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facts

, 19:25

La pollution aux particules fines a ceci d'intéressant qu'elle permet toutes les interprétations. Seulement définies par leur taille celles-ci possèdent en effet une vertu rare, celle de pouvoir être composées de n'importe quoi, donc de venir de n'importe où au point, par exemple, de rendre l'air du Sahara irrespirable. Il s'agit, en somme, du polluant idéal pour une polémique.
De fait, l'épisode de début décembre en Île de France a fourni le prétexte à une instructive passe d'armes qui commence lorsque l'un des participants à un blog de vils squatters prétend, cartes à l'appui et tout en s'attaquant à ce fournisseur d'information par excellence que reste, pour beaucoup, le grand quotidien du soir, trouver à ces particules une origine allemande. Le quotidien réplique par l'intermédiaire d'un article dans une rubrique d'apparition assez récente, dont la raison d'être consiste à procéder à une certification a posteriori de la véracité des affirmations les plus diverses connue sous le terme de fact checking.

Mais l'affaire n'en reste pas là : le chef de la rubrique montre au créneau et, dans un billet publié ailleurs, à la fois résume l'affaire, et, au prétexte de leur reprise imprudente de la polémique originelle, s'en prend frontalement à des journalistes de la presse économique qu'il accuse d'en vouloir à son activité. L'un d'entre eux, Stéphane Soumier, répond alors sur son blog d'une manière qui, malgré son langage relâché et sa bibliographie un peu courte, ne manquerait pas de pertinence si elle ne s'engouffrait pas tête baissée dans l'impasse stérile du relativisme. Hélas, depuis lors, il a choisi de supprimer sa note, ce qui, quand même, n'est pas très sport, et ne fait pas les affaires de l'observateur nonchalant. Tant pis. De bonnes âmes, fort heureusement, en ont pris copie, permettant d'en retrouver l'essentiel.

Dans ce virulent échange, le bourdieusien aura instantanément reconnu les querelles caractéristiques d'un champ, cet espace particulier où des acteurs, à partir de positions très inégales, s'affrontent pour un enjeu qui n'a guère de sens en dehors de cet espace même, et cela dans le but d'améliorer leur situation, ou de la défendre. Symbolique autant que matérielle, cette lutte a souvent comme objectif une propriété précieuse, et plus encore dans un domaine qui vit de la confiance que l'on lui accorde, la légitimité.
Directeur de rédaction, Stéphane Soumier dispose du privilège du pouvoir et de l'ancienneté, ce qui lui permet de verser dans le paternalisme au nom d'un journalisme vieille école, au cuir tanné sous le soleil du Sahel. Il a aussi une position à défendre, en particulier contre ces nouveaux venus dont l'activité semble, pour l'essentiel, consister en l'élaboration de jolies infographies nourries par des séries statistiques réputées fiables, et qui, intervenant en bout de chaîne, semblent à la fois tenir absolument à avoir le dernier mot, et prétendre fournir une vérité scientifiquement valide et donc incontestable. Journalistes certifiés, ces fact checkers doivent à leur tour, dans un jeu de miroirs sans fin, disqualifier une concurrence sauvage qui s'exprime au travers des blogs et qui, au prétexte de la maîtrise de telle ou telle compétence technique particulière, se permet de contrôler les vérificateurs.

Évidemment, il est très difficile de résister au plaisir de se lancer dans la bataille, et de s'interroger sur cet outil de preuve qu'est le chiffre, et plus précisément la série statistique, et l'usage qu'en font des journalistes a priori fort peu formés à son emploi. Une série n'est rien sans sa méthodologie, et aucune publication statistique sérieuse ne se dispense de la présenter. Être en mesure de comprendre et de critiquer celle-ci n'est pas à la portée du premier venu. Et si un profane peut faire aveuglément confiance à un organisme public et indépendant tel l'INSEE, l'utilisation des données produites reste malgré tout délicate. On en voudra pour preuve les erreurs que peut générer un usage irréfléchi d'Eurostat, lui aussi acteur de référence, mais également agrégateur de statistiques nationales qui obéit à un principe bureaucratique et ne tient, pour ne citer qu'un exemple, aucun compte des énormes différences démographiques, géographiques ou climatiques qui singularisent les pays de l'Union, lesquelles ont des conséquences déterminantes sur leur équipement hydroélectrique, donc leur production d'énergie décarbonée, ou sur l'utilisation des deux-roues motorisés, donc les statistiques d'accidents de la route, ou encore sur le niveau de la pollution atmosphérique dans les capitales. Dans des cas de ce genre, la seule retranscription des données, en particulier si l'on cherche, comme le fait souvent le journalisme, à établir un classement assorti de jugements moraux, peut fort bien n'avoir aucun sens.

Mais la situation se complique lorsque des agendas privés viennent instrumentaliser le chiffre, et quand bien même ceux-ci seraient le fait d'organismes officiels. Pas de meilleure stratégie pour une agence publique nouvelle-née que de commencer par réaliser une étude consacrée à un créneau particulièrement porteur, assortie d'un communiqué de presse avançant un chiffre qui fait peur, ce qui garantit une diffusion d'autant plus large que personne n'ira lire les mises en garde qui figurent en petits caractères dans l’annexe méthodologique. Proteos a mis son nez dans cette publication, et son billet donne une idée des compétences, des connaissances et du temps nécessaire pour critiquer efficacement ce genre de rapport. On sort ici largement du domaine des journalistes pour entrer dans un territoire dont les marques les plus visibles sont laissées par une association comme Pénombre ou une initiative telle les Cafés de la statistique. Un fact checker qui s'aventurerait en ces contrées sans un bagage solide s'introduirait sur le champ académique sans titre valide, sans posséder aucun des passeports universitaires requis pour y accéder. Là, pour son malheur, il risquerait de découvrir que, souvent, les mœurs sont brutales, et les controverses sans pitié.

aristo

, 19:29

Un activiste bien connu en France mais en semi-retraite depuis qu'il siège au Parlement européen avait donc décidé de se rendre au Canada, afin de propager la bonne parole devant un public tout acquis à sa cause. L'occasion lui était fournie par la prochaine signature à Bruxelles de l'AECG, accord commercial négocié entre l'Union Européenne et le Canada. Mais, arrivé en douane à Montréal, il eu la mauvaise fortune de s'y voir retenu, l'accès au pays lui étant refusé au prétexte de son passé judiciaire. Il est à peine utile de préciser qu'une justification aussi futile dissimule bien mal la véritable raison de l'expulsion qui devait s'ensuivre, la volonté de faire taire la voix discordante d'un adversaire de longue date à tout ce qui touche, de près ou de loin, au développement du libre-échange. La preuve de cette implication politique sera d'ailleurs vite apportée, puisque le remuant José Bové sera finalement, par faveur spéciale, autorisé à séjourner au Canada, ce qui lui permettra malgré tout, et même si la première occasion a été manquée, de satisfaire son public.

