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Category collecting for the Red Cross

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ab sofort

, 18:21

D'hier, il reste ce moment devenu rare, un direct incontrôlable avec de la pluie et du vent, une chancellière redevenue Mädchen, des chefs d'États qui n'avaient rien à faire là, des fondateurs jouant les seconds rôles cachés sous leur casquette, et une référence aussi ironique qu'incomprise à la théorie des dominos.
D'il y a vingt ans, je me souviens de cet apogée du printemps des peuples de l'Est, de ce baroudeur mort bêtement qui spéculait sur le meilleur moyen d'entrer clandestinement en Roumanie, de ces soirées devant un écran, au planning des équipes d'actualités d'une très grosse chaîne de télévision privatisée depuis peu, et de ce slogan d'un trimestre et de 100 000 personnes : wir sind das Volk.

le plan Blanc

, 18:54

Vieille comme le dessin, la cité idéale fait un peu fonction de jardin secret de l'architecte urbaniste. Loin des tracas du programme et des contraintes de la commande, elle lui permet de développer, souvent jusque dans ses détails les plus anodins, sa conception de ce que doit être l'art de bâtir une ville. Ainsi procédèrent Tony Garnier, dessinant sa  Cité Industrielle à l'abri de la villa Médicis, ou Robert Mallet-Stevens, architecte inconnu, moderne, et qui n'avait encore rien construit, publiant au lendemain de la Première Guerre mondiale Une Cité Moderne, livre qui lui servira à la fois de manifeste, et de passeport auprès de ces riches esthètes qui constitueront sa clientèle. Elle peut aussi, selon les cas, et les ambitions de son auteur, être mise au service d'une stratégie de représentation. Le Corbusier, celui dont Frank Lloyd Wright, qui avait lui-même sa Broadacre City, disait qu'il publiait un livre chaque fois qu'il construisait un bâtiment, appliqua ainsi une des déclinaisons de sa ville de trois millions d'habitants au centre de Paris. Sous le nom de plan Voisin, en hommage à l'avionneur reconverti dans l'automobile de luxe, il se proposait ainsi de raser les arrondissements centraux de la capitale pour y édifier un maillage d'immeubles de grande hauteur. Il fallait, même à l'époque, singulièrement manquer de sens commun pour voir là autre chose que pure provocation, et moyen aussi spectaculaire que peu coûteux d'assurer sa publicité personnelle.

A cause des architectes, l'exposition en cours depuis avril et pour encore quelques mois à la Cité de l'Architecture retrouve en partie cette dimension utopique. Il n'était pourtant pas question de rêver. La commande présidentielle imposait deux sujets, dont le premier était aussi quelconque qu'inévitable, et reçut des réponses dont l'homogénéité montre bien à quel point il relève d'un consensus qui devient suspect à force d'unanimité. Car sur la métropole conforme aux principes du protocole de Kyoto, tout le monde est d'accord : des trains et des métros autant que possible, des tramways pour tout le reste et même les marchandises, le fleuve là où on peut et, pour les déplacements individuels, vélos en libre-service pour tous. Personne, nulle part, pour relever que les citoyens ont choisi autre chose, le scooter ; avec des rejets de 40 grammes de CO2 au kilomètre pour le premier modèle hybride commercialisé, on a pourtant de quoi faire face aux hausses de la taxe carbone jusqu'en 2050. C'est donc avec le deuxième chantier, qui vaut comme sujet libre avec son intitulé paradoxal de diagnostic prospectif, que l'on retrouvera cette dimension d'utopie architecturale et urbanistique, mais aussi une façon de marquer son territoire dans laquelle chaque équipe jouera ses avantages comparatifs.
Elles sont dix, et leur sélection témoigne d'un subtil panachage, et d'une profonde connaissance des positions et des enjeux qui régissent le champ architectural européen. Impossible de laisser de côté les prix Pritzker nationaux, Jean Nouvel et Christian de Portzamparc. Malséant de négliger Antoine Grumbach et Roland Castro, acteurs engagés depuis vingt-cinq ans dans la rénovation urbaine. Les deux places restantes pour des équipes nationales reviendront à un ancien, Yves Lion, et à un nouveau venu, Djamel Klouche. On complétera avec une équipe allemande, une italienne et une néerlandaise ; enfin, côté britannique, on ne pouvait mieux trouver que Richard Rogers, ce vieux compagnon de route, et ses complices de Rogers, Silk, Harbour & partners. Étroitement logées dans une aile du palais de Chaillot encombrée de moulages médiévaux, leur propositions seront chacune abritée dans une sorte de tipee blanc à la surface irrégulière, et ridiculement insuffisante. Aussi, l'exposition ne présente-t-elle pas grand chose sinon, précisément, les positions sociales de leurs auteurs. Les primés, Nouvel et Portzamparc, n'ont rien d'autre à montrer qu'eux-même et leur discours. Les inconnus font assaut d'originalité. Dans une position un peu intermédiaire, Richard Rogers propose aussi du concept, mais un peu plus substantiel que ses collègues Pritzker. Enfin, Antoine Grumbach et Roland Castro, qui, depuis le temps, ont pu accumuler les matériaux, les montrent, et constituent indéniablement l'intérêt principal de l'exposition.

