DirtyDenys

Home

Aller au menu | Aller à la recherche

Category most powerful handgun

Fil des billets Fil des commentaires

insiders

, 19:34

Si le récent épisode de pollution aux particules fines qui a touché certaines des grandes agglomérations du pays, et la capitale en particulier, a quelque chose d'exceptionnel, c'est la date à laquelle il s'est produit. D’habitude, en effet, ce genre de désagrément survient plutôt à la fin de l'hiver, en février-mars. Tel était le cas en 2015, année qui, comme le montrent les implacables statistiques d'Airparif, a connu entre le premier janvier et le 9 avril quatre dépassements du seuil d'alerte aux particules PM10, et huit du seuil d'information. Jusqu'à ce décembre tragique, le bilan 2016 était bien meilleur ; depuis, à un seuil d'information près, il est identique. Les faits en eux-mêmes n'ont donc rien d'exceptionnel. La concentration en particules l'a été un peu plus, puisqu'elle a atteint le 1er décembre un pic à 144 µg/m³, alors que, l'année précédente, on s'était contenté de 101. Par la suite, cette valeur a régulièrement décru, jusqu'à revenir, le jeudi 8 décembre, dernier jour de l'épisode, à 64 µg/m³, soit bien en dessous du seuil d'alerte réglementairement fixé à 80 µg/m³.
Les données ne présentent donc guère d'originalité. Les réactions politiques non plus, tant on a pris l'habitude de voir les pouvoirs publics profiter de l'effet d'aubaine que ces épisodes leur procurent pour légitimer, et renforcer, leur lutte contre les envahisseurs motorisés. Quelque chose d'intéressant, pourtant, a vu le jour à cette occasion : les stigmatisés ne sont pas restés inactifs. Et l'intéressant se trouve moins dans la polémique née pour l'occasion, qu'il serait d'ailleurs instructif d'analyser en détail, que dans les réactions de cette foule d'anonymes qui a voté avec son volant.

À Paris et en proche banlieue, la préfecture a donc imposé, sur un total de quatre jours entre le mardi 6 et le vendredi 9, une circulation alternée, laquelle aurait donc dû, arithmétiquement, entraîner une baisse de moitié du trafic. Les effets en seront pourtant fort modestes, en partie parce que, comme le montre Airparif, l'obligation intervient après le moment le plus intense de l'épisode, et en partie parce que le refus de se conformer aux consignes a été massif.
Cette attitude indocile renvoie à un autre refus, celui de coller sur son pare-brise cette vignette qui témoignera des qualités environnementales de son véhicule, laquelle vignette, disponible depuis l'été, sera en principe obligatoire dans exactement un mois. Or, pour l'heure, les observations d'automobiles en stationnement faites lors de promenades parisiennes répétées révèlent surtout les traces de l'internationale des contrôles policiers, qu'il s'agisse des low emission zones allemandes, ou de la taxe autoroutière suisse. On a aussi relevé une quantité surprenante, puisqu'on les rencontre très grossièrement sur un véhicule sur trente, de pastilles vertes, cette forme rudimentaire de marquage datant de l'époque Jospin et qui a pris fin en 2002. Par un amusant détour de l'histoire, ces preuves de vertu stigmatisent aujourd'hui le véhicule hors d'âge. Quant à la vignette nouvelle formule, on n'en a recensé qu'une seule, posée sur un véhicule électrique. Petit joueur. En somme, on assiste à une sorte de boycott informel mais sans doute d'autant plus massif que, tant que la police municipale du stationnement n'est pas encore entrée en service, le risque de sanction reste faible.

Ces comportements rebelles, ces incivilités diraient sûrement certains, signalent une opposition sourde mais devenue bien plus virulente depuis qu'un élément déclencheur a provoqué sa cristallisation. En interdisant la circulation sur les quais bas de la rive droite, Anne Hidalgo n'a pas rendu aux parisiennes et parisiens des emprises qui ne leur ont jamais appartenu, puisqu'elles ont depuis toujours servi à diverses activités commerciales aujourd'hui presque disparues. Mais elle a coupé un axe majeur, qui permettait de circuler de banlieue à banlieue plus directement qu'en faisant un détour par le périphérique. Et elle a ainsi mis en lumière un conflit désormais ouvert sur de multiples fronts et, si l'on en croit des milieux bien informés, qui transcende les appartenances politiques, conflit qui oppose économiquement, géographiquement, socialement, les insiders aux outsiders.

Voilà bien longtemps qu'on observe la manière dont, progressivement, sur le long terme, l'exécutif parisien modèle son interprétation de la ville idéale, cette nouvelle Metropolis où les banlieusards circulent sous terre tandis que l'usage de la surface est réservé à la seule aristocratie indigène, et aux touristes. La configuration administrative particulière de la plus petite des grandes capitales européennes permet la mise en œuvre d'une telle conception. Mais elle se heurte à des réalités contre lesquelles elle ne peut rien, en particulier cette compétition mondiale entre grandes métropoles qui l'oblige à croître, donc à regarder au-delà de son territoire, vers des espaces qu'elle ne peut plus se permettre de mépriser.
Or, ces lieux sont occupés. Ils le sont par ces gens qui dépendent de la ville centrale, et dont la ville centrale dépend, pour y exercer leur métier et lui fournir les services dont elle a besoin. Et, pour des raisons extrêmement variées, une part minoritaire mais significative d'entre eux ne peut accomplir sa fonction sans un véhicule individuel. Bien souvent, par contrainte plus que par civisme, ils ont d'ailleurs opté pour l'un de ces deux-roues motorisés qui, propulsés par un moteur à essence, ne produisent pas de particules tout en étant sanctionnés presque au même titre que les automobiles diesel. Ces espaces sont occupés, aussi, par des élus de l'autre bord politique, sans doute assaillis des réclamations de leur administrés et auxquels, par bêtise, la mairie de Paris offre ainsi une magnifique occasion de se ranger aux côtés du peuple, de la pauvre scooteriste et de l'humble automobiliste. La configuration politique actuelle, avec une région acquise à la droite, celle qui s'annonce si François petrolhead Fillon accède à la présidence, les conséquences locales du changement de pouvoir avec un préfet de police qui, comme en 2012, sera le premier à céder sa place, compléteront l'encerclement de cette nouvelle Bastille, qui deviendra dés lors bien plus difficile a défendre.

USA

, 19:31

À l'évidence, la configuration du jour d'après n'avait pas du tout été prévue, et fort mal préparée. Désemparée, démunie, dépitée, la presse sérieuse, par un étrange paradoxe, semble brutalement privée de sa faculté d'analyse et réduite à des réactions purement émotionnelles, se contentant d'étaler son aigreur et sa frustration, résonnant d'appels à prendre le maquis et à financer l'insurrection. Sûrement, il doit avoir des choses plus intelligentes à raconter sur les conditions qui ont amené un candidat parfaitement exotique, une sorte d'hybride entre Boris Johnson et Silvio Berlusconi, à poser pour quatre ans son rond de serviette dans le bureau ovale. On aborde cette question en toute innocence, puisqu'en agissant ainsi on sort largement de son domaine de compétence. Hélas, il se trouve qu’une des raisons d'être de ce blog consiste à produire un contenu qu'on aurait souhaité lire ailleurs sans, par paresse sans doute, avoir réussi à le trouver. Les lignes qui suivent risquent donc d'être sévèrement jugées par les experts. Mais, après tout, yolo.

