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Category collecting for the Red Cross

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expo

, 19:28

L'architecture fascisante des Aubert, Dondel, Viard et Dastugue, vainqueurs du concours pour un musée d'art moderne qui donnera naissance en 1937 au palais de Tokyo et au musée d'art moderne de la ville de Paris, et vainqueurs contre des projets modernes comme celui de Robert Mallet-Stevens et Georges-Henri Pingusson, aura rarement eu l'occasion de fournir un cadre plus adapté à une exposition. L'Art en guerre démarre en effet au moment même où le musée ouvre ses portes, et se donne comme objectif de rendre compte, jusqu'en 1947, donc sur une durée de dix ans dont la Seconde Guerre mondiale constitue le moment central, de l'évolution de l'art tel qu'il était, dans des conditions et sous des formes extrêmement variées, alors pratiqué en France. L'exceptionnelle réussite de cette exposition ne tient pas seulement à la richesse de son contenu, au soin et à la patience des commissaires dont on imagine les difficultés qu'ils ont dû surmonter pour rassembler ces œuvres, à la paradoxale originalité de son concept. Elle tient surtout aux découvertes que peut y faire un amateur d'art moderne assez négligent, et aux questions que celle-ci induisent sur la manière dont se construit la carrière d'un artiste, sur sa notoriété et, donc, sur l'attrait qu'il présente pour le public.

Une exposition, en règle générale, se monte sur un nom, dans une petite galerie quand il n'est connu que de quelques-uns, dans les plus grands musées lorsqu'il est en mesure de drainer les foules. Lorsque, comme par exemple avec les constructivistes russes ou les nouveaux-réalistes de la France des années 1960, les interactions entre une poignée de contemporains atteignent suffisamment de cohérence et de permanence pour les distinguer des autres en un groupe spécifique, sur le nom de celui-ci. Choisir comme principe une période, et fonder son choix non pas sur des critères esthétiques, mais sur une chronologie d'événements politiques revient à travailler en historien et à présenter, en quelque sorte, une sélection statistiquement représentative de la production de l'époque. Évidemment, disposer d'un échantillon de vedettes, de Picasso à Dubuffet pour reprendre le titre de l'exposition, reste la seule clé qui permette d'accrocher à côté d'eux des inconnus. De ce côté-là, la promesse est tenue, et, sur la centaine d'artistes que recense le catalogue, les grands noms, en petite quantité, abondent. Le vallaurien connaîtra ainsi un grand moment de désorientation en découvrant l'Homme au mouton, une statue de Picasso qu'il a toujours vue posée sur son socle, sur la place en contrebas de l'église : l'aurait-on déboulonnée ? S'agissait-il d'une reproduction ? En fait, non : le bronze existe en trois exemplaires, et celui-ci provient de Philadelphie.
Mais si l'Art en guerre dresse une sorte de catalogue de toutes les stratégies de survie, de la retraite à la clandestinité, du silence aux expositions confidentielles comme celles organisées par Jeanne Bucher dont on nous apprend qu'elle a fait découvrir Vassily Kandinsky aux parisiens en 1936, huit ans avant sa mort et douze ans après ses premiers cours au Bauhaus, ce qui témoigne de la grande attention portée à ce qui se passe de fondamental au-delà des frontières, employées par des artistes qui n'avaient aucune chance, et aucune intention, de satisfaire aux exigences de l'époque, elle n'oublie pas les autres. Elle rassemble notamment les rares et humbles témoignages de ceux qui y sont restés, dont Felix Nussbaum, caché à Bruxelles et déporté, après dénonciation, en juillet 1944 dans le dernier train pour Auschwitz, reste le plus connu. Elle montre aussi l'art officiel et sa vacuité, par exemple un invraisemblable portrait allégorique à l'esthétique préraphaélite qui fait naître quelques doutes sur la santé mentale de son auteur. Elle se termine dans les années de l'immédiate après-guerre, en cédant à une certaine facilité rétrospective, avec des assemblages qui évoquent l'arte povera, ou des fils d'acier récoltés par Jacques Villeglé, à la notoriété bien plus tardive. Elle permet, enfin, de découvrir une œuvre stupéfiante, celle d'Alberto Magnelli