Mais l'essentiel est ailleurs, dans ce site web qui accompagne l'expo et, plus précisément, dans ces livres que chaque équipe publie en réponse à la commande. Le sujet imposé, la contrainte de l'existant éloignent ces travaux des utopies de cités idéales, alors que la liberté de conception, la gratuité des propositions aussi bien que les références explicites, au plan Voisin en particulier, ou implicites, comme avec cette tranquille provocation de Roland Castro qui propose d'édifier une mignonne petite tour sur le square du Vert Galant, à la pointe de l'ïle de la Cité, les en rapprochent. Peut-être sortira-t-il de tout cela un grand Plan, où Gabriel Voisin, l'avionneur, cédera la place à Christian Blanc, secrétaire d'État à la Région capitale. En attendant, on se plongera dans ces milliers de pages exceptionnellement documentées, même si les illustrations tierces ne sont pas toutes correctement reproduites, soigneusement conçues, et en téléchargement libre. Une telle générosité n'est vraiment pas dans les habitudes d'un milieu où l'on n'a même pas le droit de montrer sur le web la photo qu'on a prise d'un immeuble de Portzamparc. Ici, la République paye, et elle fait profiter les citoyens. Ils auraient bien tort de se priver, puisque tout est gratuit, et même l'expo.

la carrière de Frédéric

, 19:39

Frédéric portera donc toute sa vie le fardeau de ne même pas être le fils de qui-vous-savez. Si l'on pouvait compter sur un Noël Mamère, avec sa pensée toujours à hauteur de moustache, pour fustiger l'association du patronyme prestigieux et du président honni et, par là-même, inventer le délit d'infidélité au clan, les commentaires, une fois acquise la nomination du nouveau ministre de la Culture, partagés entre la pertinence du choix, et la tentation du bon coup, succombèrent au superficiel, et louèrent l'habileté tactique de celui qui n'en était pourtant pas à son coup d'essai. Pourtant, si coup il y avait, il ne se limitait en rien à compléter un déjà copieux tableau de chasse.

La seule définition pertinente de la culture est sans doute de nature anthropologique ; pour l'appliquer, il faudrait étendre les frontières du ministère jusqu'à englober à peu près tout ce qui est vivant, et même plus. La culture dont on parle et qu'on administre n'est donc qu'une convention, dont le périmètre varie d'un pays à l'autre au point que, parfois, on juge superflu d'y consacrer un ministère et que, souvent, celui-ci n'a d'autre attribution que la gestion du patrimoine, c'est à dire la conservation de ce que les générations précédentes ont créé. Tel n'est pas le cas dans la patrie de Malraux où le poste, toujours pourvu même s'il l'est parfois d'un simple secrétaire d'État, a connu des fortunes si variées qu'il semble constamment à réinventer, et qu'il paraisse tout devoir aux qualités spécifiques de son titulaire. Gibier de passage pour politicien en intérim, fin de mission pour ceux qu'il fallait bien caser quelque part, vieux fidèles ou élus fatigués, il deviendra, on le sait, en mai 1981, la chose de Jacques Lang, sans doute seul à avoir réalisé ainsi son ambition première, et cumulard en chef puisqu'il occupera le poste la durée d'une législature, et par deux fois. Mais en 1997, en élargissant le périmètre à la communication, on faisait entre les marchands dans le temple. Comme on le sait, ceux-ci réussirent, à la croisée de la diffusion et de l'expression, à imposer une définition dans laquelle la culture devenait ce que les grands diffuseurs de biens symboliques décidaient être leur intérêt commercial, définition qui réduisait donc le champ d'action du ministère aux seuls arts industrialisables, à l'exclusion de tout le reste, des arts plastiques au cinéma indépendant, de l'architecture contemporaine à la littérature, tout ce qui, en somme, intéresse les esthètes, ne rapporte guère, et, parfois, impose au public une certaine exigence. C'était le temps aujourd'hui oublié de l'exception culturelle, justifiant, contre ce si encombrant ami américain, un protectionnisme qui, du jour au lendemain, a succombé à l'union sacrée transatlantique des victimes de pirates numériques. On sait à quel désastre mena la servilité du ministère Albanel, et on comprend que, pour reprendre la contrôle du navire, il faille absolument nommer à la barre un capitaine indemne de tout soupçon, même de celui du copinage politique, pourvu d'une authentique compétence esthétique et, si possible, suffisamment imprévu pour que sa désignation fasse sensation. Alors, quand on a d'excellentes raisons de faire ce que l'on fait, on n'est pas dans le coup, fut-il de maître : on est dans la stratégie.