L'histoire, ou plus exactement l'interprétation qu'en donne la partie intéressée à la présenter de cette manière, on le constate, tient, et vaut comme une preuve de plus de la duplicité d'autorités n'hésitant pas à instrumentaliser le droit pour museler un opposant. Telle est du moins l'impression que laisse le traitement sommaire de cette escarmouche à laquelle se livre la presse grand public. Pourtant, on peut l'analyser d'une toute autre manière, bien plus ordinaire, donc bien plus sociologique. Inutile, d'ailleurs, pour cela, d'aller chercher plus loin que la dépêche de l'AFP laquelle, livrant quelques noms connus retenus en douane pour la même raison, suffit à montrer que l'on a affaire là à un processus banal, celui par lequel le bureaucrate, l'agent au guichet, exécute sans imagination ni initiative la tâche qui lui a été confiée.
Et des décisions de cet ordre, qui conduisent à refouler l'individu qui en est victime, il en prend tous les jours, en quantité, pressé par le temps, de façon routinière et avec des conséquences autrement plus lourdes que dans le cas de notre député européen. L'objection que celui-ci soulève, le fait que ses ennuis judiciaires ne l'aient jusque-là pas empêché de voyager au Canada, peut parfaitement être levée de la manière la plus simple, en supposant que les informations nécessaires faisaient alors défaut. L'intensification des échanges de fichiers entre autorités entraînée par l'accroissement de la menace terroriste, l'automatisation et le renforcement des processus de contrôle fournissent autant de raisons autrement plus convaincantes que celle qu'avance José Bové, lequel s'offusque qu'un employé de bureau canadien ignore l'existence d'un parlement étranger dont pourtant bien peu d'européens savent vraiment à quoi il sert, et voit dans ses difficultés une volonté préméditée de lui nuire. Ce qui conduit à s'interroger sur le sens profond d'une attitude que l'on ne peut pas juste expliquer par cette habitude qu'ont certains de toujours être mieux traités que le commun des mortels.

Ce privilège réservé aux puissants, José Bové en a profité puisque, à l'inverse de probables compagnons d'infortune, sa qualité de parlementaire, sa notoriété, et les soutiens dont il a pu disposer lui ont permis de poursuivre son périple canadien. Ce qui rend l'affaire intéressante n'est pas qu'il ait bénéficié d'un passe-droit mais qu'il revendique, aujourd'hui comme hier, et en permanence, une sorte de statut spécial grâce auquel il ne relèverait pas de la justice commune.
Cette propriété, hier, dans la société d'ancien régime, caractérisait la noblesse. Le fait que, depuis lors, quelques révolutions aient eu lieu rend difficile, mais pas impossible, le maintien de cette aristocratie distincte de la société ordinaire. Pour en faire partie, il faut être militant de conscience, et organiser une hiérarchie symbolique au sommet de laquelle on placera les objectifs que l'on poursuit. Il faut aussi trouver des alliés, dans le public et dans la presse. Il faut également organiser un discours qui donnera aux déprédations auxquelles on se livre une qualification bien éloignée de celle que retient la justice. Ainsi en est-il du "démontage" d'un restaurant de Millau, terme repris sans guère de nuance par la presse à l'exception de quelques esprits forts. Cette trouvaille sémantique permet de faire comme si les activistes avaient soigneusement défait un genre de Meccano dont ils auraient ensuite proprement rangé les pièces, alors qu'ils ont en réalité détruit l'établissement d'une chaîne qui a le malheur de proposer des plats uniformes, par définition conformes aux normes sanitaires et au coût le plus bas possible, ce pourquoi ils servent à nourrir les pauvres.
Il en va de même avec les fauchages, ce terme emprunt d'une robuste tradition campagnarde chère aux publicitaires mais qui sert à masquer la destruction d'expériences, et parfois d'installations, scientifiques, que la justice a condamné comme telles. Il est fascinant de voir avec quelle admirable efficacité cette nouvelle aristocratie se construit, alors même qu'elle se trouve dépourvue des privilèges statutairement attachée à l'ancienne. Sa domination sera sans doute plus éphémère, et moins absolue ; elle n'en reste pas moins réelle, puisqu'elle produit des effets on ne peut plus significatifs. Dans l'affirmation de celle-ci, nombre d'organes de presse jouent, depuis toujours, un rôle cardinal. Reprendre l'histoire, utiliser le langage, adopter sans recul les termes soigneusement choisis par des militants se livrant à des actions illégales pour précisément masquer, dans le discours, l'illégalité de leurs actes revient inévitablement à choisir leur camp.

émulation

, 19:28

De tous temps, mais au moins depuis la construction des pyramides égyptiennes, les hommes ont joué à celui qui aurait la plus haute. Intensivement pratiqué lors du Moyen-Âge occidental, cette période où chaque guilde bourgeoise voulait la flèche de sa cathédrale un cran au dessus de celle de la ville voisine, le jeu connaît un succès aussi planétaire que permanent depuis que les nouvelles techniques de construction développées au cours du XIXe siècle, le métal et le béton, ont ouvert la course infinie aux records sans cesse battus de la très très très grande hauteur. Dans cette compétition le vieux monde, depuis une trentaine d'années, a déclaré forfait, laissant le champ libre aux nouveaux riches du Moyen-Orient et d'Asie du sud. Mais en déplaçant, selon une parfaite incarnation de distinction bourdieusienne, le jeu et l'enjeu, ce dernier a, tout récemment, investit un terrain neuf où tout est à recommencer, celui de la construction en bois.

Dans cette compétition inédite, Bordeaux vient de faire coup double. Rive droite, Jean-Paul Viguier construira Hypérion, vaisseau haut de 57 mètres et dont l'audace visuelle se double d'une prudence conceptuelle qui n'étonne pas, venant d'un architecte aussi chevronné. Ainsi le noyau de l'ouvrage, sur ses trois premiers étages, sera en béton, ce qui permettra de se débarrasser de quelques menus soucis associés au bois, les infiltrations d'eau, la tenue au vent et aux séismes. Toujours par précaution, pour protéger le bois du soleil comme des intempéries, ce matériau ne sera visible que du sol, les faces inférieures des grands porte-à-faux servant de balcons rassurant les piétons quant à la vertu écologique de la construction. Rive gauche, les belges d'Art&Build associés à studio Bellecour auront également leur grande hauteur, avec une technique originale puisque la structure, qualifiée de colombages géants dans la brochure dithyrambique que lui consacre son promoteur, sera bel et bien en bois.
Ainsi, Bordeaux dépassera Bergen, détenteur actuel, nous dit Le Moniteur, du trophée de la hauteur, avec une tour d'habitation fortement imprégnée de béton et d'acier qui, de plus, pose à intervalles réguliers de légers problèmes d'habitabilité. Mais Vienne pourrait bientôt ravir le trophée. La capitale autrichienne abritait déjà bahnorama, qui a fermé, tour d'observation et centre d'information pour un grand projet immobilier entourant la gare centrale. Demain, sa banlieue est accueillera les 84 mètres de HoHo, une tour mêlant bureaux et appartements, d'une esthétique par ailleurs consternante. Hélas, une fois de plus, on aura affaire à un bâtiment hybride, structure en béton, habillage en bois.

