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brouillard

, 19:29

Hasard de la concurrence entre porteurs de causes, une équipe de statisticiennes de l'Institut Gustave Roussy accompagne aujourd'hui la publication d'un article dans une revue savante d'un communiqué de presse qui résume les conclusions de leur travail, lequel cherche à évaluer la relation entre consommation d'alcool et mortalité. On l'apprend par ailleurs, elles ont mis à contribution la base de données des décès de l'INSERM avec comme objectif, en dressant le tableau des diverses maladies causées par la consommation d'alcool, d'estimer le nombre de morts qui peuvent être imputées à celle-ci. Elles font ainsi œuvre de salubrité publique, puisqu'elles rappellent aux journalistes la signification exacte de l'expression mort prématurée, laquelle désigne un décès survenant avant l'âge de 65 ans. Et même si l'exercice contraint du communiqué de presse interdit les nuances, procède par affirmations d'autorité et ne dit rien de la prudence méthodologique qui accompagne d'ordinaire les articles scientifiques, les résultats paraissent aussi intéressants que crédibles.
Si l'on peut, sans doute, discuter des causes, les 49 000 décès qu'elles attribuent à l'alcool existent bel et bien, tout comme la forte proportion dans ce total des morts prématurées, 40 % ; ces résultats, de plus, dans un pays qui continue à se singulariser par le rôle culturel et social qu'y joue l'alcool sous toutes ses formes et dans toutes ses densités, n'étonnent guère. Alors, par contraste, ils rendent encore plus saillante l'ineptie par laquelle les pouvoirs publics comme le quotidien du soir de référence, qui affirme sans rire dans son édition de fin de semaine que les particules fines en général, et les moteurs diesel en particulier, entraînent chaque année 42 000 morts prématurées en France, et va même jusqu'à calculer la part du carburant maudit dans le total des décès, 5 %, transforment le diesel en meurtrier invisible. Certes, la manœuvre n'a rien d'inédit, et a déjà fait l'objet d'analyses diverses, ici, et ailleurs. Mais l'insistance des pouvoirs publics à faire de cette estimation statistique l'instrument de preuve qui va justifier un renversement de politique publique incite à y revenir.

Car en France, on le sait, l'automobile diesel règne encore sans partage, puisque les pouvoirs publics soutiennent depuis des décennies son développement grâce à leur arme favorite, une incitation fiscale, et cela dans le but on ne peut plus trivial de favoriser l'industrie nationale, la première à adapter cette technologie aux véhicules particuliers, au détriment de ses concurrents. Mais le succès de cette stratégie ne fait qu'exacerber ses inconvénients, l'isolement qui en résulte et handicape d'autant plus les industries qu'il leur faut aujourd'hui exporter pour compenser l'effondrement du marché national, le déséquilibre des capacités de raffinage dont l'ajustement à la demande locale entraîne de lourds investissements, les petits soucis environnementaux, enfin, que génèrent les particules cancérigènes, auxquels s'ajoute, comme toujours, et plus encore après l'abandon des ZAPA, le retard coutumier dans la transcription indigène des normes européennes. La tentation d'en finir avec l'exonération devient alors d'autant plus irrésistible que se fait pressant le besoin de recettes fiscales nouvelles ; et il n'existe pas de meilleur moyen de justifier ce revirement stratégique que de faire appel à l'alliance maintes fois utilisée entre l'argument irréfutable, la statistique, et l'impératif indiscutable, la santé publique.

Mais le rôle des moteurs d'automobiles dans ces émissions de particules reste minoritaire, tandis que les pollutions hivernales en Alsace doivent sans doute beaucoup au chauffage au bois. Il faut donc d'abord tordre le cou à la réalité physique, réduire le large éventail des producteurs de particules aux seuls coupables qui intéressent l'État, les automobilistes, et tricher avec la chronologie en faisant comme si le brouillard toxique était un phénomène récent alors même qu'il n'y a de neuf que la mesure des concentrations en particules de l'air par les associations agréées. L'entourloupe statistique, qui voit des estimations de réduction d'espérance de vie qui portent sur quelques mois, et ne font que mesurer un écart par rapport à un seuil déterminé par l'OMS, seuil qui résulte sans doute bien plus de négociations entre experts que d'évidences physiologiques, requalifié en dizaines de milliers de morts prématurées, atteint d'autre part une ampleur inusitée. Cette fabrication qui transforme une fiction en vérité inattaquable marque les politiques publiques autochtones, quand elles ont comme objectif de contraindre les citoyens au nom d'objectifs sacralisés. Il s'agit bien, comme l'écrivait Joseph Gusfield, de définir un problème d'une façon qui, en éliminant tout dissension, va interdire de penser toute autre manière de le résoudre, et constituera ainsi un outil de contrôle social d'autant plus efficace que son existence échappe à la perception commune.
Mais répéter sans répit la pauvre formule d'un slogan rudimentaire, masquer sa vraie nature de formule magique sous une justification scientifique fictive, faire régner l'unanimité en étouffant toute voie dissidente dans les relais de la communication officielle, constituent autant d'armes déjà bien connues : ce qu'on voit ici à l'œuvre, littéralement, c'est la stratégie de Big Brother.

ppl

, 19:53

Une proposition de loi du groupe écologiste à l'Assemblée Nationale est un peu comme une rose fleurissant dans une terre empoisonnée aux métaux lourds, une chose aussi rare que précieuse, qu'il faudrait cultiver avec soin, et étudier avec prévenance et attention. Hélas, le pouvoir socialiste ignore ce genre de délicatesse, puisqu'il vient de l'enfouir dans les catacombes de l'Assemblée, en la renvoyant en commission. Comme l'explique Samuel, ce renvoi contraint les écologistes à passer leur tour, et à attendre l'année prochaine une nouvelle occasion de tenter leur chance. Autant juridique que technologique, cette proposition maintenant éteinte se fixait une bien lourde tâche, que la physique du monde tel que nous le connaissons rend simplement impossible, limiter les expositions des individus aux ondes électromagnétiques. Proteos a rappelé à quel point les Verts poursuivaient ainsi une de leurs chimères préférées tout en laissant de côté, comme toujours, le seul risque potentiel de ces émissions, qui tient au fait d'avoir en permanence un bidule hautes fréquences posé contre l'oreille. Pourtant, ces deux contributions n'épuisent pas le sujet, et négligent en particulier ce qui va intéresser le politiste.