Ses œuvres, qui adoptent d'abord une géométrie assez comparable à celle des scènes paysannes de Kasimir Malevitch, mais avec des à-plats au lieu de dégradés, passent rapidement à l'abstraction totale : ses petits tableaux peints sur des ardoises d'écolier, ses collages de très ordinaires éléments en relief, morceaux de carton, objets de la vie courante, ses peintures d'après guerre au format plus classique montrent la poursuite systématique d'une voie tout à fait originale, et nettement avant-gardiste. S'étonner de le découvrir si tard revient à poser une question déjà résolue par l'inévitable Howard Becker, lequel montrait à quel point ce qui faisait l'artiste, ce n'était pas le génie solitaire, mais l'efficacité d'un entourage attaché à construire sa notoriété. Se rendant au meilleur moment, un dimanche matin, à la meilleure heure, celle de l'ouverture, au musée d'art moderne, on longe le Grand Palais devant lequel s'étire déjà une queue qui doit bien promettre à ceux qui se contentent pleinement de la culture légitime une heure d'attente dans les frimas. Le palais de Tokyo, comme de coutume, est désert, et la petite vingtaine de visiteurs qu'on y croisera se montreront bien moins gênants que les bavardages des gardiens qui, comme toujours, s'ennuient. Le rapport entre la richesse de l'exposition, son caractère inédit, le ténacité qu'il a fallu déployer pour y rassembler les œuvres montrées, et la faiblesse de l'audience ne laisse guère de place au doute : seulement patronné par le Crédit Municipal de Paris, l'Art en guerre sera lourdement déficitaire. L'exposition, en d'autres termes, relève du bien public au sens strict, cette possibilité donnée à tous de contempler, dans les meilleures conditions, le travail d'artistes de premier plan qui, pour diverses raisons, n'ont aucune chance d'attirer les foules rémunératrices.

glasnot

, 21:22

Installé à la périphérie de l'URSS, en 1986, Juris Podnieks profite des premiers moments d'ouverture apportés par l'arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev pour sortir des cadres de son métier de documentariste. Pour tirer le portrait de la jeunesse lettone, Est-il facile d'être jeune ? s'appuie sur les images tournées lors du concert d'un groupe local, et sur ses conséquences. Au retour, dans le train, des adolescents vandalisent un wagon. Au hasard, six d'entre eux sont arrêtés, et passent en jugement ; les mineurs s'en tirent avec des peines symboliques, tandis que le seul majeur du groupe est condamné à trois ans de prison.
Juris Podnieks est dans la salle ; ses images montrent l'incompréhension générale, le soulagement lâche et embarrassé de ceux qui s'en tirent à bon compte, l'incrédulité et les larmes de celui qui y passe, et qui sait ce qui l'attend.

Les punkettes de Pussy Riot n'ont rien cassé ; mais elles ont fait pire. La force de leur courte provocation, qui leur vaut déjà un an de détention préventive, et qui serait passée inaperçue si l'appareil politique n'avait décidé de les écraser, ne se mesure pas seulement au défi lancé de concert à cette alliance entre l'église orthodoxe et le pouvoir autoritaire d'un Vladimir Poutine, lesquels, incarnant une figure bien connue, se partagent le contrôle des âmes et des esprits. Comme naguère avec The Slits ou Nina Hagen, elle se double de la mise en cause du pouvoir qu'exercent les vieux mâles sur tout ce qui les définit, et d'abord leur jeunesse et leur sexualité, mise en cause qui rend l'affront d'autant plus intolérable qu'il subvertit la manière même dont est organisée ce monde.
Le traitement qui leur est réservé montre à quel point, vingt cinq ans après la glasnot, il est toujours aussi difficile d'être jeune en URSS.

dynamitero

, 19:06

Certains, une fois placés à la tête d'une institution d'enseignement de renommée nationale, se satisfont de la gestion quotidienne des égos et des querelles intestines, isolés sur leur petite montagne. D'autres, bien plus nombreux, s'acharnent, passivement, à défendre un pauvre statu quo contre toute espèce de changement radical, oubliant au passage cet essentiel qui ne les a jamais intéressés, les étudiants et leur avenir. D'autres encore, occupant des positions de pouvoir différentes, se contentent de patronner leur minoritaire méritant, imaginant sans doute apporter ainsi une contribution décisive aux progrès de l'humanité.
Richard Descoings, nommé à la tête d'une école qui, recrutant plus que d'autres à partir de critères déterminés par le capital social, était bien moins que d'autres disposée à s'ouvrir aux moins dotés en la matière, aurait parfaitement pu se comporter à l'image de se prédécesseurs. Il a, à l'inverse, fait sauter une porte qu'il semble désormais impossible de refermer. Celui qui assuma le risque, l'incertitude, l'imperfection de l'action faisait ainsi la preuve d'une vertu devenue rare, celle de l'homme d'État.

