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phobie

, 19:20

Si tant est qu'il soit possible de tirer des enseignements généraux d'un événement dont les propriétés intrinsèques rendent la reproduction impossible, l'accident de Fukushima Daiichi peut au moins avoir valeur de test. Et celui-ci montre que, malgré l'extrême sévérité de la catastrophe naturelle, en dépit du cumul de négligence, d'incompétence et d'impréparation qui caractérisent la manière dont Tepco, l'opérateur de la centrale, conformément à un mode d'exercice du pouvoir qui semble largement partagé par nombre de grandes entreprises japonaises, a géré l'affaire, un accident nucléaire majeur impliquant trois réacteurs à la fois peut n'avoir aucune conséquence sanitaire sur la population environnante. C'est bien là l'ennui avec la phobie de l'électronucléaire : elle ne peut se nourrir que de l'angoisse eschatologique de cette catastrophe finale qui rendra la Provence ou la Normandie inhabitables pour des millénaires mais dont on est bien obligé de constater que, quarante ans après les premières prédictions, on l'attend toujours. De plus, à force d'instruire le procès de l'électronucléaire, on perd facilement de vue le fait que, ailleurs en Europe, on produit de l'électricité avec d'autres moyens que l'atome, le charbon et le lignite en particulier, et que ces choix opposés à la préférence nationale pour l'énergie propre ont, sur la santé des gens, des conséquences qui n'ont rien d'illusoire, et qu'un tout récent rapport de l'Agence européenne de l'environnement se donne comme objectif de quantifier avec précision.

Selon la mode actuelle, l'étude confond sous le terme générique de polluants deux catégories de rejets dont les effets sont, le plus souvent, bien distincts : les gaz qui contribuent à l'accroissement de l'effet de serre, au premier rang desquels on retrouve, du fait de sa masse, et malgré son innocuité pour la santé humaine, ce malheureux dioxyde de carbone, et les polluants au sens strict, une famille bien plus large et qui, de diverses manières, dégrade la santé des habitants alentours. Au moins le rapport est-il suffisamment détaillé pour faire la part des choses, et proposer un classement des installations les plus polluantes avec, et sans CO2. Avec gaz à effet de serre, alias polluants globaux, le tableau des vingts plus gros pollueurs comprend exclusivement des centrales thermiques brûlant charbon, et lignite. En ne retenant que les rejets nocifs désormais qualifiés de polluants régionaux, on retrouve en gros les mêmes, avec en plus l'aciérie de Thyssen Krupp à Schwelgern.
Évidemment, comme tout classement, celui-ci souffre de nombre d'injustices. Ainsi mesure-t-il, avant tout, la taille des unités en cause : que Drax, la plus grosse centrale thermique britannique, figure à la cinquième place ne signifie pas nécessairement que ses performances environnementales soient particulièrement mauvaises. On constate d'ailleurs qu'une part significative des installations les plus dangereuses se situent dans les pays européens les moins développés, la Roumanie, la Bulgarie, la Grèce, là où on ne dispose vraisemblablement pas de la capacité d'investissement allemande. Mais on se rend également compte que, justement, parmi les vingt plus mauvais élèves, on retrouve huit allemands, et aucun français. Une carte, qui fait ressurgir un monde oublié, permet mieux qu'aucun chiffre de se représenter la situation ; cette carte, des Midlands à la Silésie, c'est, depuis le XIXème siècle, celle de l'Europe sale. La France, à quelques petites exceptions près, les aciéries de Dunkerque ou de Fos, la pétrochimie du Havre, mais aussi l'Espagne, en dehors des Asturies ou l'Italie, à l'exception de Tarente, n'appartiennent pas à cette Europe-là.

On retrouve un appareil de cartes du même genre, bien plus vaste, mais qui raconte à peu près la même histoire, dans une autre publication récente de l'Agence, son rapport annuel sur la qualité de l'air européen. Là, il est facile de repérer les grandes concentrations urbaines, productrices de particules fines, d'ozone et d'oxydes d'azote, mais aussi les particularités de l'agriculture bretonne, qu'on ne retrouve qu'en Belgique, aux Pays-Bas et dans l'Italie du nord, ou l'oxyde de souffre, plus industriel. Et l'on constate, une fois de plus, à quel point la situation française se révèle, à l'exception de la Grande-Bretagne qui profite elle aussi des influences océaniques, bien meilleure que dans les pays voisins, Allemagne, Espagne, Italie surtout. Comme l'indiquait Proteos, cette situation et ses conséquences produisent sur la santé des habitants des effets qui se lisent dans les modèles de l'OMS. En comptant comme l'Organisation de la santé, en parlant comme un écologiste, par rapport à un pays européen de population équivalente comme le Royaume Uni, la qualité de l'air en France, et les centrales nucléaires d'EDF, permettent chaque année d'épargner 6 000 vies. Comment se fait-il que personne n'en parle, et qu'il faille aller dénicher l'information dans un petit article de bas de page paru dans Les Échos ?

Paradoxalement, la faute en revient sans doute, pour l'essentiel, à EDF. Habitué à mener une politique autonome dans la tradition de la haute administration nationale, rendant négligemment des comptes aux politiques qui lui en demandaient, résistant à l'ingérence d'une Autorité de Sûreté Nucléaire bien en peine d'accomplir sa mission, considérant que ses clients n'avaient d'autre avis à exprimer que leur satisfaction face au prix modéré de son électricité, le monopole public s'est montré incapable de répliquer à l'argumentaire antinucléaire monté par les écologistes autrement que par ces protestations indignées, ces assurances vaines et ces arguments d'autorité qui, de tout temps, n'ont jamais eu d'autre effet que de convaincre les inquiets de la pertinence de leurs motifs d'inquiétude. EDF produit de l'électricité de manière fiable, peu coûteuse, sans utiliser de charbon, donc sans rejets polluants ; mais se contenter de ces données rationnelles et quantifiables n'est d'aucune utilité pour combattre une fiction, surtout lorsque celle-ci dénonce un mal absolu d'une façon d'autant plus confortable que, pour l'heure et sur le territoire national, les effets de celui-ci relèvent seulement du domaine infini de l'imaginaire. Mais l'argument inverse, dans un pays qui oublie un peu plus chaque jour ce qu'était le charbon et dont les monuments publics n'ont depuis longtemps plus besoin qu'on débarrasse leurs façades de la suie qui les recouvrait, peut de moins en moins s'appuyer sur une expérience concrète, et impliquerait un détour par une autre fiction, guère pratique, qui force à imaginer ce que serait le monde s'il n'était pas effectivement ce qu'il est.
On peut, certes, essayer, démonter la manière dont s'articule l'argumentaire écologiste, insister sur ce qu'il laisse volontairement dans l'ombre, compter les morts de la pollution atmosphérique : il faudrait, pour cela, se poser en militant, dénoncer, par exemple, l'éolien, son inefficacité et la fuite en avant qui l'accompagne. Mais les grandes entreprises préfèrent jouer les bonnes citoyennes, installer des éoliennes près d'une raffinerie aujourd'hui fermée et faire semblant de croire, comme le touriste compensateur de carbone, qu'une petite pénitence publique pardonnera leurs gros péchés. Là, au fond, se situe le nœud du problème : incapable, comme les autres grands acteurs industriels, d'assumer sa situation, EDF abandonne la maîtrise de son destin, se contentant de mal rendre les coups, légitimant par là-même le discours de ceux qu'elle n'a même pas le courage de présenter comme ses adversaires.

blues

, 19:20

En juillet dernier et sous le déprimant titre SOS lobbyiste battue, la Tribune consacrait un article illustré d'une émouvante photographie la montrant au bord des larmes à Angela Knight, présidente de la British Bankers' Association. Celle qui doit quotidiennement affronter l'écrasante tâche de défendre l'honneur des banquiers britanniques y confiait combien, à l'idée de passer une fois de plus sa journée à prendre des coups, il lui était parfois difficile de se lever le matin. À son tour, la Fédération Bancaire Française a décidé d'assumer le même fardeau. Et sans doute fatiguée d'attendre que la presse lui rende justice, elle vient de prendre ses affaires en main en achetant une pleine page dans les quotidiens nationaux et régionaux. On se permet d'espérer qu'aussi bien Libération que l'Humanité, qui en ont bien besoin, ont eu leur part ; on se contentera, comme toujours, d'étudier l'annonce telle qu'elle est passée par le canal habituel du grand capital, Les Échos.