On peut en effet poser le postulat selon lequel les écologistes ont pris au sérieux cette rare occasion à eux offerte de donner une consistance légale aux sujets qui les préoccupent. Le choix de la thématique, l'organisation de leur argumentaire, le contenu du projet avec ses articles successifs donneront alors autant d'indications pertinentes sur la manière dont ils comptent gouverner. Et de ce côté là, au moins, on n'est pas déçu. L'exposé des motifs s'ouvre ainsi par une manœuvre classique, qui universalise le singulier en faisant des quelques opposants au WiFi et aux antennes de téléphonie mobile les porte-parole des angoisses de la majorité des citoyens, majorité, comme de coutume, silencieuse. Cette ordinaire rhétorique politique doit pourtant s'affranchir d'un obstacle inédit : même si la rapporteuse prend bien soin de ne citer aucune source de radiations électromagnétiques qui ne soit artificielle, elle ne peut éluder le fait que ce bain d'ondes qui nous emprisonne existait bien longtemps avant l'apparition de l'humanité. Il lui faut donc trouver un moyen d'isoler le naturel, réputé inoffensif, du technologique, dangereux par définition : ce sera le rôle d'un terme bizarre dont la signification reste obscure, "ondes électromagnétiques pulsées". À ce sujet, une petite recherche lancée avec cette chaîne de caractères grâce à l'habituel géant du web se révèlera vite rassurante, puisqu'elle montre à la fois tous les bienfaits à tirer de la chose, et tous les moyens de s'en protéger.
L'analyse du projet lui-même délivre ensuite son lot d'informations. Il commence par réclamer la conduite d'une étude d'impact avant la mise en service d'une nouvelle technologie sans fil, étude qui devra être conduite par des experts indépendants. On attendra un éventuel décret pour savoir ce qu'il faut entendre précisément par technologie nouvelle, pour s'intéresser à la définition donnée ici de l'indépendance : ces experts devront démontrer qu'ils n'entretiennent aucune espèce de lien avec l'industrie incriminée, et cela sur une période de dix ans. Bien évidemment, les militants des CRIIREM et autre PRIARTéM, n'étant suspects d'aucun lien de cet ordre, seront automatiquement considérés comme étant des experts neutres, compétents et objectifs. À l'inverse, on remarquera que nombre d'amendements au projet de loi ont été déposés par deux figures bien connues du lobby des ondes, Lionel Tardy, propriétaire d'une PME informatique, Laure de La Raudière, normalienne, ingénieur des télécommunications, au lourd passé de directeur départemental chez France Telecom. Pour le bien des citoyens et de la démocratie, il conviendrait donc de les priver de leur temps de parole.
On découvre, un peu plus loin, une obligation d'apposer sur les emballages des bidules WiFi une mise en garde contre leur dangerosité : on attend avec impatience que cette avancée trop timide soit complétée de photos détaillant les horribles tumeurs que cause l'abus d'ondes. À partir d'ici, on se prend à douter du sérieux de la proposition. Et le doute devient certitude lorsqu'entre en scène le POT, plan d'occupation des toits. On en veut à la ministre de l'économie numérique, responsable de ce renvoi en commission qui interrompt brutalement la carrière du projet, puisqu'elle nous prive ainsi d'une inépuisable réserve de jeux de mots : hélas Fleur, c'est une évidence, n'aime pas les POTs. Une fois de plus, on peut donc vérifier la véritable fonction, au sens sociologique du terme, des Verts, fonction qui consiste à alimenter l'observateur sarcastique en intenses moments de rigolade.

Mais la brève carrière de ce projet de loi ne l'empêche pas d'être riche d'enseignements. Il montre d'abord l'envergure de l'invraisemblable fatras pré-logique qui pollue toujours la pensée des Verts. Il rappelle ensuite de quelle manière ceux-ci comptent imposer leur vues malgré leur minuscule poids électoral, et dans quel but. L'article 474 vaut ainsi comme un plan de bataille qui, en multipliant les obligations, les consultations, les recours possibles, vise à entraver efficacement la progression de l'adversaire. Plus largement, la proposition montre comment les Verts utilisent la construction juridique de la réalité physique : la loi permet en effet de faire l'économie de cette ennuyeuse contrainte que pose la réalité objectivable, laquelle implique qu'un fait n'existe que s'il est observable et quantifiable, et qu'il le soit de manière cohérente et reproductible. Promulguez une loi qui vise à vous protéger de quelque chose, l'électrosensibilité ou le sabbat des sorcières, et vous pourrez donner un nom et un visage à votre mal, vous pourrez désigner des coupables et les faire condamner, et faire condamner en particulier ces hérétiques de scientifiques qui persisteront, malgré la loi, à mettre en doute la matérialité de vos troubles.
Pour finir, l'échec de la tentative apporte un enseignement politique précieux puisqu'il permet de mesurer avec précision la longueur de la laisse avec laquelle les socialistes tentent de contenir leurs imprévisibles alliés, au point qu'on pourrait penser que la thématique de la proposition a été choisie par certains pour avoir valeur de test. Et incontestablement, cette laisse apparaît d'autant plus courte que les socialistes n'ont pas hésité à la rajuster brusquement, et sans ménagement. Cette première escarmouche fixe donc le cadre à l'intérieur duquel les Verts devront désormais évoluer, et sans doute ne se contenteront-ils pas tous de son étroitesse : dès lors, à terme, il ne serait pas invraisemblable de voir naître une scission entre fondamentalistes, et opportunistes.

méfiance

, 19:42

De prime abord, l'exercice consistant à analyser en détail quelques lignes détournées du flux de réactions instantanées, superficielles et sans conséquence qui forment l'ordinaire du travail journalistique en ligne, qu'il s'exprime sur le site web d'une publication ou dans le blog d'un journaliste, ne risque pas de conduire à des découvertes fondamentales. Car le monde social est ainsi mal fait qu'il ne suffit pas d'extraire un bout de son ADN pour obtenir une réplique exacte de sa structure entière. Certaines séquences, pourtant, contiennent suffisamment d'informations, et d'informations dont on peut enrichir le contenu en les rattachant à des données externes, pour justifier d'y consacrer un instant. Et puis, après tout, sur le web, rien n'interdit d'être aussi inconséquent et superficiel que ce que l'on se propose d'étudier.
Il s'agit donc d'un étrange billet paru voilà peu sur le site de Moto Magazine, mensuel issu du mouvement des motards grognons. Il surprend tout d'abord en reprenant un article d'un journaliste du Monde, alors que celui-ci n'est pas vraiment réputé pour son amour de la moto. Sur son blog, le rédacteur de l'article en question, suivant en cela une pratique habituelle des quotidiens de référence, instruit le procès d'un organisme public, l'INSEE en l'occurrence, et le déclare coupable. C'est que l'institut, qui vient de publier une brève analyse consacrée aux déplacements quotidiens des citoyens en s'appuyant sur les données du recensement, commet un crime impardonnable. Il regroupe en effet les deux-roues en une catégorie uniforme, ce pourquoi, au Monde, on lui reproche de confondre cyclistes et motocyclistes, tandis qu'à Moto Magazine, on l'accuse du travers inverse. À l'opposé de son glorieux confrère, le journaliste de Moto Magazine a fait le choix d'un court billet, qui présente l'avantage de contenir bien moins d'inexactitudes qu'un long article. Le fait d'appartenir à la rédaction d'une publication que les bourdieusiens qualifieraient de dominée conduit de plus le chroniqueur moto à une certaine retenue, mais le condamne en contrepartie à prendre pour argent comptant les propos de comptoir d'un journaliste amateur de gros clichés qui tachent.