Tout cela, bien sûr, n'est que préliminaires : demain, selon un spécialiste enthousiaste, la révolution du bois redessinera la ville nouvelle, propre, silencieuse, économe. Mais un argumentaire enchanté ne peut éluder la question qui taraude le sceptique : quel intérêt tout-cela peut-il bien représenter ? Remplacer le maçonnage par l'assemblage permet sans doute de bâtir plus vite, un argument intéressant lorsqu'il s'agit, par exemple, de construire en urgence des hébergements provisoires, quand bien même il existerait pour cela bien d'autres choix autrement plus vivables que les baraques de Grande-Synthe. Mais s'insérer dans un réseau économique et technique complexe, fruit d'une très ancienne tradition, étroitement réglementé et surveillé, habitué à construire pour des siècles, voire des millénaires, implique de faire ses preuves, en démontrant que la solution défendue apporte des avantages déterminants, tout en ne cachant pas ces vices qui auraient, au fil du temps, conduit à l'abandonner au profit des techniques actuelles. Et on ne voit absolument pas en quoi le bois, avec ses limitations structurelles qui obligent au compromis, avec ses problèmes d'entretien, de durabilité, de résistance au feu qui ne manqueront pas de se faire jour au fil du temps, pourrait satisfaire à ces contraintes, qui pèsent autrement plus lourd que les quelques économies que promettent ses défenseurs. L'important, sans doute, se trouve ailleurs.

Difficile de soutenir une nouvelle technique de construction, laquelle doit supporter les coûts de sa certification, sans lui promettre un avenir radieux, sans la parer aussi des propriétés qui commandent l'adhésion du politique, cette sorte de maître d’ouvrage en chef de la construction urbaine, lequel trouvera avec la tour en bois de quoi procurer une vertueuse notoriété à sa ville, de quoi aussi parader devant ses pairs pendant les congrès internationaux. Fine mouche et vieux renard le maire de Bordeaux, qui a eu le temps de voir retomber nombre d’enthousiasmes urbanistiques, fait malgré tout part de son scepticisme : "Il y a eu la mode du verre, de la tôle rouillée, attention au vieillissement du bois. C’était ma pique aux architectes." Construire quelques échantillons, et prendre part au concours des hauteurs ne cause pas grand mal ; bâtir sur du bois la ville de demain implique un tout autre engagement.
Or, une affaire pas si ancienne montre que, en la matière, la sagesse d'Alain Juppé n'est guère partagée, même dans son propre camp. Et rien ne serait pire que de voir, au-delà de quelques prototypes et d'un innocent concours de virilité, la construction en bois réglementairement imposée comme clé d'un avenir qui, plus qu'aucun autre, n'est qu'un passé rêvé.

surenchère

, 19:38

Le combat des cheffes qui oppose Anne Hidalgo à Ségolène Royal prend une sale tournure. On avait évoqué voici quelque mois le plan de nettoyage élaboré par la mairie de Paris, lequel prévoit d'éradiquer sur le territoire qu'elle contrôle, à compter de juillet prochain, les motocycles construits au siècle dernier. Agissant ainsi, Anne Hidalgo se rendait coupable d'un crime qui ne saurait être toléré, puisqu'elle s'investissait d'un pouvoir réglementaire n'appartenant qu'à l’État. La sanction se devait donc d'être brutale, et exemplaire. Récemment diffusé, un projet d'arrêté du ministère de l'Environnement démolit la position antagoniste. En remontant au 31 décembre 2006 l'âge de la prohibition, il joue la surenchère tout en retardant la mise en œuvre d'un dispositif dont on ne sait ni quand il verra le jour, ni même s'il sera seulement appliqué.
Car la compétition, pour l'heure, se déroule dans un espace seulement symbolique. Mais l'ampleur de ses effets contraint à s'en préoccuper. S'agissant d'une politique publique, il convient donc de l'analyser à la fois en fonction de critères classiques, effectivité, efficacité, efficience, mais aussi, puisque, visiblement, dans les ministères, personne ne s'est intéressé à cette question, de prendre en compte ses impacts économiques et sociaux. En d'autres termes, au risque de la redite, on se trouve une fois de plus contraint de repartir à l'assaut des mêmes moulins à vent, essayant de comprendre quel obscur mécanisme, rebelle à toute rationalité, peut bien les faire tourner

La logique voudrait que l'on s'intéresse d'abord aux justifications d'un acte lourd de conséquences puisque, sans prévoir d'autres compensations que strictement dérisoires, il envisage de priver des centaines de milliers de citoyens d'un investissement onéreux qu'ils utilisent quotidiennement. Il s'agit, on le sait, de santé publique, et d'exigences européennes. Or, ces deux prétextes n'impliquent en rien des mesures aussi radicales. Les motocycles, minoritaires dans le trafic, ne produisent guère d'autre polluant que cet oxyde d'azote qui, n'ayant plus provoqué d'alerte en Île de France depuis 1997, ne permet pas, dans l'état actuel de la réglementation, l'édiction de restrictions de circulation.
Le seul argument juridique venant appuyer la prohibition repose sur une exigence de la directive 2008/50/CE, le respect d'un objectif de qualité imposant une moyenne annuelle de la concentration en NO2 égale à 40µg/m³. Or, comme le montre le dernier rapport annuel de l'Agence Européenne de l'Environnement, à la seule, atypique et éventuelle exception de Stockholm, rigoureusement aucune métropole ne respecte cette prescription, pas même Amsterdam, Copenhague ou Oslo, et encore moins la vertueuse Allemagne où, de Munich à Berlin en passant par Stuttgart, Francfort, la Ruhr, Hambourg et même des villes moyennes comme Kiel, les dépassements sont légion. Et Londres, malgré son péage urbain et sa vaste zone de trafic régulé instaurée en 2008, ne fait pas mieux que Paris. En fait, parmi les grands pays européens, l'Espagne et la France se distinguent comme étant précisément ceux où la situation est la meilleure. Mais, à l'inverse de Madrid ou Barcelone, villes où l'on favorise le remplacement des automobiles par les deux-roues motorisés, Paris a choisi de sanctionner plus sévèrement le véhicule le moins polluant, le moins consommateur de carburant, et le plus adapté à une circulation urbaine et suburbaine.

L'exemple de Londres le montre, l'efficacité d'une telle prohibition, en posant comme hypothèse sa peu vraisemblable entrée en vigueur, sera nulle. Son effectivité, qui supposerait la reconstruction aux portes des villes de barrières d'octroi comme celles du mur des fermiers généraux, munies de dispositifs automatiques de contrôle des immatriculations, pour le moins sujette à caution. Et son efficience, avec les coûts insurmontables qu'elle reporte sur les usagers, l'ajout d'un degré supplémentaire à la saturation des transports en commun, et l'annihilation de ce deux-roues motorisé qui seul permet aux rues parisiennes d'échapper à l'embouteillage permanent, totalement contre-productive. Aussi faut-il plonger plus profond, et s'interroger sur la logique qui non seulement gouverne une telle folie, mais permet même de lui donner une apparence de raison.

On trouve sur le site de l'APUR un document qui, profitant peut-être de sa situation en terrain bruxellois, donc neutre, sonne la charge contre la surenchère normalisatrice, et montre comment se forme le raisonnement de l'ingénieur, lui qui ne cherche pas l'idéal, mais l'optimal. Traitant de la rénovation thermique des bâtiments anciens les auteurs montrent, avec une remarquable illustration d'un rendement décroissant, à quel point le maximalisme est néfaste à l'objet même qu'il prétend protéger. Introduisant une variable habituellement négligée, le coût, ils définissent un point d'équilibre au-delà duquel poser plus d'isolant, c'est en poser trop. Mais la vision pragmatique de l'ingénieur s'attaque à un rude adversaire, la croissance continue de la sévérité de normes, et heurte frontalement le monde politique et bureaucratique lequel, pour simplement exister, a besoin d'un flux constant de réglementations nouvelles.
Or, il se trouve que la directive environnementale européenne partage en partie cette approche, puisqu'elle incite à prendre "toutes les mesures nécessaires n’entraînant pas de coûts disproportionnés" pour atteindre les objectifs fixés, donc à soumettre les restrictions décidées à une analyse dont, à l'évidence, les pouvoirs publics français se sont d'autant plus facilement dispensés qu'ils ne disposent même pas des plus élémentaires données leur permettant de la réaliser.