Car, l'observateur attentif l'aura remarqué dès 2008, le monde, généralement, est bien trop injuste, et avec les banquiers en particulier. Déjà en 2008 l’opprobre frappait indistinctement la profession dans son ensemble alors que l'on pouvait facilement démontrer que les établissements les plus haïssables, les grands réseaux capitalistes, s'en tiraient, au niveau européen, nettement mieux que les banques mutualistes ou la caisse d'épargne de la région, acteurs pourtant réputés prudents et peu attentifs aux sirènes à la solde de la spéculation internationale. Trois ans après rien n'a changé : les Landesbanken sont toujours dans un sale état, l’État espagnol termine le programme de fusions et de recapitalisation des caisses d'épargne, et Dexia, cette fois-ci, a coulé pour de bon ; l'AMF, comme avant, interdit les ventes à découvert sur les titres de sociétés financières et, comme toujours, cette décision contribue efficacement à calmer la volatilité des titres en question.
Et pourtant, tout a changé puisque le monde s'est renversé : le risque se trouve désormais tout entier contenu dans ces actifs très peu rémunérateurs et qui, en conséquence, ne présentaient d'autre intérêt que leur sécurité, les emprunts d’État. Que l'on réussisse à reprocher aux établissements financiers de détenir de tels titres en portefeuille, qu'on les accuse de jouer, par inconscience, rapacité, et goût du risque, avec les dépôts de leurs clients en choisissant de les investir dans ces valeurs sûres qui, du jour au lendemain, brûlent les mains, montre que le désespoir raccourcira encore longtemps les nuits d'Angela Knight, et que la campagne lancée par la Fédération Bancaire sera longue, et ardue.

Celle-ci, pourtant, frappe fort, ce qui, de la part d'un organisme, par obligation, discret et modéré, surprend, et permet de percevoir, sous la pondération du propos, une totale exaspération. Réfutant l'argument d'une recapitalisation intervenant à la demande des banques, leur porte-parole rappelle à quel point tous leurs soins, comme d'ailleurs ceux des entreprises en général, ont porté depuis 2008 sur l'amélioration de leur solvabilité. Aujourd'hui, rien d'autre ne les menace que la défaillance des États qui jouent dans une classe à part, puisque, seuls dépositaires du monopole de l'usage légitime de la violence physique, ils sont seuls à pouvoir écrire les règles qui gouvernent les banques. Sur le cas particulier de la dette grecque, la Fédération précise que ces titres ont été conservés à la demande de l’État et que, de toute façon, ils ne pèsent pas lourd dans les comptes. Comprenant des fonds en euros à hauteur de 85% du total des encours, l'assurance-vie, le placement préféré de l’État français, ne peut guère en effet être investi ailleurs qu'en dette publique. Et à la seule exception du Crédit Agricole, qui possède des dépendances sur place et dont, d'après Les Échos, la Grèce représente 8,3% du portefeuille d'obligations d’État en euros, ce qui n'est pas rien, l'exposition reste anecdotique, ne serait-ce que parce que la Grèce ne porte pas seule toute la dette du monde.

Alors, puisqu'on est sur le point de confier à la Grèce, le pays le plus avancé dans la construction de cette grande fiction où tout le monde s'est efforcé de vivre au dépens de tout le monde, ce luxueux paquebot dont tous les passagers sont clandestins, les clés de la passerelle avec autorisation de prendre la direction qui lui convient, il faut faire ses comptes. Même un défaut sur la moitié de son passif ne mettra personne en danger ; et le coût, sous forme d'augmentation du capital des établissement prêteurs, en sera amorti par leurs actionnaires - c'est déjà fait - et par leurs salariés - ça va venir. Les craintes qui perdurent sont plus diffuses, et découlent de l'incapacité de la puissance publique à se comporter comme telle. L'Europe mettant une fois de plus son impuissance en scène dans un interminable feuilleton qui a depuis longtemps cessé d'amuser et dont les derniers épisodes portent la bouffonnerie italienne au sommet de l'affiche, on se prend à rêver du moment où, le dos au mur, les élus, contraints et forcés, se comporteront en adultes, cesseront de voir dans les citoyens les clients de largesses dont tout le monde sait dans quelles conditions elles ont mal été acquises, et, dans un inespéré mouvement de transparence démocratique, répartiront publiquement et équitablement la charge du retour à l'équilibre des comptes publics. Ce qui, il n'est guère permis d'en douter, prendra encore quelques années.

AAA

, 12:02

Décidément, il n'y a plus de saisons. Il fut un temps où le mois d'août ne connaissait d'autres cyclones que tropicaux, tempêtes durant lesquelles seules comptaient les conséquences de ceux-ci sur la production d'hydrocarbures dans le golfe du Mexique et, donc, sur les cours du pétrole. Après des mois de dur labeur et de risques inconsidérés, traders, boursiers et politiques, aux premiers jours du mois, liquidaient leurs positions avant de prendre, l'âme en paix, leurs quartiers d'été. Désormais, la méchanceté des temps ne laisse de répit à personne : elle en rajoute même, cumulant, en ce mois de détente, deux crises indirectement liées, une brutale tempête boursière, et un lent effondrement des finances publiques dans quantité de pays développés. Une situation qui possède, de plus, une certaine ironie.

Quand la crise immobilière et financière a frappé les États-Unis d'abord, puis le monde entier à l'automne 2008, les bonnes âmes se sont acharnées à démolir l'ambulance d'un capitalisme donné pour mort : ces marchés tout-puissants dont les laudateurs soutenaient qu'il fallait les laisser se gouverner comme bon leur semble venaient de démontrer de la manière la plus éclatante qu'une telle liberté ne pouvait conduire qu'à la catastrophe. Les marchés ne sont rien sans régulation, et ne pouvaient sortir du tunnel dans lequel leur rapacité les avaient enfermés sans le secours de l’État. C'était le temps des plans de sauvetage avec leurs centaines de milliards de dollars, le temps, aussi, de la faillite de Lehman Brothers. Et les bonnes âmes de s'offusquer des sommes colossales ainsi englouties dans la préservation d'un système honni, au lieu de secourir ceux qui en avaient vraiment besoin, ces ménages endettés expulsés d'une maison dont ils ne pouvaient plus rembourser les traites.
Trois ans plus tard, on peut dresser un premier bilan de ce Troubled assets relief program. Les prévisions initiales faisaient état de dépenses atteignant 700 milliards de dollars ; en réalité, le montant total des fonds publics mobilisés ne dépassera pas 400 milliards. Et, puisqu'aucune grande entreprise n'a disparu, et pas même General Motors, cette intervention, d'un seul point de vue financier, et grâce au marché, se révélera un excellent investissement. General Motors, nationalisé de fait, sera remise sur le marché, et ses actions trouveront suffisamment d'acquéreurs intéressés par une entreprise qui ne distribuera pas de dividende avant que l'État ne se soit totalement désengagé pour que celui-ci réduise considérablement sa participation. Pour l'heure, on estime le coût final du programme à 20 milliards de dollars, soit 5 % du montant investi. Il se pourrait bien, en d'autres termes, qu'il se révèle bénéficiaire. Tel était le cas, du moins, avant que n'arrive ce mois d'août meurtrier.