Ainsi, ce jeune homme longiligne, ce dandy au superbe costume de soie qui, naguère, me vendit un billet pour une séance à l'Entrepôt, point focal de la cinéphilie radicale des années 70 et 80 et qui, du cinéma à l'écriture, de la villa Médicis au carnet d'adresses, possède tout ce que l'on peut imaginer en fait de capital adapté au poste, rejoint la rue de Valois. Plus que le théatral Jacques Lang, on lui souhaite de suivre les traces d'un Michel Guy avec lequel il a tant en commun, le libéralisme, l'ouverture d'esprit, le désintéressement, la curiosité, le goût de l'expérimentation, tout ce qui fait qu'au fond il n'y ait jamais meilleur ministre de la Culture qu'un authentique mécène. Et puisque l'Industrie, c'est pour Estro qui rate l'Intérieur une fois de plus, qu'on lui laisse donc le soin d'essuyer les larmes amères des marchands de disques. Fredo, on compte sur toi : ne nous déçois pas !

arte dernière

, 19:30

Si Thierry Ardisson cumule tous les défauts, du moins a-t-il eu, voilà longtemps, la qualité rare de faire de la télévision neuve, et l'habitude de la réserver aux audiences confidentielles des programmations tardives d'une chaîne du câble. Paris Première, qui fut, un temps, capitale oblige, avant de finir oubliée chez Lagardère tout au fond du couloir, la chaîne du magazine vraiment chic, de l'invention authentiquement originale, de l'esthétique débarassée du compromis et de tout ce qu'Arte ne sera jamais et n'essaye même plus d'être, clôturait ainsi ses programmes avec Paris Dernière. Paris Dernière, durant l'époque où officiait Ardisson, représentait l'idéal-type de ce que la télé pourrait faire de mieux si elle avait, aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'humilité nécessaire : le dispositif le plus rudimentaire, un cameraman, un preneur de son, un gugusse, une ville, et on y va. Des rencontres de hasard, des moments sans importance, des inconnus plaçant leur marchandise, des vedettes en promotion, du futile, du complice, du canaille, de l'éphémère, du crucial, parfois.