Ségolène Royal, ministre des démarches grotesques à la notoriété internationale, a une réputation a défendre. Elle trouve ici l'occasion d'endosser la posture qu'elle préfère, assommant à coups de code le dragon pollueur, appelant au sacrifice de tous pour le bien de quelques-uns, allant au secours d’une victoire pensée comme facile puisque remportée contre ce monde motard étranger à l'administration centrale, cette cible minoritaire, bien moins redoutable que la puissance automobile et bien mal défendue par une FFMC engluée dans son habitus cégétiste comme par des importateurs incapables d'obtenir l'application d'un règlement européen pourtant obligatoire depuis deux mois. Autant futile que cynique, cette interdiction ne manquera pas de déclencher des réactions massives, stupéfiant un pouvoir qui, intrinsèquement naïf, n'avait rien vu venir. Alors, devant l’invraisemblable, une dernière hypothèse s'impose : quelqu'un, quelque part, de guerre lasse, dans le secret d'un bureau, a trouvé là l'occasion de jouer la politique du pire.

green

, 19:49

Succéder à Bertrand le bâtisseur n'avait rien d'une tâche commode, en particulier dans ce domaine qu'il a habité comme personne avant lui, l'urbanisme. Celui qui avait construit partout, même là où il n'y avait pas de terrain, sur un ancien entrepôt ou par dessus des voies ferrées, laissait une ville à laquelle il semblait difficilement concevable d'ajouter quoi que ce soit. Aussi faut-il sincèrement féliciter Anne Hidalgo et son adjoint à l'urbanisme, Jean-Louis Missika. En dévoilant les lauréats de la compétition Réinventer Paris, ils réussissent un fort joli coup.
Comme le font remarquer les inévitables grincheux, la mairie sort grande gagnante d'une opération qui lui procure de multiples bénéfices pour une bien modeste dépense, puisqu'elle s'est contentée de lancer "une initiative un peu folle" et d'organiser un concours assez peu dans les usages de la profession, dans la mesure où les équipes d'architectes ont travaillé à titre gracieux, au grand dépit des perdants. Quant aux gains, ils seront d'abord financiers puisque la municipalité encaissera quelques centaines de millions d'euros en cédant des bâtiments déclassés et des parcelles éparpillées. Mais ils seront, plus encore, symboliques, et à plus d'un titre.

Ce concours qui, par son ambition radieuse, ses propos volontaristes et son profond narcissisme, parvient à faire oublier qu'il ne fait que reproduire, à toute petite échelle, ce que Berlin pratique régulièrement depuis soixante ans, ne se contente en effet pas de restaurer marginalement les finances d'une ville qui en a bien besoin. Les jurés n'ayant pas choisi les projets les plus rémunérateurs, ils ont donc privilégié d'autres critères, lesquels se dégagent rapidement d'une analyse un peu détaillée des lauréats.
Certains, certes, relèvent de préoccupations particulières. Ainsi en est-il de Xavier Niel, dont il se murmure qu'il aurait fait une offre impossible à refuser pour construire une résidence destinée aux élèves de son 42 ; l'emplacement, il faut l'avouer, avait tout pour plaire puisqu'il se situe exactement en face de son école. D'autres répondent à une exigence tacite dans un concours de ce genre, lequel ne peut être un plein succès qu'en attirant quelques vedettes de l'architecture internationale. Tel est le cas de David Chipperfield dont la notoriété, lui qui semble n'avoir jamais rien construit d'autre que des boîtes, laisse pourtant l'humble amateur un peu dubitatif. Avec une parfaite logique, il obtient la réhabilitation de l'ancienne préfecture du boulevard Morland, un bâtiment tellement orthogonal qu'on jurerait qu'il en avait dessiné les plans. Avec Sou Fujimoto associé à Oxo Architectes, on tombe sur un deuxième invariant, le projet utopique, si complexe et, sans doute, si onéreux, que, sans même tenir compte de l'inévitable opposition des riverains, il aura bien du mal à voir le jour. Mais ça en jette tellement que tout le monde en parle, et là se situe l'essentiel.

Mais, à l'inverse, quantité de propositions partagent, en plus du fait d'avoir été élaborées par des équipes locales souvent assez peu connues, tant de points communs qu'elles permettent de mettre au jour une véritable idéologie, et montrent les exigences auxquelles il faudra satisfaire pour obtenir l'agrément de la nouvelle magistrature. Et la plus exemplaire sert de plus à clore la séquence du nouveau palais de justice de la porte de Clichy. PCA bâtira en face le Stream Building, un "métabolisme" formé d'une structure en bois, dont le toit végétalisé servira de potager, dont la façade accueillera quelques plans de houblon qui serviront à confectionner une bière locale. Alors, ce spectacle qu'il contemplera depuis la Maison des Avocats réjouira sûrement l'amateur de Guinness. Le breuvage, dont la production ne suffira vraisemblablement pas à sa seule consommation annuelle, sans doute beaucoup moins.
De l'autre côté de la ville, DGT "ré-alimente Masséna" en proposant une manière de tour campagnarde qui permettra "d'élaborer un rapport à la terre durable et résilient". Un peu plus loin, dans la ZAC rive gauche X-Tu réussit à placer sa façade abritant du phytoplancton. Rue Edison, Manuelle Gautrand construira un immeuble d'habitation bourré d'espaces communs, une "cave-atelier 2.0", un toit-potager, et même une cuisine collective. Partout du vert, de la terrasse alimentaire, du bois, sur les façades et comme structure, des espaces de coworking.

Qui habitera ces lieux ? Ces gens que l'on voit sur les projections de PCA, des couples jeunes et longilignes à la peau claire, en tenue estivale par un beau soir d'été où l'unique chevelure grisonnante surmonte une épitoge, des enfants sages tenus à la main ou apprenant le vélo, ces citoyens-modèles qui participeront au bien commun en cultivant leur jardin, en contribuant à cette étrange agriculture urbaine qui ne produit ni viande, ni lait, ni œufs, ni céréales, ni fruits, et n'est rien d'autre qu'une reformulation de l'antique jardin ouvrier à destination de catégories de population distinctes, mais elles aussi sensibles, sinon soumises, à l'injonction hygiéniste.

Ce concours, d'une certaine manière, ouvre une voie. Ils ne s'agit plus seulement de faire en sorte, en bon père de famille, qu'un bâtiment consomme aussi peu d'énergie que possible. Il ne s'agit plus d'apporter son petit soutien à une économie chinoise vacillante en couvrant le toit de panneaux photovoltaïques. Il faut du vert, mais plus, autrement et, surtout, avec de la vertu. La monotonie des justifications, l'uniformité des propositions montrent bien à quel point cet appel à la liberté d'imagination des architectes, dans les faits, était totalement contraint. Et il promeut une vision unique, monolithique, sans l'ombre d'une dissension possible de ce que sera l'avenir, un avenir fait d'anecdotes et de bonne volonté. Les architectes, comme jadis à Versailles, sont toujours prêts à anticiper la volonté du prince, et le prince, aujourd’hui veut du vert, des choux, et des discours.

