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CCCM

, 19:21

Certains déséquilibres, profonds et durables, entre offre et demande se trouvent parfois, pour de simple raisons réglementaires, bien difficiles à combler. Ainsi en est-il de l'adéquation entre les lieux de culte existants, et la demande de fidèles qui ont la mauvaise idée de ne pas adhérer à la religion historiquement dominante dans notre beau pays, le catholicisme. Tel est, bien sûr, le cas des musulmans qui, arrivés en grand nombre au cours des dernières décennies en provenance de pays fort variés, ont de plus la propriété contrariante d'entretenir des conceptions très divergentes, et parfois violemment opposées, d'une religion qui, à l'inverse du catholicisme, n'a rien de monolithique. En vigueur sur la quasi-totalité du territoire métropolitain, la loi du 9 décembre 1905 rajoute un degré à la complexité de cette situation, puisqu'elle interdit à la puissance publique de se mêler de ces affaires, donc d'aider qui que ce soit à construire quelque infrastructure religieuse que ce soit.

Et pourtant, d'une façon ou d'une autre, il faut bien que, sauf à laisser aux pays de la Péninsule arabique le soin de financer ce culte, et cela, bien évidemment, de la manière la plus transparente et sans entretenir l'ombre d’une arrière-pensée politique, l’État intervienne. La solution sera trouvée en partie grâce au travail d'orfèvre du spécialiste en la matière, le Conseil d’État lequel, rendant une série d'arrêts, permet que les deniers publics servent à la construction de mosquées, à la condition impérative de ne pas les appeler ainsi. Supposés offrir des services culturels accessibles à tout un chacun, tout en offrant aux musulmans un lieu où pratiquer leur religion dans des conditions convenables, les Centres Culturels et Cultuels Musulmans sont nés de cette façon, et portent la marque des bons compromis, ceux qui ne mettent en fureur que les extrêmes, de quelque bord qu'ils soient. Sortir de la clandestinité permet en outre de voir émerger des bâtiments de fort bonne qualité architecturale.
À Boulogne-Billancourt Pierre-Louis Faloci, déjà auteur de la jolie petite église de l'opération Paris Rive Gauche, a livré en 2011 un bâtiment qui vaut un peu comme un prototype du genre, la discrétion quant à sa fonction cultuelle ne se retrouvant guère que dans les synagogues récentes, telle celle de la rue Jean Nohain. À Paris, à la Goutte d'Or, Yves Lion construit sur deux emplacements distincts un Institut des Cultures d'Islam qui regroupe annexes de la Grande Mosquée de la rue Saint-Hilaire et équipements culturels divers. À Clichy-la-Garenne, les choses se sont révélées être un peu plus compliquées.

Historiquement, diverses associations locales concurrentes se sont partagées des lieux de culte improvisés, provisoires, puisque l'un d'entre eux devait être démoli pour laisser la place à une école maternelle, et parfois insalubres. Mais la solution du Conseil D’État a permis l'ouverture en 2013 de l'un de ces CCCM, aménagé par l'agence Croixmarie/Bourdon dans un ancien entrepôt situé à proximité de l'axe de circulation majeur qui traverse la ville du sud au nord, dans une petite rue pas trop éloignée du centre. Le soin apporté à une réalisation qui, comme les autres, ne porte extérieurement aucune marque distinctive, la surface disponible, l'agencement qui permet de séparer nettement le cultuel du culturel, la situation géographique assez favorable, contribuent au succès d'une opération qui, à peu de frais, satisfait toutes les parties intéressées. Hélas, elle souffre d'une faille irrémédiable, puisque, loin des baux accordés pour 99 ans qui sont la règle du genre, l'association locale qui la gère ne l'occupe qu'à titre provisoire, le bail prenant fin dès 2016.

Or, en 2015, à cause d'un dommage électoral collatéral, la ville, socialiste depuis le congrès de Tours, passe sous pavillon Les Républicains. La première tâche du nouveau maire consistera à publier sa photo sur tous les panneaux d'affichage municipaux. Son prédécesseur étant resté trente ans en poste, on comprend qu'il éprouve un besoin impératif d'être reconnu par ses concitoyens. Mais, très rapidement, il revendiquera l'usage du CCCM, dont les locaux accueilleront une médiathèque qui, naturellement, existe bel et bien, depuis des décennies, dans le grand bâtiment administratif qui marque le centre de la ville. Cette implantation, en d'autres termes, a tout du prétexte, mais un prétexte profitant de la meilleure des justifications, la culture, pour tous. Les musulmans, quant à eux, devront aller prier ailleurs, dans une salle de fortune aménagée en un lieu stratégique. Le sinistre immeuble de bureaux qui l'accueille se situe en effet à une centaine de mètres de la Seine, qui borde la ville côté nord, et à guère plus de dix mètres de la limite communale et départementale qui sépare Clichy de Saint-Ouen. Impossible, en d'autres termes, même au bout de longues recherches, de trouver lieu plus excentré, plus éloigné des habitations, plus inadapté à sa nouvelle tâche. Naturellement, les fidèles protestent. Ferme sur le fond le maire, dans un geste d’une bouleversante générosité, leur laisse jusqu'à la fin du ramadan avant de vider les lieux.

La cérémonie d'inauguration de cette nouvelle implantation donne une idée des enjeux clientélistes qui sous-tendent ce déplacement. La présence du responsable d'une structure musulmane de dimension nationale et plutôt bien en cour laisse suspecter un renversement d'alliances, l'association locale gérant l'ancien CCCM payant sans doute son lien avec le pouvoir socialiste, tandis que le CFCM sera ravi de se voir ainsi offrir le contrôle d'un lieu de culte qui lui échappait. Mais, de façon plus élémentaire, on ne peut s'ôter de l'idée que le bâtiment de Croixmarie/Bourdon, au fond, était bien trop beau pour des musulmans, lesquels doivent s'estimer heureux qu'on ait la bonté leur concéder un lieu pour leur pratique. Et l'on se doit de constater aussi qu'on trouve là une bien étrange façon de décourager les vocations salafistes.

pérennité

, 19:04

Le plaisir que suscite l'analyse détaillée de ces rapports que personne ne lit jamais ne relève pas seulement d'une certaine forme de perversité, une bibliomanie nouveau genre qui conduit à stocker des terra-octets de fichiers .pdf rarement lus sur ses disques durs. Car, en particulier lorsque leur contenu montre une légère dissonance avec ce que croit le sens commun, et ce que veulent faire croire les politiques, ils ouvrent sur des hypothèses de recherche du plus haut intérêt. À ce titre, le tout récent bilan d'AIRPARIF sur la pollution de l'air en Île-de-France constitue un cas d'école.