Car la question n'est pas tant de savoir pourquoi ce Républicain-là, puisqu'elle aurait due être épuisée dès lors qu'il a été choisi comme candidat du parti, mais bien pourquoi un Républicain. En 2016 comme en 2000, donc pour la deuxième fois en cinq scrutins, le candidat élu a obtenu moins de suffrages que son adversaire, situation qui, au siècle dernier, ne s'était jamais produite. Appeler comme explication la spécificité d'un vote indirect, qui se déroule État par État et selon des modalités qui, de plus, ne sont pas homogènes, ne saurait suffire.

Une des particularités du système politique américain tient en la création, fort peu de temps après l'indépendance, d'un bureau du recensement dont la fonction première n'était pas fiscale ou démographique, mais politique. Suivant au plus près l'évolution de la population et sa répartition géographique, il devait assurer au Congrès une représentation équitable, modifiant selon les besoins les circonscriptions électorales. Il avait aussi la fonction accessoire d'établir une stratification de la population selon des critères ethniques. Renouvelée tous les dix ans, cette procédure permettait donc de suivre l'évolution explosive d'une démographie alimentée par une immigration constante ; mais elle permettait aussi de mettre constamment à jour l'état des rapports de force entre la catégorie dominante, et les autres.
On a déjà eu souvent l'occasion de recourir aux travaux d'un grand sociologue méconnu, Joseph Gusfield. Dans un livre tiré de sa thèse consacrée aux croisades anti-alcooliques, il montre ce que ces mouvements pour la tempérance doivent à la volonté de ceux qui les animent de conserver et d'imposer, contre des vagues successives de migrants dotés d'habitudes déplorables, un mode de vie qui caractérise leur statut social et justifie leur domination. Sociologue, Joseph Gusfield ne traite que de l'aspect symbolique de tentatives qui s'expriment nécessairement par d'autres canaux, institutionnels en particulier.
Ainsi en est-il du gerrymandering, cet art subtil du déchiquetage de circonscriptions électorales qui permet au gouverneur d'un État d'assembler des pièces éparses où, à l'inverse, d'éclater un regroupement homogène, une ville en particulier, de manière à favoriser un camp dont il semble bien qu'il soit, le plus souvent, Républicain. Mais bien d'autres techniques existent, et qui visent le même but. Lors de ces élections, des observateurs ont pu remarquer une bien curieuse pénurie, celle des bureaux de vote dans des quartiers plutôt populaires, laquelle se manifeste par des queues interminables, propres à décourager les moins convaincus, ou les plus occupés. D'autres ont relevé des exigences particulières, et nouvelles, en matière de pièces d'identités, qui ont permis d'éliminer un certain nombre de votants, lesquels se trouvaient précisément appartenir aux catégories sociales les plus favorables aux Démocrates. Et si le système électoral ne permet à ces derniers d'être élus qu'en gagnant significativement plus de voix que celles dont leurs adversaires ont besoin pour aboutir à un dénouement identique, on comprend tout le bénéfice que les Républicains peuvent retirer du jeu de ces tactiques, et de leur accumulation.

Aussi n'est-il même pas besoin d'invoquer le spectre du racisme, cette explication commode grâce à laquelle on peut éviter de penser ce qui fait peur, le fait que le fonctionnement ordinaire d'institutions réputées sans doute à tort comme exemplairement démocratiques puissent produire un tel résultat, pour comprendre le succès d'un Donald Trump. Le recensement décennal avec sa classification ethnique montre l'affaiblissement progressif de la catégorie politiquement dominante, ces blancs majoritairement électeurs du parti républicain. Leur mobilisation vise, comme toujours, à maintenir un statu-quo face à une évolution démographique qui leur est de moins en moins favorable. On a donc affaire à une tendance lourde et de très long terme, pas à un caprice volatil pour une caricature d'homme nouveau. Et le pouvoir dont celui-ci dispose désormais, en particulier au travers de la Cour suprême, lui permettra de conforter son camp, et pour longtemps. Ça risque de mal se passer, et de finir encore plus mal.

géopolitique

, 19:15

C'est sans doute chez France Info que l'on trouvera les cartographies les plus utiles, et les plus spectaculaires, des résultats du premier tour des élections régionales. En effet, on a affaire ici non pas à ces illustrations imbéciles qui, super-région par super-région, fournissent des informations qu'un simple tableau résumerait aussi bien, mais à des représentations aussi fines que possible, puisqu'elle descendent au niveau de la circonscription. Avec un tel matériau, il serait inhumain de résister au plaisir d'une petite analyse.

Avant tout, on se doit de déconseiller la première carte aux personnes sensibles puisque, par comparaison avec les régionales de 2010, celles qui ont partout, sauf en Alsace, porté le Parti Socialiste au pouvoir, elle permet de jauger l'impressionnant envahissement du bleu sombre. Manque juste la légende, que l'on trouvera sur la seconde carte. Sur la façade méditerranéenne, le long du Rhône et de la Garonne, dans le grand quart nord-est, la logique qui fait voter contre les sortants, et pour le Front National, apparaît clairement. Plus difficilement, on devine aussi la caractéristique essentielle d'un vote ni urbain ni campagnard, caractéristique qui ne devrait pas étonner puisque les géographes explorateurs du périurbain ont longuement, et depuis longtemps, analysé ce facteur. Mais en grossissant la focale, et en se limitant, une fois de plus, à la seule zone urbaine de Paris, on découvre des paysages bien moins fréquentés.

Focalisée sur la région capitale, la seconde carte révèle deux traits saillants, qui ne sont pas sans relation l'un avec l'autre. Dans le sud-est de la région, le bleu moyen montre l'implantation locale, et le succès, d'un parti dont personne ne parle, Debout La République. Entreprise d'un seul homme, construit autour de lui à partir du club formé lors de son départ du RPR, Debout La République recueille dans la région autant de suffrages que l'ancienne gloire des banlieues ouvrières, le Parti Communiste Français et ses alliés, et guère moins qu'Europe Écologie/Les Verts. Une telle performance devrait susciter l'intérêt de politistes qui, pourtant, ne traitent de l'objet que de manière extrêmement fugace, ne s'intéressant qu'à une dimension en l'espèce inappropriée, son souverainisme.
Ce parti, dont certains ont moqué sa façon de se poser en défenseur des automobilistes, s'est assuré le soutien d'une importante association d’usagers des transports en commun laquelle, plutôt que faire liste a part, lui a fourni nombre de candidats. Dans cette lointaine Essonne où l'on dépend aussi d'un emploi tertiaire qui se trouve au plus près à Orly, et pour l'essentiel dans ce centre si difficile d'accès, les déplacements, leur durée, leur accessibilité, leur disponibilité, représentent un enjeu autrement plus crucial que pour les privilégiés auquel un vélo suffit à satisfaire tous leurs besoins.
Or, il ne s'agit là pas seulement d'une des rares prérogatives de la région. Il s'agit aussi, à l'inverse, par exemple, de l'emploi ou de la délinquance, d'un domaine que la puissance publique, elle qui choisit de construire des routes ou des voies ferrées, mais aussi de restreindre, et parfois d'interdire, la circulation de tel ou tel véhicule individuel, contrôle totalement, et qui dépend donc uniquement des décisions que prendront les politiques. En d'autres termes, impossible de s'en remettre ici à la mauvaise volonté de dieux bien sévères, et d'invoquer telle ou telle contrainte externe qui priverait le politique de tout pouvoir. L'échec, et plus encore la volonté délibérée de mettre une partie de la population à l'écart, trouve alors une logique sanction dans les urnes.

