve que des coupables ne soit pas d'une grande effectivité ce pourquoi, dans un second temps, un groupe d'experts se réunit pour évaluer le risque que représente la molécule en question. Pour celle qui nous intéresse, il a été jugé que, dans son utilisation normale, elle ne posait pas de problème particulier. S'agissant d'un produit employé depuis quarante ans, une telle conclusion n'étonnera que les hypocrites, auxquels on rappellera que la population exposée se compose quasi-exclusivement d'agriculteurs.
La très longue liste des cancérogènes avérés et probables qui, outre les coupables habituels en libre circulation pour la population adulte, l'alcool et le tabac, comprend le café, la viande rouge, les poussières de bois ou de cuir, voire des sources vraiment très difficiles à contrôler telles le soleil ou les champs magnétiques ou, pire encore, le "métier de peintre", cause de "leucémie de l’enfant du fait d’une exposition maternelle" montre par ailleurs combien l'association pesticide-cancer-interdiction relève d'un comportement pavlovien. Tout cela, au fond, n'est peut-être qu'un complot de la presse généraliste, qui viserait à réhabiliter les vieilles théories behaviouristes du stimulus-réponse autrefois attachées à la psychologie sociale, et pour lesquelles l'être humain possède plus ou moins l'intelligence d'une souris.

Que la grande presse s'adresse à son auditoire comme si son niveau d'éducation n'avait pas dépassé le stade de l'école primaire n'a aujourd'hui plus rien de surprenant. Que les marchands de peur tirent profit de l'ignorance généralisée non plus. Mais que, en dépit de l'évidence que la Commission rappelle, les États membres, occupés, pour l'essentiel et comme toujours, par de vulgaires petits calculs politiciens nationaux, refusent de prendre la décision qui s'impose entraîne une conséquence redoutable. Car, alors, l'édifice de l'expertise scientifique s'effondre. Les avis argumentés des agences nationales comme internationales qui analysent soigneusement chaque nouvelle molécule avant qu'elle ne soit employée dans l'espace public, et quand bien même leurs conclusions restent, en bonne logique scientifique, soumises à ré-appréciation, n'ont plus aucune importance, puisqu’une coalition d'activistes suffit à les invalider.
On assiste bien à un moment Lehman, cet instant où, parce que les autorités en ont décidé ainsi, le terrain se dérobe, les certitudes disparaissent, et la construction la plus sûre, celle que l'on croyait à l'abri de n'importe quel aléa, ne vaut plus rien. Dans une autre partie du monde organisé, régulé par des institutions rationnelles et publiques qui disposent seules d'un pouvoir de décision, on revit ce moment d'effondrement où, dans la panique, les propriétaires d'actifs financiers ont décidé de vendre, tout, et à n'importe quel prix, et que l'on appelle une capitulation.

ennemi

, 19:28

Les hostilités ont démarré avant même l'élection présidentielle, avec ce billet d'un journaliste et documentaliste, devenu depuis lors député sur la liste de la France Insoumise. Le quotidien du soir n'ayant pas pour habitude de laisser un accès en ligne gratuit aux textes qui ne lui ont rien coûté, impossible de recenser avec exactitude les occurrences, sous des formes variées, de ce terme qu'il scande dans son libelle, haine. Ensuite, la vague a enflé, produisant par exemple cet entretien déconcertant d'une sociologue émérite, ancienne élue au Comité d'hygiène et de sécurité de feu l'IRESCO. Apparaissent alors des termes inédits au contour vague, tel cette Macronie qui visiblement désigne, à droite aussi bien qu'à gauche, un objet d'exécration. Les positions se solidifient, les certitudes s'ancrent, tout un processus de production du réel se met en place, et il ne peut qu'interloquer un esprit rationnel puisqu'il reste, pour l'heure, par définition, totalement fictif.

