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DPE

, 19:15

Le temps faisant, lentement, mais inexorablement, son œuvre, arrive le moment où l'évidence s'impose : on ne sera pas éternellement en mesure de grimper ses cinq étages d'un pas léger. Il faut donc se résoudre à déménager vers des cieux plus cléments, et avec ascenseur, quitter ce vieil appartement acquis voilà fort, fort longtemps, et le mettre en vente. Mais on a dépassé la triste époque où un sordide marchand de biens vous fourguait un truc grossièrement rafraîchi de quelques coups de pinceau, et pourtant quasi inhabitable. Aujourd'hui, l’État-cerbère monte la garde et impose de réaliser une foultitude de contrôles avant d'avoir le droit de mettre son bien sur le marché. Le plus connu, le plus redouté, le diagnostic de performance énergétique alias DPE va estimer la consommation en énergie du logement et les émissions de gaz à effet de serre qui en découlent, avant de vous donner une note. Or, il se trouve que l'on dispose, grâce à un compteur Linky, de vingt-quatre mois d'un historique exact de la consommation de la seule énergie employée, l'électricité. De façon remarquablement régulière celle-ci s'élève à 100 kWh par m² et par an, ce qui garantit une bonne note, un B voire, au pire, un C. On attend donc sans grosse inquiétude le verdict. Et là, c'est le drame.
Le certificateur retient une consommation de 427 kWh/m²/an. À 1,4 % près, vous voilà pourvu de la pire note, un G, et relégué dans la catégorie infamante de ces passoires thermiques qu'une presse hétéronome stigmatise à coup de reportages dramatiques, de murs suintants d'humidité, de moisissures incontrôlables et de fenêtres vermoulues.

On veut bien prendre cet écart énorme entre la consommation constatée et le chiffre généré par le logiciel du diagnostiqueur comme un brevet de sobriété, mais quand même, au-delà des petites négligences de l'homme de l'art, qui jouent, mais à la marge, comment l'expliquer ? Une note récente du Conseil d'Analyse Économique, qui s'intéresse précisément à ce sujet, a suscité un certain intérêt. Elle s'appuie pourtant sur des données dépourvues de représentativité, issues du fichier clients d'une unique banque mutualiste, et procède à une répartition bizarre des logements, puisque deux tiers de l'échantillon observé se retrouvent rangés dans une seule classe. Malgré tout, l'étude constate à quel point le DPE, qui sous-estime la consommation énergétique des logements les plus sobres, et surestime de façon impressionnante celle des plus mal notés, n'entretient qu'un lointain rapport avec la réalité.

Comprendre une telle distorsion implique une connaissance fine de la méthodologie employée, laquelle n'est pas accessible au profane. On se contentera de discuter une seule notion, fondamentale, l'énergie primaire. L'électricité étant nécessairement produite à partir d'une autre énergie, du charbon ou du gaz par exemple, on considère qu'il est bien moins efficient de se chauffer à l'électricité qu'avec une énergie dite primaire. Le DPE pénalise donc cet usage, en lui affectant un coefficient multiplicateur de 2,3. Sauf que dans un pays à l'électricité décarbonée, une telle notion est vide de sens : l'énergie primaire, ici, c'est la gravité, le vent, le soleil, ou l'uranium. Et sauf à se chauffer aux déchets nucléaires, ces sources ne sont utilisables qu'une fois converties en électricité. Pourquoi donc maintenir cette fiction ? Parce que le DPE est bifide : d'un côté, il note la consommation énergétique, de l'autre, la production de gaz à effet de serre. Avec une électricité décarbonée, un logement dit tout électrique sera nécessairement bien classé selon le second critère. Il faut donc trouver un moyen de dégrader le premier. Car telle est la fonction du DPE : faire en sorte qu'au moins une des deux notes soit mauvaise, de façon à contraindre le propriétaire d'un logement ancien à le rénover.
En l'espèce, quelles sont les améliorations suggérées ? Refaire l'isolation, et installer une pompe à chaleur. Une pompe à chaleur, au dernier étage d'un immeuble datant des années 1930. Sans balcon ni terrasse, évidemment. Le diagnostiqueur estime l'investissement total à 20 000 euros. Supposons, ce qui paraît déjà bien optimiste, que ces travaux permettent d'économiser 200 euros par an : sans même se préoccuper d'actualisation ou de dépréciation des équipements, rentabiliser un tel investissement prendrait un siècle.

Voilà dix ans, deux spécialistes de l'Atelier parisien d'urbanisme on conduit en terrain neutre, la Belgique, une remarquable étude qui analyse très précisément les options de rénovation du bâti bruxellois ancien. Les connaisseurs savent que celui-ci est souvent constitué d'une formation spécifique, la rue composée de maisons familiales mitoyennes, étroites, hautes de deux ou trois étages et donnant sur un petit jardin. Catalogue de pratiques pas forcément bonnes, le rapport détaille les mauvaises manières de rénover un logement, expose les conséquences d'une isolation posée en ignorant les contraintes d'un bâti ancien qui risque fortement d'en souffrir, et insiste pour maintenir une durée d'amortissement raisonnable des investissements : "Le niveau d’exigence énergétique porté sur la rénovation doit être a minima la recherche d’un optimum économique et non celui du meilleur niveau de performance." En résumé, il plaide pour le pragmatisme.

La voix de la raison, en somme. Autant dire qu'elle n'a aucune chance de perturber le mode de raisonnement qui a conduit à faire du DPE, outil d'abord purement indicatif, puis contraignant, puis imposant aux propriétaires-bailleurs une mise aux normes de leur logement faute de quoi ils n'auront plus le droit de le louer, une arme qui se retourne aujourd'hui contre ses concepteurs. Il est de bonne logique technocratique de chercher à atteindre une cible tout en affirmant en viser une autre, en considérant les individus placés dans la ligne de mire comme absolument passifs, et incapables de mettre en œuvre une stratégie leur permettant d'éviter la flèche. Or, plutôt que de consentir à des investissements coûteux à la rentabilité aléatoire, les propriétaires cibles du DPE ont préféré retirer leur logement du marché locatif pour le mettre en vente, ou plus simplement le laisser vide dans l'attente de jours meilleurs. Survenant parallèlement à l'effondrement des mises en chantier, leur réaction a entraîné une contraction du marché de l'immobilier locatif devenue, en peu de mois, insoutenable. La réalité finissant toujours par avoir raison, elle va imposer aux pouvoirs publics une capitulation qui prendra la forme d'une profonde révision des critères du DPE. En attendant, la crise continue et, comme toujours, les plus démunis en sont les principales victimes.

dilettantes

, 19:12

On le sait depuis Jacques Rouxel et ses Shadoks, taper toujours sur les mêmes permet de réduire le nombre des mécontents. Ici, pourtant, l'histoire commence assez innocemment, lorsque la Commission européenne entame un processus de révision de la directive régissant les permis de conduire. Pour l'essentiel, le texte n'apporte rien de fondamentalement neuf, et cherche surtout à traiter quelques-uns des problèmes de l'heure, la sécurité des usagers vulnérables, le recrutement des conducteurs de poids-lourds, la numérisation des permis de conduire ou la poursuite des infractionnistes au-delà des frontières nationales. S'y ajoutent deux ou trois innovations portant sur des questions longuement débattues, en particulier l'obligation de subir des contrôles d'aptitude physique réguliers à partir d'un certain âge. Comme souvent, un cocktail hétéroclite de mesures techniques d'importance variable. Ainsi vont les choses jusqu'au moment où le Parlement européen entame sa partie du travail. Et les amendements qu'il propose alors ont largement de quoi mettre le monde motard en colère, et inquiéter ses organisations.