Car le politique est de retour, mais d'une manière assez éloignée de celle que l'on attendait. En dégradant la note de la dette des États-Unis, mettant ainsi à exécution une menace brandie depuis longtemps, Standard & Poor's accomplit un geste aussi spectaculaire qu'indéniablement politique. L'agence sanctionne en effet moins la situation très dégradée des finances publiques que le refus des élus de s'accorder sur la seule manière efficace de s'en sortir, solder les comptes des années Georges Bush. D'autres, tirés de leur torpeur estivale ou rentrés de vacances l'auront noté, la moitié de l'encours de la dette américaine est à porter au crédit du dernier président républicain, fanatique de l'engagement militaire et gros consommateur de cadeaux fiscaux. Refuser de traiter cette question, reporter sur ceux qui manquent déjà de ressources les économies nécessaires, c'est s'engager en toute conscience de cause sur le chemin de la dégradation.
Pourtant, réduire sa dette n'est pas forcément une affaire bien compliquée, à condition de prendre le temps de le faire. Sans bruit, sans drames, dans la zone Euro, la dette publique d'un pays sans État et dont tout le monde se moque a ainsi fortement baissé au cours des quinze dernières années. En 1995, la dette de la Belgique culminait à 130 % du PIB ; ensuite, avec une régularité suisse, d'année en année, elle a été graduellement réduite pour atteindre 84 % en 2007. Depuis, évidemment, la mauvaise fortune générale a inversé la tendance, sans pour autant conduire à une détérioration dramatique, puisque le pays reste noté AA+. En somme, les finances publiques seront d'autant mieux gérées que l’État fait défaut, et que les élus sont occupés à se disputer ailleurs.

Reste une dernière question, celle du choix de la date, et de cette dégradation dont l'effet sera amplifié par la correction boursière qui sévit sur les marchés mondiaux depuis quelques jours. Mettant brutalement le politique face à ses responsabilités, Standard & Poor's se place au fond dans un rôle opposé à celui joué par l’État, lorsqu'il abandonna Lehman à son triste sort en septembre 2008. La brutale révélation que tout le monde ne serait pas toujours sauvé, que le too big to fail pourrait faire défaut, pétrifia un secteur bancaire qui cessa instantanément de fonctionner, avec les conséquences dramatiques que l'on connaît, même si leur effet fut assez bref. Aujourd'hui, la note de Standard & Poor's sonne un peu comme un prêté pour un rendu ; pour l'heure, le moins que l'on puisse dire est que ses conséquences semblent bien moins négatives que le largage de Lehman.

norvégienne

, 19:34

Prenons la chose au sérieux, et imaginons que les propos d'Eva Joly, lorsqu'elle proposa voici peu de débarrasser la fête nationale de son défilé militaire pour le remplacer par quelque chose qui ressemblerait aux commémorations staliniennes de la révolution d'Octobre, sans les chars, servaient d'autres utilités que celles qu'elles ont immédiatement trouvé, fournir matière à quelques commentaires et polémiques parmi lesquels on distinguera comme il se doit le somptueux jeu de mots de Raveline. Force est alors de constater que, du côté de l'attaque, l'opération s'est parfaitement déroulée. En larguant sa bombe un 14 Juillet, Eva Joly lançait sa campagne électorale, disait à son camp ce qu'il aimait entendre, et montrait à la fois une adhésion à ses valeurs dont personne n'avait jamais douté, et une pugnacité qu'elle n'avait plus guère besoin de démontrer. D'autres torpilles suivront sans nul doute, et on attend avec impatience que la candidate se prononce sur le sort de la société publique Areva, qui construira désormais des hydroliennes à la place des réacteurs nucléaires, sur le destin des centres-villes, strictement réservés aux piétons et cyclistes tandis que leurs magasins seront ravitaillés par voie fluviale, et par charrette à bras, ou sur la nécessité pour les bourgeois du IVème chargés de famille d'assumer jusqu'au bout les conséquences de leur comportement antisocial. La candidate, de plus, savait que, en face, les réactions seraient à la hauteur de son audace. De fait, la stigmatisation de la bi-nationale, une qualité qui ne peut que plaire à ses partisans, les plus universalistes des électeurs, fournissait à notre petite soldate toutes les munitions nécessaires à la contre-attaque. L'étonnant, dans l'affaire, est que la droite soit tombée tête baissée et cornes en avant dans le piège d'une aussi évidente provocation. Au-delà du jeu des contraintes et des automatismes qui semblent tenir lieu de capacité à réfléchir, il faut sans doute voir là un fait indéniable : Eva Joly, et pas seulement à droite, énerve prodigieusement, et ses origines norvégiennes n'y sont pas pour rien.

La Norvège, en effet, profitant de richesses qu'elle n'a rien fait pour mériter - une mer poissonneuse qui, de plus, lui fournit bien plus de pétrole et de gaz que son infortunée voisine britannique - ne se contente pas d'exploiter à son seul profit cette situation naturelle, en se tenant soigneusement à l'écart d'une Union Européenne dans les bras de laquelle elle n'aura sûrement, comme sa cousine islandaise, aucun scrupule à se précipiter si jamais la nécessité l'impose : elle joue, en plus, au donneur de leçons. Les revenus pétroliers soigneusement mis de côté pour assurer un avenir sans nuages aux petites filles blondes à nattes sont réinvestis dans des sociétés qui répondent, aussi, à des critères de vertu, ce pourquoi le gouvernement norvégien tient soigneusement à jour la liste des entreprises punies, et donc privées de pétrocouronnes. Eva Joly avait certes quitté son pays natal avant que celui-ci ne commence à exploiter ses hydrocarbures. Difficile, pourtant, de ne pas penser que sa carrière de juge d'instruction, et son attrait pour les affaires financières, ne doivent rien à sa culture initiale. Même si elle ne fut pas la seule à animer ce fameux pôle financier qui bouscula si violemment les vieilles pratiques des corrompus, elle en restera sans doute, précisément à cause de sa particularité culturelle, à la fois l'élément le plus mémorable, et le plus détesté de ses adversaires. Et dans la réaction de la droite, dans ce que l'on qualifie de xénophobie alors que, pourtant, la haine de l'étranger s'applique d'ordinaire à des citoyens aux origines diamétralement opposées à celles d'Eva Joly, il faut surtout voir l'expression de ce ressentiment contre la donneuse de leçons et la diseuse de droit qui s'est permis cette chose inconcevable avant elle, appliquer la loi dans toute sa rigueur à tous les justiciables. Choisissant de poursuivre sa carrière dans le domaine politique, elle ne pouvait bien sûr rejoindre d'autre parti que celui des professeurs de morale et des professionnels du bon exemple, les Verts. En très bonne compagnie, elle jouit du privilège, comme norvégienne, et comme française, d'être la seule à pouvoir prêcher la bonne parole au carré : comment s'étonner, dès lors que, l'emportant sans peine face au candidat des multinationales, elle représente son parti à la présidentielle ?