Impossible de ne pas avoir cette référence en tête en tombant, un soir d'errance télévisuelle, sur cette déambulation nocturne qui, à Berlin, pendant les quelques heures d'une soirée résumée en 52 minutes, réunit deux personnages bien dissemblables, Kai Diekmann, rédacteur en chef de Bild Zeitung, le tabloïd abhorré du groupe Springer, et Henrik M. Broder, journaliste au Spiegel et provocateur opiniâtre, venu avec une collection de couvre-chefs qui vont du fez à la casquette de base-ball et dont il se coiffe au moment opportun, dans un restaurant de luxe ou devant un schnellimbiss turc. A l'évidence, la similitude entre Paris Dernière et Au coeur de la nuit, Durch die Nacht / A travers la nuit dans l'édition originale, ne doit rien au hasard, et se voit, par exemple, comme un hommage, dans ces séquences de transition où la voiture qui emmène les hôtes les conduit d'un point à l'autre. Elle ne sert, pourtant, qu'à l'occasion : car, comme Paris Dernière, Au coeur de la nuit n'est pas seulement nocturne, mais aussi métropolitain, même s'il varie les capitales, Berlin, Paris, ou New-York avec Jo Stiglitz, Bruce Greenwald et la chute de Wall Street. C'est que la qualité de l'émission ne dépend pas seulement de sa densité, de son unité de temps et de lieu, ni de la fluidité que permet ce dispositif si simple où l'on ne fait, au fond, que partager un agréable moment d'après travail entre gens d'un même monde, même si leurs opinions diffèrent. Elle repose entièrement, à la différence de sa devancière, sur ses deux intervenants, des Kuturschaffende nous dit le producteur de la série, sur ce qu'ils connaissent de leur ville, sur la richesse et la variété de celle-ci, sur ce qu'ils ont à montrer et à apprendre, sur les rencontres qu'ils peuvent proposer. Réunir en un même lieu, à quelques kilomètres, en quelques rues, des quartiers si spécifiques, des populations si diverses, et des intellectuels dont la distinction remonte jusqu'au Nobel est bien le propre de la seule métropole, et c'est sans doute une plus grandes vertus d'Au coeur de la nuit de montrer comment elle fonctionne, et pourquoi elle ne peut se comparer à nulle autre ville. Parions qu'avec Claire Denis, le 16 avril, on se trouvera de nouveau en aussi bonne compagnie. L'émission existe depuis 2002, elle approche de son soixantième numéro ; si on la découvre seulement maintenant, c'est à cause de sa programmation irrégulière, de son horaire nocturne, et de cette compulsion d'Arte à cacher, comme si elle en avait honte, ce qu'elle produit de mieux.
Evidemment, cela n'empêche pas, parfois, comme jeudi dernier, l'antenne d'être occupée par le discours imbécile et préremptoire d'un ignorant vaniteux, sorti de ses beaux quartiers et de sa révolte de pacotille pour montrer à quel point il ne diffère en rien de ces indigènes d'au-delà le périph, et combien il éprouve les mêmes difficultés qu'eux. C'est que, malgré tout, on aurait presque eu tendance à l'oublier, mais on bien est sur Arte.

les rouges contre les bleus

, 09:00

L'histoire se répète, au fond. Avec cette drôle d'équipe qui n'est jamais meilleure que lorsqu'on la dit battue, cette équipe fragile qui a besoin de dix points de retard pour se décider à tout tenter, cette équipe hétéroclite avec son pilier en pré-retraite et des jeunes de vingt ans, un buteur du dimanche, un ouvreur de troisième main et, au centre, un nouveau venu guadeloupéen qui fait un néo-zélandais très correct.
Parfois, la meilleure attaque, c'est la défense. Et c'était géant.

tigres d'acier

, 19:54

On peut parfois, délaissant ce pestilentiel marécage où viennent se déverser ces ruisseaux d'autosatisfaction bouffonne, de certitudes bavardes, de bonne conscience obèse qui, régulièrement, alimentent Arte, trouver, sur les canaux voisins, une perle. En ce moment, et demain à 16h30 pour la dernière fois, France 5 diffuse un reportage consacré au Tiger Meet 2008 lequel, en plus de ses qualités proprement cinématographiques qui en font un travail de premier ordre, offre une extraordinaire plongée ethnographique dans un univers social aussi riche qu'habituellement délaissé par des sociologues abonnés à l'obligatoire compte-rendu de la misère du monde. Bien des images, pourtant, en sont familières : des adolescents attardés paressent au soleil, préparant un sketch où, dans une scène étonnamment similaire à celle de La Grande Illusion, le travestissement sera de règle, sketch qui leur servira probablement pour une quelconque soirée de fin d'études. Dans un salon de coiffure d'une petite ville, on retrouvera quatre d'entre eux se faisant, sans doute à cause d'un pari idiot, teindre les cheveux en blond. Rien, au fond, de tellement différent de ces images empathiques de jeunes en déshérence si chères à Arte, au détail près que ces jeunes-là sont pilotes de chasse, et qu'ils préparent l'édition 2008 du Tiger Meet.
Inaugurée dans les années soixante, cette rencontre annuelle organisée selon un principe anecdotique, puisqu'elle vise à rassembler les escadrons de chasse de l'OTAN dont l'insigne représente un tigre, et largement contourné, puisque cette édition a vu la participation du Staffel 11 de l'armée suisse, répond à deux fonctions. Elle sert d'abord de banc d'essai opérationnel, en permettant à des pilotes de nationalités très diverses aux commandes d'appareils très variés, parfois propres à une seule force aérienne comme les Super Etendard de la Flottille 11F, la puissance invitante, de participer à d'intenses exercices communs. Mais c'est aussi l'occasion d'une socialisation ritualisée, socialisation qui fournit l'essentiel des images du documentaire de Bertrand Schmit, et qui apporte quelques éléments en réponse à une question d'un grand intérêt. Sans doute n'existe-t-il pas de métier plus sélectif que celui de pilote de chasse. Sur les 801 000 individus qui, au dernier recensement de l'INSEE, composent une cohorte, moins de dix auront l'occasion d'embrasser cette carrière ; la sélectivité est donc à peu près équivalente à celle de l'Inspection générale des finances. Les heureux élus sont très jeunes, extrêmement diplômés, monstrueusement sélectionnés et parfaitement intrépides. Alors, comment on les tient ?