Il existe deux manières de lire ce rapport : se contenter du résumé alarmiste qui tient sur ses deux premières pages, ou entrer dans les détails, et envisager la question polluant par polluant et selon une vision diachronique qui remonte parfois jusqu'au milieu des années 1950. Là, la perspective change. Pour moitié, le contenu de ce bilan déroule la longue litanie des polluants disparus : le plomb, le souffre ne sont plus guère mesurables ; la concentration de cadmium est 50 fois inférieure aux normes. Pour le monoxyde de carbone on atteint, au pire, le quart des valeurs limites. Pour réussir à trouver du mercure, il faut aller le chercher à sa source : à Paris, il s'agit du crématorium du cimetière du Père Lachaise. Salauds de morts, qui s'obstinent à empoisonner les vivants.
Même les polluants qui dépassent encore les normes voient leur concentration diminuer plus ou moins rapidement. Ainsi, estime AIRPARIF, en 2007, 5,6 millions de franciliens étaient exposés à des niveaux excessifs de ces fameuses particules fines PM10 ; en 2015, même pas dix ans après, ils ne sont plus que 300 000. À ce propos, l'association propose un saisissant histogramme des concentrations hivernales de fumées noires, cet espèce d’ancêtre des particules qui, longtemps, a décoré les murs de pierre de la capitale. En 1957, on mesurait une concentration de 187 µg/m³ ; aujourd'hui, elle est tombée à 11. Moins franche, l'évolution des oxydes d'azote qui, comme le montre un document de l'ADEME dépendent très majoritairement, eux aussi, du diesel, reste positive. Et si la valeur limite annuelle de 40 µg/m³ est toujours dépassée tel est, comme on l'a montré par ailleurs, le cas pour absolument toutes les métropoles européennes, y compris Stockholm, Oslo, Copenhague ou Amsterdam. En d'autres termes, ce qui n'a pas encore trouvé de solution définitive reste sur la lancée d’une amélioration constante.

Mais, nécessairement, bien d'autres lectures de ce document sont possibles. On ne s'étonnera guère que la grande presse, laquelle, d'ailleurs, généralement, l'ignore, se contente de broder de façon tendancieuse sur la dépêche de l'AFP, mettant en exergue le chiffre le plus spectaculaire, et confondant par ailleurs allègrement les recommandations de l'OMS, sans valeur légale, et les normes européennes qui sont, elles, contraignantes.
De manière un brin paradoxale, ce rapport fournit par ailleurs la meilleure des cautions pour contester la politique prohibitionniste que la mairie de Paris souhaite mettre en place contre les véhicules individuels à essence, et les motocycles en particulier. Servilement exposé dans un récent article qui prouve, une fois de plus, à quel point les motards représentent un terrain de choix lorsque l'on souhaite observer le racisme de classe en action chez les catégories intellectuelles moyennes et supérieures, l'argumentaire municipal met notamment en avant ce monoxyde de carbone dont on vient de voir combien sa concentration restait bien en deçà des normes. On souhaite bonne chance au conseiller d’État qui tentera d'en tirer argument pour rédiger un décret d'interdiction.

Sur un plan plus général, un bilan de ce genre, et l'opposition entre le bref et catastrophiste résumé pour décideurs qui l'ouvre, et les analyses détaillées qui suivent, conduit à évoquer une question classique, celle de la manière dont une institution peut assurer sa pérennité lorsque sa raison d'être devient de plus en plus floue.
Que faire lorsqu'une entreprise réformatrice a réussi ? Que devient l'Organisation Mondiale de la Santé lorsque son long combat contre les maladies infectieuses a connu un succès tel, et un succès loin de se limiter aux seuls pays développés, qu'il permet à une frange dangereusement croissante de parents si préoccupés du bien-être de leur enfant de refuser une vaccination jugée dangereuse ? Quel avenir pour AIRPARIF si une part des polluants qu'elle mesure ont simplement disparu ? Comme justifier le maintien sinon d'une structure, du moins de certaines de ses activités et des dépenses qu'elles entraînent, lorsqu'elles ne servent plus à rien ?
Christiane Cellier avait créé une fondation portant le nom de sa fille disparue dans un accident de la circulation routière pour élargir l'audience de ce problème public. Quand elle a considéré cette tâche comme accomplie, elle l'a dissoute. Bien rares sont les entrepreneurs de morale qui se comportent de la sorte ; et, sous un nouveau nom, cette structure existe toujours. Car la seconde solution consiste à s'éloigner de son champ d'activité originel pour conquérir de nouveaux territoires, et construire de nouveaux problèmes qui assureront la survie de l’institution. Peu importe que la matière manque, et qu'elle soit de plus en plus illusoire : changeons les règles, ne soyons pas trop regardants sur la validité statistique de modèles qui ne seront de tout façon compris et diffusés que par des acteurs qui partagent les mêmes intérêts, et l'avenir nous appartiendra. Ainsi l'OMS se mêle-t-elle maintenant de sécurité routière, l'érigeant en problème aussi pressant que capital.

Cette question, pour AIRPARIF, se pose. C'est ainsi qu'il faut lire les deux premières pages de ce rapport, avec ce "bilan mitigé" et son chiffre choc, "1,6 million de franciliens potentiellement exposés", chiffre qui, seul, aura les honneurs de la presse. Et sans doute, pour que ses ingénieurs puissent continuer en paix à noter les mesures que donnent leurs instruments faut-il que, à l'échelon du dessus, les responsables de l'association tordent un peu leurs conclusions de façon à offrir à la tutelle politique ce qu'elle attend, et à la presse hétéronome que celle-ci subventionne ce qu'elle désire.

NOx

, 19:27

Donc, la ZAPA revient. En l'espèce, pour l'heure, elle se présente sous la forme d'un simple vœu du Conseil de Paris, lequel a connu une première application en juillet dernier, limitée aux poids-lourds et autobus les plus anciens. Jusque-là, tout va bien. Réclamées à corps et à cris depuis des années, ces zones qui restreignent la circulation des véhicules les plus polluants et dont on a déjà abondamment traité ici ne s'attaquent guère qu'à la substance réellement nocive, les particules fines, et à ses plus gros émetteurs dans le trafic, les véhicules de plus de 3,5 tonnes. Mais le plan de purification que prévoit le municipalité rose-verte va bien plus loin, puisqu'il vise notamment à interdire, dans un délai de cinq ans, la totalité du parc actuel de motocycles. Même si une telle radicalité la condamne, même si cette décision ne va pas au-delà d'un effet de manche politicien et démagogue, il faut malgré tout prendre cette prohibition au sérieux, dans la mesure où dès juillet prochain elle fera ses premières victimes chez les automobilistes et les motocyclistes. Et une des manières de le faire consiste à se livrer à un travail que la mairie juge à l'évidence superflu, étudier la pertinence de ces mesures en termes de protection de la santé publique, analyser aussi leurs conséquences sociales. Écrivant cela, on a pleinement conscience du caractère aussi vain que désuet d'un exercice qui vise à s'appuyer sur des données scientifiques, et pas sur des impressions confortées par un sondage d'opinion. Hélas, on ne se refait pas.

Puisque ces zones existent déjà depuis nombre d'années dans bien des pays européens, on peut d'abord dresser un bilan de leur efficacité. L'ADEME s'est attelée à cette tâche voici peu, et le copieux rapport qu'elle a publié se montre pour le moins nuancé, en particulier en ceci que la baisse effective des émissions de véhicules ne se retrouve guère dans l'air ambiant. En ce qui concerne les oxydes d'azote, les baisses sont généralement au mieux de 3 % ; quant aux particules, si les résultats sont plus significatifs, leur interprétation reste délicate, tant les sources en sont variées, et loin de se limiter aux seuls moteurs diesel. Et puisque la diversité des tailles, des densités, des conditions météorologiques complique les comparaisons entre métropoles, il est sans doute plus pertinent de se contenter de rapprocher la zone urbaine de Paris de son plus proche équivalent sur ces divers points, le grand Londres.
Malheureusement, une autre difficulté apparaît alors : le King's College, en charge du réseau londonien de surveillance de l'air s'acquitte fort mal, sinon de cette tâche, du moins de son devoir d'information du public. Loin de la richesse des données publiées par Airparif, il se contente de fournir des relevés ponctuels, et, en fait de bilan annuel, d'une simple énumération de chiffres. Tout au plus peut-on obtenir ainsi une liste des récents épisodes de pollution, lesquels, en 2015, pour ce qui concerne les particules, se sont produits du 19 au 23 janvier, du 9 au 12 février, du 17 au 20 mars, les 8 et 9 avril. Un très malencontreux hasard explique peut-être que ces dates coïncident exactement avec celles que relève Airparif. Mais, plutôt que le hasard, on peut sans doute invoquer des causes générales et communes à l'Europe de l'ouest, liées à des sources sans rapport avec les émissions locales des véhicules et sur lesquels, donc, une zone de basses émissions n'aura aucun effet.