La sortie d'Eva Joly aura eu un effet inattendu, l'hommage national rendu en direct à la télévision aux derniers soldats morts en Afghanistan, qui vaut comme réparation du relatif silence dans lequel ont été accueillis leurs prédécesseurs, et comme inavouable expression de culpabilité. Et c'est sans doute aussi ce qui rend les Eva Joly si pénibles. Dans un célèbre article, Raymond Fisman et Edward Miguel utilisent un indicateur inédit, le non paiement des amendes pour stationnement interdit des diplomates en poste à l'ONU, pour estimer le degré de corruption des États qu'ils représentent. Dans leur liste de 149 pays qui commence par le plus corrompu, la Suède occupe le rang 148 et la Norvège, le 145. A la place 81, la France est coincée entre le Zaïre et l'Inde. Longtemps moquée comme illusoire et inefficace, la lutte contre la corruption progresse à mesure que la démocratie s'étend, et que les règlementations, comme en Grande-Bretagne, se durcissent. Doublement détestable à cause de son origine, ce pays riche, nordique, si sûr de lui et de ses vertus, et de son engagement politique, qui la conduit à bousculer cette manière locale, sudiste, clanique, rentière, aristocratique de faire de la politique, ce qui fait ressentir son intrusion comme d'autant moins tolérable, Eva Joly ne fut pas la dernière à participer à cette lutte, et en exploite aujourd'hui les fruits. Et l'on se doit bien de le reconnaître sans vouloir se l'avouer, la grand-mère rigide et autoritaire qui s'obstine à administrer son remède amer n'a pas fondamentalement tort.

paniqués

, 19:27

Faire route vers la place de la Bastille en ce vendredi soir du pont de l'Ascension, dans le but condamnable de rejoindre ces bandits casqués qui, au grand désespoir des riverains en général et de leurs oreilles en particulier, ont réinvesti ce lieu historique, permettait d'assister à un étonnant spectacle. Boulevard Bourdon stationnent une dizaine de fourgons de la gendarmerie mobile, alors que la rue de Lyon, au pied de l'opéra, accueille en plus faible nombre les véhicules d'une compagnie d'intervention de la police nationale. Sur le parvis du bâtiment lui-même, et sur la place, les gardes mobiles en tenue de maintien de l'ordre patrouillent, tandis que l'accès au grand escalier est condamné par un ruban bicolore. Une semaine plus tard, le dispositif n'a guère évolué, les fourgons de la police figurant même en plus grand nombre. Et le 18 juin, tout occupé à autre chose, on compte malgré tout au passage, un peu en retrait, sur le quai de la Rapée, quelques véhicules de la gendarmerie mobile. On l'imagine sans peine, la permanence d'un tel dispositif découle directement de l'évacuation sportive, le 29 mai, des manifestants qui, à l'image des protestataires espagnols auxquels ils faisaient directement référence, campaient sur les marches de l'opéra avec la ferme intention de s'y établir. Si l'on se rappelle que, l'année passée, exactement à la même période, des salariés sans papiers soutenus par la CGT avaient occupé durant trois semaines ce même escalier, au grand déplaisir du directeur de l'opéra, et que, leurs revendications satisfaites, ils l'avaient évacué de leur propre chef, si l'on se souvient du record établi par le campement des infirmières, face au ministère de la Santé, on ne peut que constater un violent contraste entre la souplesse d'hier, le choix de la négociation ou bien du pourrissement, et la réaction d'aujourd'hui, immédiate, brutale, et suivie d'une pression policière permanente qui vise à empêcher le retour des délogés. Un tel déploiement ne peut avoir qu'un objectif : étouffer dés son apparition toute espèce de mouvement qui prendrait modèle sur la contestation espagnole. Au premier abord, la panique qui semble s'emparer du pouvoir face à une telle éventualité surprend puisque, pour l'heure, on remarque à peine cette agitation qui ne fait que rassembler les effectifs aussi assidus que clairsemés des éternels guetteurs du grand soir.

Frank Lloyd Wright disait de Le Corbusier que, chaque fois qu'il construisait un bâtiment, il écrivait un livre : cette remarque pourrait parfaitement s'appliquer à l'extrême-gauche si seulement, de temps à autre, elle construisait quelque chose. Là encore, pour l'instant, on n'observe guère que quelques réunions d'activistes qui se payent largement de leurs propres mots, se contentent de leurs postures et se satisfont pleinement d'avoir contraint le pouvoir à procéder à cette évacuation forcée qui leur permet de jouer les victimes. La tactique des occupationnistes n'a rien de bien original et, de l'église Saint-Bernard au palais Brogniard en passant par le canal Saint-Martin, pour ne citer que des exemples récents, elle a déjà beaucoup servi, toujours de la même façon, et avec une issue identique. Fatigue de la répétition, impossibilité de saisir un objet perdu dans le flou ou incapacité à promouvoir sa cause, le trait distinctif de cette occupation-là, d'un point de vue factuel, réside plutôt dans l'absence de ces relais indispensables à sa popularisation, ces militants de conscience souvent originaires du meilleur monde, et les caméras des journaux télévisés. Il est facile, évidemment, de revendiquer cette faiblesse comme la force d'un mouvement qui prétend d'autant plus à l'autonomie et à la spontanéité que, à défaut de proposer quelque chose, il récuse au moins le jeu politique actuel, et ses acteurs. À cet étage, on ne perçoit pas vraiment en quoi il peut bien inquiéter le pouvoir.

Sans remonter à l'époque de l'antiparlementarisme virulent, on peut au moins citer par comparaison un mouvement populaire qui possédait des caractéristiques assez proches, et a produit des effets certains. Encore qu'on ne puisse se contenter de présenter ainsi Mani pulite puisque, si l'appui populaire informel fut massif, la lutte contre la corruption des élites politiques italiennes eut lieu pour l'essentiel à l’intérieur des tribunaux. La disqualification du personnel politique en place, la dissolution de l'inoxydable Démocratie Chrétienne et du parti socialiste laissèrent la place à de nouveaux venus et assurèrent, face à l'incapacité de la gauche à surmonter ses dissensions, le triomphe d'un Silvio Berlusconi. En d'autres termes, on obtint alors un résultat exactement contraire à celui qui était espéré. Au moins un tel mouvement avait-il un objectif précis, des moyens d'action, un soutien institutionnel, et l'engagement d'une fraction importante de la population, tous éléments qui font aujourd'hui défaut aux occupationnistes, et permettent d'autant moins de comprendre ce qu'ils peuvent bien avoir d'effrayant.

Moins que dans le domaine politique, la clé du problème se trouve sans doute dans la situation économique, et dans la composition sociale du mouvement. Malgré les dénégations des activistes, malgré la présence obligatoire à leurs côtés de leurs parents, les vieux militants altermondialistes, en France, en Espagne, on semble bien avoir affaire à une contestation de la jeunesse, donc à une bien tardive réaction face au sort qui, dans ce pays et d'autres, l'Italie, la Grèce surtout, est le sien depuis trente ans. Car ce chômage des jeunes qui retrouve aujourd'hui des sommets inaccessibles depuis la fin des années 1980, cette manière collectivement choisie de refuser les adaptations indispensables en les faisant payer par ceux qui n'y étaient pour rien et n'étaient pas en mesure de le faire, puisqu'ils essayaient simplement d'accéder au marché du travail, constitue aussi l'un des critères par lesquels on peut couper l'Europe en deux. Avec un PIB par habitant qui stagne et voit l'écart s'accroître avec la zone de l'économie allemande, la France, comme les autres pays qui bordent la Méditerranée, se situe du mauvais côté. Et quand le responsable de votre malheur se trouve précisément être la main qui, à trente ans passés, vous nourrit encore, et vous héberge en plus, il faut bien aller chercher un coupable ailleurs : le déni de réalité vous enferme aussi efficacement qu'un cordon de gardes mobiles, et vous conduit à chercher le salut dans ce changement radical que les professionnels de la révolution vous offrent, prêt à servir. Tant qu'ils sont seuls à le mettre en œuvre, tout va bien, et le pouvoir dort, tranquille. Mais si la contestation se gonfle des bataillons de diplômés sans avenir, si elle s'étend, de manière imprévisible, à l'on ne sait quelles autres catégories sociales, le pouvoir s'inquiète, puisque le caractère inédit qu'elle prend alors déjoue ses habituelles stratégies de crise. Aussi ne prend-il pas de risques, et veille-t-il soigneusement à étouffer immédiatement chaque départ d'incendie.

winners

, 19:26

Grand amateur de performance et plus encore de moyens de la mesurer, l'univers des grosses capitalisations boursières fait, une fois de plus, l'objet d'un classement dans l'édition de mardi du quotidien de référence pour ce monde-là, Les Échos. Limité aux sociétés du CAC40, ce palmarès distingue de manière dichotomique gagnants et perdants ; mais même s'il s'appuie sur leurs performances financières, le résultat a pourtant tout du jeu de hasard : à partir des données que l'on possède sur les critères qui présideront à son versement, le quotidien dresse en effet la liste des entreprises qui seront contraintes de distribuer à leurs salariés une prime assise sur leurs dividendes de 2010, mais aussi de celles qui, en fonction des mêmes critères, en seront exemptées. Autant dire que, derrière les simples calculs qui justifient cette partition, la rédaction se livre en fait à son sport favori, le persiflage insidieux. Difficile d'exposer de manière plus claire qu'avec cette démonstration par l'absurde à la fois la totale ineptie du dispositif tel qu'il est ainsi conçu, et les profondes injustices qu'il va générer pour les salariés, mais aussi pour les actionnaires.