Dans Les traders, Olivier Godechot répond à cette question pour une population qui, par son caractère essentiellement jeune et masculin, sa formation dans les mêmes grandes écoles d'ingénieurs, son appétence pour un risque qui, en l'espèce, n'est pas physique, se rapproche de celle des pilotes de chasse. Et, en fait, on ne les tient pas : bien que salariés, les traders disposent d'une très large autonomie qui s'exerce en particulier dans sa dimension symbolique. Olivier Godechot raconte comment Estelle, nouvelle venue dans un monde qui s'ouvrait alors aux femmes, condamne comme immature le comportement d'un trader pourtant polytechnicien et père de famille, dansant autour de son poste après avoir réusssi sa première transaction. Avec sa position périphérique, elle ne peut se permettre de ne pas adhérer à un formalisme dont se dispensent précisément ceux qui, en raison même de leur parfaite intégration à un milieu dont ils épousent les exigences, s'autorisent une licence qui lui est pour l'instant interdite.
La seule discipline militaire ne saurait suffire à maintenir et animer cet autre groupe de professionnels de très haut niveau qui, de plus, comme en témoigne la fatale dédicace du reportage au pilote disparu depuis son tournage, affrontent un risque physique extrême. Il faut donc recourir à des stratégies parallèles pour assurer la bonne marche des affaires. Décrivant sa carrière dans un numéro de Moto Magazine, un motard sexagénaire, professeur à la faculté de pharmacie de Marseille, racontait qu'il avait racheté la première CB 900 Bol d'Or disponible en France ; son ancien propriétaire avait avancé un argument de vente imparable : "elle tient le Mirage jusqu'au décollage". Il savait sans doute de quoi il parlait, puisqu'il commandait la base aérienne d'Orange. Et l'on peut parier que le prestige de cette machine comptait au nombre des arguments symboliques qui lui permettait de tenir ses pilotes.
Le reportage de Bertrand Schmit apporte une multitude d'exemples de ces stratégies, qui visent à la fois à fonder un groupe à part aussi bien au-delà des différentes nationalités qu'à l'intérieur de ce métier excessivement particulier de pilote de chasse, et à perpétuer son fonctionnement, ce qui ne va pas de soi puisque, par exemple, la base de Cambrai, qui abrite les tigres de l'escadrille 1.12, figure au nombre des sites militaires en attente de fermeture, le 1.12 risquant alors de rejoindre la liste des formations dissoutes. Ainsi en est-il du grand concours de peinture, où l'on récompense l'avion le mieux tigré, opération strictement symbolique mais dont le coût, avec la remise de l'appareil dans son état initial, doit se compter en dizaines de milliers d'euros. Et, sans doute, une des plus extraordinaires manifestations visuelles de cette exubérance sous contrainte se trouve-t-elle dans cette séquence reprise sur le site du producteur du documentaire, où les participants au Tiger Meet se rassemblent, au garde à vous, dans le plus strict alignement militaire, et dans la plus totale extravagance vestimentaire.

why blog ? (reloaded)

, 19:23

Verel, voici peu, exprimait bien l'ambivalence des sentiments que l'on éprouve face à cet exercice en effet un peu puéril, dans lequel on accepte la contrainte de raconter des choses sur soi selon des modalités édictées par d'autres. Mais puisqu'on y est convié par le blogueur préféré du moment de Celui, il serait d'autant plus malvenu de se dérober que la question de savoir pourquoi on tient assez régulièrement et depuis plus de trois ans un carnet qui n'a rien à voir avec un journal personnel se pose, d'autant que DirtyDenys est un objet précisément défini, dans ses composantes visibles comme dans celles qui le sont moins, et cela dès l'origine.