Un autre axe d'analyse relève de la santé publique. Les épidémiologistes liant la déplorable qualité de l'air à une diminution significative de l'espérance de vie, la souffrance des parisiennes et des parisiens doit bien se retrouver dans les chiffres, ceux de l'INSEE en particulier qui a la bonne idée de tenir à jour des statistiques de l'espérance de vie classée par département, lesquelles permettent donc des comparaisons à l'intérieur du territoire national. En ne s'intéressant qu'aux hommes, chez qui ce paramètre est plus problématique, on peut dresser l’histogramme suivant, qui ménage quelques surprises. Car, bien sûr, le département où, avec une moyenne de 81,1 ans, les hommes vivent le plus vieux, c'est Paris, juste devant les Hauts-de-Seine. Le bon air pur des Côtes-d'Armor réussit fort mal à ses habitants puisque, là, cette moyenne tombe à 76,8 ans. Et en Seine Saint-Denis, département classé en 36ème position, elle est de 79 ans, soit plus de deux ans d'écart avec ses proches et si lointains voisins. C'est que la durée de vie ne dépend en rien de l'effet infinitésimal de la qualité de l'air, mais plutôt de fort mauvaises habitudes en termes de nourriture et de boisson, et plus encore de la pauvreté avec tout ce qui l’accompagne, des emplois insalubres et dangereux aux difficultés d'accès aux soins.

C'est cette population fragile qu'une municipalité de gauche se donne comme objectif d'enfoncer un peu plus, elle qui ne peut se payer que de vieux véhicules. S'imaginer, chaque fois qu'Airparif notifie l'alarme, victime du brouillard pékinois ou du smog londonien suffit à justifier les mesures les plus coercitives, quelles que soient leurs conséquences pour les plus faibles, et quand bien même leur effectivité serait nulle ce dont, évidemment, l’aristocratie rose-verte n'a que faire. Dans la Metropolis hidalgienne aussi la place qui revient aux citoyens de seconde zone se trouve sous terre. Et les plus mal lotis, comme toujours, roulent à moto.
Le plan, à terme, prévoit l'éradication quasi-totale d'un véhicule sans lequel, aujourd'hui, à Paris, plus aucun déplacement de quoi que ce soit n'est concevable. Avec ses émissions de particules négligeables, avec comme seul polluant notable ces oxydes d’azote qui, à Paris, n'ont plus provoqué d'alerte depuis bientôt 20 ans, il est pourtant, logiquement, partout en Europe sauf dans quelques villes italiennes, exonéré de toute restriction. En 2020, le plan municipal prévoit d'éliminer les motocycles Euro 3, lesquels, selon la norme, émettent 150 mg/km de NOx. À cette date les véhicules diesel Euro 4 qui, en principe, en émettent 250 mg/km, auront toujours le droit de circuler. Autant dire que le défi sera relevé : le 10 octobre, partout en France, le monde motard sera dans la rue. Parisiennes et parisiens, gardez vos enfants en bas âge à la maison, fermez soigneusement vos fenêtres : ça va chier.

CISR

, 19:27

Il paraîtra bien audacieux de prétendre que, depuis dix-huit mois, la mortalité routière sur les routes de France ne connaît pas de hausse globale. Il est pourtant élémentaire de démontrer ce point, en s'appuyant sur les bulletins statistiques mensuels, certes fragmentaires et provisoires, que publie l'ONISR, et en comparent les derniers chiffres connus, ceux du mois d'août, à février 2014. Suffisamment éloignée dans le temps pour autoriser des comparaisons pertinentes, cette date correspond aussi à un moment particulier, celui du plus bas niveau historique de la mortalité automobile. Depuis lors, deux catégories d'usagers n'ont connu aucune évolution, avec une complète stabilité du nombre des décès : les piétons, et les motocyclistes. Deux autres ont vu leur mortalité augmenter, les cyclomotoristes de 6,6 %, les cyclistes de 8,2 %. Avec respectivement 11 et 12 tués de plus, la robustesse statistique de ces données reste toutefois faible.
Il en va tout autrement avec les automobilistes. Ici, la moyenne mobile des victimes annuelles passe de 1576 tués en février 2014 à 1765 en août 2015. En effectifs, la hausse atteint 189 tués, en pourcentage, 12 %. Et cette croissance, depuis février 2014, est monotone et continue. En d'autres termes, il n'y a pas de hausse de la mortalité routière : il y a une hausse régulière et statistiquement significative de la mortalité des automobilistes, lesquels représentent 86,3 % des 219 tués surnuméraires comptabilisés depuis février 2014.

Il fallait donc réagir : le Premier Ministre l'a fait en convoquant pour la première fois en quatre ans un Comité Interministériel de Sécurité Routière. Inauguré en 1973, le CISR, organe suprême de la politique française de sécurité routière, réunit en principe tous les ministres intéressés au problème, et rend public sous forme d’une liste de mesures aussi copieuse que variée les arbitrages entre les divers services de l’État, chaque ministère soutenant bien sûr les propositions qui le gênent le moins. Mais pour un observateur attentif de la question, la déception l'emporte. La haute fonction publique qui dépense des trésors d'imagination pour inventer du neuf sans pour autant rien changer de significatif à une politique qui, depuis plus de quarante ans, explore toujours la même voie, a visiblement épuisé ses ressources. On aura du mal à trouver quoi que ce soit de remarquable dans ce catalogue de décisions de troisième ordre dont certaines, comme la création d'un "label du type EuroNCAP" pour les deux-roues motorisés, relèvent d'un humour noir pas nécessairement involontaire.
Par pure bonté d'âme, on retiendra malgré tout la petite perfidie du point n°6, qui étend la verbalisation à la volée au défaut de port du casque. À l'évidence, l’État vise ici l'impunité du jeune de banlieue sur son cyclo trafiqué, lequel nargue les autorités en sachant fort bien que personne n'osera l'intercepter, au risque de provoquer un accident potentiellement mortel qui dégénérera nécessairement en émeute.