Pourtant, au départ, c'est simple : les entreprises qui, au titre des résultats de l'année 2010, distribueront des dividendes supérieurs à ceux de la moyenne des deux exercices précédents auront obligation de verser une prime à leur salariés. Prenant le gouvernement au mot, retenant comme critère le montant du dividende par action, la rédaction des Échos dresse alors sa liste, et les gagnants, par ordre alphabétique, sont : Bouygues, Carrefour, Crédit Agricole, France Telecom, Total, Veolia, Vivendi, toutes sociétés qui ne seront pas redevables de la moindre gratification à l'égard de leurs salariés au titre de cette disposition nouvelle. Ce n'est pas que ces fleurons de la cote ne rétribuent pas leurs actionnaires ; ce serait même plutôt le contraire puisque, lors des deux années difficiles des exercices 2008 et 2009, ils ont malgré la tempête maintenu constant le versement de leur dividende. Mais comme, pour la troisième année d'affilée, celui-ci reste stable, la condition de base pour l'obligation de prime ne se trouve pas remplie : c'est ce qu'il fallait démontrer, et les Échos y parviennent de façon magistrale. D'autres, comme Accor, passent au travers du fait d'avoir eu la bonne idée de se couper en deux, entraînant ainsi une forte diminution du périmètre d'activité ou, plus simplement, avec Alcatel-Lucent, parce que leurs actionnaires ont depuis des années oublié à quoi diable un dividende peut bien ressembler. En tête des perdants, on citera Renault et, dans une moindre mesure, Natixis, qui renouent avec la pratique d'un modeste dividende après deux années blanches, et seront donc dès lors soumises à l'obligation gouvernementale, un fait dont leurs actionnaires restés à bord en pleine bourrasque et quoi qu'il leur en ait coûté apprécieront la profonde ironie à sa juste valeur.
Très accessoirement, on se permettra de rappeler que l'attribution des résultats de l'année précédente se décide, formellement, lors des assemblées générales des actionnaires qui, le plus souvent, se déroulent au printemps et que, pour l'essentiel, les dividendes sont versés avant le mois de juin. Or, quelle que soit la promptitude à agir d'un législateur en état d'urgence électorale, on voit mal comment il pourrait ne pas arriver après la bataille : le partage des dividendes deviendra ainsi obligatoire alors même qu'il ne restera plus rien à distribuer. On attend dès lors avec impatience l'exposé du subtil mécanisme grâce auquel le gouvernement réussira à faire rendre les sous.

A moins, bien sûr, que l'on n'ait rien compris. La référence au versement de dividendes n'intervient peut-être pas d'un point de vue technique, posant comme but le détournement d'une partie de ce qui est versé aux actionnaires au profit des salariés. Les dividendes valent peut-être comme un genre d'attestation de mauvaise mœurs, comme la trace impudente, puisqu'elle s'exprime au grand jour et en toute légalité, d'un trafic honteux, livre d'argent sale prélevée sur la chair des travailleurs, deniers mal acquis puisqu'il sont le fruit d'un travail respectable auquel seuls d'autres sont astreints. Née dans le cerveau présidentiel, cette façon de justifier un cadeau électoral sans impact sur les finances publiques a déjà une petite histoire. Apparue sous l'idée d'un partage en trois des excédents d'activité, elle a alors momentanément sombré lorsque l'on s'est aperçu, vraisemblablement à la plus complète stupéfaction du pouvoir, que les dividendes représentaient déjà, en moyenne, un tiers de ces excédents, et que le tiers que l'on souhaitait réserver aux salariés serait pris sur la part que l'entreprise conserve pour financer ses investissements. Le sage, alors, prenant conscience aussi bien de la complexité insoupçonnée de la vie économique que de sa propre ignorance, aurait sans doute renoncé ; le Président, lui, continue, et a donc inventé cette relation de cause à effet entre croissance des dividendes et prime obligatoire. On ne savait pas l'ami des riches à ce point ignorant des mécanismes mêmes par lesquels se constitue la richesse ; et on le découvre, en fait, tout imprégné d'infantilisme marxisant.
Cette volonté d'amarrer le clientélisme à la vie des entreprises et de le faire dépendre de leurs exercices comptables contient ses propres germes de destruction. Abonder dans le discours stigmatisant le grand méchant capitaliste mondialisé, Carrefour l'accapareur, Total le spéculateur, France Telecom l'esclavagiste, imaginer un mécanisme redresseur de torts et découvrir que, de la façon dont il est conçu, y échapperont précisément les plus coupables, ceux-là même qui, ayant privilégié durant la crise l'intérêt de leurs actionnaires, les ont protégés de ces risques qui sont l'essence et la vertu du capitalisme, alors que ceux qui, comme Renault, ont à l'inverse joué le jeu en ne versant pas de dividende durant les années difficiles seront de ce fait soumis à double peine, devrait suffire à désespérer Grenelle et Bercy. Et les clameurs qui retentiront lorsque sera rendue publique la très courte liste des bénéficiaires, les injustices qui en découleront, le mécontentement unanime qui scellera l'union sacrée des syndicalistes et des actionnaires se feront, peut-être, entendre jusqu'à l’Élysée.

trahison

, 19:16

Parfois, le défi que doit relever l'aventurier désireux d'analyser de manière rationnelle les décisions annoncées par la majorité actuelle peut se révéler si redoutable que la tentative ne peut se solder que par un échec. Malgré tout, puisque l'important, c'est le parcours et pas le résultat, puisque, à défaut de justification, il sera toujours possible de mettre au jour quelques mécanismes, puisque multiplier les spéculations ne coûte rien, on peut chercher à comprendre comment, à défaut de pourquoi, un gouvernement, fut-il clairement de droite et parfaitement anti-libéral, peut en arriver à des propositions aussi pétrifiantes que celle annoncée mercredi à l'Assemblée Nationale par le ministre du Budget.