Qu'ont donc fait de si grave un Président tout juste élu et une majorité parlementaire essentiellement composée d’inconnus sans doute avant tout préoccupés de l'apprentissage de leur nouveau métier ? Qu'y a-t-il de tellement révoltant dans la personne même d'Emmanuel Macron ? Du portrait un poil allusif qu'il donne de lui-même, on retient des traits finalement assez courants aux sommets de l’État. Fils de notables provinciaux, énarque, inspecteur des Finances, passé chez Rotschild & Cie où il s'occupait du quotidien des banques d'affaires, les fusions-acquisitions, il rejoindra ensuite le secrétariat général de l’Élysée avant d'être nommé ministre de l’Économie. En somme, le parcours d'un jeune homme brillant, semblable à d'autres, rare par définition mais, dans sa singularité, à l'intérieur de la haute fonction publique, assez habituel.
En fait, ce qui le distingue des autres, de ses concurrents à la présidentielle, c'est sa jeunesse, sa conversion à une carrière politique, et les implications de ces deux propriétés. François Fillon, Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon, dignes représentants de la manière traditionnelle de faire de la politique, ont depuis toujours été des professionnels. Comparativement peu voire très peu diplômés puisque le premier a abandonné une thèse en cours là où les deux autres n'ont obtenu qu'une simple licence, ils s'opposent ainsi au premier de classe qui, entre Henri IV, Sciences Po et l'ENA a trouvé le temps, en échouant à l'ENS, de poursuivre des études de philosophie jusqu'au DEA. Là où Benoît Hamon a suivi la filière de formation propre au Parti Socialiste, l'UNEF, puis le Mouvement des Jeunes Socialistes qu'il a présidé, les deux autres ont été choisis par leurs patrons respectifs, Joël Le Theule, mort prématurément alors qu'il était ministre de la Défense, Claude Germon, député de l'Essonne. On comprend toute la frustration qu'entraîne, après une vie entière de dur labeur militant, le fait de se retrouver doublé dans l'ultime ligne droite par un nouveau venu, fondateur de son propre mouvement et porté là par un concours de circonstances qui lui dégage un vaste espace dans un territoire délaissé, le centre, espace qu'il se trouve seul en mesure d'occuper.
Facile, dès lors, de stigmatiser celui qui justement ne respecte pas la procédure usuelle, d'en faire, pour reprendre les assommants parallèles de ces éditorialistes qui veulent tout faire rentrer de force dans une matrice d'ancien régime, un usurpateur. Rarement aura-t-on connu une telle détestation, un semblable procès en légitimité instruit contre un président, où l'on additionne les pourcentages au dixième près, où l'on recompte méticuleusement les voix qui se sont portées sur Emmanuel Macron tout en ne devant pas être considérées comme lui étant acquises. En 1981, la première élection de François Mitterrand a certes déclenché des réactions similaires, mais les attaques venaient alors d'un seul côté. Sans doute est-ce le propre d'un président centriste que de devoir subir des assauts sur ses deux flancs.

Mais la clé de l'histoire tient peut être dans la jeunesse, qui porte au pouvoir un quadragénaire. Un jour, des historiens s'intéresseront sûrement à ce processus d'aggiornamento qui, chaque fois en fonction de calendriers, de modalités, d'équilibres particuliers et sous la pression de circonstances par définition spécifiques, a vu une large fraction des pays européens s'adapter à la situation nouvelle née des divers chocs subis depuis le début des années 1980, et qui leur ont permis de trouver une trajectoire soutenable en matière de déficits publics, de chômage, de croissance, voire même de sécurité de leur système bancaire. Qu'il se soit déroulé sans grand drame dans l'Allemagne de Gerhard Schröder, ou de façon catastrophique dans l'Espagne d'après 2008, presque partout, cet aggiornamento a eu lieu. Et le dernier carré des résistants ne comprend plus guère que deux membres, l'Italie et la France.
L'accueil enthousiaste que les instances internationales, dirigeants, hauts fonctionnaires, presse ont réservé à Emmanuel Macron, sur l'air sans doute très prématuré du enfin la France se décide à bouger montre à quel point les premiers arrivés sont fatigués d'attendre les retardataires. Pour l'heure, on ignore toujours s'il se passera quelque chose, quoi, ou comment. Mais on ne peut nier qu'avec ce président et sa majorité parlementaire, la probabilité d'un changement significatif soit élevée. On comprend que, pour ceux qui, sans doute à raison, pensent avoir plus à y perdre qu'à y gagner un tel risque doive être combattu avec la plus grande fermeté.