À une notable exception près, les coupables habituels s'en sortent sans grand mal. Ils bénéficient simplement, avec l'introduction d'une visite technique à la revente d'un motocycle ou avec l'obligation de se protéger les mains, de la vieille tactique de la grenouille ébouillantée laquelle, et il s'agit sans conteste d'une originalité marquante, s'étend désormais aux cyclistes puisque les moins de douze ans seront contraints de rouler casqués. Mais, en quelques mots, ce CISR va aussi bouleverser et le mode d'accès à la moto, et l'économie du secteur.
Un petit rappel technique se montre ici nécessaire. La directive 2006/126/CE relative aux permis de conduire prévoit deux parcours pour les futurs motards : se présenter à l'examen dès 18 ans et obtenir ainsi le permis A2, lequel ouvre accès à des machines d'une puissance inférieure à 35 kW avant, après l'acquisition de deux ans d'expérience et au prix d'une formation complémentaire, d'accéder au permis A, ou tenter directement le permis A, à la condition d'être âgé d'au moins 24 ans. Entrée en vigueur en France début 2013, cette directive, à cause de propriétés sociales et démographiques caractéristiques de la pratique motocycliste actuelle, a probablement déçu les espoirs de ceux qui pensaient mettre ainsi un frein à l'attrait mortifère de cette machine infernale. Car si la capacité socialement obligatoire de conduire une automobile s'acquiert dès que possible, le mode de la distribution des âges en 2013 s'établissant ici à 18 ans, l'option moto, massivement empruntée puisque, en gros, aujourd'hui, un homme de moins de 45 ans sur quatre la possède, s'exerce souvent bien plus tard : pour le permis A2, celui que l'on peut passer à 18 ans, le mode se situe dans la tranche 20-24 ans, tandis que pour le permis A, il serait plutôt entre 25 et 29 ans, avec une proportion significative, 8,1 %, de permis obtenus au delà de 50 ans. Dès que possible, on s'acquitte de la formalité du permis B : ensuite, plus ou moins tard comme le montre l'étalement de la distribution des âges, par choix personnel et réfléchi, ceux qui le désirent passent à la moto.

Cette pratique scandaleuse que le premier Délégué interministériel à la sécurité routière, Christian Gérondeau, a combattue à la fin des années 1970, et condamnée au nom de son "hédonisme", perturbe toujours autant les moralisateurs. Le gouvernement Valls a rejoint ce clan, en décidant de simplement supprimer la seconde voie. Or, celle-ci était la plus empruntée, puisque 63 % des permis délivrés en 2013 ressortaient de la catégorie A. C'était, de plus, la préférée des femmes qui, comme on le sait, veulent des Harley. Faible mais en forte croissance, le taux de féminité du permis A était significativement supérieur à celui du A2. Et puisque la directive présente cette seconde voie comme une simple option, les perspectives d'un recours juridique semblent faibles.

Au-delà de l'invocation d'un imbécile modèle behavioriste qui ferait honte au plus obtus des psychosociologues, l’État serait bien en peine de démontrer ce qui, dans sa politique de sécurité routière, a été efficace. Car il a toujours évité d'évoquer quantité de facteurs, ces mains invisibles dont parle Jean Orselli, et en particulier cette composante sociale de l'accident qu'il a systématiquement négligée. Désormais principal facteur d'une hausse qui semble se poursuivre, le comportement de ses bons élèves automobilistes devrait l'inciter à sortir de la routine bureaucratique des CISR avec leur catalogue standardisé d'annonces. Mais la contrainte de la dépendance à la Paul Pierson ou du paradigme selon Claude Gilbert reste invincible, et la solution de facilité, ne rien changer de fondamental et s'en prendre à la minorité, toujours aussi attirante. Pouvoir méprisable, qui traite ses citoyens-électeurs comme des mineurs incapables de discernement. Pouvoir imbécile, qui n'a rien appris en quarante ans, fait semblant de croire à l'efficacité de son charlatanisme, et veut ignorer comment ces mêmes citoyens dénoueront ses entraves pour malgré tout continuer à faire ce qu'ils ont décidé de faire, et rouler à moto.

plastique

, 19:25

Il ne s'agit, en première analyse, que de l'un de ces communiqués de presse comme les ministères en produisent par dizaines chaque jour. Même pas long de trente lignes, celui-ci décrit comment, et pourquoi, la ministre de l’Écologie a, à l'occasion d'un déplacement à Bordeaux et devant une assemblée acquise à la cause de la défense des océans et des animaux qui y vivent, annoncé une mesure à l'effet quasi-immédiat, puisqu'elle entrera en vigueur dans à peine plus de trois mois, et aux conséquences radicales. Interdire la distribution de sacs en plastiques à usage unique dans les commerces permettra en effet de sauver les tortues marines, qui ont une fâcheuse tendance à confondre ces intrus indigestes avec les méduses dont elles se nourrissent. Or, chacun des termes de ce communiqué mérite d'être analysé, sinon dans l’ordre, du moins en détail, tant il offre un exemple idéal-typique de ce à quoi se réduit aujourd'hui en France une certaine catégorie de politiques publiques.

Une décision de ce genre obéit d'abord à une rationalité de façade, laquelle doit au minimum faire appel à deux types d'arguments : des justifications, statistiques de préférence, et des effets, si possible quantifiables. Ici, les chiffres résonnent, implacables : 17 milliards de ces sacs, nous dit le communiqué, sont distribués chaque année en France, et 8 milliards d'entre-eux, soit presque la moitié, finiront abandonnés aux quatre vents. Immédiatement, une telle proportion surprend. Car le triste destin de ces objets si pratiques, utilisés qu'ils sont dans un environnement urbain avant de se retrouver, après un certain nombre de ré-emplois, avalés par une benne à ordures, les conduit à finir brûlés à des températures proches des 1 000° dans l'un de ces centres d'incinération qui, en Île de France, ornent la petite couronne parisienne. On a du mal à imaginer comment, après un tel traitement, ils pourraient encore représenter une menace pour la faune marine.
Les termes du communiqué ministériel paraissent donc pour le moins suspects : il semblerait, d'après le compte-rendu d'une intervention qui a surtout intéressé la presse locale avant que La Croix n'y revienne quelques jours plus tard, que ces chiffres concernent en fait une Europe qui, par ailleurs, légifère, et pas uniquement la France. Alexandre Delaigue, immédiatement sur le pont, évoque un subtil mélange entre données nationales et européennes. Au mieux, cette justification statistique reste donc sujette à caution. Au pire, et l'observateur habitué aux opérations de grossissement grâce auxquelles une question mineure acquiert l'ampleur d'un problème déterminant à traiter de toute urgence se doit de retenir cette seconde hypothèse, on a affaire ici à une pure falsification.

Le problème ne se situe pas tant en amont, avec le fait de produire ces sacs, qu'en aval, dans la façon de s'en débarrasser. Une action publique occupée d'autre chose que d'effets de manche à peu près gratuits chercherait plutôt à en finir avec ces décharges qui subsistent encore à droite et à gauche, pour les remplacer par ces usines d'incinération qui, depuis qu'elles ont été requalifiées en centres de valorisation des déchets, semblent échapper à la vindicte populaire. Malgré tout, un obstacle infranchissable subsisterait encore : les frontières. Une politique seulement nationale n'apportera aucun soulagement à la crise des ordures libanaises, et n'empêchera pas le jeu pervers des courants marins qui, quelle que soit leur origine, transporteront inévitablement ces déchets-là à portée de gueule des tortues marines. Son effet, en d'autres termes, sera, sur le problème qu'il prétend combattre, doublement nul, parce que la question n'a de sens qu'à l'échelon mondial, et parce que les pays développés, dotés d'infrastructures de traitement des ordures, sont précisément ceux qui ont la faculté de la résoudre.