Prenons la chose au sérieux : il s'agirait donc de contraindre les entreprises qui rémunèrent leurs actionnaires grâce au versement de dividendes à attribuer à chacun de leurs salariés une prime au caractère exceptionnel mais dont le montant ne saurait être inférieur à 1000 euros. Les lecteurs réguliers de la presse économique savent, au demeurant, que cette idée, déjà mise en œuvre par de grands groupes industriels allemands qui, après le désastre de 2009, profitent d'une exceptionnelle année 2010, ne sort pas du chapeau du ministre. Parcourant l'impasse jusqu'à percuter le mur, imaginons que la mesure entre en vigueur ; faisons comme si les mouvements sociaux actuels ne s'inscrivaient pas dans la classique logique des négociations salariales annuelles, et admettons que les salariés demandent autre chose qu'une augmentation de leur rémunération. Voyons, par exemple, ce qui se passerait chez Carrefour si ses employés touchaient leurs 1000 euros de bonus. En 2010, le n°1 européen de la grande distribution a donc réalisé un chiffre d'affaires de 101 milliards d'euros, dont 42 sur le sol national, 33 ailleurs en Europe, en Espagne ou en Belgique, le reste se partageant entre des implantations diverses, Brésil et Chine en particulier. Ici surgit le premier écueil : si Siemens gratifie ses salariés allemands d'une prime de 1000 euros, il n'en oublie pas pour autant, en bon conglomérat universel, les autres. Attend-on de Carrefour qu'il traite équitablement français, grâce auxquels le groupe a vu son chiffre d'affaires augmenter de 0,1 % par rapport à l'an passé, et brésiliens, responsables d'une croissance de 6 % ? C'est que les brésiliens souffrent d'un handicap rédhibitoire, puisqu'ils ne contribuent aucunement à la prochaine élection présidentielle. Supposons donc que les seuls français bénéficient de ces largesses, en faisant abstraction des fâcheux qui ne manqueront pas de dénoncer à Bruxelles un tel traitement de faveur, et autres broutilles du même ordre. La société, de par le vaste monde, emploie de l'ordre de 500 000 personnes : admettons que ses effectifs sur le sol national soient proportionnels au chiffre d'affaires réalisé, soit 200 000 salariés touchant chacun sa prime d’État : son montant total atteindrait donc 200 millions d'euros. En 2010, le résultat net de la société, en hausse de 47 % par rapport à 2009, s'élève à 568 millions d'euros. La part de l’État, prélevée au passage, atteint presque 700 millions d'euros. Puisque l'on espèrera en vain qu'il modère ses prétentions, il faudra donc trouver ces 200 millions sur la portion d'ordinaire rétrocédée aux actionnaires. Ce qui génère des conséquences intéressantes.
L'action Carrefour, géant de la distribution nationale, est la seule du genre à appartenir au CAC 40, principal objet de la vindicte publique. Casino, seule autre entreprise du secteur cotée en bourse, l'est de façon plus modeste ; Auchan publie des comptes puisqu'il fait appel public à l'épargne, mais n'est pas coté. Leclerc, Intermarché, Système U, réunions d'indépendants, ne sont pas cotés et ne publient rien, et moins encore les très secrets Lidl et autre Aldi, connus surtout pour leurs effroyables conditions de travail et pour la fortune que l'on prête à leurs discrets propriétaires. Comment traiter équitablement non pas seulement les salariés, mais les entreprises même, en concurrence sur un même marché mais dont aucune ne partage la même structure financière ? Que faire pour ne pas uniquement pénaliser le plus gros, le moins opaque, celui dont les salariés sont sans doute à la fois les moins mal traités, et disposent des plus fortes capacités d'exprimer leur mécontentement et, donc, de négocier ce qui les intéresse, des augmentations de salaire ?

Que le pouvoir construise une fiction intéressée, qu'il abonde dans le sens populaire qui voit dans l'investissement en actions une sorte de super livret A aux rendements aussi démesurés que garantis, qu'il préfère ignorer la politique d'entreprises comme Eiffage, lui aussi en pleines négociations salariales mais dont les salariés, à l'image des autres géants du BTP, détiennent le quart du capital, et seraient donc pénalisés par une prime qui fournirait à leurs collègues non actionnaires un repas gratuit payé par le risque qu'ils ont pris, ne surprend guère. Qu'il rate l'occasion d'un peu de pédagogie, rappelant à quel point, alors que les salaires sont généralement stables, les bénéfices, et donc les dividendes, peuvent connaître des variations brutales, et que ceux-ci participent à la rémunération, non seulement du risque, mais de l'immobilisation d'un capital qui peut parfaitement s'investir ailleurs, n'étonne pas.
Mais l'entrée en vigueur de la règlementation qu'il projette aura des conséquences immédiates, et fatales : elle provoquera une baisse des capitalisations boursières proportionnelle à la dîme prélevée sur le dos des investisseurs, lesquels auront alors d'autant moins de scrupules à déserter le pays et à placer leurs économies ailleurs qu'il sont déjà, on le sait bien, majoritairement, pour ce qui concerne le CAC 40, étrangers. Ainsi, ils provoqueront par là-même un assèchement des capitaux qui servent à financer l'activité et le développement des entreprises nationales. Dès lors, faire semblant d'ignorer les conséquences mécaniques d'un tel forfait ne peut s'expliquer que d'une seule manière : le pouvoir, en fait, est aux mains de factieux à la solde de l'anti-France, lesquels agissent avec une subtilité si diabolique que même Brave Patrie, cette indispensable vigie citoyenne, n'est pas encore parvenue à pleinement démasquer l'ampleur de leur perfidie. À moins, évidemment, de retenir l'hypothèse de la manipulation machiavélique : la mobilisation des patrons, seuls vrais maîtres du monde, les réprimandes de leur tout dévoué laquais bruxellois produisent leurs effets, et contraignent un gouvernement impuissant face aux forces de l'argent à renoncer à une aussi élémentaire mesure de justice sociale. Ainsi, le coût financier est nul, l'effet symbolique énorme et Nicolas Sarkozy, seul recours, unique défenseur de pauvres seulement riches de leur bulletin de vote, triomphalement, est réélu.

contrôle

, 19:18

En matière de controverse électronucléaire aussi, prudence est mère de sûreté. Mais une semaine après, même si les cendres de Fukushima Daiichi brûlent encore, on peut déjà, sans trop craindre le ridicule, hasarder quelques réflexions. Les premières seront purement conjoncturelles, et porteront sur le spectacle qu'offre Tokyo Electric Power dans ses tentatives pour reprendre le contrôle de son monstre, tâche dans laquelle la compagnie aussi bien que les autorités semblent faire la preuve d'une confondante incapacité. Certes, le terrain est dévasté, son accès difficile et l'alimentation électrique coupée. Mais on comprend mal qu'il ait fallu tant de temps pour faire intervenir des militaires dont on imagine, pourtant, qu'ils disposent de tout le nécessaire en matière de protection NBC, et alors que leurs avions cargos semblent à même d'acheminer au plus près de la centrale tout le matériel nécessaire. On se demande pourquoi il semble si difficile de tirer une bête ligne de courant. On aimerait connaître la justification de ces rotations d'hélicoptères qui rappellent nettement quelque chose alors même que, par exemple, les véhicules de lutte contre l'incendie des aéroports sont équipés de canons qui projettent à grande distance et avec précision des quantités considérables d'eau. L'accident, pour l'heure, en reste au niveau 5 ; compte tenu des risques que prennent les opérateurs, petits soldats d'une industrie abonnée aux mauvaises places de l'échelle INES, on peut penser qu'il atteindra le niveau 6. Rien ne dit qu'il ira plus loin ; dès lors, avec juste un échelon de moins, la fameuse efficacité japonaise connaîtra à peine plus de succès que le légendaire bordel soviétique.

En changeant un peu d'échelle, on peut aussi s'interroger sur la pertinence, dans la plus sismique des zones développées, de concentrer les centrales nucléaires. Sans doute, totalement dépourvu de ressources en hydrocarbures, entouré de voisins lointains et, longtemps, bien plus pauvres, éparpillé sur quelques grandes îles éloignées du continent, le Japon n'avait-il beaucoup d'autres manières de produire l'électricité qui alimenta la deuxième économie du monde. Mais aujourd'hui, ses réacteurs ont quarante ans et plus, et approchent d'une retraite d'autant plus méritée qu'ils sont vraisemblablement largement amortis : comment expliquer qu'ils tournent encore, voire même que, dans un premier temps, cherchant à protéger son investissement, TEPCO n'ait sans doute pas pris toutes les mesures nécessaires au refroidissement de sa centrale défaillante, avant de se résoudre à la sacrifier ?
Ici, le bon docteur Dave propose une hypothèse intéressante : il y voit la marque d'un paradoxal succès du mouvement anti-nucléaire. Dans bien des pays, on le sait, celui-ci, faute d'effectifs, s'est depuis longtemps reconverti de l'occupation de la rue à l'activisme médiatique et juridique, avec comme objectif d'empêcher la mise en chantier d'une seconde génération de réacteurs, et de provoquer ainsi, faute de débouchés, par disparition progressive des compétences, la mort de l'industrie électronucléaire. Alors, par opportunisme politique, par intérêt financier, on tire sur la corde et forcément, à la fin, elle cède.