VLS

, 19:39

On ne perd jamais son temps à consacrer, périodiquement, quelques instants à fouiller le site de l'Atelier Parisien d'Urbanisme. À la différence de son voisin, le Pavillon de l'Arsenal, qui détient lui aussi une malle aux trésors mais se consacre seulement à l'architecture, l'APUR produit en effet une profusion d'études relatives à un espace qui s'étend jusqu'aux franges provinciales d'une aire urbaine définie par l'INSEE, et qui s'intéressent essentiellement aux questions de logement, d'aménagement, de déplacements, d'emploi, de démographie, d'environnement. On se contentera pour l'heure de produire un peu de sociologie spéculative en s'appuyant sur une étude récente, sur sa première partie en fait, laquelle présente le bilan de huit ans d'exploitation du système de vélos en libre-service parisien. Le document, mélange d'informations inédites et de commentaires lénifiants, devra parfois être un peu brutalisé pour dévoiler une réalité qu'il tend à dissimuler, réalité, évidemment, bien plus sombre que celle que présente la mairie. Sinon, ce ne serait pas drôle.

Véli'b, aujourd'hui, offre de l'ordre de 19 000 vélos accessibles dans 1 238 stations, dont 232 installées en proche banlieue, et implantées selon une trame régulière qui devient un peu plus large dès que l'on sort des limites de la ville. Autant dire que les différences dans l'utilisation de cette offre uniforme seront particulièrement significatives ; de fait, celles-ci sont énormes. Entre le 11e arrondissement et Les Lilas, une commune que l'on trouve trois kilomètres plus loin, le taux de rotation des vélos, lequel détermine la rentabilité de ces équipements identiques, varie d'un facteur 15. Le Véli'b a son royaume, ce petit quart nord-est de la capitale borné par la Seine au sud, le boulevard de Sébastopol à l'ouest et l'enceinte des fermiers généraux ailleurs : 3e, 4e, 10e, 11e arrondissements. Là s'exprime clairement l'utilité d'un mode de déplacement qui, comme l'écrivent pudiquement les auteurs de l'APUR, "doit s'appuyer sur une autorégulation qui ne peut exister dans des quartiers monofonctionnels".
Il est, en d'autres termes, inutile aux commuters, ceux qui, chaque matin, se déplacent de leur domicile à leur lieu de travail, et font le trajet inverse le soir. Un système de vélos en libre-service implique que ses stations soient alimentées en permanence, et doit donc toujours disposer d'utilisateurs désireux de se déplacer dans des directions opposées. D'où les problèmes majeurs que posent les hauteurs, Montmartre ou Ménilmontant. D'où, à l'inverse, le succès du système dans ces quartiers centraux plats, denses, jeunes et animés, où il sert sans doute largement à assurer sur de courtes distances des déplacements nocturnes.

Mais le Véli'b connaît aussi son enfer. En page 13, l'étude de l'APUR présente une cartographie inédite de la délinquance, avec la répartition de ces stations "fermées préventivement" par l'exploitant du service, pour lequel cette interruption de l'activité vaut comme ultime recours contre les vols et le vandalisme. À très peu d'exceptions près, ces points se trouvent tous sur les lisières des 19e et 20e arrondissements, et dans la banlieue proche, Pantin, Bagnolet, mais pas aux Lilas où, décidément, le vélo n'intéresse personne. Les déprédations dont sont victimes ces engins pourtant conçus pour être aussi peu attirants que possible ont toujours représenté un problème majeur dont l’acuité n'a pas diminué au fil du temps puisque, en 2014, comme pour l'année précédente, 100 % du parc a été volé. Certes, 90 % de ces Véli'b disparus finissent par être retrouvés, mais souvent en si mauvais état qu'ils doivent être détruits : ainsi, chaque année, vols et vandalisme obligent à renouveler plus d'un tiers du parc.
On comprend alors pourquoi un Frédéric Héran, pourtant chaud partisan du développement du vélo, en vienne à considérer qu'il serait économiquement plus rationnel que les municipalités, au lieu de mettre en place un système financé pour l'essentiel par le contribuable et dont les coûts, comme le montre l'étude de l'APUR, ne risquent pas de diminuer, offrent à chacun sa bicyclette.

Voilà bien longtemps, on avait spéculé sur l'intérêt heuristique du vélo en libre service, le déploiement d'une offre identique dans nombre de villes européennes laissant espérer un fort potentiel d'expériences naturelles. Même s'il reste assez succinct, le travail de l'APUR ouvre ainsi quelques pistes, parfois à demi-mot lorsque l'on croit comprendre que s'en prendre à un Véli'b relève de l'exploit facile auquel peut céder un adolescent. Pousser plus loin l'investigation sociologique impliquerait de disposer de données plus détaillées lesquelles, nécessairement, existent, et pourraient être anonymisées avant d'être mises à la disposition des chercheurs. Ainsi, on saurait quelles catégories sociales utilisent le système, à quel moment de la journée, et à quelles fins. Alors, sans doute, de façon au fond assez banale, on découvrirait des usages, retours nocturnes de spectacles ou promenades du dimanche après-midi, forts différents de ceux que le promoteur du système espérait, eux qui permettent seuls de justifier un coût supporté par la collectivité, et donc très majoritairement par ceux qui ne l'utilisent pas. Nul doute que la mairie de Paris, qui se veut si exemplaire quant à la publication de ses jeux de statistiques, se montrera sensible à une telle requête.

escamotage

, 19:55

En arrière-plan, toute une fourmilière de petits entrepreneurs, militants, journalistes, experts, s'active pour construire un monde social adapté à leurs convictions, et obéissant à leurs désirs. Aussi faut-il, en permanence, s'exercer à démolir ces édifices, mettre à nu leur ossature et repérer les failles de raisonnements qui s'appuient le plus souvent sur la force de la preuve ultime, la statistique. Parfois, l'affaire n'est pas simple, tant la perversité sans limite du diable lui permet de se dissimuler dans les détails les plus infimes. Transpirant la gentille urbanité et la banalité trompeuse un récent reportage d'une journaliste de France Info fournit l'occasion idéale de s'abandonner au plaisir coupable du vandalisme intellectuel.

Le sujet en lui-même, la visite d'un atelier géré par une association de cyclistes où les usagers peuvent entretenir eux-mêmes leur vélo, n'a rien de bien neuf, ni dans sa glorification de l'effort participatif, ni même dans le cas d'espèce présenté ici. Car, sans poursuivre plus loin la recherche d'antériorité, voilà plus de trente ans que l'atelier mécanique associatif figure au programme d'une autre organisation revendicative du secteur des deux-roues, la FFMC. Et si cette initiative ne se matérialise plus guère aujourd'hui, c'est parce que la surcharge électronique et numérique dont souffrent les motos modernes implique d'en confier la maintenance à un spécialiste. Plus intéressante est l'organisation qui gère cet atelier.
Bien loin des associations représentatives comme la FUB, Vélorution, pourtant présentée comme un sympathique club de cyclistes réclamant simplement "plus de place au vélo dans les déplacements", ne fait mystère ni de son activisme d'extrême-gauche, ni du complet sectarisme qui l'accompagne. On ne peut que rêver à ce que donnerait une rencontre de ses militants avec les camarades de Kuhle Wampe.