L'INSEE vient donc de mettre en ligne un travail d'une portée modeste, qui exploite les données issues de la procédure du recensement de la population, ou plutôt de ce qui en reste. Car, comme l'institut l'explique ici, il en a fini avec les grandes enquêtes coûteuses et détaillées où ses petites mains au statut précaire allaient sous les ponts interroger les SDF. Désormais, comme un banal organisme de crédit, comme une quelconque entreprise de sondages, il se contente d'un questionnaire individuel de deux pages et trente rubriques, à remplir soi-même, qu'il complète d'une feuille de même longueur, réservée à la description des caractéristiques du logement. Et parmi les classiques données sociométriques, âge, statut matrimonial, éducation, carrière, une rubrique, et une seule, détaille en cinq items les modes de transport des individus.
Quel mal y-a-t-il, compte tenu des contraintes, l'espace disponible, les arbitrages inévitables, le respect de la cohérence des séries statistiques, à confondre les deux-roues, motorisés ou non, en une catégorie unique ? Les observateurs auront remarqué que l'institut ne distingue pas non plus les voitures des véhicules utilitaires et des camions. Aurait-on préféré que l'INSEE se contente de trois modes de déplacement, transport individuel, collectif, et marche à pied ? Si sommaire soit-elle, la note qui exploite ces données se révèle fort utile, puisqu'elle montre à quel point, en France, on se déplace très majoritairement en voiture, à quel point la situation de l'Île de France reste très particulière, et combien, en dix ans, le lieu de travail s'est éloigné du lieu d'habitation, rendant donc l'usage d'un moyen de transport individuel motorisé encore plus nécessaire pour une grande majorité de citoyens. On comprend que ce genre d'enseignement ne plaise pas à tout le monde, et qu'il soit indispensable de faire taire cet institut de statisticiens bornés qui s'obstinent à analyser la réalité au lieu de fournir servilement les chiffres que l'on attend d'eux.

Cela ne prêterait guère à conséquence si François Clanché, administrateur de l'INSEE, chargé de défendre l'honneur scientifique de l'institut ne faisait preuve, en répondant au rédacteur de Monde, d'une inquiétante lâcheté. Sommé de justifier la négligence de l'INSEE, le chef du département démographie plaide immédiatement coupable, et promet d'essayer de faire mieux la prochaine fois. Sa capitulation le prive d'une occasion de renvoyer le journaliste à son incompétence, et de lui proposer une petite formation aux outils statistiques, à la façon dont ils sont élaborés et aux limites des enseignements qu'on peut en tirer, formation qui, à lui comme à nombre de ses collègues, ferait le plus grand bien. Elle lui fait aussi manquer à son devoir d'information, puisqu'il ne l'oriente pas vers les enquêtes nationales transports et déplacements, vers les travaux du SETRA et autre CERTU lesquels à la fois répondraient à ses questions et à ses critiques, et lui fourniraient peut-être matière à méditer sur la vanité de ceux dont les certitudes ne se nourrissent que d'ignorance.
Plus fondamentalement, il perd l'occasion de rappeler que la critique d'une méthodologie scientifique n'appartient qu'aux scientifiques qui disposent des compétences nécessaires pour évaluer la méthodologie en question. Un journaliste généraliste, de nos jours, n'est rien de plus que le porte-parole du sens commun, adepte de ce petit jeu narcissique par lequel on remet en cause, sans disposer du moindre argument valide, tout ce que produit l'État du seul fait que l'État le produit, un petit jeu qui prospère d'autant plus facilement que l'État ne se préoccupe guère de sa défense, perdant ainsi la bataille pour la légitimité dont n'importe quel sociologue lui montrerait à quel point elle est cruciale. Et ceci n'est pas sans conséquence car, si les sociétés développées sont considérées, pas forcément à raison, comme assez robustes, elles ont aussi recours à des dispositifs qui imposent l'unanimité, tels le recensement ou la vaccination, et qui s'effondreront dès que le nombre des réfractaires dépassera quelques points de pourcentage.

dipardiou

, 19:23

Gérard Depardieu aurait sans doute préféré rester un exilé fiscal discret. Mais un tel objectif, sans doute accessible pour l'un des nombreux rejetons des diverses familles de la grande distribution roubaisienne, reste hors de portée pour ceux dont les trognes sont connues dans les plus humbles villages d'Europe : dès le 9 novembre une information, révélée par Le Soir et reprise en brève dans Les Échos sous l'accroche exil fiscal ou investissement, dévoilait son achat d'un bien immobilier dans la déjà célèbre commune de Néchin. Il fallut ensuite quelque temps pour que la mécanique s'ébranle, et pour que le sympathique et volumineux gaulois, sous le poids de l'opprobre publique, endosse le bien trop étroit costume de l'Avare. Évidemment, les coutures ont tout de suite craqué, et l'acteur a réagi aux critiques gouvernementales par une tribune qui a suscité bien des commentaires, dont certains méritent qu'on s'y arrête.
Ainsi, la comparaison entre le texte original, fort court, et le résumé qu'en fait le quotidien du soir de référence se révèle très instructif, certains passages, sans doute déconseillés aux âmes sensibles, ayant été omis, celui où l'acteur met en cause la façon dont la justice a traité son fils Guillaume, celui aussi où, buveur, motocycliste, et doté d'une corpulence bien éloignée du standard IMC, il se présente sans le moindre remords comme un fort mauvais citoyen. Ces coupes, il est vrai, concernent des points qui donnent à cet exil des raisons autres que purement fiscales. Intéressante aussi, la réaction du journaliste de France 2, pour lequel une imposition représentant 85 % du revenu est techniquement possible mais implique, selon les experts, d'être un bien mauvais gestionnaire, qui n'a pas utilisé toutes les possibilités offertes par les niches fiscales : on lui reproche ici, en somme, de préférer l'évasion corporelle à sa cousine fiscale, bien plus discrète. Mais naturellement, les principaux arguments viendront des élus de la majorité, Claude Bartolone, Aurélie Filipetti, ; et il sera intéressant de creuser un peu, et d'essayer de démêler qui doit quoi à qui.

Gérard Depardieu a donc passé à Châteauroux une enfance de voyou, quittant l'école à treize ans, et entrant dans la catégorie de ces mineurs dont on dirait aujourd'hui qu'ils sont défavorablement connus des services de police. Venu à Paris suivre des cours de théâtre, il attirera vite l'attention et trouvera ses premiers rôles avec Peter Handke ou Marguerite Duras, tout en entamant une carrière cinématographique durant laquelle, à côté des François Truffaut et André Téchiné, et parfois accompagné par son compère Patrick Dewaere, il deviendra l'interprète favori des grands cinéastes de l'anti-France, Bertrand Blier, Marco Ferreri et, plus encore, Maurice Pialat. Sa carrière comme sa notoriété doivent sans doute beaucoup à son entourage très proche, familial et professionnel, et à ses qualités propres ; mais on aurait du mal à y déceler un rôle autre que négatif des pouvoirs publics. En d'autre termes, elle s'oppose trait pour trait, malgré des origines sociales similaires, à celle d'une Aurélie Filipetti, normalienne, agrégée de lettres, et dont le principal mérite se limite à avoir réussi un concours, ce qui, sans doute, explique sa virulence. Son argumentaire, d'une stupidité sans nom, reprend les formules fatiguées du chauvinisme le plus primaire, et montre à quel point le syndrome mécanique de la patrie en danger frappe indistinctement tous les élus, sans souci d'époque ou de tendance politique. Dans ce gouvernement qui, des lettres à la philosophie, de l'allemand à l'histoire, de l'anglais à l'économie, rassemble, en dehors des sciences, tout ce qu'il faut pour faire la classe et se montre encore plus monotone que le cabinet d'avocats de Nicolas Sarkozy, la réussite sociale et financière du cancre doit être difficile à accepter, et le culot incroyable, le camouflet sans précédent qui nait du fait de ne pas se contenter d'être un exilé fiscal honteux totalement insupportable.