Le brouillon présenté à la Commission des transports du Parlement ressemble au travail d'un prof négligeant, corrigeant mollement une copie sans enjeu, puisqu'elle concerne des motocyclistes et automobilistes, citoyens d'intérêt secondaire. Sans se donner la peine d'apporter d'autre justification que la sempiternelle la vitesse tue, il va inventer une limitation liée non pas au type de route empruntée, ni même à la catégorie du véhicule, mais au permis que les usagers possèdent. Ainsi, côté moto, les usagers ayant accès aux seules motocyclettes légères n'auront pas le droit de dépasser les 90  km/h, les titulaires du permis A2 seront limités à 100 km/h, tandis que les autres, avec le permis A, auront droit à 110 km/h.
Élargissant considérablement le cercle des mécontents, le projet applique cette même contrainte aux automobilistes titulaires du permis B. Nouveauté remarquable, il va ensuite inventer un permis de conduire supplémentaire, le B+, exigé pour la conduite d'une automobile lorsque son poids dépasse 1 800 kg. Paradoxalement, et de manière parfaitement incohérente, sans doute pour rassurer Berlin, ne pas désespérer Ingolstadt et sauver la grosse berline allemande, seuls les possesseurs de ce permis seront autorisés à atteindre les 130 km/h. Enfin, un traitement particulier sera réservé à ceux qui entameront leur carrière délinquante de conducteur de véhicule à moteur par l'étape la plus modeste, le cyclomoteur. La Directive originelle prévoit certes de réserver l'accès à cet engin aux plus de seize ans, mais laisse les États-membres libres d'abaisser cette limite à quatorze ans, comme c'est depuis toujours le cas en France. Le texte de la Commission des transports supprime cette option, privant ainsi les adolescents de ce qui a longtemps été, et reste pour tous ceux qui vivent dans des zones un peu périphériques et à l'écart des agglomérations, un indispensable premier outil d'émancipation.

On ne s'étonnera pas que ce travail aussi médiocre qu'irresponsable soit signé d'une des cheffes de fille de l'écologie criminelle, Karima Delli. Et pour imaginer plus aisément les conséquences d'une éventuelle mise en œuvre de ces mesures, on va procéder à un petit rappel historique, et revenir en France et en 1979 au moment où Christian Gérondeau, premier Délégué interministériel à la sécurité routière va, pour le bien des jeunes motards inconscients au guidon de leurs engins diaboliques, et en dépit d'une forte opposition, bouleverser les modes d'accès à la moto. Autant pour répondre au lobbying de Peugeot Cycles que pour calmer les inquiétudes personnelles du Premier ministre, Raymond Barre, il va supprimer la voie d'accès traditionnelle, qui passe par la motocyclette légère alors dénommée vélomoteur, avec sa cylindrée de 125 cm³. Celle-ci sera remplacée par un véhicule supposé plus adapté aux faibles capacités de l'industrie nationale, le 80 cm³, sorte de gros cyclomoteur dont la vitesse sera bridée à 75 km/h. Mais sa réforme subira un échec complet.
Jusque là, la carrière du jeune motard commençait à seize ans, avec le permis A1 et cette 125 cm³ aux performances modestes mais qui permettait de faire ses classes durant quelques années avec une vraie moto avant de s'orienter vers une plus grosse cylindrée, en obtenant le permis adéquat. Désormais, les candidats vont sauter cette étape, attendre d'avoir dix-huit ans et entrer dans le monde de la motocyclette lourde sans autre expérience que le cyclomoteur. Les conséquences seront tragiques, puisque, fait unique, ces années 1980 verront une forte augmentation de la mortalité relative des seuls motocyclistes. Quant au permis A1, il n'y survira pas : on délivrait chaque année de l'ordre de 70 000 à 80 000 permis de cette catégorie avant la réforme, moins de 20 000 après, et environ 5 000 aujourd'hui.

Quels effets qualifiés de pervers alors qu'ils étaient parfaitement prévisibles peut-on attendre du brouillon vert ? Sur les autoroutes et voies rapides, il transformera les usagers les plus vulnérables en chicanes mobiles. Dans les campagnes, il va reléguer un peu plus les adolescents pour lesquels le cyclomoteur est l'outil indispensable pour se rendre au collège ou au lycée. Et l'on imagine l'accueil que ces mesures recevront de la part des forces de l'ordre. Le système de contrôle automatique qui, n'ayant facilement accès qu'aux plaques d'immatriculations des véhicules, sanctionne non pas les conducteurs mais ce qu'ils conduisent, en plus de devoir associer chaque catégorie de véhicule à la vitesse limite qui lui sera attribuée, devra s'assurer de l’identité de leur conducteur, et du permis qu'il possède. En effet, pour ne traiter que des motocyclistes, rien n'interdit au titulaire d'un permis A de rouler sur un motocycle d'une catégorie plus modeste ; il pourra alors, en toute légalité, dépasser la vitesse assignée aux possesseurs des permis A1 ou A2. Pour espérer produire des effets, une politique publique se doit d'être effective, efficace et efficiente. La directive amendée ne satisfait pas aux deux dernières conditions ; on espère que, au moment du vote, le Parlement européen fera en sorte qu'elle ne satisfasse pas non plus à la première.

Dans sa façon de traiter la question de la sécurité routière, l'Union européenne arrive dans une impasse : elle persiste à poursuivre sa chimère de la Vision Zéro, alors même que la réalité qu'elle néglige est celle d'une mortalité routière qui, depuis dix ans en France, et plus longtemps ailleurs, a cessé de baisser. Le fait de se donner jusqu'à 2050 pour réussir l'impossible, faire en sorte qu'il n'y ait plus de morts sur la route, n'aide en aucune façon à la réalisation de cet objectif. Mais d'ici là, les dilettantes du Parlement auront tout loisir de pérorer, proposer des idées ineptes que d'authentiques connaisseurs, comme les techniciens de la Délégation à la sécurité routière, auraient rejeté d'un haussement d'épaules, et s'offusquer devant un micro complice du fait que leur courageuse initiative, pauvre victime du lobby automobile, n'ait pas survécu. C'est à peu près tout ce qui leur importe.

restauration

, 19:11

Tétou, c'est fini. Comme ses voisins et concurrents, le plus connu de ces restaurants ancrés depuis des temps immémoriaux à Golfe-Juan, le long du boulevard de la mer, tout près de la voie ferrée et à quelques encablures de cet ancien port de pêche devenu, grâce au doublement de sa superficie, port de plaisance parmi tant d'autres, l'espace ainsi gagné sur la mer ayant permis, à titre de bonus, l'installation d'une station d'épuration, a succombé aux pelleteuses lors d'une opération sévèrement encadrée par la puissance publique. L’État appliquait ainsi une récente loi littoral qui a entre autres objectifs celui de rendre leur virginité à des plages artificielles, et de n'y pas tolérer d'implantation humaine autre que temporaire, limitée à des installations provisoires et aux mois d'été.
Cette destruction date de 2018 ; pourtant elle représente, par ses objectifs, sa justification, son mode d'action et ses conséquences, une métaphore idéale pour une politique dont on débat aujourd'hui à l'échelon de l'Union européenne et dont la mise en œuvre, inévitablement, entraînerait des dizaines de milliers de Tétou.

L'Union, en effet, travaille en ce moment à un édifice législatif particulièrement audacieux, et vraisemblablement sans précédent par son ampleur, son ambition, sa complexité, sa polyvalence. Se donnant comme but d'éclairer le monde en lui expliquant l'avenir tel qu'il doit être, l'European green deal, un processus entamé fin 2019, approche de l'instant fatidique, celui où ces années d'études et de tractations seront converties en acte législatifs, le moment où l'intention se transforme en obligation. Évidemment, on ne pourra traiter cette architecture herculéenne autrement que de façon très superficielle, en disant quelques mots d'une des ses composantes à l'intitulé prodigieusement évocateur, la restauration.