Dès lors, la question de produire de l'électricité autrement se pose. Car le monde scientifique et technique n'est jamais qu'un bricolage extrêmement astucieux élaboré dans un univers fini et limité composé d'éléments dotés d'un nombre restreint de propriétés permanentes. Et les options sont rares : en disqualifiant l'électronucléaire par peur des accidents, en faisant de même avec les combustibles fossiles à cause, cette fois, de leurs rejets atmosphériques, on met hors circuit l'essentiel des capacités de production, alors même que les autres solutions sont rares, chères, et difficiles à mettre en œuvre. En décembre dernier, Abengoa a ainsi obtenu une garantie financière de l’État américain qui lui permet de construire une centrale thermique solaire dans l'Arizona. La puissance prévue atteint 250 MW, soit l'équivalent d'une grosse turbine à gaz ; le montant est de l'ordre de 1,5 milliard de dollars. Plus à l'est, à San Diego, Concentrix développe une intéressante technologie photovoltaïque. Sa centrale de 150 MW entrera en service en 2015 ; comme avec Abengoa, l'intensité solaire nécessaire à son fonctionnement ne permet pas de l'installer ailleurs que dans les déserts. Ainsi, le tri une fois terminé, l'électricité d'origine éolienne, dans la plus grande partie de l'Europe, reste seule en piste.
Pourtant, même le plus expérimenté des chamans sera incapable de faire tourner les pales d'une éolienne en l'absence de vent ; il sera encore moins en mesure d'ordonner à celui-ci de souffler en quantité adéquate au moment opportun. Remplacer le nucléaire par l'éolien implique de générer de nouvelles contraintes, et la principale oblige à renverser le paradigme de la production d'électricité, dans lequel la demande commande l'offre ou, en d'autres termes, à inventer un nouveau monde que, pourtant, dès aujourd'hui, on peut parfaitement voir en action. L'instabilité rédhibitoire de l'énergie éolienne, l'imprévisibilité, même à quelques heures, du volume de la production, l'absence totale de corrélation avec la demande, la faiblesse d'un facteur de charge qui dépasse rarement 25 %, tout cela se mesure parfaitement dans les diagrammes fournis par RTE. Et les conséquences peuvent se lire, par exemple, dans la situation du Danemark, pays plat et très venté, terre natale de l'éolienne européenne, qui équilibre sa situation par des échanges massifs avec ses proches voisins, le grand marché allemand, l'hydroélectricité norvégienne et suédoise, et grâce à ses centrales classiques. Si l'on veut se dispenser de celles-ci, il ne reste plus qu'une seule solution : le rationnement, une politique adaptée à la tendance réactionnaire, autoritaire et technocratique de la galaxie écologiste. Alors, il faudra accepter que, pilotée par un compteur intelligent, sa machine à laver refuse de se mettre en marche tant que le vent ne souffle pas, ou de se rendre à son travail pour apprendre que, faute d'énergie, la production est interrompue pour une durée imprévisible et que, faute de revenus, l'entreprise ne sera pas en mesure de payer les journées perdues. Imaginer à quoi cela ressemblerait n'est pas bien difficile : c'est la situation du Japon d'aujourd'hui.

militants

, 19:42

Il arrive que les préfets aiment les champs, les landes ou les garrigues. Ils peuvent aussi se prendre de passion pour des collines rocheuses et désertiques, et encore plus sauvages depuis l'incendie qui détruisit leur végétation en 2009. Mais l'amour du mont Saint-Cyr, qui sépare Cassis de Saint-Marcel, mérite sans doute que l'on se dévoue au point de largement excéder le cadre de ses fonctions. Ainsi, en 2010, le préfet des Bouches-du-Rhône et de la région PACA décida-t-il d'interdire le prologue de l'enduro IPONE Maya Marseille-Maroc, déjouant ainsi la stratégie de ses créateurs. L'enduro, cette discipline du sport motocycliste qui se déroule avec des machines proches du moto-cross, mais homologuées pour la route, et conjugue, à l'image du rallye routier, liaisons et spéciales disputées au milieu des bois constitue depuis des années une cible de choix pour l'activisme écologiste, dans sa tentative de réserver la jouissance des espaces publics naturels à ses seuls militants et sympathisants. Inauguré en 2008, l'épreuve en question ne pouvait raisonnablement ignorer un tel fait : aussi se contente-t-elle, sur le sol national, d'un court prologue, avant d'embarquer à destination du Maroc et de son désert où les concurrents pourront faire tout le bruit qui leur chante, tout en profitant à l'étape du confort d'une hôtellerie quatre étoiles. Jugeant peu convaincantes les justifications de la préfecture, le tribunal administratif avait déjà, en 2010, autorisé le prélude.
Il faut dire que, prévoyants et réalistes, les organisateurs de l'enduro se gardent bien de fouler de leurs crampons le moindre espace naturel, la plus petite zone ouverte au public, puisqu'ils bénéficient de la généreuse hospitalité du 4ème régiment de dragons, installé à demeure sur le camp de Carpiagne, terrain de manœuvre des chars Leclerc à l'intérieur duquel se déroule la compétition. Autant dire que l'on ne peut que regretter que le tribunal administratif de Marseille n'ait pas jugé bon de publier les motifs de sa décision. Aussi, on ne connaîtra pas sa réaction face aux justifications avancées par la préfecture, puisque celle-ci prétextait, pour interdire l'épreuve, l'érosion de sols habituellement labourés par des chars de combat de cinquante tonnes que celle-ci ne manquerait pas de causer. Malgré tout, en 2011, le préfet récidive : son argument, cette-fois ci, invoquant à la fois la nécessité de favoriser les véhicules économes en énergie, et l'avenir d'un lieu destiné à devenir parc naturel, montre que, décidément, l'on a bien affaire à un poète. Odieusement terre à terre, comme tout gardien du droit, le tribunal administratif vient, pour la seconde fois, de lui donner tort.

De façon purement spéculative, on peut sans doute lire derrière cette obstination une question rarement abordée mais qui, lorsqu'elle l'est, est toujours réduite à sa dimension ou politique ou syndicale, celle du militantisme des agents de l’État qui choisissent de défendre une cause, et s'engagent donc à titre d'entrepreneurs de morale. Les éléments manquent pour appuyer l'analyse, d'autant que cette censure répétée du sport motocycliste provençal ne peut être ramenée à une trajectoire personnelle, les deux interdictions ayant été prononcées par deux préfets différents. Sans doute faudra-t-il alors chercher quelque par dans leurs services l'individu qui milita pour cette décision, laquelle restera suffisamment mineure, ou assez gênante, pour ne pas justifier d'un communiqué. Mais cet acharnement, cette volonté de ne pas laisser le moindre espace à l'adversaire et d'utiliser à cette fin tous les moyens possibles, abus de pouvoir compris, portent bien la marque du défenseur d'une cause laquelle, par définition, avec sa justification morale, surpasse toute autre considération et, notamment, de droit. Et on ne peut manquer de dresser un parallèle entre cette histoire et l'aventure, déjà évoquée ici, de la Croisière Blanche, interdite elle aussi par arrêté préfectoral. Ce parallèle, pourtant, trouve sa limite dans la stratégie choisie, face au défi préfectoral, par les organisateurs. Préférant la fuite au combat et optant donc pour une solution que, en se départant de sa légendaire neutralité axiologique, l'on n'hésitera pas à qualifier de honteuse, les organisateurs de la Croisière Blanche ont définitivement rendu les armes, et choisi de faire désormais circuler sur les routes le sympathique petit train des véhicules anciens. Les Marseillais, eux, comme à leur habitude, ont choisi l'affrontement.