Comprendre ce désintérêt pour la périphérie s'explique d'abord par les propriétés intrinsèques de ces territoires vastes mais peu peuplés, donc sans grande importance économique ou électorale. Mais il faut aussi retourner consulter les cartes, et, cette fois-ci, s'intéresser à ce qui n'a pas changé. Désormais enfermées dans un corset bleu nuit, Paris et les communes qui l'entourent se distinguent encore plus clairement, avec cette partition ancienne et en apparence immuable qui donne l'ouest à la droite traditionnelle, et l'est au Parti Socialiste et à ses alliés. Ce territoire qui recouvre presque l'ancien département de la Seine, les avant-postes du Front National, à Tremblay-en-France, Livry-Gargan, Montfermeil, apparaissant juste sur la limite est, concentre à peu près toute la valeur économique et symbolique disponible dans la région, donc, dans une stratégie d'endiguement des avancées de l'ennemi et de bétonnage de l'acquis, tout ce qui procure de confortables avantages en échange d'un minimum d'efforts. Gardant Paris, et sauvant peut-être bientôt sa majorité au conseil régional, le Parti Socialiste conserve là, et pour longtemps, de quoi satisfaire quelques ambitions, pourvu qu’elles ajustent leurs attentes à la réalité et se contentent de gérer comme un musée la plus belle capitale du monde ce qui, après tout, n'est pas rien. Il existe des manières moins confortables de traverser un désert.

triche

, 19:16

Objectivement, la petite tricherie qui plonge le tout récent premier producteur mondial d'automobiles dans la tourmente n'a rien de tragique, et il s'est immédiatement trouvé de mauvais esprits pour faire remarquer que, contrairement à certains de ses concurrents ou fournisseurs, Volkswagen n'a tué personne, ce qui rend les pénalités qui lui sont promises singulièrement disproportionnées. Les conséquences financières, celles du moins qui relèvent de la justice américaine, resteront donc sans doute mesurées, puisque personne ne recherche un nouveau moment Lehman, si tant est que, sur ce point, il ne soit pas déjà trop tard. Mais ce coup de tonnerre dans le ciel pur de l'insoupçonnable technologie germanique se révèle riche en effets collatéraux, lesquels méritent que l'on s'y arrête tout en étant, comme toujours, fort peu informé, et parfaitement dépourvu des connaissances techniques indispensables.

Le premier effet du scandale met en lumière ce qui se cache dans l'embarqué. Au début des années 2000, BMW a équipé sa série K d'un nouveau quatre-cylindres de 1200 cm³ dont la puissance dans le monde libre dépasse très largement ces 74 kW qui restent en France, en France seulement et pour quelques mois encore, la limite légale. L'adaptation nécessaire à cette spécificité indigène se faisait de la façon la plus simple, par un bout de code. Il était donc facile de rétablir la machine dans sa configuration d'origine, le concessionnaire disposant, lui et lui seul, de tout l'équipement nécessaire. Sauf que son système informatique gardait la trace de cette manipulation interdite. Quand, en 2003, la loi a très fortement pénalisé ce genre de pratique, elle est devenue impossible, contraignant les propriétaires de ce modèle à élaborer des stratégies inédites, impliquant un déplacement chez tel concessionnaire belge, pour retrouver le plein usage de leur achat.
Ce vilain particularisme ayant vu le jour en 1984, il fut un temps où ce bridage passait par des astuces mécaniques dont la plus simple consistait à placer une cale dans la poignée de gaz, dispositif élémentaire à circonvenir. Le numérique qui, désormais, gère tout et en permanence, et l'injection en particulier, a éradiqué ce monde accessible. Avec la numérisation, on cesse d'être totalement propriétaire de son bien puisqu'une fraction de celui-ci relève d'un régime différent, qui concède un simple droit d'usage. Or cette partie dont on ignore tout recèle un pouvoir d'autant plus considérable qu'elle interdit d'en avoir une idée exacte. Cette obscurité facilite la triche ; elle cache aussi la nature des données générées et conservées, et l'usage qui en est fait, données dont on imagine facilement que, dans certains cas, les pouvoirs publics, avec la capacité de persuasion qui n’appartient qu'à eux, n'éprouveront aucune difficulté à prendre connaissance. Il n'existe en la matière pas d'autre garantie de transparence que le logiciel libre ; et, compte tenu de l'ampleur des enjeux, ce n'est pas un petit scandale comme celui-là qui fera avancer sa cause.

Mais la spéculation la plus réjouissante consiste à ce demander ce qui a bien pu pousser une entreprise de cette dimension à une telle manipulation, qu'une procédure pas bien complexe a permis de dévoiler. Bien sûr, on peut évoquer l'hypothèse rassurante du cas d'espèce, du fabricant dont un modèle particulier de moteur diesel, largement répandu et plutôt destiné aux véhicules pas trop onéreux, se montre incapable de répondre aux normes. Le trucage devient alors la solution la plus immédiate et, dans un premier temps, la moins coûteuse. Pourtant, cette fraude masque un bien plus vaste paysage, celui de cette multitude de petits arrangements qui, dans une commune hypocrisie, permettent de continuer à satisfaire à des normes dont la rigueur ne cesse de croître. Depuis l'Euro 1 entrée en vigueur en 1992, et pour s'en tenir au cœur du délit, les émissions d'oxydes d'azote par les moteurs diesel des véhicules légers, la réglementation a imposé une diminution d'un facteur proche de 10. La réduction, de plus, qui s'effectue à un rythme intense, est quasi-linéaire : 500 mg/km en 2000, 250 mg/km en 2006, 180 mg/km en 2009, 80 mg/km en 2014.
Or, ici comme dans quantité d'autres situations, on se trouve nécessairement dans un univers de rendements décroissants. Les constructeurs n'ont sans doute éprouvé aucune difficulté à respecter la norme Euro 1 ; mais ensuite, progressivement, les choses se gâtent. Et plus les exigences se feront lourdes, plus il sera techniquement difficile de s'y conformer, plus ça coûtera cher, et moins ça sera efficace. Quand bien même on ne dispose pas de connaissances techniques en la matière, on a bien l'impression que les solutions retenues sont de plus en plus acrobatiques, et que leur efficacité évolue en fonction inverse de leur complexité. Plusieurs pistes s'ouvrent alors. On peut penser que l’élaboration de ces normes se fait dans un certain consensus, et que le régulateur n'exige pas l'impossible. Pourtant, une assez bonne connaissance d'un secteur de voyous motorisés certes bien moins puissant que celui de la construction automobile montre que ses lobbyistes, malgré leurs valeureux efforts, éprouvent les plus grandes difficultés à se faire entendre. Aussi peut-on avancer une autre hypothèse.