Dans une brochure destinée au grand public, la Commission explique ce qu'elle entend par là : il s'agit de rentre à la nature ce qui lui appartient, et que l'activité humaine lui a enlevé. La "restauration des écosystèmes dégradés" vise à enrayer les "pertes de biodiversité" en appliquant un catalogue de mesures chaque fois adaptées à un milieu spécifique, de façon à leur permettre de retrouver un "état satisfaisant". On voit tout ce que ces formulations ont de relativiste et d'arbitraire. On devine derrière elles le travail de tout un écosystème de petites mains, scientifiques, militantes, scientifiques et militantes, qui trouvent dans ce corpus réglementaire l'aboutissement de décennies d'activisme. Naïvement, on se demande aussi ce qu'il y a dans tout ça de vraiment neuf.
Car ces zones à protéger existent, existent depuis près de trente ans, et la Commission y fait d'ailleurs largement allusion : il s'agit du réseau Natura 2000. Et en trente ans, ce réseau s'est étendu au point de couvrir aujourd'hui une superficie qu'un esprit rationnel ne peut que considérer comme énorme. En France, Natura 2000 occupe aujourd’hui 13 % du territoire métropolitain. En dehors des zones urbanisées, soit quelques poches comme la conurbation des Alpes-Maritimes, Toulon-Hyères, et Marseille, toute la côte méditerranéenne, son espace maritime et une bonne partie de son espace terrestre, se trouve aujourd'hui sanctuarisée. Certes, et comment pourrait-il en être autrement compte tenu des surfaces concernées, ce classement n'interdit pas l'activité humaine, et notamment agricole. Mais il va ajouter une couche de contrainte et de contrôle supplémentaire à un encadrement réglementaire déjà lourd, tout en facilitant le passage des activistes.

Le diable enfoui dans la nouvelle législation, comme d'habitude, ne se cache guère, et adopte la forme machiavélique d'un tournant législatif. De haute lutte, et à une courte majorité, le Parlement vient d'adopter un projet de règlement, c'est à dire un texte d'application stricte qui produira ses effets dès son entrée en vigueur soit, si le processus évolue de manière normale, début 2024, et en tous cas avant les prochaines élection européennes. Alors, ce qui, avec les zones Natura 2000, n'était qu’incitatif, deviendra contraignant.
Que prévoit-il, ce règlement ? Pour se contenter d'un unique exemple, son article 7 impose de "restaurer la connectivité naturelle des cours d'eau", c'est à dire d'enlever les obstacles à la "connectivité longitudinale et latérale" des eaux. On redoute, tant une telle interprétation aurait des conséquences délirantes, de comprendre qu'il s'agit de démolir les barrages et digues à cause desquels rivières et fleuves ont cessé d'être sauvages. La brochure citée plus haut donne un exemple de la marche à suivre avec la Skjern, au Danemark, laquelle, au prix d'un investissement de 35 millions d'Euros et à l'issue de travaux entamés en 1987, a retrouvé, sur une longueur de 25 km, son état originel de marécage. Le texte du Parlement impose, d'ici 2030, donc en six ans, de rendre à la nature 25 000 km de cours d'eau, soit mille fois la Skjern.
Essayons d'imaginer les conséquences pour un État comme les bien nommés Pays-Bas, lequel a comme propriété d'être très largement artificiel, avec ce territoire gagné sur la mer au prix de siècles d'efforts, efforts qui ont notamment permis de créer une agriculture extrêmement productive, puisqu'elle est aujourd’hui, en valeur, le deuxième exportateur mondial de produits agricoles. Faut-il cesser d'entretenir les digues, ouvrir les vannes et attendre qu'à la première tempête la nature reprenne ses droits ?

Déjà contraints, s'ils veulent toucher les subventions européennes, de laisser en friche 4 % de leurs terres arables, les agriculteurs seront les premières victimes du règlement. Voilà trente ans, on s'était moqué de Luc Ferry et de son Nouvel ordre écologique qui introduisait la notion de deep ecology, avec son agenda destructeur, alors même que l'ouvrage était, simplement, précurseur. La voie que les institutions européennes se préparent aujourd'hui à emprunter vise à refaire en sens contraire le chemin parcouru par l'Union, et à défaire ce qui a permis aux citoyens d'améliorer leur situation et, plus particulièrement, d'avoir cette assurance de disposer d'une alimentation saine en quantité suffisante. La sécurité alimentaire, ce combat de plusieurs siècles, à peine obtenue, les institutions, sans raison ni bénéfice, se préparent à y mettre fin. Bien évidemment, les obligations édictées par ce règlement, intenables, ne seront pas respectées : les réseaux activistes déjà présents dans chaque village n'auront alors que l'embarras du choix au moment d'appliquer leur tactique favorite, la guérilla judiciaire, source de multiples profits, en particulier dans le champ médiatique. On ne prend guère de risque en pariant que la réaction, déjà vive, s'amplifiera et que, après la rue, elle s'exprimera dans les urnes.

god-mode

, 19:11

En se mettant épisodiquement à jour sur des sujets d'intérêt divers, au hasard la sécurité routière, on s'expose parfois à des découvertes qui donnent à réfléchir. Accédant à la section appropriée du site de la Direction générale mobilité & transport de l'Union européenne, on trouve en page d'accueil une profession de foi, Vision Zero, qui prône, de façon aussi ferme que lapidaire, la complète disparition de la mortalité routière d'ici 2050. Intuitivement, un tel objectif semble un brin déraisonnable. Pourtant, ce concept a déjà une longue histoire, et une origine précise. La Direction reprend en effet à son compte une politique institutionnalisée en Suède en 1997, laquelle relève du genre de leçon qu'administrent ces insupportables premiers de classe, convaincus que le destin les condamne à être les meilleurs, et à éduquer les autres. Mais au-delà de la seule action publique, quantité de facteurs sur lesquels le législateur n'a guère de prise, géographiques, démographiques, économiques, climatiques, technologiques, expliquent que tel ou tel pays puisse se présenter comme modèle en matière de sécurité routière. Bien sûr, le pouvoir ignore ces facteurs, et ne veut retenir comme raison de son succès que ce concept qu'il présente comme révolutionnaire. Une telle politique, de plus, s'accompagne de dégâts collatéraux dont sont victimes ces catégories d'usagers de la route qui ont le malheur d'être minoritaires, la Suède étant par exemple connue pour son recours au fil à découper le motard.

Mais comment réussir à atteindre cet objectif certes noble, mais qui semble diablement ambitieux ? À grand renfort de technologies à développer, on imagine ce futur parfait de véhicules autonomes dont la sécurité active serait prise en charge par des automates, qui se déplaceraient sur des voies sûres, encadrés de barrières et de dispositifs de surveillance infaillibles. Mais peut-on, directement ou non, ramener l'accidentalité routière aux seuls véhicules à quatre roues ? Pour en juger, il est utile de retourner soixante-dix ans en arrière, et de revenir à une époque où la première propriété de l’automobile était sa rareté. En France, le premier bilan de la sécurité routière date de 1954. On était alors au tout début de cette expansion automobile à laquelle Luc Boltanski a consacré par la suite un article aujourd’hui ancien mais toujours intéressant. La première estimation d'un parc automobile alors en forte croissance date de 1955 et recense un peu plus de 3 millions d'automobiles. Au dernier décompte, elles étaient 38,7 millions, soit treize fois plus. En 1954, l'automobile restait essentiellement associée aux catégories sociales supérieures ; les ouvriers, logés près des usines, se rendaient alors au travail à vélo, tandis que les jeunes classes moyennes urbaines faisaient le succès de la Vespa, et les campagnards celui du VéloSolex. Le bilan de 1954 recensait 7 539 décès ; conducteurs et passagers de véhicules automobiles, toutes catégories confondues, ne représentent que 26 % de ce total, soit 1 970 morts. Si l'on néglige les 43 usagers de véhicules attelés et les 19 cavaliers ou conducteurs d'animaux, la masse des victimes de la route se répartissait entre les diverses catégories d'usagers vulnérables : 1 888 motocyclistes, sans qu'il soit possible de distinguer le scootériste de l’authentique motard, 648 cyclomotoristes, 1 322 cyclistes et 1 544 piétons. Le fait qu'ils aient majoritairement été victimes d'accidents impliquant des véhicules carrossés n'a, en l'espèce, pas d'importance.
Parmi les multiples causes de la baisse d'une mortalité routière qui, en France métropolitaine, s'est stabilisée autour de 3 300 décès annuels depuis 2013, la diminution de la part des usagers vulnérables n'est jamais prise en compte. La disparition de la Vespa avec la fin des années 1950, l'enrichissement de leurs propriétaires leur permettant d'accéder à l'automobile, la désaffection pour un vélo qui cessait d'être un mode de déplacement efficace pour des ouvriers et employés logés de plus en plus loin de leur lieu de travail et devenus utilisateurs de transports publics lourds dans les grandes agglomérations qui en sont pourvues, comptent au nombre des raisons cachées qui expliquent cette baisse de la mortalité.