super sic

, 16:53

Loin de l'idée complaisante d'une activité suicidaire qu'en retiendra le profane, lui qui ne la connaît qu'à travers les images des fréquentes chutes retransmises par les journaux télévisés, la compétition de vitesse moto telle qu'elle se pratique de nos jours sur des circuits à la sécurité optimale ne présente guère plus de risques que le ski de descente, ou le cyclisme. Le danger essentiel, pour un pilote, n'est pas, même à haute vitesse, de tomber, mais d'être percuté par un autre concurrent. Et l'intensité de ce risque n'est jamais plus élevée que durant les premiers tours de l'épreuve, lorsque les pilotes, encore groupés, se suivent à quelques centimètres les uns des autres.
Aujourd'hui en Malaisie le jeune chien fou du MotoGP, l'exubérant Marco "Super Sic" Simoncelli, engagé dès les premiers virages dans un duel périlleux avec Alvaro Bautista, est mort, percuté après avoir chuté par Colin Edwards, puis par Valentino Rossi. L'organisateur, ne rediffusant de l'accident que ses premières secondes, coupant l'instant du choc, cachant les images de Marco Simoncelli gisant sur la piste, annulant le Grand Prix, fit ce que le monde motard, pilotes comme spectateurs, attendait de lui. Espérer une même retenue d'un journal télévisé essentiellement préoccupé de rendre l'hommage qui s'imposait aux beautiful losers eut sans doute été illusoire.

forza

, 19:33

Même si, à Flaminio, l'audience s'accroît au point qu'il ait fallu rajouter des tribunes, même si l'équipe d'Italie passe, sinon pour française, du moins pour francophone tant elle comporte de joueurs évoluant à l'ouest des Alpes, elle est pourtant habituée depuis toujours à la dernière place du tournoi des Six Nations. Le statut mineur du rugby en Italie, sport tout juste sorti de l'ère universitaire et qui doit donc composer avec de faibles effectifs, ce qui complique redoutablement la tâche d'un sélectionneur généralement, comme Nick Mallett aujourd'hui, recruté dans un pays de tradition, explique pourquoi ces azzurri remportent la lanterne rouge avec une désespérante régularité.
Là encore, alors que, à une demi-heure de la fin, la France menait 18 à 6, l'affaire semblait réglée. Remonter treize points dans ce qu'il restait de temps, inscrire, du pied de l'ailier Mirco Bergamasco, la pénalité décisive, tenir jusqu'au bout avec une mêlée en lambeaux, revenait à renverser les rôles, et à voler le répertoire que l'équipe d'en face, la France, qui pourtant l'a créé, a oublié depuis longtemps. Et la victoire sourit à ceux que tant de déconvenues n'ont jamais découragés, à ceux qui la méritent cent fois plus qu'une équipe de favoris confuse, médiocre, et vieillissante. Sur la touche, on aperçoit Alessandro Troncon l'homme qui, longtemps, a été l'équipe d'Italie à lui tout seul, l'homme qui ne sait rien faire d'autre qu'avancer, celui qui, quel que soit le score, ne renonce jamais et qui, précisément parce qu'il dirigeait le jeu d'une équipe médiocre, incarne par-là même l'essence du rugbyman, l'obstination, la pugnacité, le fighting spirit. Il est là, seul, il ne bouge pas, il ne dit rien ; il sourit.

46

, 19:43

S'il avait voulu le faire exprès, il ne s'y serait pas pris autrement. Relégué en sixième position sur la grille de départ du Grand Prix de Malaisie, Valentino Rossi, onzième dès le second virage, s'est alors retrouvé dans le dernier tiers du maigre plateau de la catégorie MotoGP. La régularité mécanique avec laquelle il enchaîna ensuite les tours les plus rapides pour rejoindre la tête avait quelque chose de surhumain ; et la façon dont il doubla tous ses adversaires en adoptant, toujours dans le même virage, une trajectoire qui lui était propre, la manière dont il sut conserver sur son rival immédiat, Andrea Dovizioso, ces dix mètres d'écart qui le mettaient à l'abri d'une attaque dans les derniers tours, relevaient de l'implacable.
Jorge Lorenzo, de son côté, assurait en boutiquier une troisième place qui vaut pour un titre de champion du monde, et se contentait ensuite de montrer un panneau portant la mention "game over", disant sans le vouloir à quel point son univers reste puéril. Mais spectateurs et commissaires de pistes malaisiens ne s'y sont pas trompés : le héros du grand prix, principal acteur et seul auteur de sa dramaturgie, vainqueur d'un rapport de domination dont les effets ne sont plus que symboliques, c'est Valentino. Lorenzo est champion ; Valentino, unique.