La ministre de la culture semble, dans le domaine du cinéma, essentiellement occupée à défendre les privilèges d'un secteur d'activité qui, de la taxe spéciale additionnelle aux SOFICA, des obligations de production aux quotas de diffusion, du statut spécial de Canal + à la taxe sur la copie privée, fait preuve, en dépit d'une furieuse concurrence, d'une créativité inégalée en matière de production de rentes. Elle oublie opportunément, comme d'habitude, que, niches fiscales exceptées, ces financements sont à la charge du consommateur, et pas du contribuable. Elle oublie, plus largement, à quel point un Gérard Depardieu s'est construit contre ce cinéma-là, avec ses absurdes prétentions à produire des œuvres, son acharnement à refermer à double tour la porte ouverte par la nouvelle vague et ses successeurs. Bien sûr, aujourd'hui, sa carrière a rejoint le courant dominant, sans pour autant délaisser totalement les pirates, comme le montre sa prestation impressionnante dans le récent Mammuth. Il en reste, pourtant, des moments ineffaçables, qui ont culminé lorsque Maurice Pialat, cet autre ingrat, a reçu la Palme d'or à Cannes pour le miraculeux Sous le soleil de Satan, contre les huées des petits maîtres et des bien pensants. D'une certaine façon, et bien qu'il ne vise pas les mêmes personnes et ne prenne pas appui sur les mêmes raisons, le bras d'honneur de Gérard Depardieu trouve sa place pas très loin du poing brandi par Maurice Pialat ; dans l'affaire, le mauvais rôle, à l'évidence, n'est pas pour lui.

so

, 19:15

Pour les chroniqueuses du superflu en poste au grand quotidien du soir, la banlieue reste une aventure. Un de ces petits plaisirs défendus que l'on doit s'accorder avec modération, une bravade raisonnable, une façon de se démarquer des cocottes dont on partage le bureau, elles qui ne savent toujours pas dans quel coin se trouve le Marais. Pas question, évidemment, de jouer les correspondants de guerre, de ceux qui osent parcourir les cités de tous les dangers, Stains, Gennevilliers, Montfermeil : on se contentera, en explorateur prudent, d'un saut de puce, en restant à portée d'oreille du murmure rassurant du boulevard circulaire. Saint-Ouen et la cantine de Philippe Starck, Pantin et ses galeries d'art, Levallois-Perret et ses boutiques comme à Haussmann, autant de dépaysements en terrain connu que l'on peut se risquer à découvrir, à l'abri des mauvaises surprises. De quoi, aussi, produire un article bien chargé de références à la sociologie urbaine et légèrement teinté d'ironie : à son public éduqué, on se doit de donner plus qu'un publi-reportage style Figaro. Mais pour le riverain banlieusard, se voir offrir l'occasion de s'habiller ailleurs que rue de la Paix représenterait un progrès inespéré : à l'évidence, l'enquête s'impose.

Bien sûr, depuis Paris, la banlieue se doit d'être pratiquée avec modération, et l'objet d'étude, certes situé à Levallois, mais dans la première rue à gauche en quittant la porte d'Asnières après franchissement du périphérique répond parfaitement à cette exigence. Outre un ample parking souterrain, le visiteur disposera d'un service sur mesure pour son scooter, et d'une navette qui le ramènera vers ses beaux quartiers. Le promoteur, fin connaisseur de son public, a donc bien prévu tous les outils indispensables à un éventuel rapatriement sanitaire d'urgence. La galerie en elle-même se déploie sur deux niveaux, entre Alsace et Lorraine, et joue du principal atout dont la banlieue dispose contre le passage du Havre, l'espace, les larges couloirs permettant, même avec une fréquentation bien supérieure à celle que se doit de constater un observateur impartial, de se croiser sans se bousculer. Mais le marbre du pavement comme la musique éthérée qui ravit nos oreilles se montrent impuissants à éloigner cette vilaine réalité sociale qui surgit brutalement lorsqu'apparaît l'indigène, en moustache et survêtement, traînant un chariot pour aller faire ses courses chez Leclerc. Caché dans un recoin l'hypermarché a en effet précédé ce qui, observation faite, se résume à une assez ordinaire galerie commerciale, simplement adaptée à un public un peu plus fortuné, adaptée aussi à l'ère moderne puisqu'on y trouve uniquement des boutiques vendant ce qui ne s'achète pas sur Internet, des vêtements et de la nourriture.
Seule originalité, la plaisir régressif du Marks & Spencer, l'enseigne britannique tentant un modeste retour après s'être isolée sur son île natale, sur une surface bien plus faible que son historique implantation du boulevard Haussmann. Hélas, là aussi, à côté du délicieux voyage dans l'immuable, le désenchantement guette, et la Vespa PX sensée incarner l'Italie se révèle n'être qu'une copie indienne. Le banlieusard, en somme, n'y trouve guère son compte, et restera soumis à la contrainte de faire ses courses en territoire Delanoë.

En fait, l'opération ne prend son sens qu'en s'éloignant un peu, dans l'espace, et dans le temps. Elle s'inscrit en effet dans un environnement particulier, celui de la ZAC Eiffel, construite à l'époque où le valdôtain Parfait Jans, dernier maire communiste de la ville de l'automobile et de ses ouvriers, présidait aux destinées de la commune. Elle témoigne, en somme, après trente ans de transformations urbaines et sociales qui ont fait de Levallois le Neuilly du demi-riche, d'un dernier effort pour effacer le passé. La rénovation intégrale des deux tours de bureaux de la ZAC, l'insertion des surfaces commerciales au pied même des immeubles, l'habillage rapide dont ceux-ci ont été l'objet, et qui les voit aujourd'hui partiellement recouverts de cette pierre plaquée qui vaut comme un symbole de la ville actuelle et de l'idéal esthétique de son indétrônable député-maire, permettent de remodeler à peu de frais une portion de territoire, et d'oublier qui l'habite. Mais puisqu'un politique habile ne saurait laisser passer l'occasion de tirer un profit symbolique d'une opération immobilière, la ville de Levallois nous offre un monument. Une de ces videos promotionnelles dont on pensait le modèle perdu depuis des générations, et qui nous ramène directement à l'époque du giscardisme triomphant. Une ode au béton, un rêve de Défense accumulant les clichés esthétiques du genre, coups de zoom et panoramiques filés sur les murs-rideaux. Ce qui, au fond, n'est qu'une autre façon de se tromper d'époque, et ne fait que dévoiler les ambitions de grandeur surannées d'une banlieue bien ordinaire, et la distance infranchissable qui subsiste entre l'original, et la copie.