Au demeurant, on peut fort bien trouver ailleurs que dans des archives l'exemple d'un système de déplacement qui accorde une part essentielle aux usagers vulnérables. Les Pays-Bas, le royaume du vélo, sont tout indiqués pour ce faire. La mortalité routière y est stable depuis 2010, et les cyclistes représentent plus d'un tiers des décès, avec une part croissante. Et en 2020, plus de deux tiers des blessés hospitalisés étaient des cyclistes ; 83 % d'entre eux étaient victimes d’accidents n'impliquant pas de véhicules motorisés.

En d'autres termes, encourager le développement de l'usage du vélo et poursuivre la chimère d'une route sûre, sans victimes autres que légères, revient à se donner deux objectifs mutuellement exclusifs, ce qui n'empêche nullement les institutions européennes de les mener, de front. La vision zéro implique de transformer les humains en êtres immortels et invulnérables : en dieux, en somme.
Se fixer un but inaccessible mais de très long terme permet de justifier paresseusement l'activité d'un complexe législato-administratif et de tous ceux qui y prennent part en y trouvant des rémunérations diverses et pas seulement pécuniaires, des chercheurs aux militants, des politiques aux fonctionnaires, des journalistes aux législateurs. Le zéro, phytosanitaire ou accident mortel, production de gaz à effet de serre ou pollution atmosphérique, virus ou matières grasses, bâtiment mal isolé ou construit sur un terrain agricole, est devenu l'horizon par définition indépassable, et contraignant, de toute politique publique. Et qu'elles se dotent d'un terme lointain ne fait pas de ces politiques des objets sans danger, ne serait-ce que parce que, trivialement, on se rapproche en permanence de l'échéance prévue. Quand celle-ci se profile et dévoile, comme par exemple avec les zones à faibles émissions, l'ampleur de conséquences pourtant prévues dès le départ, il ne reste qu'à capituler le plus discrètement possible. On souhaiterait ardemment retrouver un peu de pragmatisme, et de bon sens ; mais, à l'échelon national comme européen, la représentation des citoyens a perdu tout intérêt pour la réalité, et se satisfait pleinement de gérer l'imaginaire.

(s)trike

, 18:54

Si la matière n'en était pas un peu austère, un feuilletoniste trouverait son bonheur dans une saga interminable mais constamment remise au goût du jour, la manière inimitable dont les pouvoirs publics adaptent le droit européen aux spécificités locales. La saison en cours a débuté voilà près de dix ans, avec la directive 2014/45/UE relative au contrôle technique des véhicules, laquelle a comme particularité d'étendre cette obligation superflue à une nouvelle classe de machines pour laquelle elle est encore moins justifiable, les motocyclettes. Conscient de se risquer sur un terrain dangereux, le législateur européen associa cette contrainte à une exception, les états membres pouvant, à certaines conditions, déroger à la règle. Après s'être un peu fait tirer l'oreille, l’État choisi l'option en question ; encore lui restait-il à mettre en place les mesures compensatoires exigées par la directive, ce qu'il tarda à faire.
Il ouvrit ainsi la voie à des activistes prohibitionnistes, qui portèrent l'affaire devant le Conseil d’État. En référé, celui-ci vient d'ordonner l'entrée en vigueur de la directive, en l'état, et ce dès le 1er octobre prochain. Instantanément, certains organes de presse fournirent une description détaillée des nouvelles obligations à satisfaire. Évidemment, si celle-ci n'était pas complètement fausse, le scénario serait beaucoup moins drôle.

Le premier élément, d'importance, a trait au périmètre de la directive : loin de s'appliquer aux deux-roues motorisés en général, elle ne concerne que les motocyclettes lourdes, définies par leur cylindrée supérieure à 125 cm³. Ni les cyclomoteurs, généralement de vieux deux-temps bruyants, polluants et fort mal entretenus, ni les motocyclettes légères, typiquement ces scooters 125 cm³ conduits par d'anciens automobilistes, ne sont concernés ; très grossièrement, ces deux catégories représentent les deux tiers, voire les trois quarts, du parc de deux-roues motorisés circulant en ville. Autant dire que pour le citadin ordinaire, un tel contrôle technique ne changera rien. Notons que cette subtilité semble avoir échappé aux avocats des requérants, voire au juge du Conseil d’État, lesquels mentionnent en permanence et indistinctement les "deux et trois-roues motorisés". Il n'empêche : cette décision mérite d'être commentée, une tâche d’autant plus acrobatique qu'on n'a pas accès à l'essentiel, les justifications détaillées des plaignants.

Point regrettable, puisque le juge des référés motive sa décision par une paresseuse lecture de leurs seuls arguments ; or, il se trouve qu'aucun d'entre eux ne tient. Pour commencer, on voit réémerger un serpent de mer vieux de dizaines d'années, selon lequel le risque d'accident mortel serait plus élevé pour les motards français par rapport à leurs collègues allemands, éternelle lubie de la sécurité routière appuyée sur des données parfaitement fictives. Vouloir, ensuite, expliquer cet écart imaginaire par la seule et unique présence, côté allemand, d'un contrôle technique, relève du sophisme le plus grossier.
Arrivent ensuite les suspect habituels, la pollution et le bruit. Les motocyclettes lourdes étant toutes propulsées par des moteurs à essence et ne comptant que pour une faible part dans le trafic routier, un esprit rationnel conclura, en accord avec les analyses publiées voilà quelque temps par l'ADEME, que leur impact sur la qualité de l'air reste négligeable. Le problème se limite en fait à la conformité du véhicule, et plus précisément de ses échappements. Nul ne le conteste, un petit nombre de motards roulent sur des engins non homologués, remplaçant par exemple les équipements d'origine par des pots dont l'usage est réservé à la compétition. Or, ils savent parfaitement ce qu'ils font, et n'ont besoin que d'un quart d'heure pour remettre leur machine en configuration standard avant de la présenter au contrôle technique. Lutter contre leurs nuisances ne peut se faire qu'au moyen de contrôles routiers aléatoires, contrôles auxquels l’État procède rarement tant leurs résultats sont maigres.