En fait, l'intérêt essentiel de ce court billet réside dans son paragraphe introductif, dont la concision fait ressortir les failles d'un raisonnement aussi répandu que profondément biaisé. Présenter la fréquentation de cet atelier comme "preuve" de l'usage régulier du vélo auquel s'adonneraient 25 millions de citoyens, soit plus des deux tiers de la population de la tranche d'âge 20-64 ans, relève d'un sens du raccourci assez spectaculaire. Mais l'affirmation qui précède, selon laquelle la moitié des déplacements couvriraient une distance inférieure à 5 km, déplacements pour lesquels le vélo serait donc tout indiqué, si banale qu'elle semble, ouvre une perspective qui invite à exploration approfondie.

Car celle-ci peut facilement être étayée d'éléments objectifs, tâche sans doute bien trop ennuyeuse pour que la journaliste s'y abandonne. L'an dernier, la DRIEA a en effet publié une note rédigée par des ingénieurs TPE et qui s'interroge sur le développement que pourrait connaître la pratique du vélo en Île de France, et en particulier sur ce fameux transfert modal qui verrait les automobilistes délaisser leur voiture au profit de la bicyclette. L'étude donne ainsi une répartition détaillée de la portée des déplacements cyclistes franciliens. Ainsi, si 93 % des trajets en bicyclette couvrent une portée inférieure ou égale à 5 km, 79 % font moins de 3 km, et 65 %, donc près des deux tiers, moins de 2 km. Le vélo, en première hypothèse, ne fait donc guère concurrence à l'automobile, et encore moins au deux-roues motorisé. Très probablement, ses nouveaux utilisateurs se déplaçaient auparavant à pied, ou grâce à des transports en commun peu pratiques, comme l'autobus.
Les auteurs, faisant preuve d'une louable prudence dans leurs estimations, tant les convertis risquent de se révéler bien moins nombreux et bien moins ardents que ne l'imaginent les prosélytes, donnent en hypothèse basse une part modale de 6 % pour le vélo, lequel permettrait ainsi de transférer, à l'heure de pointe du matin, moins de 5 % des déplacements automobile vers la bicyclette.

En somme, le report modal tant espéré risque fort de ne rien avoir de révolutionnaire. Aussi faut-il s'interroger sur un basculement de même nature, qui a vu nombre d'automobilistes franciliens passer au deux-roues motorisé pour sécuriser leur déplacement domicile-travail quotidien. L'ampleur du phénomène n'a pas échappé à la DRIEA qui, depuis 2012, mesure ce trafic particulier en des points stratégiques. La synthèse de ces recherches donne une part de trafic qui varie, sur une large plage horaire matinale et dans le sens province-Paris, entre 15 et 20 %. Sur le pont de Sèvres, une pointe fugitive, juste avant 9 heures, approche les 40 %. On comprend que, lorsque la rigueur de l'hiver décourage ces usagers souvent également automobilistes, leur absence se ressente instantanément dans le volume des embouteillages, préoccupation essentielle pour la DRIEA.

Comme l'écrit Pierre Kopp, l'intérêt économique du deux-roues motorisé se révèle donc bien supérieur à celui du vélo. Et, sans nul doute, cette situation va durer. Comment expliquer qu'un usage aussi massif reste, à l'exception des rares organismes directement intéressés au problème, unanimement méprisé des pouvoirs publics ? On a analysé par ailleurs, et grâce à un remarquable rapport rédigé dès 1975 par des sociologues, comment les ingénieurs en charge du trafic avaient exclu les deux-roues de leur champ de réflexion. Quarante ans plus tard, malgré le développement explosif de ce mode de déplacement, la situation n'a pas changé. Quand l'INSEE, quand Eurostat publient les taux de motorisation des ménages, les organismes statistiques qui décrivent la réalité mesurable et dont les données servent ensuite de fondation aux politiques publiques excluent systématiquement les deux-roues motorisés. À Paris, en s'aidant des statistiques d'immatriculations, on peut évaluer que cet arbitraire automobile sous-estime le véritable taux de motorisation des ménages d'environ 20 %.
Du journaliste le plus superficiel au statisticien le plus austère, entre oublis intéressés, biais cognitifs, ignorance, négligence, et facilité, quantité d'acteurs dont la fonction consiste en principe à rendre compte de la réalité ne décrivent rien d'autre que la résultante de cet ethnocentrisme qu'ils trouvent superflu de combattre, tandis que personne ne les contraint à le faire. Et l'erreur perdure, et ne fait que croître.

arguments

, 19:30

La crise grecque relève de ces situations à propos desquelles tout un chacun, et les lettrés en particulier, se doit d'avoir un avis, alors même que très rares sont ceux qui peuvent revendiquer quelque pertinence à ce propos. Une pertinence qui reste, au demeurant, mesurée, les divers cercles de négociateurs, à Athènes ou à Bruxelles, à Berlin ou a Washington, ne contrôlant chacun qu'une partie d'un jeu qui consiste précisément, et plus que jamais avec ces diables de Syriza, nouveaux venus adeptes des coups de théâtre et des renversements de table, à tenter de deviner quel chemin va prendre cet imprévisible partenaire. Autant dire que rien de définitif ne sera connu avant trente ans, date de l'ouverture des archives communautaires. On imagine sans peine la torture insoutenable qu'entraînerait le respect d'un si long délai.
Il est d'autant plus tentant de céder à l'invincible attrait des analyses de comptoir et des hypothèses gratuites que les munitions de manquent pas. Une crise de la dette n'étant pas précisément un phénomène inédit et se jugeant grâce à une immense collection de statistiques qui vont des relevés quotidiens de taux d'emprunts aux bilans des banques centrales et autres organismes nationaux, lesquelles nourrissent une foultitude de notes d'analystes divers, on dispose ainsi d'un corpus infini qui autorise toutes les comparaisons, toutes les hypothèses, et toutes les prises de position. Aussi est-il intéressant de voir comment un si abondant matériau a pu être employé pour construire un certain argumentaire, celui qui ne veut voir dans la situation grecque que la douloureuse mésaventure d'un pauvre peuple victime des machinations des puissants.