zen fascists

, 19:32

Il y aurait, dans les tentatives anarchiques des municipalités de la petite couronne parisienne cherchant à se faire une place à l'ombre du géant indifférent quelque chose du comportement des mammifères essayant de survivre à l'époque des dinosaures, à ceci près que, là où les ancêtres de l'homme faisaient tout pour passer inaperçus, les maires de ces petites communes, tous ensemble et les uns contre les autres, tentent de se faire remarquer. Pour cela, chacun va chercher à rentabiliser les modestes avantages dont la nature et l'histoire l'ont, par le plus grand des hasards, doté. Clichy-la-Garenne, cette incongruité socialiste en plein pays UMP, sur ce plan-là, n'a pas à se plaindre : la culture lui a fourni la Maison du Peuple, la nature et la générosité d'une riche héritière le parc Roger Salengro. Situé au milieu de la partie utile de la ville, l'est, l'ouest étant abandonné aux emprises de GDF et de la SNCF, le parc doit à son ancienneté de posséder nombre d'arbres plus que centenaires, ce qui lui permet de rivaliser avec les Montsouris et autres Buttes Chaumont. C'est dans une de ses allées qu'un objet insolite en tel endroit a fait son apparition, sans doute à la fin de l'été : un panneau à messages variables, alias PMV dans ce jargon technologique qui ignore toute poésie, du genre habituellement chargé d'annoncer un bouchon sur le périphérique, ou, uniquement pour les Parisiennes et les Parisiens, le résultat d'une consultation cruciale.
Renseignement pris, le tableau en question s'avère relever d'une initiative purement commerciale, et constituer une première au niveau national, cela expliquant sans doute ceci puisque la satisfaction d'une petite vanité municipale représentait vraisemblablement un préalable décisif au succès d'une initiative qu'il convient d'analyser de plus près, tant ses implications sont riches. Car loin de la polyvalence qui caractérise d'habitude les dispositifs de ce type, ce panneau ne connaît qu'un seul usage, à destination d'une catégorie bien précise d'individus : les coureurs à pied qui s'entraînent dans les allées du parc, bousculant au passage enfants en bas âge, mères de familles et vieilles dames à la mobilité chancelante, et qui pourront désormais connaître avec précision leurs performances, pour peu qu'ils s'équipent d'un appareil de mesure approprié, et s'enregistrent sur le site web de son fabricant. Inutile de s'étendre sur cet aspect du problème, tant il est désormais banal : on l'a compris, il ne s'agit là que d'un aspirateur à données personnelles de plus, destiné à recueillir des informations aussi confidentielles que faciles à monnayer. Il est beaucoup plus intéressant d'étudier le versant public de l'histoire.

Là, les significations sont multiples. Ce dispositif sanctionne d'abord, avec l'encouragement des autorités, le détournement à des fins privées d'un bien public : le parc, désormais, n'est plus lieu de promenade pour tous, mais terrain d'entraînement pour quelques-uns. Pourtant, à Clichy-la-Garenne, on dispose d'un stade d'athlétisme, et il se situe juste en face, de l'autre côté de la rue ; évidemment, le parcours y est plus monotone, et l'ombre bienfaisante des arbres centenaires y fait cruellement défaut. Cet instrument de mesure encourage par ailleurs le comportement narcissique et solitaire d'individus seulement préoccupés de leurs performances, comportement dont un forum de nageurs fournit des exemples d'une édifiante mesquinerie. Une telle conception se situe aux antipodes de l'utopie sociale du sport pour tous, pourtant à sa place dans une municipalité socialiste, et se rattache plutôt à l'idéologie égoïste du tous contre tous et de la compétition permanente. L'implantation de ce panneau indique bien, dès lors, ce changement de statut de la pratique sportive du citoyen ordinaire, et ajoute une petite contribution à la construction d'un édifice de plus en plus pressant, qui non seulement transforme une pratique occasionnelle, volontaire, et ludique en contrainte sociale, mais sélectionne de plus le sport que les citoyens seront autorisés à pratiquer. En consultant la longue liste de ces merveilleux projets d'urbanisme qui constellent la capitale et sa périphérie, on ne peut manquer de constater que ces nouveaux quartiers forcément écos prévoient tous gymnases et stades, mais oublient systématiquement les piscines, disqualifiées sans doute à cause de leur excessive consommation d'énergie ; les piscines écolo existent pourtant, et elles ont même leur spécialiste. Mais l'État a choisi pour vous : il veut de l'effort, de la sueur, de l'essoufflement, du traumatisme, et des articulations démolies bien avant l'âge, et tout cela pour votre plus grand bien. Comme l'affirmait récemment une présentatrice de journal télévisé sur une chaîne publique, cette fameuse et quasi-obligatoire pratique sportive régulière peut faire reculer la mortalité de 30 % : presque une chance sur trois de devenir immortel, il faudrait être bête pour ne pas tenter le coup.
On sait l'intérêt que suscite, depuis Michel Foucault, la façon dont l'État tente de modeler le corps des citoyens, hier pour produire des soldats efficaces et des travailleurs robustes, aujourd'hui pour répondre à des impératifs d'hygiène et de santé publique au nom desquels, de plus en plus, il traque les gros, les négligents, les buveurs, et cherche à les réformer, au besoin par la contrainte médicale, puisque, après tout, les prescriptions de la faculté sont par essence obligatoires. Zen fascists will control you / 100 % natural / You will jog for the master race / And always wear the happy face : Jello a beau avoir tourné vert, trente ans après, ses textes sont plus que jamais actuels.

particules

, 19:40

Cela fait quelques mois que les plus fins limiers sont sur la piste d'un chiffre qui montre une fois de plus combien le conditionnel suffit amplement pour débarrasser la presse de tout scrupule et lui permettre de sortir impunément n'importe quelle baliverne. Elle se trouve, il faut le dire, bien aidée en cela par le Ministère, qui avance lui aussi le chiffre de "42 000 décès par an (...) dus à la pollution de l’air par les particules PM2,5" en fournissant comme justification les résultats d'un programme d'études européen, lançant ainsi le lecteur sur une fausse piste puisqu'un petit parcours du labyrinthe bruxellois permet de constater que le programme en question est clos depuis 2005. Heureusement, on dispose depuis peu de données que le même ministère présente en douce, en l'occurrence un rapport de l'Institut national de veille sanitaire qui s'annonce alléchant, le sérieux de ses lugubres scientifiques n'étant plus à démontrer. Ce sera l'occasion de se livrer, une fois de plus, à l'un des ces passionnants exercices de constructionnisme social dans lequel on cherchera à débusquer les parcours, les procédés, les oublis volontaires, les tortures sanguinaires qu'il faudrait infliger à cette malheureuse étude sans autre défense que la rigueur de sa méthode pour lui faire cracher le chiffre qu'on attendait d'elle. Ce qui, on s'en rendra compte, ne sera pas si simple car, dans ce combat obscur et sans espoir, pour l'honneur de la science, elle ne s'est pas si mal défendue.