De l'autre côté, on aurait aimé lire quelques lignes de la main des pouvoirs publics, en défense de leur position. Leur silence contraint à faire ce travail à leur place : n'étant pas payé pour ça, on se contentera d'un seul point. Comme le précise l'ordonnance du Conseil d’État, on peut tirer argument de l'évolution de l'accidentalité sur les cinq dernières années, ce qui conduit à comparer 2017 à 2021. En 2017, la Sécurité routière, qui ne distingue pas les motocyclettes légères des lourdes, a recensé 669 tués à moto ; en 2021, on était tombé à 578. Avec les dernières données provisoires, en avril 2022, le bilan s'établissait à 568 tués. Par rapport au pic historique atteint en 2001 avec, selon les normes de l'époque, 1011 tués, le nombre de décès a été à peu près divisé par deux. Inversement, en 2017, on a relevé 173 cyclistes victimes d'accidents mortels de la route, 226 en 2021, et même 240 selon les chiffres d'avril 2022. Pour reprendre le texte de la directive, si une catégorie de véhicules souffre d'une hausse de son accidentalité qui justifie une extension urgente du contrôle technique, il ne s'agit pas des motos, mais bien des vélos.

Au fond, l'histoire se résume à un coup de billard vicieux d'associations prohibitionnistes, prêtes à taper n'importe quelle bande, à saisir n'importe quelle occasion, à employer les arguments les plus mensongers et les plus hypocrites pour faire avancer leur sordide cause, la lutte contre ces usagers de deux-roues motorisés qui viennent perturber leur entre-soi. La façon dont le juge administratif suprême, sur le mode irresponsable du "débrouiller-vous je veux pas le savoir", ordonne la mise en place d'un contrôle technique au 1er octobre prochain, donc selon des modalités objectivement intenables, a de quoi inquiéter, comme on peut s'étonner de la légitimité à agir de requérants concernés ni de près ni de loin par l'objet de leur recours. Même s'il ne s'agit que d'un référé, la légèreté avec laquelle le juge a traité l'affaire, le fait qu'il valide sans la moindre objection un argumentaire dont on a démontré l'inanité, son dédain absolu des conséquences pratiques de sa décision laisse une bien désagréable impression. On avait bien compris, après quelques décennies de pratique, que les motards formaient un groupe social dont les membres, empiriquement, ne jouissaient pas d'une égalité de droits avec les autres citoyens. On ne peut qu'être légitimement inquiet de voir que la dernière confirmation de cette impression vienne de la juridiction administrative suprême, le Conseil d’État.

mascarade

, 19:08

Plus qu'expérience naturelle, la séquence initiée par le Premier Ministre le 25 août dernier vaut comme un révélateur de rapports de forces habituellement dissimulés sous le masque de la démocratie formelle. Reprenons donc la chronologie : après le conseil de guerre au virus tenu le mardi en question, la préfecture de police de Paris a publié en date du 27 août un arrêté imposant le port d'un masque pour tous les citoyens circulant sur l'espace public, et cela dans le territoire relevant de sa compétence, à savoir l'ancien département de la Seine, à la seule exception des "personnes circulant à l'intérieur des véhicules des particuliers et des professionnels". Immédiatement, les récriminations, relayées par la mairie de Paris, fusent, et la préfecture se voit contrainte d'amender son arrêté : dès le 31 août, l'exception accordée aux conducteurs de véhicules particuliers et d'utilitaires est étendue aux cyclistes, et aux amateurs de course à pied, en raison de "la difficulté pour les personnes pratiquant le vélo ou la course à pied de respirer pendant l'effort, ce qui peut présenter un risque pour leur santé."

Les observateurs perspicaces n'auront pas manqué de le relever, cette nouvelle rédaction laisse sur le bord de la route une seule catégorie d'usagers : les conducteurs de deux-roues motorisés, cyclomoteurs et motocyclettes. Or, ceux-ci ont quelques raisons d'être mécontents, et inquiets. Et d’abord pour de simples raisons d'équité. Les autorités le répètent à l'envi, pour eux, "le casque est la seule carrosserie". Partageant avec les cyclistes cette propriété fondamentale de circuler à l'air libre, ils ont au moins sur ceux-ci l'avantage d'être obligatoirement équipés d'un casque, souvent intégral, ou généralement muni d'un écran qui vient recouvrir le visage. En d'autres termes, si les cyclistes obtiennent le droit de rouler visage découvert, et cela en dépit de l’argument sanitaire soulignant leur risque de propager le virus, alors rien ne peut justifier la rupture d'égalité qui verrait les motocyclistes, déjà plus isolés de l’extérieur qu'un automobiliste fenêtre ouverte par grande chaleur dans les embouteillages, être seuls contraints de rester masqués.
Mais il y a plus, et l'argument juridique se double d'une considération fort préoccupante, puisque qu'imposer cette contrainte aux motocyclistes leur fait courir un danger potentiellement mortel. Classiquement, l'apparition de buée venant masquer le champ de vision reste un inconvénient majeur du casque intégral, incitant les fabricants à mettre au point des palliatifs à l'efficacité variable. Ce danger ne cesse d'augmenter à mesure que l'on avance vers la saison froide ; et, pour les porteurs de lunettes, déjà bien mal lotis d'origine, il devient d'autant plus aigu que, compte tenu du territoire couvert par l'arrêté préfectoral, l'embuage peut survenir sur autoroutes et voies rapides, et à 110 km/h.
On comprend que la Fédération des motards grognons ait promptement réagi, usant d'abord de la faculté de recours gracieux puis, face au silence des autorités, portant l'affaire en référé devant le tribunal administratif, lequel vient de rendre en sa faveur une décision que, puisqu'elle reconnaît en l'arrêté de la préfecture de police une "atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie", l'on peut qualifier d'assez sanglante, et cela en dépit de considérations plutôt folkloriques relatives aux risques de propagation du virus.
S'étant ainsi faite tirer l'oreille par le juge administratif, la préfecture en reste là, et modifie son arrêté ; son petit jeu, il est vrai, lui coûte 1 500 euros.

Voilà quarante-cinq ans, l'autorité publique alors en charge de la sécurité routière, le ministère de l’Équipement, avait eu à traiter une question similaire. Une technique alors utilisée sur les portions d'autoroutes recouvertes de plaques de ciment, l'incrustation de stries longitudinales permettant l'évacuation de l'eau, entraînait pour les seuls motards des louvoiements potentiellement dangereux. Comme le rapporte cet article alors publié dans la revue de la Prévention Routière, une équipe, composée d'un X-Ponts, d'un CRS et d'un instructeur, entrepris alors une campagne d'essais au protocole redoutablement complexe, pour finalement conclure que ce tangage pouvait être désagréable, mais restait sans danger. Depuis toujours, aucun organisme public n'a de meilleure connaissance de la moto que le ministère de l'Intérieur, et la préfecture de police avec ses compagnies motocyclistes. Visiblement, à défaut de consulter les divers acteurs du monde de la moto, faute de se soucier des conséquences de ses décisions pour la sécurité d'une catégorie spécifique d'usagers de la route, la préfecture n'a même pas jugé utile de recueillir l'avis de ses agents compétents, devenus désormais, par la décision du tribunal administratif, contrôleurs des visières fermées.

Mais plus encore que la rigidité obtuse caractéristique de l'Intérieur, cette entité de plus en plus pesante et dont on n'attend plus rien, les choix effectués par la mairie de Paris, par ailleurs guère plus surprenants, dévoilent la véritable morale de l'histoire. En intervenant en faveur des cyclistes, en négligeant totalement les motocyclistes, elle a, de manière absolument claire, établi une hiérarchie entre les droits dont peuvent jouir des citoyens se livrant légalement à une activité légale, placés dans une configuration identique et soumis à une contrainte similaire.
C'est dans ce genre de décisions banales, quotidiennes, micro-sociologiques, qu'apparaissent au grand jour, sans maquillage, les échelles de valeurs auxquelles adhèrent les acteurs. Le fait qu'elle ait soigneusement délimité le champ de son intervention auprès de la préfecture ne laisse aucun doute : pour la mairie de Paris, ne pas incommoder les cyclistes importe bien plus que de faire courir un danger mortel aux motards.

backdoor

, 19:17

Chaque jour qui passe ne fait que confirmer les craintes du chercheur, et renforcer son désespoir : dans tous les domaines, sur tous les fronts, l'épidémie due au SARS-CoV2 et ses conséquences de tous ordres produisent une quantité d'expériences naturelles si colossale que, de son vivant, il ne réussira jamais à les étudier toutes. Prenons à dessein un exemple simple, unidimensionnel, géographiquement restreint : la qualité de l'air en Île-de-France. La croyance populaire, l'action politique, la réglementation veulent que celle-ci dépende d'une source prépondérante de polluants, les moteurs thermiques, et en particulier les diesel. Et voilà que, d'un coup d'un seul, l'obligation de confinement génère une disparition presque totale du trafic routier comme aérien, laquelle, pourtant, se lit si difficilement sur les instruments de mesure d'AIRPARIF que l'agence se sent obligée de produire un petit commentaire. La saisonnalité, celle de la température, de l’ensoleillement, des vents, du chauffage, des travaux agricoles, éléments aussi aléatoires qu'inévitables déterminent bien plus étroitement la qualité de l'air que le seul trafic automobile, tel qu'il a lieu de nos jours avec des véhicules aux normes.

