Maintenant qu'on tient les coupables, il paraît normal de songer à dédommager leurs innocentes victimes, elles qui ont investi leurs modestes économies dans ces placements sûrs et rémunérateurs que leur proposait leur banquier, cet individu qui n'a d'autre but dans l'existence que d'assurer leur plus complet bonheur, et auquel elles vouent une confiance si aveugle qu'elles négligent même de lire les notices qui accompagnent obligatoirement toute transaction sur des OPCVM, et qui précisent pourtant bien que, sur une échelle de 1 à 8, le risque du fonds matières premières qu'elles viennent, en ce bel été 2007 où les bourses du monde rayonnent de leur plus franc éclat, tout juste d'acquérir se situe au niveau 8. Tel est le sens de l'amendement à la loi de finances du sénateur Philippe Marini : les moins-values sur valeurs mobilières réalisées par des particuliers au cours de l'année 2008 seraient, à titre exceptionnel, et compte tenu de leur masse, déductibles de leur revenu imposable pour 2009, dans la limite de 10 700 euros. Cette initiative reçoit un accueil pour le moins mitigé : si au PS, où l'on démontre une fois de plus à quel point on déteste viscéralement les riches, Benoît Hamon tient des propos qui n'étonnent guère, à l'UMP, on ne se montre pas vraiment enthousiaste, et au gouvernement on est même contre. Mais Frédéric Lefebvre, évoquant rapidement, sur France 2, la déductibilité des moins-values, sera le seul à relever un fait pourtant non négligeable : ce que Philippe Marini propose existe, le plus banalement du monde, déjà.

Bien sûr, le mécanisme n'est pas tout a fait identique : il est aujourd'hui possible, et sans autre limitation que celle du temps, de déduire les moins-values réalisées sur des cessions d'actifs du montant de ses plus-values qui sont, elles, imposables. Si le mécanisme est analogue à celui que présente le sénateur Marini, il s'en distingue en quelques points : la déduction des moins-values est intégrale, mais elle s'impute, non pas sur le revenu imposable dans son ensemble, mais sur des plus-values réalisées la même année, ou dans le futur à l'intérieur d'un délai qui peut atteindre six ans. Au passage, on notera que cette mesure date de 2006 ; auparavant, les pertes étaient déductibles du revenu global, exactement comme dans l'amendement Marini. Le mécanisme en vigueur comprend, en d'autres termes, une forte incitation à investir, puisque l'on ne peut compenser ses pertes qu'en les déduisant de gains futurs, incitation à coup sûr bien plus efficace que la déduction Marini, pourtant présentée comme un moyen de ne pas effrayer le petit porteur, cette espèce plus que jamais menacée, accablé de pertes et prêt à tout abandonner. Mais un autre critère, plus subtil, distingue le texte du sénateur du droit commun : le montant maximal des cessions à prendre en compte pour profiter de ses largesses s'établit à 25 000 euros, une somme qui ne doit rien au hasard. Car c'est précisément là, désormais, que tombe le couperet du seuil des cessions : si l'on vend pour moins de 25 000 euros d'actifs dans l'année, les plus-values ne sont pas imposables ; mais pour un euro de ventes de plus, elles supportent une imposition dont le taux atteint maintenant 30 %. Ici se cache sans doute toute la subtilité de l'amendement, puisque ce dispositif vient compléter par en bas le régime normal d'imposition des plus-values, et permet à ceux qui ne sont pas imposables faute d'avoir atteint le seuil de cessions de bénéficier quand même de déductions fiscales.

Si brève que soit son existence, la comète Marini mérite quand même que l'on s'y intéresse de manière plus fondamentale, en posant d'abord la question, déjà en partie évoquée plus haut, de son efficacité économique, et dans des termes que l'on espère moins triviaux que ceux de Benoît Hamon. Commençons par un petit calcul : si j'ai le droit de retirer de ma feuille d'impôts 10 700 euros sur 25 000, l'État me permet donc de déduire une moins-value boursière représentant 43 % de mon capital ; le CAC 40, ce mètre-étalon de la finance française, a perdu, pour l'heure, 42 % depuis le début de l'année, et 47 % depuis son dernier point haut en juin 2007 ce qui est, quand même, historiquement, énorme. Le sénateur propose donc de compenser les pertes de ceux qui ont acheté au plus mauvais moment, après quatre ans de hausse ininterrompue, ou en d'autres termes, de récompenser les mauvais investisseurs, les suivistes qui n'ont pas osé prendre de risque plus tôt, au moment où celui-ci était encore rémunérateur. Il faut aussi s'intéresser à la clientèle concernée par ce cadeau. Quand un particulier choisit de devenir actionnaire d'une entreprise, et sauf si celle-ci n'est pas ressortissante de l'Union Européenne, il commence par placer ses parts dans un PEA dans lequel on peut investir un maximum de 132 000 euros, et dont les plus-values ne sont pas imposables à l'IR après un délai minimal de cinq ans. La danseuse Marini ne concerne donc que des investisseurs qui ont dépassé ce seuil et ne peuvent donc plus profiter de l'abri fiscal du PEA. A moins qu'il ne songe à ceux qui, ayant investi dans les pays émergents sans retirer leur billes à temps, ont raté une occasion historique de se faire énormément de blé, pensée totalement indigne d'un sénateur de la République. Or, un patrimoine bien géré se devant d'être équilibré, la partie actions représentant moins de 50 % d'un total qui comprend aussi obligations et liquidités, on peut postuler que les largesses du sénateur profiteraient à des ménages dont le patrimoine mobilier s'élèverait au moins à 300 000 euros ; s'il s'agit là des "classes moyennes dont personne ne parle dans cette crise", comme il le précise au Monde, elles paraissent prises dans une moyenne singulièrement supérieure.
Tout milite, en somme, pour l'abandon d'une mesure aussi étroitement clientéliste que parfaitement inutile. Il serait, évidemment, si l'on souhaite ne pas pénaliser l'investissement productif, beaucoup plus intéressant que l'État renonçat à récompenser ceux qui ont pris ces risques qui, seuls, permettent d'assurer le fonctionnement de cette économie dont il dépend comme tout un chacun, en les délestant de près d'un tiers du montant des plus-values qui viennent rétribuer le risque en question. Mais un État qui romprait avec la facilité fiscale serait-il encore un État moderne ?