ladri

, 19:23

Le 23 février dernier Rodrigo Rato, figure du Parti Populaire de Mariano Rajoy, mondialement connu pour avoir présidé le FMI entre 2004 et 2007, était condamné à quatre ans et demi de prison. Il payait ainsi les coupables largesses dont il avait bénéficié lorsqu'il était, de 2010 à 2012, à la tête de Bankia, une entité financière un peu spéciale à laquelle on a déjà eu l'occasion de s'intéresser. En ces temps particulièrement troublés, cette information n'a guère suscité d'intérêt de ce côté des Pyrénées. Elle aurait même pu passer totalement inaperçue si la comparaison obligée avec les ennuis judiciaires qui affectent d'autres personnalités bien connues du même FMI n'avait déclenché une vague de schadenfreude qui a éclaboussé jusqu'à la BBC. Le procès dont il est question, et qui met en cause pas moins de soixante-cinq prévenus, va pourtant bien au delà de l'anecdote croustillante. Hélas, malgré de longues recherches, la pêche aux informations exploitables se révèle bien maigre. On aura rarement autant regretté de ne pas être hispanophone. Mais c'est comme ça.

Au cœur de l'affaire, un système de cartes de paiement clandestines attribuées aux administrateurs de Bankia. Celles-ci leur permettaient, de façon semble-t-il totalement discrétionnaire et, il est à peine nécessaire de le préciser, sans rien déclarer au fisc, de financer sans retenue leurs menus plaisirs. Le Guardian livre ainsi une courte liste et des montants en cause, dont le total atteint la somme respectable de 12 millions d'euros, soit de quoi faire passer n'importe quel parlementaire français pour un tout petit joueur, et des motifs de dépenses, des dîners, du vin, des voyages, tout ce qui permet en somme à des décisionnaires surchargés de s'accorder de bien légitimes moments de détente. Et pourtant, il manque l'essentiel.
Car, loin d'être réservées au seuls cadres du Parti Populaire au pouvoir, ces libéralités profitaient à l'ensemble des administrateurs de la caisse d'épargne. Et ceux-ci représentaient tout le spectre des partis traditionnels, mais également les confédérations syndicales. Là, hélas, les données manquent, mais on peut au moins citer le cas de José Moral Santín, co-fondateur en 1986 d'Izquerdia Unida, parti issu, comme son nom l'indique, d'une scission fondamentaliste du Parti Communiste de Santiago Carillo, président entre 1991 et 1995 de Telemadrid, la chaîne de télévision de la communauté autonome madrilène, puis vice-président de Caja Madrid, la caisse d’épargne qui donnera naissance en 2010 à Bankia et qui aurait déboursé sur le compte de Bankia un total de 365 000 €.

Toujours accessible sur le site des Échos, un article de Jessica Berthereau daté de juin 2012 exposait les spécificités de ces structures, et en particulier leur grande dépendance au personnel politique. Avec l'autonomie régionale consolidée durant les années 1980, un vaste champ d'action s'est ouvert aux élus, leur permettant de contrôler les organismes de crédit, mais aussi ces chaînes de télévision dont certaines ressemblent plus à un groupe audiovisuel qu'à la station régionale de France 3, et d'en tirer tous les avantages matériels et symboliques que l'on peut imaginer.
Il reste un dernier chapitre à écrire, celui de l'euphorie immobilière des années 2000, cette époque prodigieuse où l'Espagne coulait plus de béton qu'aucun autre pays européen, et dont rend compte un article de Julie Pollard publié fin 2007, soit juste avant le grand saut. C'est que, comme on le sait, les histoires d'argent facile finissent toujours mal.

Mais on connaît la suite : les procès, les commissions d'enquête, et la disqualification de structures politiques qui affrontent aujourd'hui de nouveaux concurrents, les gauchistes de Podemos, le centristes de Ciudadanos. La révolte populaire, le discrédit qui frappe la classe politique traditionnelle et l'apparition chaotique d'une offre nouvelle rappellent nécessairement un précédent, lorsque, voilà déjà un quart de siècle, des citoyens italiens en colère accueillaient aux cris de ladri ! les caciques des partis d'alors, Démocratie chrétienne ou Parti socialiste, leur jetant de la menue monnaie à la figure. Vingt cinq-ans et un Silvio Berlusconi plus tard, on peut raisonnablement douter que l'Italie s'en porte beaucoup mieux. L'Espagne, elle, parvenue à la fin de son aggiornamento économique sans qu'il ait été nécessaire de bouleverser ses institutions, pourra sans doute plus facilement oublier ce moment d'égarement, ce mirage de la richesse infinie qui aveugle les pays qui, comme elle, l'entrevoient pour la première fois.

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