En partie parce qu'il représente un coupable idéal, celui-ci reste pourtant seule cible des pouvoirs publics ou, plus précisément, et plus hypothétiquement, d'acteurs qui, de l'intérieur de la structure administrative, trouvent en ce coupable le vecteur de leur agenda particulier. Tout récemment, en plein confinement, satisfaisant ainsi à une obligation légale, feu le ministère des Transports a mis en ligne une consultation relative à un projet de décret qui recèle une telle charge de perversité que l'on se doit d'en tenter l'analyse, tout en regrettant amèrement de ne pas être publiciste. Et l'on rendra hommage au passage à la vigilance militante, sans laquelle on ne se serait aperçu de rien.

Ce décret vise à clore la longue histoire des ZAPA, devenues zones à circulation restreinte puis, par la magie du langage technocratique, zone de faibles émissions mobilité histoire de bien encercler le coupable. Il s'agit de territoires généralement densément peuplés dont les élus peuvent frapper de manière plus ou moins stricte toute espèce de véhicule, camions, autobus, automobiles, motocycles, d'une interdiction de circulation, et cela en fonction de leur âge et donc des normes anti-pollution auxquelles ils satisfont. Voici peu, la décision de créer une de ces zones que l'on trouve, par exemple, sur l'ancien département de la Seine, à Grenoble, Lyon ou Strasbourg appartenait à ces seuls élus. Selon la vieille tactique de l’étranglement progressif systématiquement employée par le pouvoir, cette option s'est, en décembre dernier, muée en obligation, et en obligation à satisfaire dans un délai exceptionnellement bref, soit d'ici la fin de l'année 2020.
Le décret détaille les modalités de cette contrainte et, en premier lieu, les zones où elle peut s'exercer. La liste des collectivités en cause se trouve ici et, on le constate, on ratisse large puisque des villes aussi modestes que Moulins, Laval, Blois, Dieppe ou Chalon-sur-Saône ne passent plus au travers des mailles du filet. Plus encore, au prétexte purement baroque "d’éviter la stigmatisation" des seules communes qui accueillent une station de mesure de la qualité de l'air, la zone d'exclusion sera étendue uniformément à la totalité de l'entité administrative concernée. Ainsi, le sort des 12 millions habitants de l'Île-de-France dépendra entièrement des mesures effectuées à Saint-Denis, sur la station dite de trafic qui jouxte l'autoroute la plus fréquentée d'Europe et obtient donc, en conséquence, des résultats particulièrement mauvais. Il s'agit, en somme, en partant d'un seul point, de couvrir le territoire le plus étendu possible, et tant pis pour les exceptions. On reconnaît bien là le tous coupables, tous punis caractéristique de l’ethos religieux propre à l’écologie radicale.
Mais si la police de l'air contrôle l'espace, elle maîtrise aussi le temps. Le décret prévoit d'agir de façon rétroactive, en remontant jusqu'à cinq ans en arrière à la recherche d'une série de trois années consécutives de dépassement des normes. Là, sans doute, la noirceur de l'âme perfide qui a conçu ce décret se dévoile dans toute sa laideur. Car, on l'a rappelé par ailleurs, la longue histoire de la lutte contre la pollution atmosphérique se résume à un progrès continu. Pour rester en Île-de-France, la région n'a pas connu de dépassement du seuil d'alerte aux particules fines PM 10, dernier polluant notable, depuis le 23 janvier 2017. Prendre en compte une période de cinq ans permet, d'un trait, d'annuler les gains générés par des décennies d’efforts, et de condamner en vertu d'une situation qui n'existe plus depuis des années. Reste un point capital, celui du fait générateur. La zone d'exclusion entrera en vigueur lorsque l'on constatera un dépassement d’une valeur limite sur l'un des deux principaux polluants produits par les pots d'échappement, les particules fines et le dioxyde d'azote. Là, on est tranquille : pour s'en tenir au seul dioxyde d'azote, aucune métropole européenne ne respecte la limite annuelle de 40 µg/m³.

Un seul espoir pour les édiles récalcitrants, qui voudraient préserver leur commune rurale de ces lubies de citadins : démontrer que, chez eux, le trafic routier n'est pas la principale source de pollution. Car le décret inverse aussi la charge de la preuve : coupable par défaut il faudra, au prix d’études qui, techniquement et financièrement, ne sont pas à la portée de tous, prouver son innocence. Là, l'expérience naturelle mentionnée plus haut a un rôle à jouer : témoignant du caractère secondaire des moteurs thermiques comme source de pollution, elle viendra appuyer la masse de recours que ce décret va inévitablement générer.
Ce magnifique forfait illustre une fois de plus le pouvoir exorbitant dont disposent ces fonctionnaires d'administration centrale, auteurs de textes réglementaires à même de fortement contraindre la vie quotidienne de millions d'individus, textes qui ne subiront, au mieux, d'autre contrôle que celui du Conseil d’État. Exploitant une double fenêtre d'opportunité, imposer une zone d'exclusion avant que l'amélioration constante de la qualité de l'air la prive de justification, et profiter du confinement pour la faire passer en toute discrétion, les auteurs de ce décret agissent sournoisement, comme les développeurs de virus informatiques, dont le programme pénètre par une porte dérobée avant de contaminer, de poste en poste, le plus d'organismes possible. Même, et peut être surtout, en ces temps troublés, la guerre aux pauvres ne connaît pas d'armistice.

citadelle

, 19:17

Le jour palindrome tombant un dimanche, il fournissait un prétexte idéal à l'organisation d'une petite réunion entre joueurs réguliers ou occasionnels à proximité du centre de gravité de la capitale, les Halles, réunion à laquelle on ne pouvait que prendre part. Lesté de victuailles diverses, à peine contrarié par ce crachin sinistre qui appartient à l'ordinaire du motard en ces contrées hostiles, profitant du faible trafic des après-midis dominicales, suivant un trajet réfléchi, conçu depuis longtemps et encore optimisé tout récemment, on approchait ainsi des grands boulevards en empruntant la rue Drouot. Une légère inquiétude se manifesta alors, à la vision d'un embouteillage fort inhabituel en de telles circonstances. Boulevard Montmartre, la situation empire, et l'horizon se bouche : la rue de Richelieu est barrée, gardée, et rayée d'un avertissement en interdisant l'accès, surmonté d'une de ces mentions grotesques comme seules les agences de publicité savent les concevoir, "Paris Respire". On choisit donc de dévier vers la droite, et de tenter sa chance un peu plus loin, sans succès. De détour en détour, on finit par se retrouver au Palais Royal, et toujours aussi loin de son lieu de destination. Alors, on renonce.
Pendant des années, des décennies même, le banlieusard a réussi à mettre en place des stratégies de contournement de plus en plus complexes, de moins en moins efficientes, pour surmonter les obstacles sans cesse renforcés que les municipalités parisiennes plaçaient sur sa route. Aujourd'hui, pour la première fois, face à la force brute, celles-ci ont échoué.