Avec ses objectifs affirmés et claironnés, moitié moins de tués sur les routes d'ici 2020, et une diminution de 20 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, la haute administration bruxelloise, et pas seulement elle, a remis à l'honneur le modèle du plan. Peut-être en va-t-il de même dans un domaine où l'on ne se contente pas d'évoquer de lointaines bonnes résolutions que l'on aura toujours d'excellentes raisons de ne pas respecter, mais des paramètres mesurables qui s'imposent aux industriels. Et à négliger ainsi les contraintes physiques et économiques au nom d'un objectif qui, à mesure que les étapes intermédiaires sont, avec de plus en plus de difficultés, franchies, ressemble de plus en plus à un absolu, un absolu de vertu et de pureté, on ne laisse plus qu'un unique degré de liberté. Car en face, pour s'adapter, les acteurs n'ont d'autre choix que de tricher tout en montrant, à l'aide de ces publicités triomphales qui ne trompent que ceux qui veulent bien l'être, combien ils ont une fois encore pulvérisé les objectifs du plan. Or, un jour, il faudra bien arrêter de prendre exemple sur l'URSS.

folk hero

, 19:32

Cela fait bien trop longtemps qu'on avait abandonné Jérôme K., alors empêtré dans sa martingale perdante, et avant même que ses actes ne le conduisent, très brièvement, dans une prison d'où il devait assez rapidement ressortir tout en conservant à sa charge une dette de l'ordre de 5 milliards d'euros à régler à son ancien employeur. On aura donc suivi très superficiellement cette étonnante métamorphose qui a mué le petit arnaqueur en héros du nouveau prolétariat financier. Mais cet extraordinaire processus d'inversion, la manière dont journaux et magazines grand public en ont rendu compte, et ce dernier développement sorti du chapeau d'une presse en quelque sorte hétérodoxe et qui veut se distinguer de sa devancière par sa rigueur comme par son intransigeance, méritent que l'on s'y attarde.

Car rien dans cette affaire ne rentre dans un cadre d'analyse classique, à l'exception peut-être des agissements de Jérôme K., grâce auxquels il a ajouté son nom à une liste qui s'est incrémentée depuis, celle de ces rogue traders dont le plus célèbre a réussi à provoquer la faillite de la très vénérable Barings. Bien plus solide, la Société Générale a quand même pas mal tangué dans l'affaire, puisque son trader fou avait réussi l'exploit d'engager pas moins de 50 milliards d'euros dans ses transactions hasardeuses. Ce seul chiffre suffit à démolir la thèse de la hiérarchie complice, et ouvre un premier gouffre entre rationalité et croyance populaire. Accréditer celle-ci revient en effet à considérer que, pour les responsables de la deuxième plus grosse banque du monde en termes de chiffres d'affaires, il est de bonne pratique de laisser un employé quelconque, dans tous les sens du terme, et sorti de son domaine de compétence jouer la survie de l'entreprise, et donc la situation de ses 148 300 collaborateurs, sur un coup de dés.
Capturé, le personnage va ensuite magistralement assurer et sa défense, et la fabrication d'une image qui, astucieusement, à l'écart de la position intenable de la victime innocente, en fait certes un coupable, mais un coupable qui, minuscule roussette dans un océan peuplé de grands requins blancs, doit bénéficier de larges circonstances atténuantes, d'autant que, depuis, exhibant comme preuve son pèlerinage pédestre à Rome, il a trouvé la voie du salut, et a donc droit à la rédemption. Alors certes, ce Robin des Bois d'un nouveau genre a bien volé les riches. Mais il l'a fait à son profit exclusif et sans aucune considération pour les conséquences d'actes qui ont coûté très cher à son employeur, et donc à ses collègues dont les donneurs de leçons semblent fort peu se soucier, abandonnant cette tâche aux seuls représentants syndicaux de Soc Gen.

Jérôme K. devient ainsi, à l'exact opposé des folk devils de Stanley Cohen, une manière de héros populaire qui va prendre l'argent là où il se trouve sans trop se préoccuper de la manière, un homme sincère dans un monde de menteurs, un individu écrasé, comme tout ménage surendetté, par des échéances qui le poursuivront jusqu'à la fin de ses jours, donc un personnage éligible à la compassion publique, et un client d'autant meilleur pour la grande presse qu'il a vite fait ses preuves en la matière. Ce qui conduit à un dernier développement, puisqu'il faut bien s'interroger sur cette hiérarchie des indignations qui fournissent matière à scandale public, en l'illustrant d'un autre exemple récent, mettant lui aussi en cause une grande banque autochtone

On a sans doute déjà oublié, tant ils furent et demeurent nombreux, ce procès particulier grâce auquel la justice américaine a eu le culot d'extorquer quelques milliards à BNP, coupable d'avoir violé sa législation sur les pays sous embargo. Les journaux généralistes s'en étaient alors vertement pris à ces américains dont la législation impérialiste, venant à l'appui de leur puissance économique, leur permettait de ponctionner à l'envi les ressources d'une entreprise française. Du coup, on avait négligé le fond de l'affaire, et l'on ne trouvera guère que la presse spécialisée, Les Échos en particulier, pour la présenter en détail.
Le reproche concerne la filiale genevoise de la banque, aujourd'hui dissoute. Spécialiste du négoce international des matières premières, elle a a, malgré l'embargo américain et en développant un arsenal de techniques lui permettant de dissimuler ses actes, continué à joué son rôle jusqu'en 2007, fournissant en particulier au Soudan cet intermédiaire indispensable à l'exportation de son pétrole vers des compagnies chinoises. Ainsi, en toute connaissance de cause, elle a permis à un régime dont les responsables sont depuis 2009 poursuivis pour crime de guerre et crime contre l'humanité de financer ses activités. Sans vouloir jouer les moralisateurs, on peut raisonnablement juger qu'on est ici bien au-delà du dysfonctionnement.