Ainsi en est-il de cette affirmation majeure, selon laquelle la dette qui étrangle la Grèce n'a pas lieu d'être, puisque née seulement de la volonté des institutions européennes de sauver les banques, lesquelles, avides de profits et fort peu regardantes sur les risques, avaient prêté inconsidérément à un État dont elles ne pouvaient ignorer qu'il ne serait jamais capable de les rembourser. Cette approche simple et efficace, cette irréfutable condamnation qui ne fait que renvoyer le libéralisme à l'un de ses principes, assumer ses erreurs, masque un dédain pour les faits, une méconnaissance du fonctionnement des sociétés modernes, voire une vision aussi rudimentaire que datée du mécanisme de l'endettement public.
Car les organismes financiers en cause n'ont pas prêté d'argent à la Grèce ; ils ont souscrit à des emprunts émis par l’État grec, parce que telle est leur fonction, et parce qu'ils n'avaient aucune raison de ne pas le faire. En décembre 2009 Dexia, qui bougeait encore, a produit à ce sujet une note qui a valeur historique. Elle montre, jusqu’à ce fatal automne 2008, à quel point, par rapport à l'inévitable référence allemande, l'écart des taux à 10 ans dans la zone Euro reste mesuré ; ensuite, il s'accroît brutalement. Pourtant, la Grèce continue à emprunter à des taux inférieurs à ceux de ses voisins balkaniques, comme une Turquie alors au cœur de sa décade prodigieuse. C'est seulement fin 2009, quand l'heure des comptes approche à grand pas, que les choses se gâtent. Ce traitement de faveur a une seule raison : l'Euro, qui protège la Grèce et écarte toute idée de défaut. Or, jusqu'à la preuve du contraire, admettre un pays dans la zone Euro ne dépend pas du pouvoir des banques.
Celles-ci ont, par contre, payé pour les erreurs des politiques puisque en 2010, avec les contorsions qui permirent à la Grèce de faire défaut sans être considérée comme faisant défaut, elles ont soldé leurs créances au prix d'une décote de 50 %. Un peu plus de 100 milliards d'euros ont ainsi été effacés, milliards pris en charge par les actionnaires, les salariés, et les clients soit, en fait, par tout un chacun. Dans la tourmente post-2008, tordre les bras des banquiers pour qu'ils renoncent à 100 petits milliards de plus n'était de toute façon pas bien difficile. Cette mise en cause de la responsabilité des banques procède donc, en plus de l'ignorance, d'une double illusion, rétrospective, puisque l'on juge les erreurs passées dans la position confortable de celui qui connaît la suite de l'histoire, et perspective, puisque l'on extrait le seul cas grec de la marche normale des affaires, ignorant ainsi la façon routinière dont les organismes financiers achètent en permanence tout espèce de dette publique à travers le monde, entre autres parce que la réglementation les contraint à le faire.

Si, dans quelques mois, le FMI se voit contraint d'interdire à la Grèce l'accès à sa monnaie interne, les droits de tirage spéciaux, le pays rejoindra alors un cercle de l'enfer fort peu, et fort mal, fréquenté, puisqu'elle n'y côtoiera guère que la Somalie, et le Soudan. Sa dette représentera un montant presque vingt fois supérieur à ce que doivent ces deux pays africains, et bien supérieur à la somme des arriérés accumulés sur une période de trente ans par des pays aussi divers que Panama, le Liberia, le Zimbabwe, l'Irak ou le Cambodge. Et il faut bien une telle perspective, historique et planétaire, pour se rendre compte du caractère aussi monstrueux qu'inédit d'une telle situation, pour tenter d'imaginer comment la résoudre, et faire en sorte qu'elle ne reste qu'une exception. Pourtant, pour l'heure, cela ne préoccupe guère : l'important, comme lorsque qu'un économiste français de renommée mondiale donne un entretien au plus respectable des quotidiens allemands, se limite visiblement à trouver dans l’intransigeance allemande le coupable idéal, quitte pour cela à recycler un argument anachronique inventé par Syriza, et aussitôt réfuté.
Car l'heure n'est pas à la raison, et à l'analyse : l'heure est à la barricade, que l'on édifie entre gens du même bord à l'aide des matériaux les plus grossiers. L'heure est à l'agitprop, et l'intérêt de la chose tient au fait que l'on voit s'abandonner ainsi des gens pourtant très éduqués, bien que totalement ignorants des principes de base du fonctionnement des pays européens modernes, qui reprennent et répandent des arguments binaires, réduisant ainsi la complexité du processus démocratique dans une union monétaire comprenant 19 membres tout autant souverains les uns que les autres à une occurrence supplémentaire de l'affrontement entre le courageux peuple grec et une mécanique allemande qui, aujourd'hui, n'est plus militaire, mais technocratique. Spectacle fascinant pour un observateur sarcastique que de voir comment on peut, consciemment ou non, organiser de la sorte son ignorance comme d'autres leur insolvabilité.

vision zero

, 19:11

L'intérêt du document relatif à la "lutte contre la pollution atmosphérique liée au trafic routier" qui sera discuté au Conseil de Paris lundi prochain et qu'une bonne âme a fort opportunément fait parvenir à la rédaction la plus intéressée par le problème, celle de Moto Magazine, ne tient pas tellement à un contenu sans surprise. Depuis longtemps, depuis le premier mandat de Bertrand Delanoë, depuis le drame de la ZAPA survenu alors que Nathalie Kosciusko-Morizet était en charge du ministère de l’Écologie, on sait le rôle politique que joue la pollution de l'air dans les grands centres urbains, celui d'une arme absolue, celui d'une justification strictement irréfutable, puisque réputée neutre et touchant un domaine sacré, la santé, et qui vient appuyer une politique qui obligera les pauvres à rester dans leurs banlieues, et les un peu moins pauvres à changer de mode de déplacement s'ils veulent continuer à venir travailler dans la ville dense.
La nouveauté de ce texte ne se situe pas là, mais dans sa perspective, puisqu'il dévoile enfin cet plan de long terme que l'on sentait venir, et qui prévoit rien moins que de bannir des rues parisiennes, d'ici la fin de la décennie, toute circulation de véhicules à moteur thermique, l'exception de pure forme accordée à des engins qui n'existent pas encore, puisqu'ils seront commercialisés à partir de juillet prochain, ne changeant pas grand chose à l'affaire. Ainsi sera mis en œuvre cet agenda qui veut réserver la ville-musée aux touristes et aux parisiennes et parisiens qui ont capacité à l'être, les riches, les héritiers, les clients de telle ou telle politique de logement.

Malgré tout, ce texte fournit l'occasion d'une mise à jour des dernières nouvelles du front épidémiologique, avec ce fameux récent rapport de l'InVS sur le danger immédiat des particules fines, que l'on a longtemps cherché en vain avant de découvrir qu'il s'agissait d'un simple article de six pages dans une livraison de l'habituel bulletin hebdomadaire de l'institut. Recueillies dans dix-sept agglomérations, les données de l'étude montrent d'abord que, en moyenne, aucune d'entre elles ne dépasse la valeur réglementaire de concentration de particules fines dans l'air, 40 µg/m³, et qu'elles se situent souvent assez près du niveau plus exigeant recommandé par l'OMS, soit 20 µg/m³. À Paris, le niveau moyen atteint 27 µg, à Lyon, 29,5 µg. La règle, en somme, est respectée et, pour ceux qui veulent l'instrumentaliser pour justifier une prohibition, les choses commencent mal.
Il faudra donc aller chercher le détail, qui établit une corrélation entre les rares journées de dépassement du seuil, et une hausse de mortalité qui s'élève, en moyenne, à 0,5 %, estimation dont les bornes vont de 0,08 à 0,94, pour trouver un infime indice autorisant une politique coercitive, indice qu'il faut fermement s'employer à faire grossir.

En première analyse, l'agitation politique et médiatique entourant la pollution atmosphérique à Paris montre comment transformer en problème de santé public majeur une question qui relève donc, littéralement, de l'épaisseur d'un trait. Le rôle des acteurs-clés de ce processus, les épidémiologistes, la façon dont, à partir de 1996, ils ont trouvé dans la presse respectable le relais idéal pour porter leur cause a bien été mis en lumière par Luc Berlivet, lui qui évoque à leur sujet un "coup de force symbolique". En poursuivant des objectifs propres, ils ont aussi offert aux élus des grandes villes la justification idéale pour une politique qu'ils mettront rapidement en œuvre puisque, au même moment, un outil décisif voit le jour.
En se mettant, fictivement, à la place de l'historien le plus connu, celui qui vit dans cet avenir d'où il pourra confortablement s'interroger sur les mécanismes qui ont généré cette rupture majeure et sur la façon dont tout a commencé, on n'aurait guère de difficulté à trouver un coupable, Corinne Lepage, et sa loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie. En accordant à tout un chacun le droit de respirer un air qui ne nuise pas à la santé, elle a, en plus d'inventer un droit incompatible avec l'état physique du monde que nous connaissons, et qui équivaut, par exemple, à affirmer un droit de vivre à l'abri des rayonnements ionisants ou des ondes électro-magnétiques, dessiné l'armature juridique qui autorise aujourd'hui, dans ces villes où, comme à Paris, la démocratie, c'est vingt individus choisis par un institut de sondage, les municipalités à empiler les contraintes sans jamais se préoccuper de leurs conséquences ni économiques, ni sociales.