Le rapport de l'INVS résume la partie française d'un programme plus vaste à la dénomination cabalistique, Aphekom, qui a comme objectif d'évaluer les conséquences pour la santé humaine des deux polluants atmosphériques jugés les plus dangereux, l'ozone et les particules fines, et cela dans les principales agglomérations européennes, celles qui ont notamment comme caractéristique d'être dotées d'un réseau de surveillance de la qualité de l'air ; notons au passage que le site du projet fournit des monographies détaillées relatives aux métropoles en question. Durant trois ans, sur la période 2004 à 2006, l'équipe a analysé deux catégories de séries statistiques, les causes d'hospitalisations, ou de décès, ces dernières fournies par la base CepiDC de l'INSERM, d'une part, et d'autre part les niveaux des polluants atmosphériques recherchés, relevés par les stations de contrôle du réseau Atmo. Et son travail consiste à évaluer, suivant une méthode qui n'est pas explicitée et serait sans doute restée totalement obscure pour le commun des mortels, l'effet sur l'espérance de vie d'une réduction de la pollution urbaine au seuil recommandé par l'OMS, sachant que les agglomérations étudiées le dépassent tous. Deux résultats apparaissent alors : pour la population des neuf zones urbaines concernées, qui regroupent un total de 12 millions d'habitants, la réduction des émissions d'ozone permettrait de différer précisément 69 décès par an ; pour les particules, toutes tailles confondues, on atteint des chiffres plus substantiels, puisque l'estimation porte sur une moyenne de 2900 décès différés par an. Ce qui, évidemment, suscite quelques remarques, dont certaines proviennent des auteurs de l'étude.
On notera pour commencer qu'il n'est jamais question, à l'inverse de la routine des pouvoirs publics, de sauver des vies, ou d'éviter des morts, ni même d'échapper à la maladie puisque, après tout, dans le monde réel, l'essentiel des décès dus, par exemple, à la bronchite chronique, une des pathologies prises en compte par l'INVS, provient du fait qu'une importante proportion des citoyens a choisi l'empoisonnement volontaire par la fumée du tabac. Le modèle se fixe un objectif bien plus modeste, celui d'estimer le gain d'espérance de vie généré par un air plus sain, et forcément, il comporte ses incertitudes. La plus classique reste d'ordre statistique : comme le précise le rapport, l'intervalle de confiance des décès évitables dus aux particules varie de 1000 à 5000 cas, ce qui représente quand même un écart-type plutôt brutal. Mais d'autre limites sont à peine suggérées. Ainsi, alors même que la pollution varie très fortement sur de très petites distances, comme le précise en passant le premier signataire de l'étude, la mesure, des particules en particulier, reste très lacunaire : Airparif a inauguré ses deux premières stations équipées pour les particules les plus fines en 2000, et en compte aujourd'hui quatre pour couvrir les 6,5 millions d'habitants de l'ancien département de la Seine. Et faire tourner ses modèles pour combler les trous n'est pas une opération sans risques.

L'énigme reste donc entière : comment passer de ces 2900 décès anticipés de moins de six mois en moyenne au 42 000 morts du diesel criminel ? Ces réductions d'espérance de vie sont calculées sur un effectif de 12 millions de citadins, soit 18,5 % de la population totale, 65 millions d'individus. Une uniformisation au niveau national donnerait 15 000 décès, et suppose, évidemment, que l'on respire autant de particules à Dieppe qu'à Rouen, à Arcachon qu'à Bordeaux, à Ribeauvillé qu'à Strasbourg, le genre d'hypothèse que les politiques feraient sans le moindre remords. Les monographies urbaines détaillées rappellent de plus que, dans l'agglomération parisienne par exemple, les transports comptent pour moins d'un tiers des émissions de particules, la plus grosse part provenant du secteur tertiaire et résidentiel, c'est à dire du chauffage, quand il n'est pas électrique, donc nucléaire. Aussi sera-t-il intéressant de suivre le parcours de cette étude, de voir si elle modifie les certitudes du ministère de l'Environnement, de voir aussi si le ministère de la Santé, tutelle de l'INVS, suit un chemin différent. Pour l'heure, le pronostic de la remise au tiroir s'impose.

Alors, si cette étude produit des résultats si modestes, si le seul objectif accessible pour une réduction drastique, et qui devra recourir à des moyens qui le sont pas moins comme l'interdiction du diesel pour laquelle milite désormais un Jean-Vincent Placé, des émissions de particules se limite à un gain en espérance de vie le plus souvent inférieur à six mois pour une proportion très faible, et parfois à la limite du mesurable, de la population, c'est qu'on arrive au bout d'un processus, celui où presque tout ce que l'on pouvait faire en la matière a déjà été fait, et où les progrès à attendre vont produire, de plus en plus, un écart insoutenable entre leur difficulté de mise en œuvre, et donc leur coût, et les effets à en attendre, et donc les gains. Les études de ce genre, qui ne s'intéressent qu'à quelques polluants analysés sur une courte période, fournissent des images totalement biaisées puisqu'elles passent sous silence les énormes progrès déjà réalisés, toutes ces morts évitées bien plus nombreuses que celles qui restent à gagner, mais que l'on n'a jamais calculées. Désormais, on vise l'absolu, la pureté, l'absence complète, et délirante, de ces quelques facteurs nocifs sélectionnés, et portés à l'attention du public. Dans cette relation qui oppose le plus sacré, la santé, la victime innocente, au plus vil, la saleté, le pollueur, l'automobiliste égoïste et son gros diesel, le second ne payera jamais assez pour ses crimes, d'autant que l'impossibilité de les lui imputer directement interdit de le faire payer autrement qu'en le mettant hors d'état de nuire, et en le condamnant à la marche à pieds.

danseuses

, 19:46

Le drame de la dette, au fond, se résume à un problème simple à énoncer, mais difficile à résoudre : où va l'argent ? Car, on le sait, le grand gouffre du Trésor où s'entasse tout ce que l'État peut ramasser fonctionne aussi comme une machine à blanchir, où l'argent, si durement gagné par un ouvrier carreleur, si scandaleusement extorqué par un patron du CAC, perd son identité. Devenu crédit, de fonctionnement ou d'investissement, il sera réparti selon des logiques aussi obscures qu'inébranlables, et sur lesquelles les organismes de contrôle n'ont, en fait, guère d'autre pouvoir que celui d'admonestation, ce qui fait de la Cour des comptes un membre éminent du club de plus en plus fourni de ceux qui s'égosillent en vain dans le désert. Un des effets de composition du récent entretien accordé au Monde par Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, est d'offrir une occasion de comprendre un peu qui vient se servir au pot, et dans quel but.

Car la liste des projets auxquels la ministre a décidé de ne pas donner suite surprend, et à divers titres. D'abord, par sa longueur : Maison de l'histoire de France, musée de la photo à Paris, archives à Arles, nouveau Lascaux, Comédie Française, réserves du Louvre à Cergy, tous les domaines, et bien des territoires, sont couverts, et d'autant plus qu'on sent percer le regret de ne pouvoir arrêter les chantiers déjà lancés, comme celui de la Philharmonie de Paris, établissement au financement entièrement public, partagé entre l'État, la région et la ville de Paris et qui, donc, compte pour la dette à 100 %. C'est que la seconde propriété de ces investissements réside dans leur caractère unanimement superflu. Il y avait donc Lascaux, la grotte des origines, réservée aux seuls chercheurs en raison de sa fragilité. On a donc successivement construit Lascaux 2, reproduction pour le grand public de la partie la plus spectaculaire de celle-ci, puis Lascaux 3, la même chose en plus complet et en version itinérante. En décidant de continuer la série, on fonctionne un peu comme ces films ou ces jeux vidéo à rallonge, exploitant sans cesse et jusqu'à épuisement un même filon. Quel besoin la Comédie Française a-t-elle d'une salle de plus ? Comment ne pas saborder une Maison de l'histoire de France déjà salement plombée par les historiens eux-mêmes ? Comment justifier la greffe sur des locaux hautement techniques et par définition interdits au public qui servent à l'entreposage et à la restauration des œuvres d'ajouts précisément destinés au public en question ?
Le couperet, de plus, tombe bien tard. Car Paris dispose déjà d'une salle de concert consacrée à la musique classique, Pleyel, totalement rénovée pas plus tard qu'en 2006, et qui offre à peine 400 places de moins que le vaisseau compliqué de Jean Nouvel, lequel comble sans doute bien d'autres vanités que celle de son créateur. Directement intéressé à l'affaire, on ne se plaindra pas de l'installation des Archives contemporaines à Pierrefitte laquelle, plus qu'à une nécessité culturelle, répond à un besoin démocratique : mais Fontainebleau reste ouvert, et le site central de la rue des Quatre Fils, avec le très beau bâtiment de Stanislas Fiszer, demeure au patrimoine des Archives qui gèrent donc, désormais, trois implantations distinctes, éloignées parfois de cent kilomètres. Il n'empêche : en se privant de toutes ces belles choses inutiles, on économise, d'après la ministre, un milliard d'euros.

