Quand même, quel vilain gourmand cet Antoine. Sous sa calvitie, sa barbiche et ses lunettes métalliques qui lui donnent une austère allure de pasteur, l'homme qui a fait Vinci cachait donc, à défaut d'une ambition dévorante que, à la veille de la retraite, il ne lui restait plus guère d'occasion d'assouvir, une ferme volonté d'essorer la bête une dernière fois avant de partir, et dans des proportions inusitées puisque, en plus d'une modeste prestation de retraite complémentaire de l'ordre de deux millions d'euros par an et d'une prime d'adieu de 13 millions d'euros il réclamait, juste gratification pour la façon magistrale dont il avait su mener le rachat des ASF, un mince bonus supplémentaire de seulement 8 millions d'euros. Il semble, étrangement, que cette petite touche finale ait été fatale à la composition de l'ensemble, d'autant que, pour parvenir à ses fins, il avait cherché à débarquer son successeur désigné, lequel, sans même attendre qu'il ait quitté la carrière, s'était vigoureusement opposé à ses prétentions. La démission d'Antoine, en ce début juin, rassure le marché aussi bien que la présidente du MEDEF, qui échappe ainsi à la production d'une nouvelle affaire Daniel Bernard.

On n'a, pourtant, dévoilé ainsi qu'une petite partie du tableau. Car si l'on peut considérer que les salaires, retraites et primes payées directement à Antoine représentent autant d'argent en moins pour les autres salariés de l'entreprise, l'essentiel de la fortune de l'ancien dirigeant de Vinci provient de la valorisation des titres qu'il détient, lesquels, au 31 janvier 2006, actions et options mélangées, sont au nombre de presque 6 millions, soit 2,5 % du capital. Difficile, évidemment, sauf à effectuer de longues recherches, de se faire une idée précise de leur valeur ; mais, pour l'année 2005, Antoine a exercé 635 000 de ses options d'un prix moyen de 27 euros. En les valorisant au cours du 30 décembre de la même année, soit 72,65 euros, on peut estimer sa plus-value à presque 29 millions d'euros, soit 220 fois le plafond du PEA. Et, bien sûr, seuls les actionnaires, d'ailleurs souvent salariés comme c'est généralement le cas dans les enterprises de BTP, font les frais de cette plus-value-là, qui, compte tenu de son portefeuille de titres dix fois plus important, représente bien plus que l'argent de poche qu'il demandait pour son départ. Sauf que, si l'on se souvient de l'impressionnant parcours de l'action depuis sa prise de fonctions, les actionnaires se trouveraient bien ingrats de lui reprocher une voracité dont, sans doute, ils ont été les premiers à récolter les fruits.