En matière de pollution atmosphérique, la mairie de Paris a adopté une vision zero. Comme avec ces politiques de sécurité routières scandinaves qui exigent qu'il n'y ait plus, sur les routes, ni mort ni blessé grave, il n'est désormais plus question de tolérer le moindre des inconvénients qui accompagnent la vie au centre d'une ville de 12 millions d'habitants. Ni bruit, ni pollution, la tranquillité, et l'air pur de l'île de Houat. Pourtant, sur l'île de Houat, l'isolement apporte aussi des désagréments, d'un autre ordre, et, en bonne logique, il faudrait reconnaître à ces habitants-là aussi le droit de vivre à moins de 3 km d'un CHU, droit dont jouissent les parisiens et qui influence profondément la santé publique sans que personne ne prenne ce paramètre en compte.
Profiter des avantages sans avoir aucun des inconvénients, puisque ces externalités-là seront supportées par d'autres, devient donc la nouvelle devise de la politique municipale. Deux outils pour y arriver, l'interdiction, et la subvention, grâce à laquelle les pauvres se payeront le plaisir d'une bonne action inédite, puisqu'ils contribueront à la prime de 10 000 euros qui profitera à tout acheteur d'une Tesla. Dans ce nouvel ordre entièrement consacré à la poursuite de l'absolu, on peut s'épargner cet ennuyeux mode de raisonnement technocratique digne de la période d'avant, avec son sinistre rapport coûts/bénéfices qui n'avait d'autre fin que de nous empêcher de mettre en œuvre nos lubies au fallacieux prétexte qu'elles coûtent trop cher. Et on peut aussi en finir avec cette vieille pesanteur scientiste, puisqu'on fabrique un monde nouveau, simple, accessible, transparent, unidimensionnel. De nouveau, on a aplati la terre.

indignation

, 19:25

Le conte noir de Noël est presque trop beau pour être vrai. La mairie d'Angoulême, commune passée à l'UMP en mars dernier, a, bien maladroitement, choisi cette période de bonté pour encager quelques bancs publics, histoire de décourager les importuns qui avaient pris la salle habitude d'un peu trop se répandre en cet endroit stratégique, la galerie marchande du Champ de Mars. Démonstration d'égoïsme administrée au moment le moins importun, métaphore de l'extension continue de cette privatisation par enclosure des espaces publics connue sous le terme de résidentialisation, réponse symbolique autant que physique au vagabondage qui passe, dans la logique du zoo humain, par la mise en cage du corps du délit. C'est tellement vrai, tellement clair, tellement explicite que, à coup sûr, ça doit être freudien, quelque part.
Pourtant, les photos de l'objet font naître quelques doutes. D'abord, ce qu'on voit là, de banales planches de bois planes et dépourvues de dossier, ne ressemble pas du tout à un banc public, et se rapproche plutôt des bas-flancs de ces cellules de garde à vue popularisées par notre bon maître, au point de rendre le symbole vraiment lourd. De plus, ces planches ont été soigneusement ceinturées d'un grillage qui monte à hauteur d'homme et s'appuie, à chaque angle, sur de solides cornières. Quel peut bien être l'utilité d'un tel dispositif ? À quoi bon laisser en place un équipement désormais totalement inutile puisque plus personne ne peut y accéder ? Pourquoi ne pas, simplement, le retirer ? C'est que, nous apprend la mairie, en fait, il ne s'agit pas de bancs, mais de blocs de béton coulés là pour décourager le stationnement automobile, dont l'emploi comme mobilier urbain s'est sans doute fait à titre accessoire. Quant à cet imposant ferraillage, selon la même source, il est destiné à constituer un gabion, ces structures de soutènement massives dans lesquelles on accumule les pierres, avant de les entourer d'un grillage chargé d'assurer leur stabilité.

On laissera de côté la question de savoir ce que ces gabions-là vont bien pouvoir étayer pour s'intéresser à l'enseignement sociologique à tirer de la fable, cette mécanique de l'indignation pas très éloignée de celle des moral panics décrites par Stanley Cohen et, en particulier, au rôle que joue la presse dans la publicisation et l'amplification des faits, elle qui, comme l'écrit Stanley Cohen, fonctionne depuis longtemps et de sa seule initiative comme agent d'indignation morale. Le récit des multiples manières dont la ville traite ses importuns, de l'opposition entre sédentaires et vagabonds, est aussi ancien que la ville elle-même, et abondamment documenté par l'histoire comme par la sociologie.
Des techniques actuelles mais plus toutes neuves et appliquées systématiquement sont devenues aujourd'hui si banales qu'elles ne suscitent guère de réactions. Ainsi en est-il des bancs et sièges implantés dans les stations de la RATP, qu'un bon connaisseur de la chose décrit dans un billet doté, de plus, de références bibliographiques de premier ordre, sièges conçus par des designers super cool pour, entre autres exigences, faire en sorte qu'il soit physiquement impossible, non seulement de s'y allonger, mais même d'y rester plus longtemps que le temps nécessaire à l'arrivée de la rame.

Il n'y aurait pas eu de scandale à Angoulême si celui-ci n'avait pas fourni matière à une si bonne histoire et même, en cette veille de Noël, à une histoire presque miraculeuse, tant elle concentre idéalement tout ce dont la presse en général, et les journaux télévisés en particulier, ont besoin, un puissant impitoyable s'attaquant vicieusement à de pauvres démunis qui ne demandaient rien d'autre qu'un pauvre espace où s’asseoir, la vertueuse et si télégénique indignation de citoyens révoltés par tant d'injustice, un dispositif, objet à montrer au vingt heures et qui vaut comme preuve incontestable de l'offense, le tout conditionné en une minute trente avec en bonus le discours implicite sur l'état de plus en plus pitoyable de notre pauvre monde. Car seul son potentiel symbolique vaut qu'une telle histoire soit largement diffusée, par une presse qui trouve dans les faits de ce genre un de ses matériaux préférés. Le monde s'intéresse sans doute très modérément au fait qu'un gendarme portugais borné ait cru bon de délivrer une contravention à un ambulancier arrêté sur une autoroute pour prodiguer des soins à l'octogénaire qu'il transportait ; mais l'AFP, en la bonifiant avec l'un de ces titres clinquants que, marché oblige, elle a appris à faire, a trouvé l'anecdote suffisamment bonne, donc assez rémunératrice, pour en assurer la diffusion. Et la réaction unanime, instinctive, pavlovienne, de la foule des indignés face à l'affaire d'Angoulême montre que les journalistes d'aujourd'hui savent aussi bien que ceux d'hier flairer la bonne histoire, et l'exploiter.

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