Évidemment, si la culture a un coût, elle ne saurait être traitée comme une marchandise banale. Le fait que les projets arrêtés relèvent presque tous d'un même domaine, celui du patrimoine, du répertoire, d'institutions parfois pluri-centenaires ne doit rien au hasard. On se trouve ici au cœur d'une compétition de prestige, entre régions, entre pays, entre métropoles où il convient de tenir son rang, et où chacun compte sur l'argent public pour financer la danseuse qui satisfera sa vanité et assurera sa réputation. Ici, l'élu remplace le mécène de l'âge classique, l'aristocrate ruiné, en puisant ses fonds à la même source, l'impôt, et en valorisant la même conception patrimoniale d'une culture savante qui lui apporte les mêmes bénéfices symboliques. Bien sûr, les biens de la culture d'État sont propriété publique, et physiquement accessibles à tous : mais les sociologues, et pas seulement les bourdieusiens, démontrent amplement à quel point cet élément reste un détail, et ne perturbe nullement l'ordre social des choses. Aussi la franchise d'Aurélie Filippetti, franchise qu'elle doit sans doute en partie à la modestie des ses origines, et qui suscite la colère des caciques outragés qui se font fort, en mobilisant leurs réseaux, à l'ancienne, de faire annuler ses décisions, apporte dans cette univers fossilisé une fraîcheur inattendue, et une lueur d'espoir. On le sait bien, seule la contrainte impérieuse et vitale permet d'en finir avec les vieux arrangements. En Italie, Mario Monti en appelle ainsi à la population pour débusquer les rentiers de la fonction publique. En France, l'heure n'étant pas assez grave, la tâche reste prise en charge par René Dosière, chef historique des crieurs du désert et même pas investi par le Parti Socialiste. En attendant, pour se consoler, il reste à trouver pire ailleurs, et à se dire que, au moins, la concurrence que se livrent les régions espagnoles où les cités des arts fleurissent comme autrefois les cathédrales nous aura été épargnée, et au Trésor aussi.

somnifères

, 19:07

Dans Naissance de la biopolitique, le cours que Michel Foucault a donné en 1979 au Collège de France, il n'est fait allusion à la biopolitique que pour préciser qu'il n'en sera pas question. Le cours, à la place, sera consacré à la genèse et au développement de divers courants dans la pensée économique libérale, et plus spécialement à l'un des moins connus, l'ordo-libéralisme. Ses promoteurs, réunis avant la Seconde guerre mondiale autour de la revue Ordo et de l'université de Fribourg, survécurent dans l'ombre au nazisme avant de voir leurs thèses triompher dans l'Allemagne de Konrad Adenauer, avec Ludwig Erhardt, père de l'économie sociale de marché et du miracle économique. Ici, le rôle de l'État consiste à organiser le cadre à l'intérieur duquel la concurrence pourra s'exercer de la façon la plus libre possible : pour y arriver, le meilleur moyen consiste à abandonner toute velléité de contrôler les prix ce qui, écrit Michel Foucault, sera fait dès 1953.
On imagine facilement le désarroi qu'un tel mode de pensée ferait naître en France, dans la population, dans l'administration, chez les politiques. Car il implique, pour l’administration, le renoncement à une capacité de contrôle et de sanction qui, un temps, s'exerçait sur l'ensemble de l'activité économique, pour les élus, l'abandon d'un énorme pan de l'action publique qui va de la préférence accordée aux produits nationaux à la détermination autoritaire des prix des denrées de base, un levier largement employé dès l'ancien régime, et pour les citoyens, enfin, l'acceptation d'un fait insoutenable, des prix qui dépendent de la situation du marché et pas de tel arrangement de court terme exigé et accordé dans un but étroitement électoraliste. Mais l'insupportable pression exercée par la stagflation des années 1970, ce moment où, avec des taux annuels qui atteignaient les 12 %, on savait ce que le terme d'inflation veut vraiment dire, et où on ne pleurnichait pas à longueur de journal télévisé pour des histoires d'asperges et de carottes, en se plaignant d'une vie décidément bien trop injuste, a finalement eu raison de l'ancien système.

Il a donc fallu le virage de 1983 pour que ce pays entre dans le monde de la liberté des prix ; pourtant, trente ans après, la conversion n'est pas encore achevée. Alors, bien sûr, les carburants, produits uniformes, normalisés et à la distribution, comme celle du tabac, étroitement surveillée puisque, à l'instar du tabac, elle génère de considérables recettes fiscales, relèvent d'un domaine un peu particulier. Mais l'idée que l’État puisse intervenir sur leurs prix semble d'autant plus délirante qu'il ne dispose d'aucun moyen d'influencer ceux-ci. Car il ne contrôle rien, ni la production, presque nulle sur le territoire national, ni l'élaboration des produits, de plus en plus effectuée sur les lieux d'extraction, ni les circuits de distribution. Sa seule arme véritable est de nature fiscale : baisser le prix des carburants revient donc à abandonner une part de recettes, et à se tirer une balle dans le pied.
C'est ce qui rend si fascinante cette décision ministérielle, prise dès le retour de vacances, comme s'il fallait combattre une exceptionnelle urgence. Même si personne ne peut prévoir ni son ampleur, ni sa brutalité, l'évolution à la hausse des prix des carburants semble inéluctable, et il n'existe d'autre méthode efficace de la combattre que de réduire sa consommation ce qui, le plus souvent, en optant pour des voitures économes, et plus encore pour des deux-roues motorisés, reste une évolution à la portée de tous et qui, de toute façon, se produira. Le gouvernement, pourtant, une fois encore, préfère jouer les thaumaturges et administrer un somnifère bricolé avec une once de renoncement fiscal, un bout d'oreille enfin arrachée à Total à force d'avoir été tirée, un doigt de vraie concurrence entre grandes surfaces, et tout cela dans le seul but de satisfaire des grognons définitivement rétifs à toute médecine. Ce qui, évidemment, pose une question intéressante.