En fait, tout a commencé à cause de Guillermito. Sans doute s'agit-il là d'une vérité assez générale : sur le web, tout est toujours la faute de Guillermito. Pour une raison oubliée depuis longtemps, je recherchais à l'époque des informations sur la stéganographie, une des nombreuses spécialités du biochimiste montpelliérain. J'ignorais tout, à l'époque, des petits soucis judiciaires qui lui vaudraient bientôt une célébrité mondiale. Tombant sur le site de Guillermito, j'avais trouvé des textes épars et plutôt bien vus, mais pas meilleurs que ceux que je produisais, très épisodiquement, et depuis fort longtemps. D'où l'idée de rassembler tout ça sur un site dont l'esthétique sera honteusement copiée sur ce que faisait Guillermito, avec son camïeu de gris. Comme mon copain Vincent profitait de sa liaison adsl pour faire tourner dans son deux-pièces un serveur web sous-utilisé, vallaurien verra ainsi le jour, en 2004. Puis, Vincent a déménagé sous des cieux autrement plus cléments bien que largement aussi ventés. Quelques mois plus tôt, une Freebox avec son IP fixe avait relié de façon stable et permanente mon salon au reste du monde. Il suffisait donc d'un routeur, de toute façon indispensable pour connecter le réseau domestique à la box, et de quelques pièces assemblées dont, pendant quelques mois, un vénérable disque SCSI IBM datant de 1996, pour bâtir le serveur nécessaire au rapatriement de vallaurien. Il était, dès lors, presque fatal d'en venir à héberger autre chose qu'un unique et statique site web, et l'idée de DirtyDenys, conçu au départ pour recueillir des méchancetés trop succinctes et trop anecdotiques pour fournir matière à un article plus étoffé, lequel serait destiné à vallaurien, naîtra assez rapidement. La forme en sera très vite fixée : pas d'images, des billets d'une longueur assez uniforme, conçus pour ne jamais réclamer plus de trois minutes de lecture, un usage intensif des hyperliens, des sujets toujours d'actualité, mais d'une actualité qui peut aussi bien être personnelle qu'internationale, et une approche, au départ, exclusivement sarcastique. D'où l'idée de se placer sous le parrainage de Clint, dans un des ses rôles les plus cinglants, en empruntant à quelques-unes de ses célèbres répliques les titres d'un nombre limité de catégories. La seule évolution notable verra l'apparition d'une catégorie positive, collecting for the red cross, exception à la norme dans tous les sens du terme puisqu'elle pourra recueillir des billets longs de seulement quelques lignes. DirtyDenys existe donc, et pourrait continuer à exister, indépendamment de tout lectorat. Il s'agit en effet d'une activité qui, bien que régulière, reste épisodique, puisque menée à un rythme assez constant de six à huit billets par mois, billets qui, sans compter les recherches qu'ils impliquent, nécessitent entre deux et trois heures d'une écriture qui commence généralement en fin d'après-midi et s'achève avant vingt heures. En somme, et cette caractéristique est fondamentale, le projet, dès le départ, a été conçu avec comme objectif l'autonomie la plus complète possible puisque, pour perdurer, il lui suffit d'un nom de domaine, d'un fournisseur d'électricité et d'adsl, et d'une assez petite quantité de temps libre, irrégulièrement, et aléatoirement, disponible. Comment, alors, expliquer que, des lecteurs, il s'en trouve, et sans doute, régulièrement, plus d'une centaine, pour fréquenter un site qui n'a jamais été l'objet du moindre effort de promotion, pour lire une écriture qui traite de choses souvent bien trop complexes pour être correctement exposées dans ces billets trop courts, de choses bien trop particulières pour intéresser le lectorat ordinaire celui, par exemple, de la presse quotidienne, une écriture qui, le plus souvent, se déroule dans des phrases bien trop longues et n'hésite pas à provoquer le lecteur par un recours systématique au vocabulaire le plus inusuel, même s'il figure toujours dans un dictionnaire standard ? Toutes ces caractéristiques, en fait, fonctionnent comme autant de critères de sélection, ou plutôt d'élection puisque, dans la masse des écritures librement accessibles sur le web, ces partis-pris, que l'on retrouve chez d'autres selon des modalités différentes mais avec une exigence comparable, tracent le cercle de ceux dont on se sent proche, cercle qui, grâce aux initiatives d'un Laurent ou d'un Versac, a cessé d'être virtuel. Paradoxalement donc, cette activité scripturale personnelle et solitaire conduit à la rencontre de ceux de ses semblables qui adoptent des pratiques similaires. Mais il ne s'agit là que de la face visible, la face cachée, celle d'une écriture souvent alourdie de références indéchiffrables restant vraisemblablement inaccessible même aux lecteurs les plus réguliers ; il s'agit, en quelque sorte, de la part strictement privée de textes publics mais qui sont sans doute assez rarement perçus dans leur dimension, n'hésitons pas à le dire, littéraire, laquelle, il est vrai, n'est pas systématiquement présente. Pourtant, en fait, la seule chose qui m'intéresse vraiment, c'est que ce soit beau. Et ça arrive, parfois.