Seulement voilà : le négoce des matières premières, la technique financière, la place de Genève, les massacres au Soudan, c'est trop loin et bien trop compliqué pour faire une bonne histoire. Le p'tit gars de chez nous, sorti du rang, et qui, entouré de bourgeois formés en grandes écoles, réussit à arnaquer les voyous de la finance internationale, ça plaît au peuple, et c'est autrement plus vendeur. Entre presse grand public et hétérodoxe, les distinctions s’estompent, et d'autant plus que la seconde joue pour la première à la fois le rôle du découvreur de talents cachés, et celui du franc-tireur dont on peut sans risque exploiter les trouvailles, puisqu'on ne fait que les dupliquer, en leur donnant une plus vaste audience. L'important, pour l'une comme pour l'autre, n'est pas tant la pertinence, l'exemplarité, la gravité, que le simple potentiel commercial.

déjà vu

, 19:51

C'était, écrivent Les Échos, une activité historique. Peugeot, qui avait commencé voilà un siècle à construire des vélos, qui avait connu son heure de gloire dans les années 1960 et 1970 en inondant le pays de cyclomoteurs après avoir abandonné la moto, ses modestes cylindrées utilitaires ayant perdu tout intérêt pour un public tout entier acquis à l'automobile, avant de se lancer au début des années 1980 dans la production de scooters dont la promotion du premier modèle, importé du Japon et des usines Honda, laisse aujourd’hui encore des souvenirs impérissables, renonce. Déficitaire depuis plus de dix ans malgré d'incessantes réductions d'effectifs, Peugeot Scooters va, comme la branche automobile, chercher son salut dans les bras d'un repreneur asiatique. Sans doute par souci d'équilibre géostratégique, celui-ci n'est pas chinois, mais indien. Mahindra, conglomérat familial présent dans l'automobile, et beaucoup moins dans un marché du deux-roues motorisé en forte expansion, se paye ainsi, comme d'autres dans un secteur nettement plus haut de gamme, une de ces vieilles marques européennes dont la survie dépend du mariage avec un nouveau riche. Et si la conclusion est banale, le processus qui l'a entraînée mérite d'être analysé, en particulier parce qu'il rappelle quelque chose.

Quand, au début des années 1970, Motobécane et Peugeot ont cherché à sortir du piège dans lequel elles s'étaient enfermées en misant tout sur un cyclomoteur dont les ventes avaient commencé à diminuer, sans d'ailleurs jamais cesser depuis, chacun a cherché des moyens de s'en sortir. Ainsi, Motobécane a imaginé cette 350 deux-temps trois cylindres, copiant, avec quelque années de retard, les productions japonaises, la célèbre lignée des trois cylindres Kawasaki en particulier, au moment même où, suivant la voie empruntée en pionnier par Honda, ces fabricants passaient au quatre-temps, bien plus complexe, plus fiable, plus économe, et moins polluant. L'échec coûteux de cette machine périmée avant même d'avoir été commercialisée précipitera la chute de Motobécane, rachetée au début des années 1980, et pour le plus grand bien de ceux de ses salariés qui réussirent à conserver leur emploi, par Yamaha.
Cette stratégie par laquelle une société déjà mal en point mise tout sur un nouveau modèle très éloigné de ce qu'elle produit d'habitude se retrouve, quarante ans plus tard, chez Peugeot, avec son Metropolis. L'échec de ce scooter à trois roues qui, malgré quatre ans de développement, ne sera même pas prêt au moment des essais de presse ressemble diablement à celui de la 350 Motobécane. Copier un concept qui était, objectivement, révolutionnaire lorsque Piaggio a lancé le MP3 en 2007 ne vous donne rien de plus que ce que l'on appelait, autrefois, un me too product, un produit qui, en tant que tel, n'apporte rien de neuf et ne peut donc réussir que s'il dispose d'avantages significatifs et, en particulier, d'un prix attractif, soit quelque chose qu'une société comme Peugeot aurait bien du mal à offrir.

La dernière carte une fois jouée en vain, il ne reste d'autre solution que de renoncer à son indépendance, en s'abandonnant à un repreneur. Ce qui conduit, évidemment, à s'interroger et sur les causes de l'échec, et sur les stratégies suivies avec succès ici et là, à commencer par Motobécane. Les actifs de la société en faillite seront ainsi rachetés par Yamaha qui, sous le nom de MBK, relancera la production de cyclomoteurs et scooters, tout en l'intégrant dans son réseau industriel européen. MBK, aujourd'hui, produit ainsi des mono-cylindres Yamaha propulsés par les moteurs d'une autre société du groupe, Minarelli, et présente le paradoxe de fabriquer aujourd'hui à Saint Quentin plus de motos qu'aucune usine française depuis les années 1960. Piaggio, en Italie, en plus d'innover avec son MP3, en plus d'avoir racheté nombre de vieilles gloires de la moto italienne, a internationalisé et sa production, et ses ventes, au point que les marchés indien et asiatique sauvent aujourd'hui son activité.

Peugeot, lui, empruntera durant ces décisives années 1970 une toute autre voie, celle de la facilité. Cherchant la protection des pouvoirs publics, utilisant les armes du lobbying, les dîners en ville, les études biaisées produites par le laboratoire maison, pour dévier la règlementation dans un sens qui lui soit favorable, il réussira, au début des années 1980, à faire remplacer la classique 125 cm³ par une nouvelle catégorie de motocyclettes légères, les 80 cm³ supposées adaptées aux capacités limitées de son outil de production. L'échec d’une cylindrée qui ne suscitera qu'un intérêt tardif chez les automobilistes lorsqu'elle sera déclinée en scooter, la perte d'influence, pour cause d'ouverture des marchés, d'un ministère de l'Industrie qui n'avait d'autre fonction que de distribuer des subventions, et de choisir les entreprises qui les méritaient, contraindra la société à se réfugier dans des bras plus vigoureux, ceux de Honda. D'abord fabriqués sous licence, les scooters japonais cèderont progressivement la place à des produits autochtones, permettant à Peugeot, tant bien que mal, et malgré des années de pertes, de survivre.
Aujourd'hui, Peugeot Scooters n'a plus guère d'actif monnayable que son nom, dont la capacité à rassurer les automobilistes trouvant dans les deux-roues motorisés le meilleur moyen d'arriver à l'heure au bureau le matin constitue sans doute la meilleure des raisons d'achat. Marché bien spécifique, et qui affrontera avec le tricycle MP3 un concurrent redoutable, puisque sa conception lui procure une sécurité réelle, et pas juste symbolique. Mais cette marque reste sans doute un atout puisqu'il semble que, jusqu'en Inde, elle intéresse.

manifs

, 19:45

Tout tourne autour de ce terme si souvent employé, et tellement mal connu, le droit. Pierre Favre, grand spécialiste de la question, l'écrivait déjà voilà vingt ans : les manifestations de voie publique prennent aussi place dans un espace juridique, espace fort mal construit et qui voit "les acteurs sociaux ignorer la règle de droit et le législateur ignorer que les acteurs ignorent la règle." Et la confrontation entre ces deux mondes, organisateurs et puissance publique, manifestants et forces de l'ordre, tenants de leur bon droit et protecteurs du droit tout court, se lit fort bien, avec toutes ses contradictions, dans le cycle de manifestations organisées par des acteurs divers, et avec des fortunes variées, depuis bientôt deux semaines à Paris, et en province.

En principe, au moins sur le territoire couvert par la préfecture de police de Paris lequel, il convient de le rappeler, recouvre l'ancien département de la Seine, le situation paraît relativement claire. La préfecture et sa direction de l'ordre public disposent en effet d'une énorme expérience en matière de manifestations, et les formalités à remplir, lesquelles se limitent à une simple déclaration, relèvent en principe, pour chacune des parties concernées, de la routine. En d'autres termes, il n'y a matière à s'inquiéter que lorsque les organisateurs n'empruntent pas le canal habituel, et que la manifestation n'est pas déclarée ou, pire, interdite.
Ne pas déclarer une manifestation, quand bien même il s'agirait de l'innocent rassemblement d'une centaine d'amateurs de gros cubes qui ont eu la mauvaise idée de se rejoindre un peu trop près de l'Assemblée Nationale, peut vous exposer à quelques désagréments, généralement sans conséquences.