Que s'est-il passé ? De retour chez soi, on le découvre : le premier dimanche de chaque mois, protégé par des barrières flanquées de gardes qui les ouvrent seulement pour les résidants, le centre ville se transforme en l'une de ces communautés fermées si décriées par les beaux esprits et grâce auxquelles les riches s'offrent la sécurité de ne pas se mêler au bas peuple. La carte associée à l'opération recense pas moins de cinquante-trois points de contrôle, qui verrouillent le territoire des quatre arrondissements centraux, à deux notables exceptions près. D'une part, côté sud-ouest, une part importante du Ier arrondissement, qui englobe le musée du Louvre et le jardin des Tuileries, reste accessible à tous : de façon parfaitement gratuite, on supposera que cet espace très particulier échappe à la juridiction de la municipalité parisienne. D'autre part, deux axes stratégiques, la rue de Rivoli à partir du Louvre, et le boulevard de Sébastopol qui coupe le quartier réservé en deux selon l'axe sud-nord, sont toujours abandonnés à la furie automobile.

Quant à la raison d'être de cette opération, elle semble pour l'essentiel se limiter à un slogan : "profiter pleinement de l'espace parisien". S'agissant d'interdire la circulation des véhicules motorisés, on imagine que sa justification première relève de la lutte contre la pollution atmosphérique, le mantra Paris Respire laissant supposer que, le reste du temps, on étouffe. Rien de plus simple, pourtant, que de démontrer la futilité de cet argument.
D'abord parce que, à Paris, l'air n'a jamais été aussi pur depuis des décennies, le seuil d'alerte aux particules fines, dernier polluant notable, n'ayant plus été dépassé depuis deux ans. Ensuite parce que le dimanche a comme caractéristique que, en général, on ne travaille pas : alors, les rues sont si peu fréquentées que, ce jour-là, les interdictions de circulation qui frappent en temps ordinaire les véhicules les plus anciens depuis la mise en œuvre d'une zone dite à faibles émissions perdent leur effet. Par ailleurs, dans ces vieux quartiers, les voies qui connaissent un trafic intense sont peu nombreuses, les plus importantes étant la rue de Rivoli et le boulevard de Sébastopol, soit précisément celles qui, par nécessité sans doute, restent ouvertes à la circulation. Enfin, comme avec toute communauté fermée, la clôture entraîne des effets de composition, et, comme on a pu le constater à ses dépens, un report du trafic sur les quartiers extérieurs à l'opération, au grand déplaisir des riverains ainsi privés de leur quiétude dominicale.
Mais il en existe d'autres : si l'on en croit un quotidien d'opposition, les gardes des barrières agissent dans une assez grande illégalité, tandis que, pour un seul dimanche et sur le seul quartier central, leur intervention coûte 30 000 euros.

Paris Respire, en d'autres termes, se trouve largement dépourvu d'effets pratiques, et ressemble à une campagne de publicité récurrente tout autant qu'à une démonstration supplémentaire de pureté verte, et à un achat visiblement onéreux des voix écologistes. Il entraîne, part contre, une réelle violence symbolique, tant il permet de bien faire ressentir au banlieusard qu'ici, c'est pas chez lui, que ses droits de citoyen ordinaire ne s’appliquent plus, et qu'il serait désormais bien avisé d'aller se divertir ailleurs. Il s'agit, en somme, dans une modalité nouvelle, de marquer encore plus, et de manière à la fois plus rigoureuse et plus ostensible puisqu'elle passe par des dispositifs physiques de contrainte, de contrôle et de filtrage, la distinction entre l'aristocratie rose-verte de la capitale, et les manants des faubourgs.

pourrissement

, 19:10

On a oublié les dégonfleurs, qui s'amusaient à vandaliser les pneus de ces automobiles que l'on appelait alors des 4x4, eux qui, aujourd'hui, seraient irrémédiablement engloutis sous la marée des SUV. On ne se souvient guère des aventures souterraines des antipubs, lesquels, malgré tout, s'agitent encore. Par pur souci d’exhaustivité, et en dépit de la gêne que l'on ressent au rappel de cet épisode particulièrement grotesque, on se doit de mentionner une action vieille de dix ans et menée à la brillante initiative des enseignants de mon université chérie, la ronde infinie des obstinés. Plus récente, plus suivie, nuit debout doit encore éveiller quelques souvenirs.
En première analyse, la dernière en date de ces agitations de bocal partage quelques traits avec ses devancières, puisqu'elle recrute ses activistes dans les mêmes couches sociales, des fractions des professions intermédiaires et des cadres et professions intellectuelles supérieures, et emploie un répertoire d'action similaire, qui repose pour l'essentiel sur l'occupation d'une portion bien visible de l'espace public, de préférence au centre des grandes agglomérations. XR, pour employer son petit nom, se singularise par contre, au moins en Grande-Bretagne, son pays d'origine, par un certain penchant pour l'ésotérisme, contraignant les derniers incrédules à constater que les hippies sont bel et bien revenus et qu'ils n'ont jamais été aussi niais. De plus, cette toute jeune initiative, née l'an dernier, a réussi son internationalisation, et lance désormais des actions simultanées dans plusieurs capitales européennes. L'occasion ou jamais pour le sociologue de céder à son vice favori, la comparaison.

Certes, il serait bien audacieux de tirer des conclusions définitives, voire même de risquer une analyse un peu poussée d'événements en cours. On se référera pour cela aux compte-rendus d'observations et aux publications diverses qui fleuriront inévitablement, et aux actes de colloques qui ne manqueront pas de suivre. Mais on peut, au moins, dès aujourd'hui, s'intéresser à un élément commun et déjà effectif : la manière dont les forces de l'ordre traitent ces occupations qui, systématiquement, débutent dans l'illégalité.

La séquence a donc commencé lundi 7 octobre. En Allemagne, avec le soutien de ces chers kulturschaffende, un campement a été installé à Berlin à proximité de la chancellerie, tandis que la Potsdamer Platz était envahie et transformée en une sorte de salon de plein-air pour être, dès le lendemain, évacuée par la police au prix de quelques arrestations. À Londres, point chaud de l'agitation et scène de représentations particulièrement pittoresques, les autorités ont rapidement dicté une ligne de conduite : les protestataires peuvent s'installer dans la zone piétonne entourant Trafalgar Square. Ailleurs, ils seront délogés sans états d'âme ; on approche des 500 arrestations. Amsterdam, Sydney, New-York, dans toutes les métropoles que les activistes ont prises comme cible, on retrouve le même schéma, et la police intervient sans délai. À ce jour, on ne compte guère qu'une exception significative : Paris.
Place du Châtelet, pas d'endroit plus central à Paris, pas de meilleur point pour bloquer la circulation. Tout près de l'Hôtel de ville, à un jet de fronde de la Préfecture de police, on imaginait une évacuation rapide. Cinq jours après, on attend toujours, au point que la provocation déborde désormais sur le pont au Change. Or, pour que le spectacle soit complet, pour que les participants puissent invoquer avec succès les mânes des grands anciens de la non-violence, la pièce doit impérativement se terminer avec l'intervention de la police. Comme se fait-il que cet acteur-clé refuse, pour l'instant, de jouer le rôle qui lui revient ?

Les mauvaises langues diront que ce blocage du Châtelet s'intègre parfaitement à une politique municipale qui promeut, dans les rues et sur les places, l'immobilisme. On en voudra pour preuve les perspectives délirantes que trace ce texte tout récent, pourtant œuvre d'un enseignant en sciences politiques, lequel s'extasie devant la charpente de la caserne de Reuilly conservée lors de sa rénovation, avant de dessiner l'avenir de la capitale sous la forme d'une sorte de métropole-jungle à la François Boucq ce qui, au fond, revient à réactiver le vert paradis des temps de l'Occupation.