211 mètres

, 18:00

La campagne des hauteurs tourne au blitzkrieg. Deux mois à peine après la reprise des hostilités, voilà qu'un premier projet de tour parisienne nouvelle génération sort tout armé des stations de travail du cabinet Herzog & De Meuron. Dès 2012, la pointe du Triangle devrait atteindre une hauteur toujours indéterminée, mais dont Jacques Herzog souhaite, pour la  beauté du geste, qu'elle dépasse les 210 mètres de celle qui, dans l'espace, n'en sera même pas éloignée de trois kilomètres mais, dans le temps, de presque quarante ans, la tour Montparnasse d'Eugène Beaudoin et Urbain Cassan. On abandonnera aux exégèses faciles la comparaison inévitable avec la pyramide mitterrandienne, on laissera les railleurs impénitents moquer le lyrisme du discours d'un Bertrand Delanoë dont on relèvera quand même qu'il a l'honnêteté, en fait de bâtiments à sa gloire, de faire élever des constructions utiles financées sur fonds privés, pour s'intéresser à la dimension politique, et esthétique, du projet.

Le fait que ce soit cet immeuble-là qui lance la nouvelle ère des hauteurs relève en effet d'un choix tactique parfaitement réfléchi. Un mois après le succès des jeux olympiques de Pékin, les noms des architectes du grand stade sont en effet encore dans toutes les mémoires, même celles de ceux qui voient dans le Front de Seine un bon exemple d'architecture moderne. Construite, en accord avec les intentions dévoilées en juillet dernier, aux limites municipales, avenue Ernest Renan, entre périphérique et Maréchaux, dans un emplacement où l'on n'a pas à craindre de riverains puisqu'il n'y en a pas, et sans doute à la place d'un des hangars du Parc des Expositions qu'aucun comité de préservation du patrimoine ne défendra jamais, avec une masse qui, compte tenu de sa minceur et de son alignement nord-sud, ne sera guère perceptible que des usagers du périphérique, le Triangle, projet, parmi ceux qui sont à l'étude, le moins problématique et le plus prestigieux, avait tout ce qu'il faut pour être le premier. Il est, ainsi que le précise Jacques Herzog, concu pour s'opposer terme à terme à cette tour Montparnasse abhorrée, avec sa silhouette pyramidale et pas orthogonale, sa peau transparente et pas opaque, son assise sur sol et non sur dalle, son environnement végétal et plus minéral. Avec sa forme, l'immeuble sera d'autant plus fin, donc d'autant moins visible, qu'on atteindra les hauteurs : il possède en somme l'évident objectif de jouer le rôle du démonstrateur, d'être l'échantillon qui prouvera aux parisiens, lesquels n'en ont aucune expérience concrète, qu'une tour, et, par contre-coup, l'architecture telle qu'on la pense aujourd'hui et dont, par la faute des ces années d'immobilisme, Paris ignore tout, s'oppose radicalement à ces choses que, surtout dans le sud de la ville, l'on a tant construites dans les années 70.
Tout cela, c'est le travail du politique. Les architectes eux, réussissent l'exploit de dessiner une pyramide, cette forme habituellement si lourde, d'une totale légèreté, dont la découpe en simple triangle vient compléter la boule géodésique du Palais des Sports dont elle est voisine, et de placer dans ce monolithe des unités très diverses, qui casseront l'uniformité du contour. Futile concession à l'opposition Verte, on n'échappera pourtant pas à ce crime écologique qui consiste à installer des panneaux photovoltaïques dans une zone à la fois mal pourvue en énergie solaire, et pas spécialement pauvre en infrastructures de transport d'électricité. On n'échappera même pas aux éoliennes ; au moins l'astucieux profilage de la tour, et son sommet pointu, permettent-ils à Herzog & De Meuron d'en préserver le sommet

La rapidité de l'offensive n'empêchera sûrement pas l'avalanche de recours qui ne manquera pas de pleuvoir  mais elle montre comment, en tacticien, Bertand Delanoë sait contourner les obstacles et, en politique, à quel point il ne craint pas d'imposer des décisions qui contrarient, mais qui permettent à la ville de retrouver une dynamique, une gestuelle, une sensation, que l'on n'espérait plus.