Mais il en va tout autrement quand ses organisateurs persistent dans le maintien d'une manifestation interdite, et, plus encore, lorsque, les choses se passant mal, on se retrouve mêlé à un attroupement, cet objet vague et défini de manière très extensive, mais porteur de lourdes menaces puisque, après les sommations d'usage, les force de l'ordre conservent le droit d'ouvrir le feu, droit qui paraît aujourd'hui bien difficile à appliquer tant les traditions, comme l'équipement des troupes avec le mousqueton règlementaire, semblent se perdre.
Interdire une manifestation ouvre donc une voie semée d'ennuis, accumulant ressentiments et incompréhensions avec un risque majeur, celui qu'une manifestation interdite, mais maintenue par ses organisateurs, entraîne des débordements plus graves encore que ceux dont la crainte a motivé l'interdiction. Il ne reste qu'à attendre que l'opposition parlementaire s'en mêle, et moque ce gouvernement qui interdit un jour, et autorise le lendemain, pour réunir tout ce qu'il faut pour rendre la position du directeur de l'ordre public, et du préfet de Police, intenables, et quand bien même ils auraient tous deux pleine conscience de la précarité de leur position.

Pourtant, cette situation révèle avant tout l'insondable ignorance en matière de sociologie politique de ces acteurs politiques. Librement accessible, le livre tiré de sa thèse par Olivier Fillieule, Stratégies de la rue, donne en effet tous les éléments nécessaires à la compréhension de ce processus de décision, lequel n'obéit à aucune règle écrite. Il s'agit, en fait, d'une question de confiance mutuelle, dans laquelle la police joue un rôle moteur, et où la notoriété des organisateurs, leur capital social en somme, l'ancienneté de leurs relations avec la préfecture, les informations fournies à leur sujet par les Renseignements généraux, valent comme autant d'indices permettant de générer une prévision fiable, et d'obtenir une raisonnable certitude que les choses se passeront bien, ou pas. Ainsi, la manifestation du 23 juillet, prise en charge par des organisateurs de toute confiance et dont le parcours originel, rive droite a, suivant les demandes de la préfecture, été totalement bouleversé, satisfait-elle pleinement aux critères conduisant à une autorisation. L'encadrement assuré par le redoutable service d'ordre de la CGT, qui laisse des souvenirs émus à l'un des interlocuteurs d’Olivier Fillieule, officier de police chargeant à la tête d'un bataillon de cégétistes pour dégager des autonomes, vaut comme la meilleure des garanties que tout se passera bien.
Car la police ne craint pas tant la violence que l'incertitude, celle qui vient avec des acteurs nouveaux, mal connus, difficiles à définir, et dont l'amateurisme fait craindre qu'ils ignorent une règle qui n'est pas de droit, cette règle non écrite qui régit les rapports entre police et organisateurs d'une manifestation. Interdire celle-ci, la contenir dans un quartier populaire comme ce fut le cas le 19 juillet relève donc des mesures prises habituellement en pareil cas, et qui n'ont d'autre objectif que de limiter les dégâts. Comme toujours, la théorie du complot, l'indignation du défenseur d'une cause forcément juste qui trouve incompréhensible qu'on ne la partage pas, et pour qui cette cause justifie de ne tenir aucun compte des entraves légales mises à son expression, la volonté de ne voir dans l'action policière qu'une persécution qui vous vise personnellement constituent autant de postulats qui n'ont guère de chances de résister à l'analyse sociologique.

condors

, 19:38

"Les écritures comptables sont parfois des manifestes politiques" écrit pertinemment Véronique Le Billon dans Les Échos de ce vendredi. Elles offrent en tout cas à Gérard Mestrallet, PDG de GDF-Suez qui, depuis des mois, hurle dans le désert avec ses complices électriciens européens, l'occasion de régler publiquement ses comptes en mettant son bilan à jour. Celui-ci sort de l'opération allégé de près de 15 milliards d'euros, dont 9 de dépréciations d'actifs essentiellement constitués de centrales thermiques et de stockage de gaz, et 5,8 d'amortissement de sur-valeurs. En procédant ainsi, l'entreprise évalue, et réévalue, les conséquences d'une variable qu'elle ne maîtrise pas mais qui, dans les marchés ordinaires, ne joue pas un rôle aussi déterminant que dans le secteur de l'électricité, la politique publique, celle, en l'espèce, qui prépare l'avenir radieux de la transition énergétique.
On a déjà souvent parlé de cette étrange physique bureaucratique qui considère qu'un peu de volonté et beaucoup de subventions suffisent pour bâtir un système efficace de production d'électricité à partir de sources aléatoires. On s'est plusieurs fois étonné de cette persévérance à mettre en œuvre une politique qui, pour la France en particulier, en l'espèce l'un des pays les plus vertueux au monde, aboutira à une électricité plus chère, fournie de façon moins fiable et dégageant plus de dioxyde de carbone, soit exactement l'inverse des objectifs affichés. L'intervention du président de Suez ajoute une pièce intéressante au dossier, puisqu'elle montre l'ampleur des effets délétères entraînés par ces kilowatts aléatoires et subventionnés et alors même que leur part dans le total de la consommation reste très minoritaire, voire marginal.

Or, le comique de la situation réside en ceci que l'intervention publique n'a pas, pour l'heure, réussi à détruire la stabilité physique de l'approvisionnement électrique, et que l'on peut encore mettre en route sa machine à laver avec l'espoir raisonnable de ne pas tout faire sauter. Mais elle a détruit sa stabilité économique, laquelle se trouve désormais suspendue à ces sources de production aléatoires mais prioritaires ce qui, dans un univers d'entreprises privées, revient à peu près au même : et ci celles-ci sont toujours en mesure de contrôler les variations imprévisibles de l'afflux, ou de l'absence, d'électrons éoliens ou solaires, les variations des prix du kWh qui les accompagnent sont hors de contrôle.

Alors, comment s'adapter ? On connaît déjà un certain nombre de tactiques comme celle qui consiste, outre-Rhin, à compenser les surcoûts de l'aléatoire en produisant à côté le moins cher possible, en l'espèce avec le charbon américain bradé, ou le lignite extrait dans des zones densément peuplées et brûlé sur place dans des centrales proches des mines à ciel ouvert. Et tant pis si, pour ce faire, on doit étendre ces Garzweiler où, pour le bien commun en général et celui de la transition énergétique en particulier, 8 000 villageois allemands sont menacés d'expulsion. Bien moins pittoresques, et biens moins pitoyables, que les indigènes luttant contre Belo Monte et qui bénéficient, eux, de toute la tendre attention des beautiful people hollywoodiens, ces villageois souffrent en effet d'un désavantage compétitif aussi paradoxal qu'irrémédiable puisque, pour les trouver perdus dans la jungle des campagnes de Rhénanie, il suffit, depuis Maastricht, le cœur de l'Europe, de parcourir 50 km. Et puis, Karlsruhe ayant donné son accord, tout se fait dans le plus strict respect du droit.
Gérard Mestrallet illustre, lui, une technique différente, et autrement plus franche que celle des électriciens allemands. Président d'une entreprise capitaliste active sur une secteur bien défini et soumis à une règlementation qui montre à quel point il fait un exécrable lobbyiste, puisqu'il n' a aucun influence sur celle-ci en dépit de ses effets dévastateurs pour son activité, il se contente de régler ses comptes. À court terme, la perte de 9,7 milliards d'euros qu'il enregistre sur l'exercice 2013 vaut comme une moins-value fiscale qui affecte directement l’État et fonctionne, au fond, comme ces pratiques d'autoréduction en usage dans des milieux pourtant fort éloignés de la grande industrie. À long terme, et sur une échelle plus large, la stratégie d'un patron dont les trois quarts du chiffre d'affaires sont réalisés en Europe s'énonce clairement, même si elle ne semble pas facile à appliquer : on continue à investir ailleurs et, ici, on ferme.