un sociologue

, 19:28

C'était un grand type sportif, en jeans, toujours équipé de ses chaussures de marche. C'était un enseignant ouvert et patient, attentif aux bêtises que ne peuvent que commettre ceux qui sont là pour apprendre. Arrivé à Paris VIII bien après les historiques fondateurs du département, importateurs de la sociologie interactionniste de Chicago et créateurs d'un inestimable capital social aujourd'hui dilapidé, il y terminera son parcours professionnel. Sa courte bibliographie, composée pour l'essentiel d'un livre tiré de sa thèse, et d'un indispensable petit manuel méthodologique, montre ce que peut être la carrière d'un universitaire qui a choisi d'être plus enseignant, et administrateur, que chercheur ou, en d'autres termes, de plus s'occuper des autres que de lui-même.
Jean-Claude Combessie est mort la semaine dernière. Et, sauf au département, sauf à travers les souvenirs d'un ancien étudiant, personne n'en parle.

monolithe

, 16:33

Il faudrait une connaissance intime du milieu et de ses enjeux pour expliquer la multiplication de ces petites structures, parfois individuelles, mais presque toujours composées de deux associés, qui font aujourd'hui l'architecture de ce pays. Une rencontre pendant les études, des difficultés à s'établir, la place toujours occupée par les anciens à la tête de leurs grandes agences internationales, la diversité d'une commande publique qui forme l'essentiel de l'activité, voilà sans doute quelques-unes des explications possibles. Cet éparpillement n'empêche d'ailleurs pas les regroupements, par affinité, par âge. Mais il sera surtout au principe d'une concurrence sévère, dans laquelle chacun cherchera à faire fructifier un style personnel. Beaucoup comme, par exemple, Bernard Bühler, miseront sur la variété des couleurs et des matériaux. Plus rares seront ceux qui s'imposeront un vocabulaire plus austère, orthogonal, monochromatique, et souvent noir, tels Franck Salama, qui construit un ensemble de maisons de ville le long de la rue Villiot, ou LAN Architecture.

Auteurs d'une petite résidence étudiante qui sera bientôt livrée rue Pajol, responsables d'un impressionnant projet à Beyrouth, un ensemble de bureaux et d'appartements dominé par une tour strictement carrée, mais dotée d'un revêtement infiniment variable, les deux associés ont aussi participé au dernier grand chantier de la ville, Clichy-Batignolles. Pour la parcelle 1.B, le long du parc, au nord de la rue Cardinet, ils ont conçu un monolithe triangulaire à ressauts qui rappelle le paquebot de Pierre Patout, qu'ils ont prévu aussi haut que possible, et qu'ils ont bâti sur un socle blanc, et recouvert de verre noir. Ce verre, en fait, est celui de ces panneaux photovoltaïques sans lesquels aujourd'hui, à Paris, construire n'est plus concevable, mais qui, détournés de leur fonction, trouvent ici un double emploi esthétique puisque, en plus de leur couleur, leur découpe anime la façade, et dévoile selon les endroits les enduits colorés qui recouvrent le bâtiment. De jour, le monolithe de verre reflète les éléments proches, casse sa rigidité par la combinaison savante des ouvertures et des couleurs, et dote la parcelle d'un monument, geste de provocation, manifeste esthétique, autant que point de repère. De nuit, avec le jeu des lumières, on atteint un niveau de beauté inégalé depuis des années.
Mais le concours est perdu. À la place, Périphérique construira un immeuble bien plus ordinaire, un peu moins haut. Et blanc.

podium

, 19:48

Il aura fallu une attaque certes régulière mais fort peu élégante de Casey Stoner dans le dernier virage du Sachsenring pour que Valentino rate le podium. Six semaines après s'être fracturé tibia et péroné droits lors d'une chute durant les essais du Mugello, le voici donc, contre tout attente, y compris celles d'un piètre commentateur de bien peu de foi, de retour dans la compétition du Moto GP, et au plus haut niveau. Ce qui, au delà des remarques émerveillées sur les capacités de récupération quasi-miraculeuses d'un sportif encore jeune et excellemment soigné, et dont les performances dépendent bien moins de la solidité de ses jambes que de l'efficacité de sa machine, conduit à chercher ce qui, chez un champion qui a tout gagné, qui n'a plus rien à prouver, qui peut désormais, sur les doigts d'une seule main, décompter les années qui le séparent de la fin de sa carrière et qui, de toute façon et sauf catastrophe pour ceux qui le précèdent au classement, ne gagnera pas cette année, peut bien le pousser, contre la raison, à remonter en selle au risque d'aggraver ses blessures.