Car, en Europe, la France reste absolument seule à mener ce vain combat : aucun autre pays ne semble prêt à suivre son exemple et nombreux, à l'inverse, sont ceux qui connaissent des taxes encore plus lourdes. Les politiques de subventions des prix des carburants, dont les effets délétères nourrissent nombre d'analyses, se trouvent plutôt dans les pays émergents, ceux qui, en particulier, tirent ces ressources de leur sous-sol. Mais la hausse de la matière première, sa raréfaction, l'inefficacité de l'exploitation, les gaspillages, conduisent partout, en Iran, en Indonésie, au Nigeria, à remettre en cause ces subventions devenues insupportables pour les finances publiques. Inévitablement, le rattrapage brutal conduit à l'émeute : ces subventions, après tout, n'étaient, pour des élites corrompues, qu'une manière d'acheter la paix sociale en redistribuant une faible partie de leurs gains. Une fois envolées, la réalité refait surface. Les ressources de l’État, en France, ne permettent plus guère de procéder de la sorte, même si le gouvernement, pour l'heure, semble bien décidé à n'en pas tenir compte. Au moins peut-il se justifier, et jouer les honnêtes gens, en affirmant simplement tenir ses promesses électorales, cette forme particulière de chantage bizarrement parée de vertus positives.

relocaliser

, 21:29

L'agenda du spécialiste, celui dont les coordonnées figurent en première position sur la liste des journalistes lorsque le recours à l'expert s'impose pour traiter une question particulière le confirmera : le terme de relocalisation mérite le grand prix des inventions lexicales de l'année. Promu, exemples à l'appui, par les politiques et la grande presse dans le but de ne pas totalement désespérer Aulnay-sous-Bois, le terme tente de faire passer les ordinaires ajustements à la marge, en matière d'emplois comme d'investissements, qui forment le quotidien des entrepreneurs pour les premiers pas d'une moderne reconquista qui, cette fois-ci, nous emmènera au bout de la terre, jusque dans les faubourgs de Shanghai, reprendre un à un les emplois abandonnés au dragon chinois. La fréquence et la portée de ces ajustements, au demeurant, sur le long terme, pourraient fort bien augmenter, tant la hausse des coûts en tous genres risque de frapper bien plus la Chine que l'Europe. Mais en attendant le jour béni de la compétitivité retrouvée, les affaires continuent. Et il n'est pas sans intérêt d'aller voir comment les choses se passent, dans la vieille France des usines qui fument et du cambouis qui tache.

Une opération promotionnelle lancée par Yamaha Motor France fournit un prétexte idéal. Le japonais, qui sauva de la faillite en 1984 l'historique Motobécane, produit à Saint-Quentin, sous la marque MBK, des scooters et, sous la sienne, des scooters, des 125 cm³, mais aussi des gros trails monocylindre, tous propulsés par des moteurs Minarelli, fabriqués en Italie par une autre filiale du groupe ; Saint Quentin, au demeurant, dispose également d'une fonderie d'où sort une autre spécialité maison, les moteurs marins. Sans doute peu inspirée par la Picardie, la grande presse, à une exception près, ne semble pas avoir jugé l'information digne d'être publiée : aussi vaut-il mieux compter sur les connaisseurs pour comprendre pourquoi Yamaha souhaite tant faire savoir ce qui se passe à Saint Quentin. Il s'agit, en l'occurrence, d'une paradoxale création d'emplois. Les surcapacités de ses usines européennes ont conduit l'entreprise à sacrifier son implantation espagnole, et à transférer sa production en France. Les raisons en sont triviales, et mettent bien en valeur les deux traditionnels avantages compétitifs dont dispose toujours le pays, sa géographie, qui facilite la logistique et fournit, en l'espèce, de larges réserves foncières, et sa main d'œuvre, productive, qualifiée et expérimentée. Nul besoin, on le remarque, de l'intervention d'un quelconque ministre, de l'appui d'une quelconque subvention, la simple logique industrielle suffisant parfaitement à conclure l'affaire.
Didier Bouard, le correspondant marseillais de Moto Magazine, commente lui aussi le déménagement de Yamaha dans un remarquable article paru dans la dernière livraison du mensuel, et dont on ne peut que souhaiter qu'une main innocente le place sous les yeux de notre grand ministre de la reconstruction industrielle. Il relève en effet un défi, partir à la recherche des industriels de la moto dans l'unique grand pays européen à avoir cessé de produire autrement que de façon artisanale des motos au plein sens du terme. Les quelques antiques fabricants de motocycles à vocation utilitaire, en effet, n'ont pas survécu à l'effondrement des années 1960, et, quand ils n'ont pas disparu, se sont reconvertis dans la spécialité locale, le cyclomoteur. L'essentiel de la production de grosses cylindrées d'après guerre fut le fait de Ratier, historique fabricant d'hélices aéronautiques aujourd'hui filiale d'United Technologies, qui construisit jusqu'en 1962 des flats-twins conçus sur la base de moteurs BMW abandonnés sur place par l'occupant après 1945 ce qui, on s'en rend compte, représente une percée technologique majeure. Et pourtant, ces industriels existent, mais, comme pour Yamaha, ils ne sont pas toujours là où on les attend. Ainsi, tous les pneus moto Michelin sont fabriqués en Espagne ou en Serbie ; Dunlop, à l'inverse, filiale du japonais Sumitomo, exporte vers toute l'Europe à partir de Montluçon. On retrouve ici la même logique qui conduit Yamaha à concentrer son activité à Saint-Quentin, logique de groupes mondialisés qui relève chaque fois de stratégies et de situations particulières, et n'a que faire des frontières. Mais pour les PME, voire les artisans, seulement présents sur le territoire national, l'adaptation, pour les spécialistes de l'habillement et du cuir en particulier, implique de produire dans des pays à faible coût, et de façon d'autant moins réversible que la main d'œuvre spécialiste du cuir disparaît progressivement. Le fabriqué en France peut faire la fierté du patron de Top Block, producteur autochtone d'antivols qui reçoit les politiques dans sa "dernière cantine encore ouverte de la région" ; seule, pourtant, la responsabilité morale qu'il ressent à l'égard de ses cinquante salariés l'empêche, comme les autres, d'aller ailleurs.

L'exemple de Yamaha montre comment des circonstances, à la fois singulières et reproductibles puisque, au fond, elles consistent simplement à faire coïncider une demande et une offre, de produits, de techniques, de personnels, permettent à une société japonaise de commercialiser sous sa marque des machines presque totalement fabriquées en Europe, grâce à ces réseaux de spécialistes qui découpent les contours de l'industrie moderne, et dont l'Italie, en particulier, s'est fait une spécialité. Et ce qui vaut pour la moto s'applique aussi bien pour ces produits autrement moins oniriques que sont les disjoncteurs, les chariots élévateurs ou les vannes, tous ces objets ennuyeux et compliqués fabriqués par les vieilles industries mécaniques, optiques et électriques, et sans lesquels rien, nulle part, ne fonctionne. Et, même si elles ne manqueront pas de profiter de l'effet d'aubaine de tel crédit d'impôts, ces industries n'attendent de l'État rien d'autre que sa prise en charge du bien public, les infrastructures, l'éducation, la recherche fondamentale, dont les bénéfices pourront ensuite être mutualisés. La meilleure politique industrielle serait sans doute celle qui aurait l'énorme courage de ne rien faire de particulier, et de renoncer donc aux profits clientélistes et électoralistes de l'interventionnisme narcissique. Visiblement, le ministre du renouveau industriel, auquel ne manque plus qu'un sac de riz sur l'épaule pour faire un parfait docteur Kouchner, ne semble pas privilégier cette voie-là. Et à en juger par la manière dont le gouvernement compte accorder aux DAX, AEX, et autres OMX des avantages déloyaux au détriment des CAC et SBF, à voir la façon dont la ministre en charge de l'énergie confirme, s'il en était besoin, que la durée maximale des engagements contractuels pris par l'État ne saurait excéder l'espace d'une législature, sur ces questions, la solidarité ministérielle semble sans faille, et le portrait de l'entrepreneur en exploiteur unanimement partagé. L'orchestre, comme d'habitude, ne sait qu'exécuter la même petite musique et, comme toujours, il jouera jusqu'au bout.

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