Après les pigeons, après les poussins, voici donc que les condors, les plus grandes envergures du bestiaire ornithologique, à leur tour, prennent publiquement position. Ils ont la vertu de leur méprisable perversion, celle de compter, et de compter seulement mais aussi, à la différence de leurs petits cousins bien plus fragiles, celle de pouvoir redéployer leurs ailes sous des cieux plus propices et, donc, de s'abstenir, ou d'aller investir dans des pays prometteurs, quand ces comptes ne sont pas bons et n'ont aucune chance de s'améliorer. Mais tous ont en commun de démontrer chaque jour un peu plus de quelle manière toutes les URSS finissent nécessairement par échouer.

patience

, 19:48

Quand on construit des centrales électronucléaires, il faut avoir une longue patience, prévoir un abri contre les tempêtes, et savoir attendre que le vent tourne. Ainsi vont les choses chez Areva où, après les quatre Atmea turcs, après les deux EPR d'Hinkley Point, le troisième contrat de l'année montre que les temps changent, même si ce nouveau succès se révèle un brin paradoxal. Il s'agit en effet d'apporter sa contribution à la mise en service d'Angra 3, réacteur brésilien dont la construction a repris en 2010 après un fort long sommeil, puisque les travaux entamés en 1984 furent interrompus deux ans plus tard. D'origine Siemens, les éléments du réacteur déjà livrés attendaient patiemment sur place de servir à quelque chose ; l'allemand ayant, comme on le sait, renoncé à l'atome, il revient à son partenaire, Areva, de terminer le travail et de rajouter ce qui manque, en particulier le système de contrôle d'un réacteur qui revient de bien loin.

Car si l'arrêt de sa construction, due en premier lieu à des soucis de financement, dura si longtemps, c'est parce qu'Angra 3 a été victime des conséquences de l'incident de Goiânia. On a déjà brièvement raconté l'histoire, telle que la rapporte l'IAEA : le 13 septembre 1987 à Goiânia, la capitale du Goiás, état du centre du Brésil, deux ferrailleurs, à la recherche de métaux dans une clinique abandonnée, démontent un appareil de radiothérapie, récupèrent sa source, l'ouvrent. Intrigué par la luminescence bleutée que dégagent les paillettes de césium 137, l'un d'entre eux la ramène chez lui. Enfants, famille, amis s'amusent de cette poudre, qui offre des perspectives aussi inédites que spectaculaires en matière d'ornements corporels. Quelques jours plus tard, la maladie des rayons commence à frapper, et les autorités prennent l'affaire en charge : quatre morts, une vingtaine d'hospitalisations, des amputations, quarante maisons contaminées.
Mais le rapport de l'IAEA ne dit rien des conséquences sociales et politiques de ce qui reste à ce jour le plus grave accident impliquant la radiothérapie, accident classé au niveau 5 de l’échelle INES : il faut pour cela se référer à l'article que Roger et Jeanne Kasperson ont publié en 1996 dans les Annales de l'Académie américaine de sciences politiques. Brièvement relaté dans la presse locale, l'incident aurait pu en rester là. Mais il poursuivit son chemin jusqu'à São Paulo, où l'on prit conscience de son potentiel considérable : le 1er octobre, une chaîne de télévision y consacre une émission à sensation. Immédiatement, disent les auteurs, Goiânia est envahie par une armée de journalistes et de cameramen, alors que les hebdomadaires américains répandent la nouvelle : Time parle de "paillettes mortelles" tandis que Newsweek, bien plus couleur locale, titre sur un "carnaval de poison étincelant". En deux semaines, le prix des produits agricoles du Goiás, un état à la superficie un peu supérieure à celle de l'Italie, est divisé par deux, les hôtels sont désertés, des pilotes refusent de faire décoller leur avion lorsque des habitants de l'état figurent parmi les passagers, des pierres sont lancées sur des voitures immatriculées dans le Goiás. Les conséquences politiques, aux effets de plus long terme, viendront plus tard, avec la mise en accusation du nucléaire, le démantèlement proposé de la commission nationale de l'énergie nucléaire et la construction d'une opinion publique hostile à l'utilisation de l'atome, facteurs qui contribuent à expliquer pourquoi Angra 3 a été enterré, et pour longtemps. Et tout ça dans le cadre d'un usage thérapeutique de l'atome, tout ça à cause d'une unique capsule de césium à peu près grosse comme le poing.

Pour un public ordinaire, l'atome et ses dangers restent totalement à l'écart de toute appréciation rationnelle, et les valeureux mais pauvres efforts de vulgarisation des autorités politiques et scientifiques n'y changeront rien. La peur qu'inspire le nucléaire, cette technique humaine capable de dévaster la terre presque aussi bien qu'un impact de météorite ou un sursaut gamma, rejoint de très profondes angoisses eschatologiques et occupe ainsi la fonction d'un invariant anthropologique, tout en disposant d'une pertinence qui fait aujourd'hui défaut aux diverses incarnations des châtiments divins, famines ou épidémies. L'atome devient ainsi le vecteur idéal des marchands de peur, animateurs de ce monde distordu où la moindre dépêche de la province de Fukushima gagne une diffusion mondiale, selon un processus sans doute comparable à ce qui s'est autrefois passé à Goiânia. Mais, en devenant ainsi un combustible du flux des nouvelles quotidiennes, il perd sa singularité : il entre alors dans le grand fourre-tout de cette sorte de savoir universel où s'alimente le sens commun, pour lequel la répétition tient lieu de preuve.
Ce n'est pas spécialement neuf après tout, et la métaphore du nuage de Tchernobyl, passée dans le langage courant, témoigne aussi de cette connaissance qui se croit savante alors qu'elle n'est que futile. Or, ce savoir a comme propriété essentielle que, du fait de sa banalité même, plus personne n'y prête attention : devenu l'aliment des conversations de bistrot, y compris celles qui se tiennent sur les plateaux de télévision, il y perd sa capacité d'effroi, comme le montrent les échecs répétés des tentatives de mobilisation populaire contre l’électronucléaire. Et puisque ce sujet qui hante les entrepreneurs de morale n'intéresse pas les foules, ou, du moins, les intéresse autrement moins que le montant de leur facture d'électricité, il suffit de laisser le temps faire son œuvre, et apaiser les craintes. À en juger par le carnet de commandes d'Areva, et sans doute plus encore par celui de ses concurrents, la période de pénitence a désormais pris fin. Encore faudrait-il veiller à ne pas la réactiver, et se décider enfin à investir pour renouveler un parc national vieillissant, et dont on prend sans doute de plus en plus de risques à prolonger l'existence bien au-delà des plans initiaux.