Mais le maintien de l'ordre public relève des missions d'un État qui reste, pour l'instant, étonnement passif. Alors, une hypothèse s'impose : il a choisi une stratégie, celle du pourrissement. Après la brillante réussite de sa dernière application, il était tentant de la remettre en œuvre. Pourtant une telle attitude, économe en apparence, est lourde de coûts cachés. Un des principes des régimes démocratiques réside en ceci que, en plus de la libre élection de leurs représentants, les citoyens disposent d'un éventail suffisamment large de moyens d'exprimer leurs opinions, et leur mécontentement, pour que le recours à une illégalité qui, en tant que telle, se doit de toute façon d'être sanctionnée, devienne inutile. En laissant faire sur la place du Châtelet, l’État ne se retrouve pas seulement isolé au milieu des autres démocraties qui, toutes, ont choisi de faire respecter le droit : il subit un petit coup de griffe supplémentaire, certes très modeste, mais qui vient s'ajouter à tous ceux qu'il a déjà accepté de recevoir, et qui tous mettent à mal ce monopole de l'usage légitime de la coercition physique qui, simplement, le définit.

narcisse

, 19:28

Qui perd quoi à la démission de Nicolas Hulot, troisième personnage du gouvernement, lequel abandonne brutalement un poste que, dans un lapsus révélateur, Arte qualifie de ministère de la transition énergétique ? Dans le champ journalistique, incontestablement, les dégâts sont énormes. On pleure, littéralement, la perte d'un collègue qui, certes sans vraiment le vouloir, avait accédé à de si hautes fonctions et était resté, jusqu'à l'ultime moment, un si bon client, lui qui a su organiser sa sortie de la meilleure manière, répandant à l'envi son sentimentalisme narcissique. À l'inverse, le champ politique profite sans vergogne de l'aubaine, assaillant de tous côtés ce pouvoir central auquel échappe, et de la pire manière, celui que l'on qualifiait lors de sa nomination de prise de guerre, et qui ruine d'un coup tous les investissements placés sur sa personne. Mais la politique environnementale, elle, pourrait en sortir fortifiée, pour peu qu'elle s'attache au problème urgent, le réchauffement climatique, en se passant des bons sentiments, des déclarations solennelles, des engagements irréfragables à tenir dans quarante ans, en faisant abstraction des visions d'apocalypse, en considérant que des solutions pragmatiques et accessibles, et souvent déjà mises en œuvre depuis des dizaines d'années, permettent, sans drame, sans bouleversement, d'améliorer les choses.

Aussi laissera-t-on à leur enthousiasme funèbre les passionnés d'eschatologie, pour se contenter de quelques remarques prosaïques, qui ont trait au fait principal, la dé-carbonisation de l'énergie et, plus modestement, de l'électricité. Celles-ci auront le double défaut de s'appuyer sur des données chiffrées, et d'évoquer des réalités désagréables. On s'intéressera d'abord à la place de la France, seul pays sur lequel le gouvernement dispose de moyens d'action effectifs, dans l'univers des émissions de gaz à effet de serre, univers que l'on a pris l'habitude de réduire à son composant principal, le dioxyde de carbone. L’échelle planétaire reste par ailleurs la seule pertinente puisque, si l'atmosphère a des limites, elle n'a pas de frontières.
On dispose pour cela de statistiques fournies par la Banque mondiale, qui détaillent pays par pays et pour deux années, en l'espèce 1960 et 2014, les émissions de CO2 par habitant. Avec 4,6 tonnes, un chiffre inférieur de 20 % à celui de 1960, la France fait preuve d'une vertu exemplaire, et qui le devient d'autant plus en comparaison avec, au hasard, la Chine. En 2014, un Chinois émettait 7,5 tonnes de CO2, bien plus, donc qu'un Français. On le rappellera, la population française compte aujourd'hui 65 millions de personnes, la Chine, 1,4 milliard. Logiquement, en peu d'années, ce pays est devenu le plus gros émetteur de gaz à effet de serre, alors que la France ne représente même plus 1 % du total de ces émissions.
Aussi, quand bien même on ne sait quel sortilège permettrait à notre pays de ne plus générer de CO2, cette performance, à la seule échelle pertinente, celle de la planète, ne serait même pas mesurable. Pour le dire autrement, l'objectif de dé-carbonisation de la production d'électricité a déjà été atteint, et depuis bien longtemps, avec la transition énergétique qui a vu le remplacement du charbon par l'électro-nucléaire.

Mais ce remède, on le sait, c'est le mal. En choisissant si tôt une solution efficace la France, en quelque sorte, n'a pas joué le jeu, puisque la bonne manière de faire se rencontre sur l'autre rive du Rhin, où un pays modèle, en dépit des 8,9 tonnes de CO2 qu'émettent chacun de ses habitants, a investi des sommes folles pour soutirer son électricité au vent et au soleil, tout en réduisant jusqu'au néant son emploi de l'uranium. Mesurables heure par heure sur un site de l'institut Fraunhofer, les résultats de cette politique ne paraissent pourtant guère concluants. En sélectionnant les bonnes options, on obtient un graphique qui permet, sur une période choisie, d'afficher les sources d'énergie que l'on désire : ainsi peut-on comparer, sur un mois d'été, le vent et l'uranium. Moins que l'habituelle opposition entre l'aléa éolien et la régularité nucléaire, ce graphique montre que, en juillet dernier, l'Allemagne a tiré plus d'électricité de ses réacteurs nucléaires résiduels que de ses investissements éoliens. Avec une puissance installée de l'ordre de 9,5 GW, le facteur de charge du nucléaire, utilisé au maximum de ses possibilités durant tout l'été, a souvent dépassé les 90 % ; les 75 GW d'éolien n'ont pas souvent fonctionné à plus de 10 % de leurs capacités.
Au demeurant, la consommation allemande d'électricité nucléaire de s'arrête pas là : par pure méchanceté, on signalera cet autre graphique, qui détaille les échanges de courant entre l'Allemagne et ses voisins. En ne gardant que ce joli bleu turquoise qui symbolise la France, on prendra la pleine mesure de la dépendance allemande à l'égard de l'électronucléaire national. Certes, l'été a été exceptionnel ; mais la défaillance de l'éolien ne s'est pas manifestée sur quelques heures, voire quelques jours, mais bien sur un trimestre entier. Et il a bien fallu la compenser de toutes les manières possibles, avec, entre autres, un recours continu au nucléaire lequel, en négatif, donne l'idée du chemin à parcourir pour qu'un pays qui a décidé d'en sortir parvienne effectivement à s'en passer. On prendra alors un parti courageux, voir téméraire, celui de parier que l'Allemagne, in fine, ne renoncera pas à l'électronucléaire. Et réussir enfin à imposer un vrai prix pour ce foutu carbone l'aiderait sûrement à retrouver le chemin de la raison.

La démission de Nicolas Hulot ne vaut que comme rappel utile de ce à quoi se réduit, sous nos latitudes, l’écologie de sens commun, celle que pratiquent les non-spécialistes, politiques et citoyens, corpus figé de doctrines simplistes à la polarité binaire, agenda imposé par des militants dont le combat contre le monde moderne a connu un succès d'autant plus grand qu'il promet, à défaut de paradis, un monde assemblé de bric et de broc, un peu d'archaïsme ici, de l'ésotérisme là, des choses simples et faciles à comprendre, la nostalgie de ces années évanouies où la France comptait encore, mais un monde idéal accessible, connu, proche et rassurant. Que ce fatras à la cohérence artificielle succombe aux contraintes du réel est inévitable ; et que la politique environnementale abandonne ces chimères au profit de l'action rationnelle serait aussi positif que surprenant.

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