L'histoire des grands prix moto est certes riche en exemples similaires, de pilotes aux fractures à peine consolidées, aux blessures encore ouvertes, qui reprennent trop tôt la compétition : mais le plus souvent, il s'agit de pilotes privés, qui s'affrontent loin de la tête et des usines, qui, même aujourd'hui, et bien plus à l'époque du Continental Circus, survivent avec un budget réduit et ne peuvent donc se permettre de longtemps manquer des courses. Valentino, seul sur sa propre planète, ne connaît aucune de ces contraintes matérielles ou symboliques qui obligent le plus grand nombre à vivre la course comme un métier et à chercher, dans l'espoir d'obtenir mieux, toutes les occasions de se mettre en valeur. Pour lui, pas d'enjeu matériel puisque sa fortune est assurée et le championnat perdu, et s'il existe un enjeu symbolique, montrer à ses adversaires qu'il faudra encore et toujours compter avec lui, sinon cette année, du moins la prochaine, si son résultat au Sachsenring valide cette stratégie au-delà de ses attentes, il semble bien insuffisant à expliquer le risque pris avec ce retour prématuré. Ce qui l'anime, ce qui le conduit à revenir en course, dans un mouvement à la fois follement audacieux et raisonnablement soumis à agrément médical, c'est donc cette passion de la compétition que la raison serait bien en peine de définir, elle qui ne peut que constater à quel degré sa vie, c'est seulement ça. Et peut-être, aussi, la conscience aigüe qui fait que, au fil des mois, les occasions d'encore vivre ça se feront de plus en plus rares.

un héros de la jeunesse

, 19:11

Voir Valentino Rossi évacué par hélicoptère après sa chute durant les essais du grand prix d'Italie ne peut que remettre en mémoire la façon dont une blessure à peine plus grave mit fin à la carrière sportive d'un Mick Doohan, alors guère plus âgé que ne l'est aujourd'hui le fulgurant transalpin. Au-delà de la saison perdue, la question qui attend tout sportif, mais plus encore celui qui vient d'enchaîner quatorze années de compétition au plus haut niveau, et n'a plus guère d'autre repère que de surpasser Ago par le nombre de ses victoires, se pose : comment arrêter ? La fin de contrat, la férocité d'une concurrence qui s'exerce dans sa propre équipe, la blessure, l'âge, plaident comme autant de justifications raisonnables pour raccrocher son cuir. Mais la raison, justement, n'entre pas en ligne de compte ; l'important, c'est le geste, et il est gratuit.

Pour un des sportifs les mieux payés d'Italie, ce qui ne l'empêcha pas de pratiquer avec une certaine légèreté l'optimisation fiscale, parler de gratuité peut sembler incongru. Et pourtant, Valentino serait tout autant Rossi, et aurait tout autant gagné, avec la retenue caractéristique d'un Dani Pedrosa même si celle-ci, il est vrai, reste exceptionnelle dans ce sport si expansif. Rossi serait autant Rossi en se tenant, comme d'autres, à l'écart de la foule, caché derrière ces écrans auxquels, désormais, la mécanique est asservie. Pour gagner, la technique, le métier, dans toutes leurs acceptions, suffisent : mais le spectacle, les mises en scènes préparées avec les copains d'enfance qui, au fil des ans, montrent toujours le même gamin excentrique et heureux comme au premier jour, lui, est offert.
Dans ce monde où la corruption des valeurs morales réduit l'idéal sportif à une sinistre exhibition du chauvinisme le plus crasse, sur cette planète où des individus par centaines de millions se préparent à vivre un mois durant des tragédies nationales sur petit écran, il est bon de vanter, à l'inverse, les vertus de la légèreté, du superficiel, de cette gratuité qui n'appartient qu'à la jeunesse. Là comme ailleurs, l'ogre de Tavullia reste inégalable, et n'a rien à craindre des pitreries narcissiques d'un Jorge Lorenzo. Reviens, Valentino !

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