marketing

, 19:44

Existe-t-il situation plus tragique que d'arriver sur son lieu de villégiature pour découvrir que l'âge et les vibrations ont eu raison de son vieux portable, et qui plus est un quinze août, lorsque les camions chargés de livrer un remplaçant commandé dans l'urgence sont condamnés à un repos forcé ? Face à une telle extrémité, il convient d'abord de garder son calme, et de résister à l'attrait empoisonné de la grande surface du coin, pour continuer à faire confiance à ses fournisseurs habituels, quand bien même leur marchandise arriverait un peu plus tard. En consultant les catalogues avec comme seul critère impératif un PC avec écran de 13", un coup d’œil rapide donne l'impression d'un vaste choix. Mais l'offre semble brutalement segmentée, et très déséquilibrée. L'éventail des prix, qui s'étend de 500 à plus de 1500 euros, au premier abord, n'étonne guère, mais leur répartition surprend : ici, sur dix-huit ordinateurs, treize coûtent mille euros et plus, là, dans ce qui est disponible, on en a deux autour de 500 euros, quatre entre 700 et 800, et vingt-cinq à partir de mille euros.
On a donc pris le moins cher, qui fera l'affaire le temps qu'il durera ; il arrive promptement, et avec Windows 8. Soit. On lance la machine, on accède à une procédure d'accueil d’apparence classique, où l'on doit donner quelques informations habituelles. Certes, le bidule tient absolument à vous doter d'un compte Microsoft, quitte pour cela à parasiter une adresse électronique existante, mais on passe outre. Comme on a déjà préparé son Linux sur une clé USB et que l'on sait comment faire, on profite du premier redémarrage pour désactiver secure boot ; un geste innocent, des conséquences incalculables. Car, sans la moindre mise en garde, on entre alors dans ce cercle de l'enfer propre à Microsoft, et qui s'intitule réparation automatique. Les pécheurs endurcis savent qu'arrivés là, il leur faut abandonner toute espérance ; seuls les novices tenteront leur chance, en vain. Après quelques opérations qui paraîtront mystérieuses même à un kabbaliste, une alternative est proposée : renoncer, et arrêter sa machine soit, en d'autre termes, la convertir en objet décoratif à poser sur une commode, ou passer une porte que franchiront les masochistes, les suicidaires et les héros, pour affronter directement la bête, et finir vaincu après une sombre lutte. Tout cela, en fait, relève de la magie noire : on en voudra pour preuve les bribes de documentation qui accompagnent le système, et évoquent des "charms" ou énoncent des formules secrètes, telles "the edge is key for touch", la frontière est la clé du toucher, ou bien cette notice écrite dans toutes les langues connues de la mondialisation et qui résume cette procédure de restauration dont on a vu qu'elle ne servait qu'à entretenir l'illusion. Puisqu'on n'a pas de temps à perdre avec ces sottises, on choisit la solution d'Alexandre : on efface tout, on installe un brave Linux - Mint, pour changer - et, en une heure à peine, on sort des ténèbres pour fêter son retour parmi les vivants. Reste à trouver un moyen de se faire rembourser un système que l'on ne peut de toute façon pas réinstaller, puisqu'il est livré sur un dvd, tandis que la machine n'a pas de lecteur.

Il fut un temps où le client était roi, et où les gros bataillons des équipes marketing, avides d'études, de panels, de tests, s'acharnaient par tous les moyens à le satisfaire, tandis que revenait aux publicitaires la lourde tâche de le convaincre de son besoin impérieux d'un moteur à cinq soupapes par cylindre et d'une fourche équipée d'un dispositif anti-plongée. Ainsi fonctionnait la traditionnelle économie des biens manufacturés, animée par cette concurrence grâce à laquelle on arrivait assez facilement à trouver ce dont on avait précisément besoin. Le numérique a démoli tout cela, en premier lieu parce qu'il a entraîné un bouleversement permanent, et un mode particulier de redistribution périodique des cartes qui avantage systématiquement ceux qui ont eu la chance de tirer des atouts tout en ayant su comment les conserver. La segmentation de cet univers né, pour le grand public, dans les années 1980 mais bâti sur des fondations bien plus anciennes s'est progressivement développée, et son fractionnement s'aggrave avec l'écart croissant entre un très petit nombre d'acteurs, Intel, Microsoft, Apple, demain peut-être Samsung qui, parce qu'ils disposent d'un monopole du composant, du système, ou de la frime, captent l'essentiel de la rentabilité du secteur, et tous les autres. Le PC, cette machine de besogneux près de ses sous dédaigneux de l'esthétique, a perdu la partie, et les vieux HP, IBM et Dell avec lui. Si on ne trouve plus de portables 13" à moins de 1000 euros, c'est parce qu'aucun fabricant ne se risque à faire autre chose que de copier servilement les visions du leader charismatique, Apple et ses MacBooks dont les prix s'étagent entre 1000 et 2500 euros. Et ces concurrents sans idées se risqueront d'autant moins qu'Intel, avec ses ultrabooks, s'aligne lui aussi sur la stratégie du gourou : que le client se débrouille avec ces produits tous identiques, avec leur profil tellement mince qu'il n'est plus question d'y glisser un lecteur optique, et leur armada de diodes toutes, obligatoirement, blanches. Qu'il se débrouille aussi avec cet écran tactile et ce système d'exploitation qui obéit au doigt, puisque tout le monde sait que s'il a acheté un clavier avec, c'est uniquement pour permettre à la machine de reposer en position stable.
En même temps que l'uniformisation de l'offre, mais sans qu'il soit utile de postuler l'existence d'un lien, s'est développée une uniformisation, et une centralisation, des contraintes : la croissance des réseaux a permis de déporter les droits d'abord, les contenus ensuite, des ordinateurs où ceux-ci étaient à la discrétion de leurs créateurs vers des serveurs où ils se trouvent désormais à la disposition de ceux qui ont pris grand soin de ne vous vendre qu'un droit d'usage, provisoire et amendable, de la machine que vous avez achetée. Et avec le secure boot, qui offre au renard une tanière en plein cœur du poulailler, la frontière entre matériel et système disparaît puisque celui-ci permet à Microsoft de prendre le contrôle d'un ordinateur dès le début de son démarrage, et que Windows, en invité indélicat, s'impose désormais dans la phase de boot. Bien sûr, pour l'heure, on peut le désactiver, et installer un système libre. Mais en agissant ainsi, on rejoint le monde des déviants qui optent pour la liberté et refusent la sécurité passive à laquelle se doit d'adhérer sans discussion ni discernement tout bon citoyen. Combien de temps faudra-t-il encore pour qu'un tel comportement devienne, au même titre que le fameux défaut de sécurisation de son accès Internet, pénalement répréhensible ?

- page 3 de 17 -