Aucun des participants à la causerie bordelaise ne peut ignorer des données aussi évidentes. Aussi faut-il, en appelant une fois de plus à la rescousse ce brave Joseph Gusfield et sa vision de la politique publique comme dramaturgie, plutôt analyser ce décret comme une mise en scène avec ses acteurs, ceux qui se montrent, la ministre, les écologistes, et ceux que l'on ne voit pas, les conseillers en communication, les fonctionnaires de l'Environnement. Un ministre ne se déplace pas devant une assemblée de porteurs de cause sans que son équipe ne l'ait, au préalable, muni de quelques mesures à annoncer. Introduite dans le pipeline depuis quelque temps, l'interdiction des sacs, qui ne fait que préciser le calendrier, répond aux exigences, puisqu'elle apporte la preuve de sa détermination, et plus encore de son aptitude à punir les coupables.
Car si quelque chose doit retenir l'attention dans cette petite représentation fort convenue, ce sont ses composantes symboliques. La ministre parle pour punir, punir ces pollueurs qui étouffent les tortues, désormais hors d'état de nuire avec leur petite activité et ses quelques dizaines d'emplois. Punir aussi ce complice de toujours, cette grande distribution à laquelle on interdit d'écouler ses stocks, lesquels finiront donc, à ses frais, à la décharge. Et elle utilise pour cela un registre qu'elle pratique depuis des décennies, celui de l'infantilisation.
Le vaste catalogue des politiques publiques moralisatrices fonctionne toujours de la même façon, en stigmatisant quelques méchants, et en rendant le monde élémentaire grâce à un artifice qui, ici, instaure une relation directe entre l'interdiction de ces sacs sur le territoire national et la sauvegarde de la faune marine, relation qui ne se conçoit que dans un univers magique. Dans ce registre, le décideur politique n'occupe d'autre fonction que celle du maître d'école, faisant la leçon, distribuant les punitions, montrant le bon exemple. Dans une de ses premières apparitions publiques, Ségolène Royal, déjà, au nom de la défense du jeune public, stigmatisait, et prohibait, en l'occurrence ces premiers anime tels Dragon Ball Z qui apparaissaient alors dans les programmes télévisés, quand bien même il n'était pourtant pas difficile de voir là la naissance d'une esthétique de première importance. Son rôle, son emploi pour filer la métaphore théâtrale, depuis, n'a absolument pas évolué.

inspections

, 19:03

Réunis à Kaysersberg en assemblée annuelle les coupeurs de plants ont profité de l'occasion, un peu comme un congrès de notaires organisé dans la capitale et dont les participants, le soir venu, s'encanaillent au cabaret, pour retourner sur le lieu d'un de leurs récents exploits, le centre de recherche de l'INRA à Colmar. Là, armés de leur audace et sûrs de leur bon droit, ils se sont fait ouvrir les lieux, et, de la même manière qu'un contrôleur fiscal fouille les poubelles d'un possible fraudeur, ont procédé à une inspection, s'assurant que les chercheurs n'avaient pas illégalement reproduit les expérimentations qu'ils avaient détruites, tout en leur interdisant de les poursuivre.
L'ironie de l'actualité veut que cette intervention se produise au moment même où d'autres acteurs, eux aussi partie prenante du monde agricole mais qui se placent aux antipodes des valeurs défendues par les activistes écologistes, ont recours exactement aux mêmes méthodes. Les producteurs de porcs, ces hideux représentants de l'agriculture productiviste, s'invitent, de la même manière, en des lieux où ils seront aussi peu bienvenus, cantines, grandes surfaces, grossistes voire même, tant qu'à faire, les cuisines du casino de Forges-les-Eaux. Là aussi, ils procèdent à des contrôles ; là aussi, ils décrètent, inspectent, rejettent, réprouvent, détruisent parfois une marchandise parfaitement conforme à la législation mais qui a le malheur de ne pas avoir été produite sur le sol national. Parfois, suivis par ces équipes d'actualité télévisée qui, bizarrement, ont fait défaut à Colmar, ils s'offrent le plaisir supplémentaire d'une petite humiliation publique à la Harold Garfinkel, sermonnant tel responsable lequel, honteux, baisse la tête, lâchement soulagé de s'en tirer à si bon compte.

Car, comme le faisait remarquer Alexandre Delaigue, les vandales de Colmar jouent bien aux gardes rouges, rappelant à ceux qui voudraient l'oublier d'où vient leur éducation idéologique, et de quelle manière ils comptent la mettre en œuvre. Ils vérifient eux aussi que la science qui se pratique dans ces espaces obéit bien à leurs préceptes révolutionnaires, humiliant au passage ceux qui s'obstinent à ne reconnaître d'autres maîtres que la rigueur et la véracité. Au fond, ils ne se distinguent guère de leurs prédécesseurs maoïstes que par un usage plus subtil de la violence, subtilité contrainte puisque l'appareil maigrichon du parti éprouverait quelques difficultés à les soutenir s'ils se comportaient exactement comme leurs devanciers, subtilité utile aussi puisqu'elle leur permet de revendiquer, devant une presse complice, une action non-violente. Mais le principe, celui d'une science soumise à l'impératif politique et que n'importe quel citoyen doit être en mesure de contrôler puisque le seul fait d'être citoyen lui procure les capacités nécessaires, demeure : aussi attend-on avec impatience le moment où ces pourfendeurs de la science confinée s'introduiront dans un laboratoire P4.
L'identité des méthodes ne doit pas masquer les différences substantielles qui distinguent les faucheurs des éleveurs. Coincés dans leur monde fermé, dépendants d'une action publique désormais impuissante puisqu'elle n'a pas plus la capacité d'imposer un prix que de fermer les frontières, les agriculteurs tentent d'améliorer leur situation par ce recours à une violence pratiquée depuis des décennies dans le monde rural, et dont les conséquences judiciaires restent généralement fort modestes. Sans doute faut-il voir là l'effet du principal atout dont dispose cet univers, un poids électoral bien plus élevé que son importance démographique. Les faucheurs, eux, ne possèdent aucun capital de cette sorte ; leur seul force réside dans leur activisme, ce qui rend d'autant plus inquiétants les succès qu'ils ne cessent d'obtenir.

Cinq ans après, la molle réaction de l'INRA qui se contente de faire part de sa résignation sans même trouver utile de se fendre d'une petite protestation, d'un simple communiqué, et annonce le dépôt d'une plainte qui, vu l'historique judiciaire de ces actions, restera de pure forme montre comment les choses ont évolué. La lâcheté, ici, n'appartient pas seulement à ceux qui, en première ligne, renoncent à toute résistance et se satisfont d'une humiliation qui préserve leurs biens. Elle revient surtout à ceux qui les abandonnent. Faire respecter la loi et régner l'ordre, cette mission que les pouvoirs publics revendiquent, et exhibent, sans cesse n'a à l'évidence plus la même universalité que lorsque Max Weber y trouvait le seul principe susceptible de définir sans ambiguïté la nature de l'État. Depuis bien longtemps, ou depuis quelques années, certains acteurs ont manifestement réussi à s'approprier une portion de cet usage légitime de la violence physique : et il serait sans doute du plus grand intérêt de retracer la genèse, l'ethnologie, et la cartographie de cette appropriation.

safety first

, 19:37

Dans la baie de Golfe-Juan le spectacle, sonore et visuel, et surtout sonore d'ailleurs, de l'Alouette III de la sécurité civile s'exerçant au secours aux noyés a longtemps relevé du rituel. L'appareil, dont le premier vol eut lieu en 1959, et qui, avec son prédécesseur l'Alouette II, fondera le succès mondial de ce qui était alors la division hélicoptères de Sud Aviation, fournissait tout ce que, en ces temps d’insouciance, on demandait à une machine : faire le boulot de façon fiable et pour pas trop cher. Rien d'étonnant alors qu'il soit utilisé jusqu'à son dernier souffle, et jouisse d'une longévité de centrale nucléaire. Le dernier exemplaire quittera en effet le service en août 2009, juste cinquante ans après son premier vol. Ainsi connaîtra-t-il une retraite paisible, échappant à l'ignominie qui vient de frapper ses successeurs souffrant, comme lui, du défaut congénital d'être des monomoteurs.
Un règlement européen entré en vigueur en France le 28 octobre dernier vient en effet de reléguer ces machines en catégorie B, au prétexte qu'elles ne présenteraient "aucune garantie quant à la poursuite d'un vol en toute sécurité dans le cas d'une panne moteur". Au nom de cette affirmation pour le moins péremptoire, il leur sera interdit de survoler des zones habitées ou inhospitalières. On peut tenter de deviner le pourquoi de cette nouvelle contrainte, on peut en imaginer les effets : mais on tient là de nouveau, à coup sûr, un magnifique exemple des désastres qu'engendre une certaine façon de produire les politiques publiques européennes, et de les appliquer.