devoir de vacances

, 18:04

Ce ne sont pas les sujets d'actualité qui manquent. Le temps à y consacrer non plus, d'ailleurs, bien que la période soit également propice à des occupations pénibles, salissantes, mais parfois nécessaires. Rénover sa salle de bains, par exemple. Malgré tout, la langueur estivale invite aux sujets faciles ou, du moins, ôte toute envie de se plonger dans l'abîme des lectures indispensables à la production d'une analyse un tantinet personnelle sur la guerre russo-géorgienne. Et puisque la fine fleur de l'EHESS s'y prête, et vous y invite même, on serait malvenu de faire le difficile.
Il s'agit donc de participer à l'une des ces opérations collectives et récurrentes de dévoilement personnel, encore qu'ici, on ne montre pas grand'chose, puisqu'il s'agit seulement de sa bibliothèque. La règle, ouvrir n'importe quel livre à la page 123, ce qui exclut d'office la plupart des bandes dessinées, voire les Repères et les Que sais-je ?, et citer les lignes 6 à 10, est trop simple ; ajoutons donc une contrainte : assis à sa table de travail, l'ouvrage doit être accessible sans qu'il soit besoin de se lever. En l'espèce, ça donne ça :

...ou moins automatiquement (bien qu'il soit malgré tout utile de savoir pourquoi). En 
revanche, les choses ne sont pas si faciles pour l'administrateur du système, car une
erreur infime peut paralyser des applications entières. Le plus souvent, le message :

Permission denied

indique que l'accès au fichier visé est plus restreint qu'escompté.

Et, ma foi, le résultat ne manque pas d'intérêt. Car la matière du livre, pour le profane, ne se laisse pas si facilement deviner. On y trouve certes des termes comme "administrateur système", "applications", "fichier", qui sont d'usage courant dans le domaine informatique, et signalent au connaisseur qu'il pourrait avoir affaire à un manuel d'administration système. Mais les mots employés restent de nature assez générale, et possèdent un sens spécifique et dénué d'ambiguïté seulement parce que, du fait d'avoir acheté le livre, on sait bien qu'il y est question d'informatique, et pas de préparation au concours de l'ENA où des termes identiques, "administrateur", "fichier", trouveront un tout autre sens. A contrario, rien dans ces lignes, les transpositions paresseuses et parfois faites à contre-sens de l'Anglais d'origine, l'ignorance et le mépris de la langue, le dédain du style, l'incapacité à organiser le champ étudié en un ensemble logique et cohérent, ne rapproche l'ouvrage du tout-venant des manuels pour informaticiens. Ses auteurs, et ses traducteurs, appartiennent à cette petite catégorie de spécialistes qui ne se contentent pas de leur qualification, et estiment que leur travail ne se limite à présenter des informations aussi exemptes que possible d'erreurs : ils ont, en plus, cette incroyable prétention d'écrire, et de produire un ouvrage qui ressemble presque à un livre normal, où l'on fait attention à la forme parce que l'on sait qu'elle facilite grandement la compréhension du fond, où l'on se permet aussi quelques pointes d'humour et d'autodérision, et cela même si rares sont ceux qui s'en rendront compte, et que votre éditeur n'est pas près à vous allouer un seul dollar pour ce travail-là.
Il s'agit donc du Système Linux, de Matt Welsh, Kalle Dalheimer et Lar Kaufman, paru, bien sûr, chez O'Reilly. Même si la traduction, qui, par la force des choses, n'est plus l'oeuvre du seul René Cougnenc, se montre moins élégante que celle de la première édition, ce livre reste un grand, et rare, moment d'intelligence en informatique, au sens localisé du terme.

un père fondateur

, 19:26

Pour celui qui avait échappé à l'extermination des juifs par les Nazis, traversé les années grises de la Pologne socialiste et participé dès l'origine au mouvement qui allait lancer la transition démocratique en Europe de l'Est, la mesquinerie exemplaire avec laquelle le gouvernement des frères Kaczynski tenta de l'impliquer dans sa vilaine chasse aux sorcières ne méritait sans doute qu'un haussement d'épaules.
Lorsque, avec d'autres pays qui, autant qu'elle et plus que tant d'autres, méritaient d'être européens, la Pologne rejoignit l'Union Européenne, Bronislaw Geremek fut proposé à la présidence du Parlement de cette Europe enfin réunie. Que l'on ait, à sa place, choisi de céder à l'ordinaire routine d'un candidat d'appareil montre à quel point la médiocrité se partage. Désormais, il est trop tard.

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