En cela, ils seront efficacement secondés par un acteur qui, chaque jour un peu plus, abandonne sa traditionnelle posture légitimiste pour un militantisme de plus en plus virulent, la FFM. La fédération du sport motocycliste se trouve certes, depuis des années, et pas seulement dans le domaine du tout-terrain, et quand bien même l'épreuve aurait lieu en salle, confrontée à un activisme administratif qui menace, de façon totalement aléatoire, tellement de terrains ou de compétitions qu'elle se condamnerait en ne réagissant pas. Mais,à l'évidence, sa nouvelle politique doit beaucoup à la récente arrivée à sa tête de Jacques Bolle. L'homme qui, en 1983, devant les caméras d'Antenne 2, inscrivit la seule victoire en Grand Prix de la 250 Pernod ne possède pas seulement une authentique légitimité sportive : titulaire d'un DESS de droit du sport, il se distingue donc de son ancien compagnon d'écurie à la fois par ses titres universitaires, et par cette connaissance du droit grâce à laquelle, avec l'appui des juristes de la FFM, l'arme de la guérilla juridique peut être efficacement retournée contre ses principaux utilisateurs, la galaxie des associations de défense de tous ordres, et leurs soutiens administratifs. À lire les communiqués que publie désormais l'autre fédération du monde motard, il n'est plus permis d'en douter : la FFM mérite bien un C d'honneur

reflux

, 19:22

Elle ferait presque pitié, cette pleine page de publicité parue dans l'édition du Monde datée des 23 et 24 janvier, et dans laquelle, interpelant les puissants en prenant l'opinion publique à témoin selon la formule aussi archaïque que dévaluée de la lettre ouverte, l'Association de l'Industrie Photovoltaïque Française se désolait de son triste sort. Leur filière qui, disent-ils, en seulement quatre ans, a "créé des dizaines d'usines sur le sol français", cette filière qui réclame d'énormes investissements qu'elle est tout prête à consentir avec désormais comme objectif de conquérir le monde entier, garantie de perspectives inépuisables, cette filière ne peut plus attendre. Bien humblement, mais publiquement et fermement, elle demande donc aux représentants de l’État d'en finir avec ce qui ne peut être que caprice, bouderie sans conséquence, et de mettre fin à ce moratoire qui suspend durant quatre mois le développement de toute nouvelle installation photovoltaïque, à l'exception du marché de l'habitat, et de les délivrer ainsi d'une insupportable angoisse. Le texte, court, frappe surtout par la désolante pauvreté de son argumentaire et, même, disons-le, par sa bêtise : les arguments les plus triviaux, ceux par exemple du chantage à l'emploi ou du nationalisme économique, y côtoient les comparaisons les plus infondées, lesquelles placent les coupeurs de silicium a parité avec l'industrie aéronautique, noyant le tout dans ce langage aux accents gaulliens glorifiant le capitaine d'industrie, armé de son seul courage, mais pourvu d'une farouche détermination à gagner la "course mondiale à la performance". À lire cet éloge des boutiquiers de la France profonde, qui défendent avec de très grands mots la petite rente qui leur permet une bien modeste prospérité, on finirait presque par croire que le passage de Christian Estrosi au ministère de l'industrie a laissé des traces.

Mais rien, bien sûr, dans ce texte, ne fait référence à une actualité plus brûlante que ce moratoire et cette concertation conduite en parallèle pour quelques jours encore et au sujet de laquelle, écrivait La Tribune le 26 janvier, les nouvelles sont mauvaises. Le gouvernement s'obstine en effet à ne pas accepter plus que ce à quoi il s'était déjà engagé, ce qui ne fait pas l'affaire d'industriels dont les capacités de production excèdent déjà largement le quota annuel de 500 MW qui leur a été accordé. Aucune allusion, notamment, à la décision du Conseil d’État attendue pour le 28 janvier, lequel devait statuer sur la demande posée en référé par ces mêmes industriels, et qui visait à faire suspendre le décret de suspension. Or, il se trouve que le Conseil était à l'heure, mais que sa décision n'a guère été l'objet d'une publicité plus large que celle qu'il lui a lui-même accordée, la grande presse en particulier ne trouvant aucun intérêt à en faire état. Il est vrai que c'est assez simple : prudent et sans doute expérimenté, le rédacteur de la loi qui, en février 2000, encourageait le développement du photovoltaïque en accordant à cette technologie des garanties outrageusement avantageuses, s'était réservé une porte de sortie sous la forme d'un article 10. Celui-ci permettait au gouvernement de suspendre, par décret, et pour une période maximale de dix ans, les avantages accordées à la filière. Une seule condition était posée : que le rythme de développement des installations photovoltaïques dépasse significativement le plan de marche établi par le gouvernement. Comme tel était bien le cas, comme, de plus, le Conseil se doit d'arbitrer entre deux maux, le préjudice que le moratoire causerait à l'industrie, et celui dont seraient victimes les usagers qui supportent seuls la charge de financer la filière, et qu'il préfère l'intérêt général au particulier, il décide de rejeter le recours des marchands de silice. Ce qui suscite inévitablement quelques réflexions.

Car ce marché de l'électricité photovoltaïque possède décidément, au delà de cette volonté paradoxale d'implanter en centre ville une technologie qui ne peut trouver de justification économique ailleurs que dans un isolement qui rendrait prohibitif son raccordement au réseau, de bien étranges propriétés. Il mélange en effet libéralisme et dirigisme, initiative individuelle et régulation publique. Permettre à un petit nombre de privilégiés d'accéder aux largesses de la commande publique n'était pas pour déplaire à un État qui dispose d'une très longue expérience en la matière, surtout si, de plus, on peut ainsi encourager l'industrie nationale sans craindre la censure de Bruxelles. Encore fallait-il garder le contrôle de la chose, de manière à éviter de regrettables débordements. Malheureusement, cet objectif facilement accessible à l'époque des grands commis de l’État et de leurs projets décennaux réservés aux géants du BTP, de l'armement, du nucléaire ou du ferroviaire, par définition très peu nombreux et dirigés par des gens du même monde, ne tient plus à l'époque des énergies vertes qui possèdent des caractéristiques diamétralement opposées, puisque, en raison de leur nature même et de l'idéologie qu'elles incarnent, elles conduisent à implanter en de multiples endroits quantité d'installations légères, restreintes par exemple à la toiture d'un hangar. Les acteurs, en conséquence, en très peu de temps, affluent, et arrivent d'autant plus nombreux que beaucoup d'entre eux, promoteurs immobiliers ou simples installateurs, ne rencontrent pas de barrières à l'entrée, et ne sont donc soumis à aucune espèce de contrôle dans un marché dont la puissance publique détermine seule la taille. S'ils se regroupent en syndicats professionnels, comme l'AIPF, ce n'est certainement pas pour s'imposer une discipline interne qui n'aurait, de toute façon, aucune chance d'être respectée. Et la bousculade produit une catastrophe, contraignant l’État à d'abord intervenir en urgence, puis à modifier ensuite les règles du jeu au détriment des couvreurs de cristaux, pour préserver un intérêt public confirmé depuis en Conseil d’État. Et comme toute bonne histoire, celle-ci comporte une morale, et une leçon : le sable, ce matériau aléatoire, reste bien trop fluide, sa trajectoire se révèle bien trop erratique, pour produire autre chose que des chimères. L’État lui préfèrera donc les parcs éoliens en mer, bien plus gros, bien moins nombreux, et promus par des entrepreneurs de toute confiance.

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