Reprenant un schéma d'analyse devenu classique, on se trouve ici en présence d'une mesure effective, puisque les règlements européens sont d'application obligatoire et immédiate, et efficace puisque, le secteur aérien étant, en permanence, des plus contrôlés, l'administration n'éprouvera aucune difficulté à la faire respecter. Mais son efficience ne sera pas simplement nulle : elle produira des effets autrement plus négatifs que le danger imaginaire qu'elle prétendait combattre.
L'événement étant aussi rare que suivi avec attention, on n'éprouve aucune difficulté à trouver une liste des accidents graves d'hélicoptères survenus sur le territoire national ces dernières années. On le constate, les accidents mortels découlent le plus souvent de collisions avec des câbles, de lignes haute tension ou de téléphériques, ou des parois ; peu nombreuses, les pannes moteur causent d'autant moins de décès que les pilotes sont supposés maîtriser l’auto-rotation, la technique qui permet de profiter de l'énergie accumulée par le rotor pour, en cas d'urgence, réussir à se poser, plus ou moins bien, et avec plus ou moins de casse. Un hélicoptère, au moins, n'a pas besoin, pour ce faire, d'une piste longue de 3000 mètres. Le nouveau règlement, en d'autres termes, dans un pays où l'on n'exploite pas de voilures tournantes pour survoler les étendues glacées de la mer du Nord en direction d'une plate-forme pétrolière, n'apportera aucun progrès en matière de sécurité. Il aura, par contre, un profond impact économique et social sur un petit univers qu'il va totalement bouleverser.

Un récent article des Échos donnait en effet l'état des lieux d'une activité essentiellement pratiquée par des entreprises individuelles, propriétaires d'un unique monomoteur, et qui disparaîtront faute de pouvoir mettre en œuvre la nouvelle réglementation. À terme, un tel sort frappera sans doute aussi l'héliport dit d'Issy-les-Moulineaux, pour le plus grand bonheur de la Marie de Paris qui récupèrera ainsi des réserves foncières qu'elle convoite depuis longtemps. Les conséquences, bien sûr, s'étendront à Airbus Hélicoptères, toujours largement engagé dans le monomoteur ; et, déjà, voilà qu'elles touchent la gendarmerie. Quant aux petits exploitants, ils se retrouvent avec un appareil au domaine d'utilisation sévèrement limité et qui, dans bien des cas, compte tenu de sa durée de vie, n'est sans doute pas amorti.
Ils ne peuvent pourtant même pas le revendre, puisqu’il ne vaut plus rien. On admirera la position des fonctionnaires de la DGAC, sans doute plus habitués à tenir la baguette que le manche, et pour lesquels on peut changer d'hélico comme de vélo. Toute la grandeur hautaine avec laquelle l'administration traite les petits s'exprime dans cette concession d'une bouleversante bonté par laquelle, deux ans après l'adoption du règlement européen, elle leur accorde encore quelques semaines pour s'adapter. Des adaptations, des petites tricheries, des passe-droits, des complaisances locales, sans doute, ils en trouveront : et tout, peut-être, continuera comme avant, jusqu'à l'incident. Volant, en quelque sorte, sans permis, ils se trouveront à la merci du moindre pépin, que leur assureur refusera de couvrir.

Cette question mineure, qui n'intéresse pas au-delà des quotidiens économiques, offre un aperçu limpide du fonctionnement des politiques publiques européennes, dans leur refus du spécifique, dans leur obsession de la sécurité. Il n'est plus question de raisonnement ordinaire, de rapporter les bénéfices aux coûts, de tenir compte de toutes les conséquences. Les faits, économiques, sociaux, et même techniques puisque, au-delà du sens commun, on aurait du mal à démontrer qu'un hélicoptère bi-turbines soit effectivement plus sûr qu'un monomoteur, n'ont plus d'importance. Il n'existe d'autres impératifs que de continuer à avancer, de justifier la fonction du législateur et l'existence de l'administration, de produire quelque chose qui réponde aux attentes présumées du citoyen : et, en l'espèce, rien ne rapporte autant que la sécurité. Qu'il faille pour cela détruite une activité, et donc la source de financement, si modeste soit-elle, qu'elle représente, et qui seule permet à ces politiques de perdurer, n'importe pas. Et la métaphore vaut bien plus largement, dans le temps et dans l'espace. Fatiguée, affaiblie, la structure finira par lâcher. Continuant sur sa lancée le fuselage, avec sa cabine et son poste de pilotage, désormais privé de voilure et de propulseurs, conservera l'illusion d'avancer. Mais il n'avance plus ; il plonge.

naufrage

, 19:44

La Stampa l'affirme, l'épave de la Concorde se trouve désormais en vue du port de Gênes. Aux premières lueurs de l'aube, elle devrait rejoindre sa destination finale, Prà Voltri, à l'ouest de la ville, où quelques heures seront encore nécessaires pour procéder aux ultimes manœuvres. Ainsi prend fin un feuilleton entamé voilà plus de deux ans, lorsqu'un capitaine lâche et vaniteux réussit l'exploit d'échouer son navire contre les rochers du Giglio. Depuis, la compagnie propriétaire du navire, ses sociétés d'assurances, l’État italien ont tout mis en œuvre pour débarrasser l'île de son pesant fardeau. Confiée à l'un des meilleurs spécialistes de la récupération d'épaves, l'opération se déroule pour l'heure de façon nominale. Mais, avant de s'achever, elle aura permis d'assister à un autre spectacle, parfaitement convenu, et pas vraiment inattendu, celui de la bêtise nationale dans son expression la plus crasse.

Les responsables du sauvetage ont choisi la solution techniquement optimale - enlever l'épave et la remorquer jusqu'à un port disposant des infrastructures nécessaires à son démantèlement. Si les premières phases, le redressement du Concordia et son déplacement sur une structure sous-marine semblaient aussi inédites que risquées, le remorquage d'une masse qui ne tient que par ses flotteurs appartient au quotidien des travaux maritimes, où l'on promène d'un bout à l'autre du globe des plate-formes pétrolières autrement plus encombrantes, et dans des mers bien moins accueillantes que la Méditerranée. Seul risque, une évolution catastrophique de la météo, paramètre fortement prévisible et d’autant moins probable que le trajet ne durera que quelques jours.
Cette opération d'une nature banale, mais d'une ampleur inédite, sera de plus entourée d'un luxe de précautions que la Stampa détaille dans une illustration. Précédé d'un navire chargé de repérer d'éventuels cétacés, tiré par deux remorqueurs de haute mer le convoi, qui comprend notamment deux gardes-côtes, une barge, un navire antipollution, sera surveillé par un bimoteur et un hélicoptère des gardes-côtes. Ce qui, au demeurant, n'a rien d'étonnant puisque le trajet, qui contourne la réserve naturelle de l'île de Montecristo, laisse à tribord l'île d'Elbe et son parc national de l'archipel toscan, passe tout près de l'aire maritime protégée des Secche della Meloria et pas très loin du parc national des Cinque Terre, présente un catalogue vaste et diversifié de zones naturelles protégées, et l'on imagine donc que tout sera fait pour que rien ne vienne perturber leur équilibre.

Un pays ami, culturellement, économiquement, géographiquement, politiquement proche, actuel président de l'Union européenne, se lance donc dans une opération de grande envergure, et d'un coût disproportionné puisqu'il représente le double de ce qu'il a fallu investir pour construire le Concordia, pour effacer toute trace physique de l'accident, et ne ménage ni son temps, ni sa peine pour que l'opération se déroule au mieux, et avec succès. La France, que l'affaire ne concerne en rien, pourrait, ne serait-ce que par simple intérêt diplomatique, respecter son choix, et souhaiter sa réussite. Qu'elle ait choisi le comportement inverse, la menace, la défiance, en dit long sur la conception qu'un certain nombre d'acteurs publics ont aujourd’hui de leur rôle.
Embarquée à bord du Jason, un navire qu'on ne retrouve pas dans l'effectif de la Royale mais que, mythologie oblige, on suppose semblable à l'Argonaute, la ministre de l’Écologie, après avoir publiquement humilié son homologie italien, s'est donc offert une petite sortie par mer calme, histoire de constater qu'elle ne pouvait rien voir, les autorités italiennes n'ayant aucune raison de lui laisser franchir la zone d'exclusion de trois milles nautiques entourant l'épave en mouvement, et faisant ainsi, sans le vouloir, la preuve de son impuissance. Mais un politique français ne se laisse pas décourager ainsi : faute d'action, il lui reste toujours un recours, le verbe.

Les quelques articles que la presse nationale consacre au remorquage vibrent d'une unanime schadenfreude. Le culot de ces italiens qui viennent traîner leur épave à quelques milles de notre cap Corse mérite visiblement qu'on leur souhaite le pire. Les arguments rationnels, en effet, manquent pour condamner l'opération, et remuer le précipité des boues rouges de la Montecatini-Edison, une affaire datant de 1972, revient à avouer que l'on ne possède rien de plus récent comme épouvantail à agiter, donc à reconnaître que rien ne permet de douter de la compétence des autorités italiennes en la matière. Il faut pourtant douter, et mécontenter un partenaire, puisqu'on ne saurait laisser échapper une occasion de se mettre en valeur dans ce rôle si confortable, celui du donneur de leçons, celui de l'oiseau de mauvais augure dont on oubliera les prévisions funestes dès que l'histoire sera terminée, mais dont on rappellera longtemps la clairvoyance si jamais les choses tournent mal. Si modeste soit-il, un petit bénéfice de ce type mérite qu'un politique s'y investisse. La récupération du Concordia, confiée à une entreprise américaine implantée sur quatre continents et accompagnée d'un partenaire italien, dirigée par un sud-africain, assurée par des navires britanniques, néerlandais, espagnols, italiens, vaut comme un résumé de ce qu'est le monde d'aujourd'hui, où l'on cherche, et trouve, les compétences les plus spécifiques sans aucun souci des nationalités. Ne voulant rien offrir d'autre qu'un provincialisme mesquin et renfrogné, le gouvernement français, la société civile corse, jouent exactement le rôle qu'on attendait d'eux.

theme park

, 19:44

Si chaque niche a son chien, chaque taxe a son cochon, et les grognements d'agonie du pourceau qu'on égorge retentissent bien plus fort, et s'entendent de bien plus loin, que les jappements discrets des gardiens de niches fiscales auxquels il suffit, d'ordinaire, de montrer les crocs pour obtenir satisfaction. Ces jours-ci, à l'Assemblée, au Quai d'Orsay et dans les couloirs de l'organisation patronale menacée, on assiste donc à une représentation de la comédie fiscale dans son interprétation tragique, puisque l'Assemblée a voté une hausse vertigineuse d’une taxe bien modeste à l'origine, celle dont doit s'acquitter, pour chaque nuitée, chaque client d'un hôtel au moment du départ. Avec, capitale oblige, deux euros de plus supposés financer les transports en commun d'Île de France, on arrive à un chiffre rond, dix euros pour chaque onéreuse et romantique nuit passée dans la capitale avant d'aller faire la queue avec les autres pour admirer la Joconde, dix euros aussi pour, coincé dans un hôtel de Roissy, attendre une correspondance qui n'arrive pas comme prévu.

Le combat en lui-même ne manque pas d'intérêt. Certes, députés comme hôteliers font, ce qui n'étonne guère, assaut de mauvaise foi. La taxe proposée dépend, semble-t-il, de la catégorie de l'hôtel : 5 euros pour un trois étoiles, 8 pour les quatre et cinq étoiles et, on l'imagine, pas ou peu de changement pour les établissements plus modestes, une modularité que les antagonistes s'empressent d'oublier puisque, là où les hôteliers s'indignent d’une hausse uniforme de 500 %, les députés frondeurs prennent en exemple les poches en effet profondes des clients du Crillon, tout en exonérant les habitués du Formule 1. Il n'empêche : à Paris, une nuit dans un trois étoiles pourrait être taxée à hauteur de 7 euros. Or, si la taxe est fixe et journalière, les tarifs, en fonction de la période de l'année, de la durée de séjour, des conditions de réservation, des remises éventuelles, sont infiniment variables. Il se pourrait donc que ce prélèvement, soigneusement séparé du coût de la prestation globale, atteigne presque 10 % de celle-ci et prenne alors l'allure d'une de ces mauvaises nouvelles dont on se souvient d'autant mieux qu'on les apprend au dernier moment, ici, celui du départ. C'est ainsi qu'on construit des réputations.
Voilà quelques années, deux économistes ont rendu au Conseil d'analyse économique un rapport qui, tout entier consacré à le recherche de moyens optimaux pour valoriser la grande culture nationale ou, en d'autres termes, pour faire raquer le touriste, proposait, parmi d'autres mesures telles le doublement du prix d'entrée dans les musées pour les visiteurs extra-communautaires, d'augmenter cette taxe de séjour, citant un montant de l'ordre de 6 % du prix de la chambre. Or, un tel raisonnement repose sur un pari, puisqu'il s'agit de fixer un niveau plus rémunérateur sans pour autant décourager la consommation, et ne tient sans doute pas assez compte d'un certain nombre de paramètres, et en particulier, de la concurrence. Il oublie que les acteurs sont rationnels lorsqu'ils sont près de leurs sous, et que le touriste de masse en provenance des pays émergents appartient à cette catégorie-là. Il oublie que les propriétés sans égal de la géographie française ne s'expriment pas à l'identique dans toutes ses dimensions, ou plus exactement que si la géographie, celle qui contraint à traverser la France pour relier par la route Barcelone à Hambourg et Turin à Londres, reste incontournable, l'histoire affronte de sérieux concurrents, et que les piécettes lancées dans la fontaine de Trevi forment un capital symbolique autrement plus légitime, valorisable, et valorisé, que les tous récents cadenas de la passerelle des Arts dont on cherche déjà à se débarrasser.

Gardien-chef de ce parc à thème qui représente presque 10 % de la richesse nationale, Laurent Fabius s'oppose vigoureusement à cette initiative lancée par les députés de son camp, à la fois pour des raisons stratégiques, puisque ses effets sur la fréquentation touristique ne sauraient être que négatifs, et pour des considérations de tactique politique, les frondeurs passant à l'action alors qu'une mission parlementaire précisément consacrée à la fiscalité du tourisme doit rendre, dans peu de temps, ses conclusions. Aussi, en dehors d'une manifestation supplémentaire des petits soucis de discipline que connaît l'actuelle majorité, l'histoire offre-t-elle un aperçu intéressant de la manière dont certains membres de la représentation socialiste conçoivent le monde économique, et son fonctionnement. Dans cet univers, le choix n'existe pas, l'acteur, le touriste en l'occurrence, prisonnier d'une offre sans équivalent, devient, un peu comme un abonné aux sorties des comités d'entreprises, un actif fixe, que l'on peut alors taxer sans modération. Risqué par lui-même, ce raisonnement devient dangereux lorsque l'on y ajoute cette masse de paramètres, la concurrence, la réputation, les difficultés d'accès, qui, tous ensemble, incitent à passer plus de temps à Londres ou Rome, et moins à Paris. Mais pour la représentation nationale, en fait, le monde est simple, et la solution aux problèmes qu'il suscite élémentaire : il suffit d'un vote, et, disciplinée, servile, la Chine paiera.

épisode

, 19:39

Ainsi donc, démentant les prévisions d'un observateur superficiel, ils l'ont fait. Et la décision de contraindre les résidants de la petite couronne parisienne à délaisser leur mode de transport habituel dès lors qu'ils avaient tiré le mauvais numéro d'immatriculation a connu un grand succès. Certes, après un weekend correctement venté et disperseur de pollutions, restreindre la circulation un lundi, jour ouvrable de plus faible trafic, revenait à se lancer au secours de la victoire. Et puis, à Paris, on peut compter sur la préfecture de police, toujours prête, même le dimanche, à agir dès qu'il s'agit de réprimer quelque chose. Bien ordinaires, les petits arbitrages politiques qui ont induit la mesure ne présentent guère d'intérêt. Il en va tout autrement de cet étrange sentiment qui semble, au moins dans les milieux éduqués et parmi certaines cohortes, largement partagé, celui de vivre un enfer quotidien où, pour reprendre une comparaison usuelle, tout citadin connaîtra inéluctablement, du seul fait de son lieu de résidence, le triste sort des ouvriers empoisonnés à l'amiante.

Cet exceptionnel épisode où, en certains endroits, la concentration de particules dite PM10 dans l'air a dépassé le seuil fatidique de 100 µg/m³ a donc provoqué un émoi national, une épidémie dont les symptômes, yeux larmoyants, gorges brûlantes, toux, valent en ces temps de commémoration comme hommage aux soldats de la Grande Guerre et, pire encore, réussi à surcharger le serveur d'Airparif que, donc, en temps ordinaire, personne ne songe à consulter alors qu'il constitue pourtant la seule source d'information pertinente sur la question.
Ce désintérêt pour l'analyse scientifique du problème s'explique aisément, et pas seulement par l'investissement intellectuel qu'il faut, là comme ailleurs, consentir pour acquérir une connaissance de celui-ci un peu meilleure que celle dont disposent les adeptes exclusifs des petits cours dispensés autour de la machine à café. Car la science, quelle qu'elle soit, fonctionne d'abord comme un outil de désenchantement, banalisant l'exceptionnel, désacralisant le mystérieux, forçant à prendre en compte les phénomènes dans leur durée et dans leur variabilité géographique. En somme, un ensemble de propriétés fatigantes, perturbantes, et qui risquent de vous faire une bien vilaine réputation auprès des collègues.

On comprend alors pourquoi tout le monde préfère l'autre solution, celle qui consiste à répéter tous ensemble chiffres qui tuent et slogans gouvernementaux, appuyés sur les irréfragables légitimités de la statistique, et de l'intérêt public. On a déjà eu l'occasion de s'intéresser à l'argument essentiel de la théorie du diesel assassin, ces 42 000 morts qu'on assortit parfois du qualificatif de prématurées sans savoir ce qu'il signifie, argument imparable puisque produit par l'OMS elle-même. Pourtant, une recherche élémentaire, une petite réflexion personnelle, un banal raisonnement analogique devraient suffire à suspecter une réalité un peu plus complexe que celle dont rendent compte les communiqués du ministère de l'Environnement.
En France, en 2013, l'INSEE a enregistré 572 000 décès : le mauvais air serait donc responsable de près de 8 % du total. Or, on le sait quand on regarde la télévision, il y a bien pire ailleurs ; aussi, une petite comparaison s'impose. Hélas, dans ce monde où on aime tellement les standards que chacun a le sien, l'exercice est difficile : à Pékin, l'ambassade des États-Unis, seule source fiable, ne mesure que les PM2,5 ; Airparif, les PM10. Comme on le constate en consultant les normes américaines, cela ne revient pas vraiment au même. Pour la jouer en toute sécurité, on va dire que les pics de pollution à Pékin atteignent des niveaux vingt fois supérieurs au niveau d'alerte parisien, fixé donc à 100 µg/m³. D'où il ressort nécessairement que, à Pékin, les particules fines tuent 160 % de la population.
On peut difficilement qualifier un tel raisonnement de compliqué. Et il suffit largement à invalider les certitudes du sens commun, tout comme l'historique des normes automobiles en matière de polluants qui, de l'Euro 1 imposé voilà plus de vingt ans, à l'Euro 5 en usage aujourd'hui, ont contraint les constructeurs à diminuer les émissions de particules d'un facteur 28, anéantissent la thèse si commode de l'inaction des pouvoirs publics, et de la toute-puissance des lobbies industriel.

Comment se fabriquent les justifications des enfants gâtés ? Elles passent d'abord par l'ignorance, celle des données les plus simples, par exemple, ici, le nombre des décès annuels, ignorance à cause de laquelle on ne sait rien d'ordres de grandeur pourtant élémentaires, donc du caractère simplement invraisemblable de certaines affirmations. Elles prospèrent ensuite grâce à une morale rudimentaire qui, comme dans la cour de récréation de l'école primaire où personne ne voulait se retrouver dans le camp des méchants, condamne certains actes, la recherche de profit à travers une activité commerciale, et en sanctifie d'autres, l'impératif absolu de santé publique. Il n'importe pas que celui-ci ait un coût, et qu'il devienne prohibitif à mesure que les rendements décroissent, puisqu'on l'imagine supporté par d'autres. Il n'importe pas non plus qu'il réponde, chaque jour un peu plus, à une logique inaccessible puisque, simplement, étrangère aux conditions de l'existence terrestre, celle de la pureté totale, de l'effet nul, du zéro mort.
Alors, certes, d'un certain point de vue, tout cela n'aboutit qu'à des discussions de comptoir, où l'on disserte de l'air qu'il fait. D'un autre côté, c'est ainsi que se construisent les représentations, ces certitudes subjectives au nom desquelles on agit, à cause desquelles on prend des décisions, et qui vont conduire à accorder aux thèses de certains groupes une audience et une crédibilité qu'elles n'auraient pas autrement si aisément acquises.

En confiant aux hygiénistes le pouvoir de décider de la politique de santé publique, on a choisi une voie : celle de la surenchère permanente, du durcissement des standards dès que ceux-ci sont atteints, du mépris des limites économiques, méprisables par nature, et physiques, que l'on prétend, dans une sorte de résurgence du mythe du progrès infini, pouvoir toujours dépasser. Au nom de l'idéal, on méprise la réalité. Mais celle-ci finit toujours par se venger, et le succès des hygiénistes sera leur tombeau.

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